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Citations sur le leur - Page 6
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Dans la semaine, les personnes que vous croisez dans le village sont, il va de soi, presque toujours les mêmes et, vertu de l’accoutumance, ne semblent pas vieillir. Réciproquement, elles vous prêtent à vous-même un âge plus ou moins précis, mais fixe, immuable, comme le leur.
Pierre Gascar — La Friche -
En un sens, j’ai fait chou blanc, dit Panici. Chat échaudé craint l’eau froide et les Croates qu’on a vus hier leur ont fait peur. Cette compagnie qui fouillait les buissons cherchait la bande d’un nommé Carmine Crocco qui tient les bois dans ces parages. C’est un paysan qui s’est dit « Pourquoi pas moi ? ».
Jean Giono — Le bonheur fou -
Très respectueux hommages,P. -S. Schuster & Simon me signalent que le livre (La défense Loujine) leur avait bien sûr été proposé, mais qu’ils n’avaient pas encore vraiment décidé ce qu’ils allaient faire. Je vous tiendrai informé de la suite des événements.
Vladimir Nabokov — Lettres choisies -
Par les journées de juillet très chaudes, le mur d’en face jetait sur la petite cour humide une lumière éclatante et dure.Il y avait un grand vide sous cette chaleur, un silence, tout semblait en suspens ; on entendait seulement, agressif, strident, le grincement d’une chaise traînée sur le carreau, le claquement d’une porte. C’était dans cette chaleur, dans ce silence – un froid soudain, un déchirement.Et elle restait sans bouger sur le bord de son lit, occupant le plus petit espace possible, tendue, comme attendant que quelque chose éclate, s’abatte sur elle dans ce silence menaçant.Quelquefois le cri aigu des cigales, dans la prairie pétrifiée sous le soleil et comme morte, provoque cette sensation de froid, de solitude, d’abandon dans un univers hostile où quelque chose d’angoissant se prépare.Étendu dans l’herbe sous le soleil torride, on reste sans bouger, on épie, on attend.Elle entendait dans le silence, pénétrant jusqu’à elle le long des vieux papiers à raies bleues du couloir, le long des peintures sales, le petit bruit que faisait la clef dans la serrure de la porte d’entrée. Elle entendait se fermer la porte du bureau.Elle restait là, toujours recroquevillée, attendant, sans rien faire. La moindre action, comme d’aller dans la salle de bains se laver les mains, faire couler l’eau du robinet, paraissait une provocation, un saut brusque dans le vide, un acte plein d’audace. Ce bruit soudain de l’eau dans ce silence suspendu, ce serait comme un signal, comme un appel vers eux, ce serait comme un contact horrible, comme de toucher avec la pointe d’une baguette une méduse et puis d’attendre avec dégoût qu’elle tressaille tout à coup, se soulève et se replie.Elle les sentait ainsi, étalés, immobiles, derrière les murs, et prêts à tressaillir, à remuer.Elle ne bougeait pas. Et autour d’elle toute la maison, la rue semblaient l’encourager, semblaient considérer cette immobilité comme naturelle.Il paraissait certain, quand on ouvrait la porte et qu’on voyait l’escalier, plein d’un calme implacable, impersonnel et sans couleur, un escalier qui ne semblait pas avoir gardé la moindre trace des gens qui l’avaient parcouru, pas le moindre souvenir de leur passage, quand on se mettait derrière la fenêtre de la salle à manger et qu’on regardait les façades des maisons, les boutiques, les vieilles femmes et les petits enfants qui marchaient dans la rue, il paraissait certain qu’il fallait le plus longtemps possible – attendre, demeurer ainsi immobile, ne rien faire, ne pas bouger, que la suprême compréhension, que la véritable intelligence, c’était cela, ne rien entreprendre, remuer le moins possible, ne rien faire.Tout au plus pouvait-on, en prenant soin de n’éveiller personne, descendre sans le regarder l’escalier sombre et mort, et avancer modestement le long des trottoirs, le long des murs, juste pour respirer un peu, pour se donner un peu de mouvement, sans savoir où l’on va, sans désirer aller nulle part, et puis revenir chez soi, s’asseoir au bord du lit et de nouveau attendre, replié, immobile.
