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Citations sur le fond
Il y a 93 citations sur le fond.
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Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu’on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse. Par les beaux jours d’été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d’hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble. À gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau. Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d’enfant, des cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans l’ombre ; les vitrines, faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises de reflets verdâtres ; au-delà, derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans lesquels s’agitent des formes bizarres. À droite, sur toute la longueur du passage, s’étend une muraille contre laquelle les boutiquiers d’en face ont plaqué d’étroites armoires ; des objets sans nom, des marchandises oubliées là depuis vingt ans s’y étalent le long de minces planches peintes d’une horrible couleur brune. Une marchande de bijoux faux s’est établie dans une des armoires ; elle y vend des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de velours bleu, au fond d’une boîte en acajou. Au-dessus du vitrage, la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme couverte d’une lèpre et toute couturée de cicatrices.
Thérèse Raquin — Émile Zola -
Il faut bien sûr imaginer Paul, tout en force, le regard baissé déjouant pour l’instant la description, le menton saillant, la mâchoire prognathe, sa stature excédant la mienne, l’impossibilité dans laquelle il est toujours de faire oublier son corps en dépit des mouvements qui lui traversent l’âme, fréquemment d’ailleurs car Paul est un sensible, un sentimental, même, doublant chez lui le musculaire toujours trahi quelle que soit l’ampleur de la chemise, la coupe du pantalon, la délicatesse de certains gestes, passons sur certains gestes, le visage suscitant chez l’observateur un irrépressible besoin de poncifs, nez épais, lèvres fortes, sourire enfantin, gourmand, la manière dont ses mains battent l’air quand il s’échauffe, le verbe non point tant facile que haut, expéditif et désaccordé souvent, mais sincère, toujours, mieux vaut en rire, maintenant, et d’ailleurs il se tait, il ne répond pas, je dois répéter ma question, il lève enfin les yeux, de beaux yeux, surtout un beau garçon, non pas un beau regard, donc, c’est du reste dommage, avec un beau regard j’aurais compris que Sandra, je n’aurais sans doute rien eu à dire, je n’ai d’ailleurs rien dit, à quoi bon, que dire à une femme qui vous quitte pour un homme dont les yeux sont seulement beaux, on se prend à rêver au contraire d’un amant au charme secret, plus proche de celui qu’on croyait exercer, ou qu’on n’exerce plus, qu’importe, un homme qui puisse prétendre à quelque vraie relève, dont on puisse tirer sinon profit du moins fierté, mais non, c’est cet homme-là que Sandra avait choisi, contre tout attente, ou en réponse à son attente, comment savoir, un homme dont le poids s’aggravait maintenant de celui de son mensonge, peut-être plus pervers au fond que ce qu’on avait pensé, duplique derrière le muscle, noyant des trésors de rouerie dans l’eau bleutée de son regard.
Christian Oster — Paul au téléphone – Éditions de Minuit 1996 -
La clarté du langage s’établit sur un fond obscur, et si nous poussons la recherche assez loin, nous trouverons finalement que le langage (…) ne dit rien que lui-même, ou que son sens n’est pas séparable de lui.
Merleau–Ponty — Phénoménologie de la perception -
Sur le fond de sa déclaration à l'Assemblée nationale, Édouard Philippe entre dans le concret mais j'ai trois reproches. Quand on veut mobiliser une opinion publique confinée, il faut tracer un chemin d'espoir. Français confiné n'a pas d'oreilles, ai-je envie de dire pour détourner une expression connue (Ventre affamé n'a pas d'oreilles, NDLR).
Interview de Roger Karoutchi — www.lepoint.fr -
Elle avait d'abord demandé le rédacteur en chef, puis était tombée, comme par hasard, sur le directeur de l'Universelle, qui s'était mis galamment à sa disposition pour tous les renseignements qu'elle désirerait, en l'emmenant dans la pièce réservée, au fond du corridor.
