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Il y a 47 citations sur la laisse.
Comment obtenir la béatitude ? En disant Dada. Comment devenir célèbre ? En disant Dada. D’un geste noble et avec des manières raffinées. Jusqu’à la folie. Jusqu’à l’évanouissement. Comment en finir avec tout ce qui est journalisticaille, anguille, tout ce qui est gentil et propret, borné, vermoulu de morale, européanisé, énervé ? En disant Dada. Dada c’est l’âme du monde, Dada c’est le grand truc. Dada c’est le meilleur savon au lait de lys du monde. Dada Monsieur Rubiner, Dada Monsieur Korrodi, Dada Monsieur Anastasius Lilienstein. Cela veut dire en allemand : l’hospitalité de la Suisse est infiniment appréciable. Et en esthétique, ce qui compte, c’est la qualité. Je lis des vers qui n’ont d’autre but que de renoncer au langage conventionnel, de s’en défaire. Dada Johann Fuchsgang Goethe. Dada Stendhal, Dada Dalaï-lama, Bouddha, Bible et Nietzsche. Dada m’Dada. Dada mhm Dada da. Ce qui importe, c’est la liaison et que, tout d’abord, elle soit quelque peu interrompue.Je ne veux pas de mots inventés par quelqu’un d’autre. Tous les mots ont été inventés par les autres. Je revendique mes propres bêtises, mon propre rythme et des voyelles et des consonnes qui vont avec, qui y correspondent, qui soient les miens. Si une vibration mesure sept aunes, je veux, bien entendu, des mots qui mesurent sept aunes. Les mots de Monsieur Dupont ne mesurent que deux centimètres et demi. On voit alors parfaitement bien comment se produit le langage articulé. Je laisse galipetter les voyelles, je laisse tout simplement tomber les sons, à peu près comme miaule un chat… Des mots surgissent, des épaules de mots, des jambes, des bras, des mains de mots. AU. OI. U. Il ne faut pas laisser venir trop de mots. Un vers c’est l’occasion de se défaire de toute la saleté. Je voulais laisser tomber le langage lui-même, ce sacré langage, tout souillé, comme les pièces de monnaie usées par des marchands. Je veux le mot là où il s’arrête et là où il commence. Dada, c’est le coeur des mots. Toute chose a son mot, mais le mot est devenu une chose en soi. Pourquoi ne le trouverais-je pas, moi ? Pourquoi l’arbre ne pourrait-il pas s’appeler Plouplouche et Plouploubache quand il a plu ? Le mot, le mot, le mot à l’extérieur de votre sphère, de votre air méphitique, de cette ridicule impuissance, de votre sidérante satisfaction de vous-mêmes. Loin de tout ce radotage répétitif, de votre évidente stupidité.Le mot, messieurs, le mot est une affaire publique de tout premier ordre. Hugo Ball — Manifeste littéraire
Ce soir, nous sommes deux devant ce fleuve qui déborde de notre désespoir. Nous ne pouvons même plus penser. Les paroles s’échappent de nos bouches tordues, et, lorsque nous rions, les passants se retournent, effrayés, et rentrent chez eux précipitamment.On ne sait pas nous mépriser.« Nous pensons aux lueurs des bars, aux bals grotesques dans ces maisons en ruines où nous laissions le jour. Mais rien n’est plus désolant que cette lumière qui coule doucement sur les toits à cinq heures du matin. Les rues s’écartent silencieusement et les boulevards s’animent: un promeneur attardé sourit près de nous. Il n’a pas vu nos yeux pleins de vertiges et il passe doucement. Ce sont les bruits des voitures de laitiers qui font s’envoler notre torpeur et les oiseaux montent au ciel chercher une divine nourriture.Aujourd’hui encore( mais quand donc finira cette vie limitée) nous irons retrouver les amis, et nous boirons les mêmes vins. On nous verra encore aux terrasses des cafés.Il est loin, celui qui sait nous rendre cette gaieté bondissante. Il laisse s’écouler les jours poudreux et il n’écoute plus ce que nous disons. » Est-ce que vous avez oublié nos voix enveloppées d’affections et nos gestes merveilleux? Les animaux des pays libres et des mers délaissées ne vous tourmentent-ils plus? Je vois encore ces luttes et ces outrages rouges qui nous étranglaient. Mon cher ami, pourquoi ne voulez-vous plus rien dire de vos souvenirs étanches? L’air dont hier encore nous gonflions nos poumons devient irrespirable. Il n’y a plus qu’à regarder droit devant soi, ou à fermer les yeux: si nous tournions la tête, le vertige ramperait jusqu’à nous.Itinéraires interrompus et tous les voyages terminés, est-ce que vraiment nous pouvons les avouer ? Les paysages abondants nous ont laisser un goût amer sur les lèvres. Notre prison est construite en livres aimés, mais nous ne pouvons plus nous évader, à cause de toutes ces odeurs passionnés qui nous endorment. André Breton et Philippe Soupault — Les Champs magnétiques