Nathalie Sarraute — Tropismes -
Fort de ses trois ans d’expérience, Franck pense qu’il existe des conducteurs sérieux, même parmi les noirs. A… est aussi de cet avis, bien entendu. Elle s’est abstenue de parler pendant la discussion sur la résistance comparée des machines, mais la question des chauffeurs motive de sa part une intervention assez longue et catégorique. Il se peut d’ailleurs qu’elle ait raison. Dans ce cas, Franck devrait avoir raison aussi. Tous les deux parlent maintenant du roman que A… est en train de lire, dont l’action se déroule en Afrique. L’héroïne ne supporte pas le climat tropical (comme Christiane). La chaleur semble même produire chez elle de véritables crises :“C’est mental, surtout, ces choses-là”, dit Franck. Il fait ensuite une allusion, peu claire pour celui qui n’a pas feuilleté le livre, à la conduite du mari. Sa phrase se termine par “savoir la prendre” ou “savoir l’apprendre”, sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude de qui il s’agit, ou de quoi. Franck regarde A…, qui regarde Franck. Elle lui adresse un sourire rapide, vite absorbé par la pénombre. Elle a compris, puisqu’elle connaît l’histoire. Non, ses traits n’ont pas bougé. Leur immobilité n’est pas si récente : les lèvres sont restées figées depuis ses dernières paroles. Le sourire fugitif ne devait être qu’un reflet de la lampe, ou l’ombre d’un papillon. Du reste, elle n’était déjà plus tournée vers Franck, à ce moment-là. Elle venait de ramener la tête dans l’axe de la table et regardait droit devant soi, en direction du mur nu, où une tache noirâtre marque l’emplacement du mille-pattes écrasé la semaine dernière, au début du mois, le mois précédent peut-être, ou plus tard. Le visage de Franck, presque à contre-jour, ne livre pas la moindre expression. Le boy fait son entrée pour ôter les assiettes. A… lui demande, comme d’habitude, de servir le café sur la terrasse. Là, l’obscurité est totale. Personne ne parle plus. Le bruit des criquets a cessé.
Alain Robbe-Grillet — La Jalousie -
Et Blum : « Et alors … » (mais cette fois Iglésia n’était plus là : tout l’été ils le passèrent une pioche (ou, quand ils avaient de la chance, une pelle) en main à des travaux de terrassement puis au début de l’automne ils furent envoyés dans une ferme arracher les pommes de terre et les betteraves, puis Georges essaya de s’évader, fut repris (par hasard, et non par des soldats ou des gendarmes envoyés à sa recherche mais – c’était un dimanche matin – dans un bois où il avait dormi, par de paisibles chasseurs), puis il fut ramené au camp et mis en cellule, puis Blum se fit porter malade et rentra lui aussi au camp, et ils y restèrent tous les deux, travaillant pendant les mois d’hiver à décharger des wagons de charbon, maniant les larges fourches, se relevant lorsque la sentinelle s’éloignait, minables et grotesques silhouettes, avec leurs calots rabattus sur leurs oreilles, le col de leurs capotes relevé, tournant le dos au vent de pluie ou de neige et soufflant dans leurs doigts tandis qu’ils essayaient de se transporter par procuration c’est-à-dire au moyen de leur imagination, c’est-à-dire en rassemblant et combinant tout ce qu’ils pouvaient trouver dans leur mémoire en fait de connaissances vues, entendues ou lues, de façon-là, au milieu des rails mouillés et luisants, des wagons noirs, des pins détrempés et noirs, dans la froide et blafarde journée d’un hiver saxon – à faire surgir les images chatoyantes et lumineuses au moyen de l’éphémère, l’incantatoire magie du langage, des mots inventés dans l’espoir de rendre comestible – comme ces pâtes vaguement sucrées sous lesquelles on dissimule aux enfants les médicaments amers – l’innommable réalité dans cet univers futile, mystérieux et violent dans lequel, à défaut de leur corps, se mouvaient leur esprit: quelque chose peut-être sans plus de réalité qu’un songe, que les paroles sorties de leurs lèvres: des sons, du bruit pour conjurer le froid, les rails, le ciel livide, les sombres pins.