Emile Zola — L'Argent -
Excusez-moi, Monsieur, mais puis-je me permettre encore de vous demander comment cela vous est arrivé ? Comment vous dire ? Ces histoires-là sont longues, compliquées, et au fond je les trouve un peu hors de ma portée.
Marguerite Duras — Le Square -
La voix remue au fond de moi, elle touche mon cœur, mon ventre, elle est dans ma gorge et dans mes yeux. Cela me trouble tant que je m’éloigne un peu et que je me cache le visage dans le châle de maman. Chaque parole entre en moi pour briser quelque chose.
J. M. G. Le Clézio — Étoile errante -
Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre !C’est en ces mots que le lionParlait un jour au moucheron.L’autre lui déclara la guerre :Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roiMe fasse peur ni me soucie ?Un bœuf est plus puissant que toi ;Je le mène à ma fantaisie.À peine il achevait ces motsQue lui-même il sonna la charge,Fut le trompette et le héros.Dans l’abord il se met au large ;Puis prend son temps, fond sur le couDu lion, qu’il rend presque fou.Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;Il rugit. On se cache, on tremble à l’environ ;Et cette alarme universelleEst l’ouvrage d’un moucheron.Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle ;Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,Tantôt entre au fond du naseau.La rage alors se trouve à son faîte montée.L’invisible ennemi triomphe, et rit de voirQu’il n’est griffe ni dent en la bête irritéeQui de la mettre en sang ne fasse son devoir.Le malheureux lion se déchire lui-même,Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrêmeLe fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.L’insecte, du combat, se retire avec gloire :Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,Va partout l’annoncer, et rencontre en cheminL’embuscade d’une araignée ;Il y rencontre aussi sa fin.Quelle chose par là nous peut être enseignée ?J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemisLes plus à craindre sont souvent les plus petits ;L’autre qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,Qui périt pour la moindre affaire.
Jean de La Fontaine — Fables -
Il y a quelques années, une seule voix suffisait pour que l'irréparable fût retardé, pour que la Cour dans son ensemble admît que le problème devait être étudié plus à fond. Après avoir rendu cette décision négative, la Cour se sépare. Sa session annuelle est close.
Jean-Paul Sartre — Le Chant interrompu -
SÉRAPHIN, paraissant, un rasoir à la main, un côté de la figure barbouillé de savon. Hein !… Qu’est-ce qu’il y a ?GÉVAUDAN, saluant à plusieurs reprises ainsi qu'Alfred et Laure.Monsieur l'agent… j'ai bien l’honneur…SÉRAPHIN.Bonjour ! bonjour ! (À part.) Ces domestiques sont assommants ! On dirait qu'on est à leur service. (Haut, continuant à se raser.) Asseyez-vous !GÉVAUDAN, gagnant la gauche.Oui, monsieur l'agent. (À Laure et à Alfred.) Asseyons-nous. (Ils s'asseyent sur les trois chaises qui sont presque en ligne à côté du poêle, de façon à faire face au bureau de l'agent. Moment de silence pendant lequel ils se regardent en riant bêtement, tandis que Séraphin se rase. Puis Gévaudan se lève.) Monsieur l'agent, nous venons…SÉRAPHIN, brusquement.Ne parlez pas, vous me feriez couper.Gévaudan soumis, retourne à sa place. Moment de silence. Séraphin achève de se raser, puis va au lavabo au fond et se débarbouille.GÉVAUDAN, bas à Laure.Arrange tes cheveux sur le front… tu es toute décoiffée.Nouveau moment de silence.
Georges Feydeau — Les fiancés de Loches -
L’eau meuble d’or pâle et sans fond les couches prêtes.Les robes vertes et déteintes des fillettes
Arthur Rimbaud — Mémoire -
Maman recommença d’écrire, et plusieurs fois par semaine, des lettres tantôt suppliantes, quand elle les rédigeait seule, et tantôt débordantes de rage quand mon père les avait dictées. Toutes ces lettres tombaient dans un puits sans fond et sans échos.