Elle est debout sur mes paupièresEt ses cheveux sont dans les miens,Elle a la forme de mes mains,Elle a la couleur de mes yeux,Elle s’engloutit dans mon ombreComme une pierre sur le ciel.Elle a toujours les yeux ouvertsEt ne me laisse pas dormir.Ses rêves en pleine lumièreFont s’évaporer les soleils,Me font rire, pleurer et rire,Parler sans avoir rien à dire. Paul Eluard — Capitale de la douleur
Tu es sur le point de commencer le nouveau roman d’Italo Calvino, Si une nuit d’hiver un voyageur. Détends-toi. Recueille-toi. Chasse toute autre pensée de ton esprit. Laisse le monde qui t’entoure s’estomper dans le vague. Il vaut mieux fermer la porte ; là-bas la télévision est toujours allumée. Dis-le tout de suite aux autres : « Non, non, je ne veux pas regarder la télévision. » Lève la voix, sinon ils ne t’entendront pas : « Je suis en train de lire ! Je ne veux pas être dérangé. » Il se peut qu’ils ne t’aient pas entendu avec tout ce bazar ; dis-le à haute voix, crie : « Je vais commencer le nouveau roman d’Italo Calvino ! » Ou si tu ne veux pas, ne le dis pas ; espérons qu’ils te laissent tranquille. Italo Calvino — Si une nuit d’hiver un voyageur
C'est à prendre ou à laisser, Monseigneur; je veux savoir si, tout de bon, vous m'obéirez désormais Bourges — Crépusc. dieux
− Elle t'aime, dit Mathieu. − Merde pour elle! répondit Pinette. − Elle m'agace, dit Mathieu. Et puis, de toute façon, les histoires de cul ne me passionnent pas aujourd'hui. Mais tu as eu tort de la sauter, si c'était pour la laisser tomber ensuite. Jean-Paul Sartre — La Mort dans l'âme
Alors que la deuxième vague progresse toujours en France et en Europe, l’annonce de résultats, certes provisoires, sur l’efficacité à 90 % du vaccin de Pfizer contre le Covid-19, laisse entrevoir des espoirs. Le Parisien — Covid-19 : Ségolène Royal demande la réouverture des commerces
ARGAN, assis, une table devant lui, comptant des jetons les parties de son apothicaire.Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ; trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur. » Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de monsieur, trente sols. » Oui ; mais, monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil ; il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement ! Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit ; vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente-cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là ; car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de monsieur, quatre livres. » Ah ! monsieur Fleurant, c’est se moquer : il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols. « Plus, du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de monsieur, trente sols. » Dix sols, monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de monsieur, réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne médecine, composée pour hâter d’aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols ; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit lait clarifié et dulcoré pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus, une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoar, sirop de limon et grenades, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez-vous de quatre francs, vingt et quarante sols. Trois et deux font cinq et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc que, de ce mois, j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et, l’autre mois, il y avoit douze médecines et vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci. (Voyant que personne ne vient, et qu’il n’y a aucun de ses gens dans sa chambre.) Il n’y a personne. J’ai beau dire : on me laisse toujours seul ; il n’y a pas moyen de les arrêter ici. (Après avoir sonné une sonnette qui est sur la table.) Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds… Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnois point. Chienne ! coquine ! Drelin, drelin, drelin. J’enrage. (Il ne sonne plus, mais il crie.) Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables ! Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin ! Ah ! mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin. Molière — Le Malade imaginaire