Claude Simon — La Route des Flandres -
Elle était fort déshabilléeEt de grands arbres indiscretsAux vitres jetaient leur feuilléeMalinement, tout près, tout près.Assise sur ma grande chaise,Mi-nue, elle joignait les mains.Sur le plancher frissonnaient d’aiseSes petits pieds si fins, si fins.– Je regardai, couleur de cireUn petit rayon buissonnierPapillonner dans son sourireEt sur son sein, – mouche au rosier.– Je baisai ses fines chevilles.Elle eut un doux rire brutalQui s’égrenait en claires trilles,Un joli rire de cristal.Les petits pieds sous la chemiseSe sauvèrent : « Veux-tu finir ! »– La première audace permise,Le rire feignait de punir !– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,Je baisai doucement ses yeux :– Elle jeta sa tête mièvreEn arrière : « Oh ! c’est encor mieux !Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »– Je lui jetai le reste au seinDans un baiser, qui la fit rireD’un bon rire qui voulait bien…– Elle était fort déshabilléeEt de grands arbres indiscretsAux vitres jetaient leur feuilléeMalinement, tout près, tout près.
Arthur Rimbaud — Cahiers de Douai -
Jacqueline Boivin s’était assise à leur table, un cartable d’écolier sur ses genoux, et sa grâce d’Éthiopienne émerveillait Louis. Ça s’est bien passé, ton cours ? demanda Brossier en l’embrassant sur le front. Très bien.
Patrick Modiano — Une jeunesse -
Car les uns mettent leur bonheur à vivre avec leurs amis et à leur faire du bien : d’autres sont disposés à agir ainsi, quoiqu’ils ne le fassent pas ; mais telle est leur inclination habituelle, même pendant leur sommeil, même quand ils sont séparés de leurs amis par l’éloignement des lieux ; car cet éloignement ne rompt pas absolument l’amitié, mais il en interrompt les effets et les actes. Cependant, une longue absence semble au moins la faire oublier ; d’où est venu le proverbe : « Souvent le défaut d’entretien rompt et détruit l’amitié. »
Aristote — Éthique à Nicomaque -
À l’issue de huit heures d’errance musicale, je me couchai furieux, convaincu d’avoir été manipulé, trompé, trahi par les conseils de mes proches, jeté par leur perversité dans une cause perdue où j’avais gaspillé un temps précieux.
Benoît Duteurtre — L’amoureux malgré lui -
Si j’en croyais mes oreilles, aucun coup de feu n’avait été tiré de près, les armes à feu sont dangereuses. Quelques horions avaient dû être échangés à titre symbolique. Les pirates venaient simplement chercher leur redevance. Après un « baroud d’honneur » pour « sauver la face » de leur contribuable ! Il fallait se montrer.
Jean Bommart — Bulles dans le ciel -
— Remarque leur gardien était bon. — Possible, n’empêche qu’il avait le cul bordé de nouilles. — Enfin, l’essentiel c’est qu’on ait gagné.
Jacques Merlino — Les jargonautes : le bruit des mots -
Ils se sont mis frénétiquement à me chercher sur Internet. Comme j’ai pris soin d’adopter un pseudonyme, ils ont fait chou blanc. Cet échec a encore exacerbé leur désir de savoir.
Gilles Sebhan — La dette -
Pour nous, les acteurs, vous êtes un vrai mystère. Souvent, j’ai demandé à Alain Séguret s’il était possible de vous rencontrer, mais il vous décrit comme des gens assez peu liants, enfermés dans leur tour d’ivoire.