Duhamel — Notaire Havre -
Elle éclata encore de rire, en la voyant ainsi accoutrée, nageant dans le pardessus de son homme, le feutre bois-de-rose vissé sur son front, laissant échapper une mèche blonde. Là, tu es belle, le vrai baigneur ! L'autre jeta un coup d'œil mi-figue, mi-raisin à l'image d'elle que lui renvoyait la grande glace du fond.
Ange Bastiani — Le pain des jules -
Mais, tu es jalouse de Marco parce que, dans le fond, toute la ville d'Oiquixa admire et approuve son amitié pour le pauvre garçon cent fois plus que ta fameuse Association. Tu es jalouse, parce que tout le monde observe ses faits et gestes avec admiration.
Ana María Matute — Marionnettes -
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d’effroiSe planteront bientôt comme dans une cible,Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizonAinsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;Chaque instant te dévore un morceau du déliceA chaque homme accordé pour toute sa saison.Trois mille six cents fois par heure, la SecondeChuchote : Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voixD’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)Les minutes, mortel folâtre, sont des ganguesQu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !Souviens-toi que le Temps est un joueur avideQui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
Charles Baudelaire — Les fleurs du mal -
Avant tout, il y a eu rencontre.Isabelle Leblanc et moi, assis chez Isabelle, dans la cuisine, autour d’une bouteille de champagne, parce que cela faisait trop longtemps que l’on ne s’était pas parlés. Pas vus. Pas regardés.Il y avait donc, avant tout, une fille un peu écoeurée, assise en face d’un type un peu perdu. Entre les deux (juste à côté de la bouteille maintenant à moitié vide), la soif des idées. C’est-à-dire le désir de se sortir, de s’extraire d’un monde qui cherchait trop à nous faire croire que l’intelligence était une perte de temps, la pensée un luxe, les idées une fausse route.Il y avait donc deux personnes, l’une en face de l’autre, qui avaient elles aussi une soif insatiable de l’infini, cette soif que les chiens de Lautréamont portent au fond de leurs gosiers.Puis il y a eut des comédiens et des concepteurs, des amis, des gens que nous aimions, qui nous bouleversaient, assis autour d’une table. Une question fut posée : « Nous voici arrivés à notre trentaine. De quoi avons-nous peur ? » Réfléchir autour de cette question, tenter, chacun son tour, d’élaborer un discours, une pensée pour nommer ce qui se trame au fond de notre âme, nous a permis de mettre le doigt sur certaines choses essentielles. Invariablement, nous avons parlé de l’amour, de la joie, de la peine, de la douleur, de la mort. Aussi, nous avons réalisé que, si nous avions peur d’aimer, nous n’avions pas peur de mourir, car la peur, en ce qui concerne la mort, tournait autour de nos parents, en ce sens que nous n’avions pas tant peur de notre propre mort que de la mort de ceux qui nous ont conduits à la vie, et dans la vie ; cela ne concernait pas uniquement nos parents naturel, mais aussi nos parents dans la création.
Wajdi Mouawad — Littoral – Éditions Actes Sud 1999 -
La raison du plus fort est toujours la meilleure :Nous l'allons montrer tout à l'heure.Un Agneau se désaltéraitDans le courant d'une onde pure.Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait."Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.— Sire, répond l'Agneau, que votre MajestéNe se mette pas en colère ;Mais plutôt qu'elle considèreQue je me vas désaltérantDans le courant,Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,Et que par conséquent, en aucune façon,Je ne puis troubler sa boisson.— Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,Et je sais que de moi tu médis l'an passé.— Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.— Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.— Je n'en ai point.— C'est donc quelqu'un des tiens :Car vous ne m'épargnez guère,Vous, vos bergers, et vos chiens.On me l'a dit : il faut que je me venge."Là-dessus, au fond des forêtsLe Loup l'emporte, et puis le mange,Sans autre forme de procès.