Dans un autre, le juge laisse entendre — « à bon entendeur, salut ! » — qu’il pourrait bien revoir prochainement sa position. François Ost — Le Temps du droit
PYRRHUS.Madame, demeurez.On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez.Oui, je sens à regret qu’en excitant vos larmes,Je ne fais contre moi que vous donner des armes ;Je croyais apporter plus de haine en ces lieux.Mais, madame, du moins, tournez vers moi les yeux :Voyez si mes regards sont d’un juge sévère,S’ils sont d’un ennemi qui cherche à vous déplaire.Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir ?Au nom de votre fils, cessons de nous haïr.À le sauver enfin c’est moi qui vous convie.Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ?Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux ?Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous.Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes ;Combien je vais sur moi faire éclater de haines.Je renvoie Hermione, et je mets sur son front,Au lieu de ma couronne, un éternel affront ;Je vous conduis au temple où son hymen s’apprête ;Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête.Mais ce n’est plus, madame, une offre à dédaigner ;Je vous le dis : il faut ou périr, ou régner.Mon cœur, désespéré d’un an d’ingratitude,Ne peut plus de son sort souffrir l’incertitude.C’est craindre, menacer, et gémir trop longtemps.Je meurs si je vous perds ; mais je meurs si j’attends.Songez-y : je vous laisse, et je viendrai vous prendrePour vous mener au temple où ce fils doit m’attendre ;Et là vous me verrez, soumis ou furieux,Vous couronner, madame, ou le perdre à vos yeux. Racine — Andromaque
L'argument des grosses sommes investies me laisse d'ailleurs assez sceptique, les pires films de notre temps étant invariablement ceux qui ont coûté le plus. Marguerite Yourcenar — Lettres à ses amis et quelques autres
…il faut rappeler entre douze heures et treize heures, le 12, le 14 ou le 15 mai, il ne dit pas ce qu'il fait après, ce qui laisse l'inconscient travailler. En rappelant bien sûr c'est toujours occupé, tous les cinglés de Paris et de la petite couronne étant au taquet depuis le début de la matinée pour ne pas rater ... Danièle Pétrès — Tu vas me manquer
Les raisons de la colère ? Une situation très ambigüe qui les laisse dans le flou total. L'Observateur — Leçons de conduite annulées
Je vous laisse libre d'imaginer le dialogue. Choisissez ce qui peut vous charmer. Acceptez, s'il vous plaît, qu'ils entendent la voix du sang, ou qu'ils s'aiment en coup de foudre, ou que Mignon, par des signes irrécusables et invisibles à l'œil du vulgaire, décèle le voleur. Jean Genet — Notre-Dame-des-Fleurs
C'est étrange, maintenant que j'ai un mari. Je l'entends dormir et j'ai peur toute seule. Il ne me laisse pas pénétrer dans son for intérieur et cela m'afflige. Simone de Beauvoir — Le deuxième sexe
Il est vrai que dès son plus jeune âge, on trouve des témoignages nombreux et concordants sur sa gentillesse et sa délicatesse, qualités qui lui sont données au départ et que l’expérience ne fera que développer. Cet enfant a le cœur sur la main. On serait tenté d’écrire que tout laisse prévoir très tôt, qu’il sera un brave type. Philippe Seguin — Louis Napoléon Le Grand
L’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière. Cette phrase convient merveilleusement à François d’Assise. On sait de lui peu de choses et c’est tant mieux. Ce qu’on sait de quelqu’un empêche de le connaître. Ce qu’on en dit, en croyant savoir ce qu’on dit, rend difficile de le voir. On dit par exemple : Saint-François-d’Assise. On le dit en somnambule, sans sortir du sommeil de la langue. On ne dit pas, on laisse dire. On laisse les mots venir, ils viennent dans un ordre qui n’est pas le nôtre, qui est l’ordre du mensonge, de la mort, de la vie en société. Très peu de vraie paroles s’échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n’ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre. L’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière. Dans