Tonino Benacquista — Saga -
Tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille, est dada ; proteste aux poings de tout son être en action destructive : DADA ; connaissance de tous les moyens rejetés jusqu’à présent par le sexe pudique du compromis commode et de la politesse : DADA ; abolition de la logique, danse des impuissants de la création : dada ; de toute hiérarchie et équation sociale installée pour les valeurs par nos valets : DADA ; chaque objet, tous les objets, les sentiments et les obscurités, les apparitions et le choc précis des lignes parallèles, sont des moyens pour le combat : DADA ; abolition de la mémoire : DADA, abolition de l’archéologie : DADA ; abolition des prophètes : DADA ; abolition du futur : DADA ; croyance absolue indiscutable dans chaque dieu produit immédiat de la spontanéité : DADA ; saut élégant et sans préjudice, d’une harmonie à l’autre sphère ; trajectoire d’une parole jetée comme un disque sonore crie ; respecter toutes les individualités dans leur folie du moment : sérieuse, craintive, timide, ardente, vigoureuse, décidée, enthousiaste ; peler son église de tout accessoire inutile et lourd ; cracher comme une cascade lumineuse la pensée désobligeante, ou amoureuse, ou la choyer — avec la vive satisfaction que c’est tout à fait égal — avec la même intensité dans le buisson, pur d’insectes pour le sang bien né, et doré de corps d’archanges, de son âme.
Tristan Tzara — Manifeste Dada -
L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.À l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en dessus s’affaissent sur les cieux d’en dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner.
Francis Ponge — Le parti pris des choses -
Oh, elle avait beaucoup parlé (pour noyer le poisson ?) de Bruno, de leur séparation, de l’échec que cela représentait pour elle. Marine avait joué à fond la carte du désespoir amoureux…
Marie Nimier — Sirène -
La réalité, pourtant, n’est rien d’autre que ce qu’elle est. Comme la marche de l’histoire elle-même, dont nous imaginons avec naïveté qu’elle est l’œuvre des seuls hommes et de leur volonté, la liberté n’est peut-être, après tout, qu’une formidable illusion. Un jeu truqué d’avance. Un miroir aux alouettes.
Jean d’Ormesson — Presque rien sur presque tout -
Et voici elles burent le vin, les éhontées, et bien- tôt elles s’égayèrent, comme si elles n’avaient fait que cela dans leur vie.
Alexis Tolstoï — Pierre Le Grand -
Nos danses dans les rues et dans des bastringues, elles-mêmes quasi désuètes, en ont à leur manière pris la suite, mais désacralisées, sauf peut-être pour quelques lampées de patriotisme, motivées seulement dans la conscience claire des danseurs par quelques images d’Épinal de notre histoire.
Marguerite Yourcenar — Le Temps -
Dans la salle d’attente du Centre de Réforme, où ils attendent de passer la visite, deux cents Français moyens, anciens combattants, ni bourgeois, ni peuple, mais de cette classe intermédiaire qui fait la France, avec leur génie français d’être ficelés comme l’as de pique, et leurs visages blêmes, ah, ma foi, pas beaux, de Parisiens.
Henry de Montherlant — Les jeunes filles -
Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu’on le voie ; il était regard pur, la lumière de ses yeux tirait toute chose de l’ombre natale, la blancheur de sa peau c’était un regard encore, de la lumière condensée. L’homme blanc, blanc parce qu’il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l’essence secrète et blanche des êtres. Aujourd’hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux ; des torches noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que de petits lampions balancés par le vent…
Jean-Paul Sartre — « Orphée noir » -
Dans leur rapport publié ce jeudi, un groupe d’experts recommande au gouvernement d’augmenter le salaire minimum de 23 euros pour atteindre les 1406 euros nets par mois.