Jean de La Fontaine — Le Loup et l’Agneau -
Pour vous, Monsieur, rien n’est encore perdu et nous vous adjurons de mettre un fond à votre tonneau des Danaïdes où, depuis plus d’un demi-siècle, vous ne cessez de jeter le meilleur de vous-même et de votre pensée dans des flots d’encre, car on a souvent comparé à ce tonneau percé que les malheureuses Danaïdes, pour un crime d’ailleurs intolérable à imaginer (sur cinquante, quarante-neuf d’entre elles avaient égorgé leurs maris le soir de leurs noces), furent condamnées à remplir éternellement ; on a comparé, dis-je, leur vain travail à celui du journaliste, et quoique vous ne soyez capable d’aucun meurtre, vous aussi vous subirez ce châtiment de travailler longtemps pour rien, votre travail au jour le jour n’étant assuré d’aucune durée. Vos amis vous demandent de rétablir cette situation.
Émile Henriot — Réponse au discours de réception de Robert Kempf -
RODRIGUE — Percé jusques au fond du cœurD’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,Misérable vengeur d’une juste querelle,Et malheureux objet d’une injuste rigueur,Je demeure immobile, et mon âme abattueCède au coup qui me tue.Si près de voir mon feu récompensé,Ô Dieu, l’étrange peine !En cet affront mon père est l’offensé,Et l’offenseur le père de Chimène !Que je sens de rudes combats !Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse :Il faut venger un père, et perdre une maîtresse :L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,Ou de vivre en infâme,Des deux côtés mon mal est infini.Ô Dieu, l’étrange peine !Faut-il laisser un affront impuni ?Faut-il punir le père de Chimène ?
Pierre Corneille — Le Cid -
Je fis immédiatement une recherche de fond sur les emballages des paquets de cigarettes en général, étudiant la concurrence, les ventes, etc., de façon à comprendre le problème.
Raymond Loewy — La laideur se vend mal -
Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompés en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
Alfred de Musset — On ne badine pas avec l’amour -
Le Loup et l’AgneauLa raison du plus fort est toujours la meilleure :Nous l’allons montrer tout à l’heure.Un Agneau se désaltéraitDans le courant d’une onde pure.Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait.Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.– Sire, répond l’Agneau, que votre MajestéNe se mette pas en colère ;Mais plutôt qu’elle considèreQue je me vas désaltérantDans le courant,Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,Et que par conséquent, en aucune façon,Je ne puis troubler sa boisson.– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,Et je sais que de moi tu médis l’an passé.– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.– Je n’en ai point.– C’est donc quelqu’un des tiens :Car vous ne m’épargnez guère,Vous, vos bergers, et vos chiens.On me l’a dit : il faut que je me venge.Là-dessus, au fond des forêtsLe Loup l’emporte, et puis le mange,Sans autre forme de procès.
Jean de La Fontaine — Le loup et l’Agneau -
Avec trois hommes courageux nous partîmes quand même en guerre, il fallait bien retrouver Tennessee pour le présenter au public et nous finîmes par le trouver au fond de la plus sinistre des tavernes, toujours gai comme un pinson, mangeant Dieu sait quoi à l'ail, ou je ne sais quel parfum plébéien, et j'imaginai un instant le petit repas anglais raffiné, préparé aux bougies, dans la suite luxueuse du palace de la comtesse.
Françoise Sagan — Avec mon meilleur souvenir -
La vie frissonne de lumière sur fond de mort. Philostrate peignit un crâne de mort. C'est, à l'opposé des Vanités du monde vivant, un Carpe diem funèbre il s'agit de cueillir la fleur de ce qui va périr tout à la fois dans…
Pascal Quignard — Le sexe et l'effroi -
« Cet homme a raison, il n'y a rien au-dessus de la jouissance, peu importe la façon de se la procurer. » Voilà qui paraît terriblement immoral et, en effet, n'est guère autre chose au fond cette formule revient au Carpe diem du poète, qui proclame l'incertitude de la vie et la vanité du renoncement au nom de la vertu.