cette phrase vous ne voyez ni l’ange ni l’enfant. Vous voyez le chien seulement, vous devinez son humeur joyeuse, vous le regardez suivre les deux invisibles : l’enfant – rendu invisible par son insouciance -, l’ange – rendu invisible par sa simplicité. Le chien, oui, on le voit. Derrière. À la traîne. Il suit les deux autres. Il les suit à la trace et parfois il flâne, il s’égare dans un pré, il se fige devant une poule d’eau ou un renard, puis en deux bonds il rejoint les autres, il recolle aux basques de l’enfant et de l’ange. Vagabond, folâtre. L’enfant et l’ange sont sur la même ligne. Peut-être l’enfant tient-il la main de l’ange, pour le conduire, pour que l’ange ne soit pas trop gêné, lui qui va dans le monde visible comme un aveugle en plein jour. Et l’enfant chantonne, raconte ce qui lui passe par la tête, et l’ange sourit, acquiesce – et le chien toujours derrière ces deux-là, tantôt à droite, tantôt à gauche. Ce chien est dans la Bible. Il n’y a pas beaucoup de chiens dans la Bible. Il y a des baleines, des brebis, des oiseaux et des serpents, mais très peu de chiens. Vous ne connaissez même que celui-là, traînant les chemins, suivant ses deux maîtres : l’enfant et l’ange, le rire et le silence, le jeu et la grâce. Chien François d’Assise. Christian Bobin — Le Très-Bas
De quelle émotion inconnue sens-je mon cœur atteint ! et quelle inquiétude secrète est venue troubler tout d'un coup la tranquillité de mon âme ? Ne serait-ce point aussi, ce qu'on vient de me dire, et sans en rien savoir, n'aimerais-je point ce jeune prince ? Ah ! si cela était, je serais personne à me désespérer : mais il est impossible que cela soit, et je vois bien que je ne puis pas l'aimer. Quoi ? je serais capable de cette lâcheté […] Les respects, les hommages et les soumissions n'ont jamais pu toucher mon âme, et la fierté et le dédain en auraient triomphé. J'ai méprisé tous ceux qui m'ont aimée, et j'aimerais le seul qui me méprise ? Non, non, je sais bien que je ne l'aime pas. Il n'y a pas de raison à cela : mais si ce n'est pas de l'amour que ce que je sens maintenant, qu'est-ce donc que ce peut être ? et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines, et ne me laisse point en repos avec moi-même ? Molière — Les amants magnifiques
Freud, paraît-il, n’aimait pas le téléphone, lui qui aimait, cependant, écouter. Peut-être sentait-il, prévoyait-il, que le téléphone est toujours une cacophonie, et que ce qu’il laisse passer, c’est la mauvaise voix, la fausse communication ? Par le téléphone, sans doute, j’essaye de nier la séparation – comme l’enfant redoutant de perdre sa mère joue à manipuler sans relâche une ficelle ; mais le fil du téléphone n’est pas un bon objet transitionnel, ce n’est pas une ficelle inerte ; il est chargé d’un sens, qui n’est pas celui de la jonction, mais celui de la distance : voix aimée, fatiguée, entendue au téléphone : c’est le fading dans toute son angoisse. Tout d’abord, cette voix, quand elle me vient, quand elle est là, quand elle dure (à grand-peine), je ne la reconnais jamais tout à fait ; on dirait qu’elle sort de dessous un masque (ainsi, dit-on, les masques de la tragédie grecque avaient une fonction magique : donner à la voix une origine chthonienne, la déformer, la dépayser, la faire venir de l’au-delà souterrain). Et puis, l’autre y est toujours en instance de départ ; il s’en va deux fois, par sa voix et par son silence : à qui est-ce de parler ? Nous nous taisons ensemble : encombrement de deux vides. Je vais te quitter, dit à chaque seconde la voix du téléphone. Roland Barthes — Fragments d’un discours amoureux
C’est une nuit d’été ; nuit dont les vastes ailesFont jaillir dans l’azur des milliers d’étincelles ;Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,Permet à l’œil charmé d’en sonder l’infini ;Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,De ce livre de feu rouvre toutes les pages !Sur le dernier sommet des monts, d’où le regardDans un trouble horizon se répand au hasard,Je m’assieds en silence, et laisse ma penséeFlotter comme une mer où la lune est bercée.[…]Que le séjour de l’homme est divin, quand la nuitDe la vie orageuse étouffe ainsi le bruit ! Alphonse de Lamartine — “Une nuit d’été”