Le Parisien — Le Smic pourrait passer la barre des 1400 euros nets par mois au 1er janvier 2024 -
Voilà. Ces personnages vont vous jouer l’histoire d’Antigone. Antigone, c’est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu’elle va être Antigone tout à l’heure, qu’elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu’elle va mourir, qu’elle est jeune et qu’elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n’y a rien à faire. Elle s’appelle Antigone et il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout… Et, depuis que ce rideau s’est levé, elle sent qu’elle s’éloigne à une vitesse vertigineuse de sa sœur Ismène, qui bavarde et rit avec un jeune homme, de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n’avons pas à mourir ce soir.Le jeune homme avec qui parle la blonde, la belle, l’heureuse Ismène, c’est Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé d’Antigone. Tout le portait vers Ismène : son goût de la danse et des jeux, son goût du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi, car Ismène est bien plus belle qu’Antigone ; et puis un soir, un soir de bal où il n’avait dansé qu’avec Ismène, un soir où Ismène avait été éblouissante dans sa nouvelle robe, il a été trouver Antigone qui rêvait dans un coin, comme en ce moment, ses bras entourant ses genoux, et il lui a demandé d’être sa femme. Personne n’a jamais compris pourquoi. Antigone a levé sans étonnement ses yeux graves sur lui et elle lui a dit « oui » avec un petit sourire triste… L’orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats, là-bas, au milieu des autres garçons, et voilà, maintenant, lui, il allait être le mari d’Antigone. Il ne savait pas qu’il ne devait jamais exister de mari d’Antigone sur cette terre et que ce titre princier lui donnait seulement le droit de mourir.Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c’est Créon. C’est le roi. Il a des rides, il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. Avant, du temps d’Œdipe, quand il n’était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes. Mais Œdipe et ses fils sont morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches, et il a pris leur place.Quelquefois, le soir, il est fatigué, et il se demande s’il n’est pas vain de conduire les hommes. Si cela n’est pas un office sordide qu’on doit laisser à d’autres, plus frustes… Et puis, au matin, des problèmes précis se posent, qu’il faut résoudre, et il se lève, tranquille, comme un ouvrier au seuil de sa journée.La vieille dame qui tricote, à côté de la nourrice qui a élevé les deux petites, c’est Eurydice, la femme de Créon. Elle tricotera pendant toute la tragédie jusqu’à ce que son tour vienne de se lever et de mourir. Elle est bonne, digne, aimante. Elle ne lui est d’aucun secours. Créon est seul. Seul avec son petit page qui est trop petit et qui ne peut rien non plus pour lui.Ce garçon pâle, là-bas, au fond, qui rêve adossé au mur, solitaire, c’est le Messager. C’est lui qui viendra annoncer la mort d’Hémon tout à l’heure. C’est pour cela qu’il n’a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà…Enfin les trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes, leurs chapeaux sur la nuque, ce sont les gardes. Ce ne sont pas de mauvais bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l’heure. Ils sentent l’ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d’eux-mêmes, de la justice. Pour le moment, jusqu’à ce qu’un nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l’arrêter à son tour, ce sont les auxiliaires de la justice de Créon.Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire. Elle commence au moment où les deux fils d’Œdipe, Étéocle et Polynice, qui devaient régner sur Thèbes un an chacun à tour de rôle, se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville, Étéocle l’aîné, au terme de la première année de pouvoir, ayant refusé de céder la place à son frère. Sept grands princes étrangers que Polynice avait gagnés à sa cause ont été défaits devant les sept portes de Thèbes. Maintenant la ville est sauvée, les deux frères ennemis sont morts et Créon, le roi, a ordonné qu’à Étéocle, le bon frère, il serait fait d’imposantes funérailles, mais que Polynice, le vaurien, le révolté, le voyou, serait laissé sans pleurs et sans sépulture, la proie des corbeaux et des chacals… Quiconque osera lui rendre les devoirs funèbres sera impitoyablement puni de mort.Pendant que le Prologue parlait, les personnages sont sortis un à un. Le Prologue disparaît aussi. L’éclairage s’est modifié sur la scène. C’est maintenant une aube grise et livide dans une maison qui dort. Antigone entr’ouvre la porte et rentre de l’extérieur sur la pointe de ses pieds nus, ses souliers à la main. Elle reste un instant immobile à écouter. La nourrice surgit.