Sigmund Freud — Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient -
Il faut aller voir de bon matin, du haut de la colline du Sacré-Cœur, à Paris, la ville se dégager lentement de ses voiles splendides, avant d’étendre les bras. Toute une foule enfin dispersée, glacée, déprise et sans fièvre, entame comme un navire la grande nuit qui sait ne faire qu’un de l’ordure et de la merveille. Les trophées orgueilleux, que le soleil s’apprête à couronner d’oiseaux ou d’ondes, se relèvent mal de la poussière des capitales enfouies. Vers la périphérie les usines, premières à tressaillir, s’illuminent de la conscience de jour en jour grandissante des travailleurs. Tous dorment, à l’exception des derniers scorpions à face humaine qui commencent à cuire, à bouillir dans leur or. La beauté féminine se fond une fois de plus dans le creuset de toutes les pierres rares. Elle n’est jamais plus émouvante, plus enthousiasmante, plus folle qu’à cet instant où il est possible de la concevoir unanimement détachée du désir de plaire à l’un ou à l’autre, aux uns ou aux autres.
André Breton — Les Vases communicants -
Bloch était flatté de surnager seul dans le naufrage universel. Mais là encore il aurait voulu des précisions, savoir de quelles inepties voulait parler M. de Norpois. Bloch avait le sentiment de travailler dans la même voie que beaucoup, il ne s'était pas cru si exceptionnel. Il revint à l'affaire Dreyfus, mais ne put arriver à démêler l'opinion de M. de Norpois. Il tâcha de le faire parler des officiers dont le nom revenait souvent dans les journaux à ce moment-là ; ils excitaient plus la curiosité que les hommes politiques mêlés à la même affaire, parce qu'ils n'étaient pas déjà connus comme ceux-ci et, dans un costume spécial, du fond d'une vie différente et d'un silence religieusement gardé, venaient seulement de surgir et de parler, comme Lohengrin descendant d'une nacelle conduite par un cygne.
Marcel Proust — À la recherche du temps perdu -
Je parierais qu’au fond de son repaire de la forêt de Rambouillet, Zola ne s’ennuie pas.
Clemenceau — Vers réparation -
Un petit indice dans le silence de la nuit, insolemment rompu par le bruit du réfrigérateur, dont le moteur se mettait à ronronner avec des intervalles imprévisibles, il découvrit, tout au fond de l'armoire qu'il mettait sens dessus dessous pour la énième fois, un roman policier, une traduction, derrière une paire de souliers vert pétrole à talons hauts que Ruya n'avait pas emportés.
Orhan Pamuk — Le livre noir -
Qui est Théo Vanderputte, une « si vieille personne » qui s'occupe des enfants des résistants fusillés, jusqu'au jour où ces enfants «s'occupent» de lui à leur tour ? Un monstre qui dort peut-être toujours au fond de l'humain, dans cette tanière obscure où l'Histoire va si souvent le chercher, le réveiller, l'utiliser ? Un martyr, un traître, ou les deux à la fois ?
Romain Gary — La bonne moitié -
Comment vais-je poser ma main sur ton corps, Andreas ? Il se rapproche un peu et ôte ma chemise, nous sommes pleins et prêts. De nous être longtemps retenus, dans un silence et une contemplation suspendus à la surprise et au plaisir, provoque à cet instant une sorte de tumulte, et nous nous empoignons, par les bras, par la nuque, par le torse et les reins. Voilà comment tu prends mon corps, Andreas : de toutes parts, car l’ivresse t’a gagné comme elle m’a gagné moi, et j’accepte les acrobaties que ton ardeur soudaine m’oblige à faire. Tête penchée en arrière, mains cherchant un appui, trouvant un mur, bientôt le sol, quelle souplesse ! Et tes dents se plantent dans la peau de mon ventre, un peu de brutalité sourd de tes agissements, elle me va, elle cadre avec ton torse et ton silence, et je comprends que là tu voudrais bien m’ouvrir, non tant en métaphore, d’un coup de rein, mais déchirer ma peau en espérant trouver, derrière la peau, le muscle et les irrigations ce que cache mon âme française et apaisée. Voilà comment je prends ton corps, Andreas : allongé sur le sol, je ramène ta bouche qui traînait sur mon ventre, je la hisse à la mienne puis j’encercle ton dos, m’arrime à tes épaules, serre à en perdre haleine l’heureuse tresse de muscles ou gît ce que tu es, où bat ce que tu veux. Si je pouvais tout entier t’absorber dans un désir dément de gagner ton essence et ta vitalité, ficher dans mes entrailles cette magnificence sans âge et sans destin, j’aurais sans doute gagné, et l’Histoire avec moi, un peu de cette paix si douce à nos épaules quand nous la rencontrons. Voilà comment nous nous mêlons : ceci est notre corps, prenons-le pour en jouir, prenons l’autre pour aimer et retournons au vent. Mais s’il fallait que je noue Andreas autour d’une colonne, le hisse sur une croix, l’enterre, l’emmure vivant ou le jette au cachot, comment m’en saisirais-je ? Mais s’il fallait qu’au fond d’une tranchée d’Argonne, une rue de Stalingrad, nous nous rencontrions pour nous éliminer, à mains nues et sans larmes, où irions-nous d’abord : au coeur, au souffle, à l’âme ?
Mathieu Riboulet — Les Œuvres de miséricorde -
Quand Gervaise s’éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n’était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d’une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d’une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d’homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales ; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d’habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d’un rose tendre. C’était la belle chambre de l’hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.
Émile Zola — L’Assommoir -
L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour.
Émile Zola — Germinal -
Cet appartement était aussi confortablement meublé que peut l’être une garçonnière. Mais comme un intérieur prend à la longue la physionomie et peut-être la pensée de celui qui l’habite, le logis d’Octave s’était peu à peu attristé ; le damas des rideaux avait pâli et ne laissait plus filtrer qu’une lumière grise. Les grands bouquets de pivoine se flétrissaient sur le fond moins blanc du tapis ; l’or des bordures encadrant quelques aquarelles et quelques esquisses de maîtres avait lentement rougi sous une implacable poussière ; le feu découragé s’éteignait et fumait au milieu des cendres. La vieille pendule de Boule incrustée de cuivre et d’écaille verte retenait le bruit de son tic-tac, et le timbre des heures ennuyées parlait bas comme on fait dans une chambre de malade ; les portes retombaient silencieuses, et les pas des rares visiteurs s’amortissaient sur la moquette ; le rire s’arrêtait de lui-même en pénétrant dans ces chambres mornes, froides et obscures, où cependant rien ne manquait du luxe moderne.
Théophile Gautier — Récits fantastiques -
Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
Alfred de Musset — On ne badine pas avec l’amour -
La raison du plus fort est toujours la meilleure :Nous l’allons montrer tout à l’heure.Un Agneau se désaltéraitDans le courant d’une onde pure.Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait.Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.– Sire, répond l’Agneau, que votre MajestéNe se mette pas en colère ;Mais plutôt qu’elle considèreQue je me vas désaltérantDans le courant,Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,Et que par conséquent, en aucune façon,Je ne puis troubler sa boisson.– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,Et je sais que de moi tu médis l’an passé.– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.– Je n’en ai point.– C’est donc quelqu’un des tiens :Car vous ne m’épargnez guère,Vous, vos bergers, et vos chiens.On me l’a dit : il faut que je me venge.Là-dessus, au fond des forêtsLe Loup l’emporte, et puis le mange,Sans autre forme de procès.
Jean de La Fontaine — Le Loup et l'agneau -
Il vous faisait à volonté une missive qui, transmise à un graphologue, trahissait un homme d'affaires, riche, volontaire, mais au fond un cœur d'or, généreux avec les dames, ou un timide employé de banque, sentimental, prêt à tout croire, épris de petite fleur bleue.