Jean Anouilh — Antigone -
De Moscou à Paris, en passant par Varsovie et Berlin, une immense dérive gagne notre continent désaccordé. La guerre approche, des truands en tout genre trafiquent au long des routes. Dans leur croisade pour la reconquête du monde occidental, catholiques et orthodoxes rivalisent d’invention.
Danièle Sallenave — Les trois minutes du diable -
[Pyrrhus] avait perdu une grande partie des forces qu’il avait amenées, et presque tous ses amis et principaux commandants ; il n’avait aucun moyen d’avoir de nouvelles recrues (…). Tandis que, comme une fontaine s’écoulant continuellement de la ville, le camp romain se remplissait rapidement et abondamment d’hommes frais, pas du tout abattus par la défaite, mais gagnant dans leur colère une nouvelle force et résolution pour continuer la guerre.
Plutarque — Apophtegmes de rois et de généraux -
Tandis qu’issu du monstre un parfum d’océanTend, discret, à masquer leur fumet malséant
Albert-Marie Schmidt — dizain saphique à rimes initiales et terminales en l’honneur de François Le Lionnais -
Ouvrons un dictionnaire aux mots « Littérature Potentielle.» Nous n’y trouverons rien. Fâcheuse lacune. […]L’humanité doit-elle se reposer et se contenter, sur des pensers nouveaux de faire des vers antiques ? Nous ne le croyons pas. Ce que certains écrivains ont introduit dans leur manière, avec talent (voire avec génie), mais les uns occasionnellement (forgeage de mots nouveaux), d’autres avec prédilection (contrerimes), d’autres avec insistance mais dans une seule direction (lettrisme), l’Oulipo entend le faire systématiquement et scientifiquement. […]Un mot, enfin, à l’intention des personnes particulièrement graves qui condamnent sans examen et sans appel toute œuvre où se manifeste quelque propension à la plaisanterie. Lorsqu’ils sont le fait de poètes, divertissements, farces et supercheries appartiennent encore à la poésie. La littérature potentielle reste donc la chose la plus sérieuse du monde. C.Q.F.D.
Jean-François Le Lionnais — Manifeste de l’Oulipo -
— On a réuni vingt acheteuses et elles n’ont rien capté à vos délires: elles ne nous ont rien restitué. Ce qu’elles veulent, c’est de l’info, qu’on leur montre le produit et le prix, point barre.
Frédéric Beigbeder — 99 francs -
J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,Parce qu’on les hait ;Et que rien n’exauce et que tout châtieLeur morne souhait ;Parce qu’elles sont maudites, chétives,Noirs êtres rampants ;Parce qu’elles sont les tristes captivesDe leur guet-apens ;Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre ;Ô sort ! fatals nœuds !Parce que l’ortie est une couleuvre,L’araignée un gueux ;Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,Parce qu’on les fuit,Parce qu’elles sont toutes deux victimesDe la sombre nuit.Passants, faites grâce à la plante obscure,Au pauvre animal.Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,Oh ! plaignez le mal !Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;Tout veut un baiser.Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublieDe les écraser,Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe,Tout bas, loin du jour,La vilaine bête et la mauvaise herbeMurmurent : Amour !
Victor Hugo — Les Contemplations -
Les infirmières n’ont vu que l’acteur. Qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait l’ivresse. La leur. Il y a adjoint un bocal de foie gras que nous ne mangerons pas tout de suite. Je le confie benoîtement à la surveillante générale pour qu’il se conserve dans le réfrigérateur de la salle de garde.
Antoine Blondin — Ma vie entre des lignes -
J’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture ; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie.
Georges Perec — W ou le Souvenir d’enfance -
Ils auraient aimé être riches. Ils croyaient qu’ils auraient su l’être. Ils auraient su s’habiller, regarder, sourire comme des gens riches. Ils auraient eu le tact, la discrétion nécessaires. Ils auraient oublié leurs richesses, auraient su ne pas l’étaler. Ils ne s’en seraient pas glorifiés. Ils l’auraient respirée. Leurs plaisirs auraient été intenses. Ils auraient aimé marcher, flâner, choisir, apprécier. Ils auraient aimé vivre. Leur vie aurait été un art de vivre.
Georges Perec — Les Choses -
Ils s’entortillaient dans un vermicelle de déductions, balayaient tous les recoins de leur subconscient, les replis de l’âme, en sortaient des moutons et nodosités qu’ils examinaient au microscope, désintégrant jusqu’à la moindre amibe velue, coupant les poils d’aisselle en quatre, enculant les mouches à tel point qu’on n’en trouvait plus une dans toute la maison, que c’en était une véritable hécatombe et qu’on se disait que ça ne pouvait pas durer…
Jeanne-Marie Andrieu — La Faute à qui ? -
Il y a deux façons d’enculer les mouches : avec ou sans leur consentement.
Boris Vian — Cantilènes en gelée -
Mais Pontis leur fit observer qu’en courant ils seraient remarqués, rappelés, peut-être, qu’il fallait, au contraire, s’éloigner lentement, en se dandinant, en regardant le ciel et l’eau ; puis, à un détour du chemin, prendre ses jambes à son cou, et faire le quart de lieue en cinq minutes.
Auguste Maquet — La Belle Gabrielle -
Voilà beau temps que Claudine Bories et Patrice Chagnard, chacun de son côté depuis les années 1970 puis ensemble depuis 1995, trimardent sur les routes du cinéma documentaire.
Jacques Mandelbaum — « Nous le peuple » -
Les bons apôtres ajoutaient même qu’ils se reprocheraient d’induire les femmes en erreur, de leur donner de faux espoirs, aucune disposition ne pouvant être prise en temps voulu. Léon Baréty, le Sioux de l’Alliance Démocratique avait fumé le calumet de la paix avec les Sioux du parti socialiste.
Louise Weiss — Ce que femme veut -
Je suis né le 28 avril 1882, à Tortisambert, petit village bien joli du Calvados, dont on aperçoit le clocher à main gauche quand on va vers Troarn en quittant Livarot. Mes parents tenaient un commerce d’épicerie qui leur laissait, bon an, mal an, cinq mille francs de bénéfice.
Sacha Guitry — Mémoires d’un tricheur -
Samedi 9 septembre, à Brétigny-sur-Orge (Essonne), un homme a été roué de coups par deux individus à qui il avait demandé d’arrêter de faire des roues arrières avec leur scooter, a appris Le Figaro de sources concordantes.
Le Figaro Tv — Essonne: un fonctionnaire à l’IGPN roué de coup pour avoir demandé à des jeunes d’arrêter de faire des roues arrières -
Il faut dire qu’il y a vingt-cinq ans qu’ils se battaient contre le contrôle technique, les nortoniens à rouflaquettes. Vingt-cinq ans qu’ils venaient faire des roues arrières en masse dans Paris à chaque fois qu’un obscur délégué à la Prévention routière s’imaginait pouvoir leur faire prendre le même pli qu’aux Anglais, aux Allemands ou aux Italiens, pionniers du genre (mais auxquels l’UE tout entière a fini par emboîter la roue).
Atlantico — Contrôle technique : les motards -
On rentra daredare au commissariat en soulevant les gerbes d’eau des flaques. Opération menée à bien, le prisonnier au violon et les gardiens de la paix qui s’ébrouent dans leur habituelle odeur de cuir bouilli et de vinasse, en rigolant.
Claude Mourthé — Le temps des fugues