Louis Aragon — les Beaux Quartiers -
Je n’étais pas son médecin; mais je n’étais plus son amie tandis que je montais son escalier avec des mensonges au bout de mes lèvres, et un regard professionnel tapi au fond de mes yeux.
Simone de Beauvoir — Les Mandarins -
Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois, la peur ne venait chez lui qu’en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. L’escorte prit le galop ; on traversait une grande pièce de terre labourée, située au delà du canal, et ce champ était jonché de cadavres.— Les habits rouges ! les habits rouges ! criaient avec joie les hussards de l’escorte, et d’abord Fabrice ne comprenait pas ; enfin il remarqua qu’en effet presque tous les cadavres étaient vêtus de rouge. Une circonstance lui donna un frisson d’horreur : il remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore ; ils criaient évidemment pour demander du secours, et personne ne s’arrêtait pour leur en donner. Notre héros, fort humain, se donnait toutes les peines du monde pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L’escorte s’arrêta ; Fabrice, qui ne faisait pas assez d’attention à son devoir de soldat, galopait toujours en regardant un malheureux blessé.— Veux-tu bien t’arrêter, blanc-bec ! lui cria le maréchal-des-logis. Fabrice s’aperçut qu’il était à vingt pas sur la droite en avant des généraux, et précisément du côté où ils regardaient avec leurs lorgnettes. En revenant se ranger à la queue des autres hussards restés à quelques pas en arrière, il vit le plus gros de ces généraux qui parlait à son voisin, général aussi, d’un air d’autorité et presque de réprimande ; il jurait. Fabrice ne put retenir sa curiosité ; et, malgré le conseil de ne point parler, à lui donné par son amie la geôlière, il arrangea une petite phrase bien française, bien correcte, et dit à son voisin :— Quel est-il ce général qui gourmande son voisin ?— Pardi, c’est le maréchal !— Quel maréchal ?— Le maréchal Ney, bêta ! Ah ça ! où as-tu servi jusqu’ici ?Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point à se fâcher de l’injure ; il contemplait, perdu dans une admiration enfantine, ce fameux prince de la Moskowa, le brave des braves.Tout à coup on partit au grand galop. Quelques instants après, Fabrice vit, à vingt pas en avant, une terre labourée qui était remuée d’une façon singulière. Le fond des sillons était plein d’eau, et la terre fort humide, qui formait la crête de ces sillons, volait en petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds de haut. Fabrice remarqua en passant cet effet singulier ; puis sa pensée se remit à songer à la gloire du maréchal. Il entendit un cri sec auprès de lui ; c’étaient deux hussards qui tombaient, atteints par des boulets ; et, lorsqu’il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l’escorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se débattait sur la terre labourée en engageant ses pieds dans ses propres entrailles ; il voulait suivre les autres : le sang coulait dans la boue.Ah ! m’y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J’ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. À ce moment, l’escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que c’étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d’où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines ; il n’y comprenait rien du tout.
Stendhal — La Chartreuse de Parme -
Le magasinier est un monsieur qui dispose d'une sorte de comptoir dans une soute à goudron, tout au fond de la cale avant. Nous reparlerons bientôt de lui plus en détail.
Herman Melville — La Vareuse blanche -
L’idée que je pris de Venise d’après un dessin du Titien qui est censé avoir pour fond la lagune, était certainement beaucoup moins exacte que celle que m’eussent donnée de simples photographies.
Marcel Proust — Du côté de chez Swann -
Puis, comme leurs deux visages se reflétaient, l’un contre l’autre, dans l’eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient une glace limpide, Jean souriait à cette tête voisine qui le regardait d’en bas, et parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber dessus.— Ah ! que vous êtes ennuyeux, disait la jeune femme ; mon cher, il ne faut jamais faire deux choses à la fois.
Guy de Maupassant — Pierre et Jean