Accueil > Citations > Citations sur le matin
Il y a 78 citations sur le matin.
Je me rappelle le jour où j’ai compris que j’étais devenu adulte. Je vivais déjà avec Marie, nous avions Agustín depuis deux ou trois ans, je travaillais depuis des années comme je le fais toujours plus ou moins aujourd’hui, charpentier ici et là, bricoleur à droite et à gauche, électricien quand il faut, plombier ou même jardinier si on me le demande, ni trop souvent ni trop peu, juste ce qu’il faut pour maintenir le juste équilibre, rapporter à la maison ma part de revenus et me garder du temps à moi, ne pas me perdre tout entier en chantiers. Marie était déjà traductrice, traduisait déjà Lodoli et d’autres auteurs qu’elle aimait. C’est-à-dire que notre vie était déjà à peu près ce qu’elle est maintenant, et que nous en étions satisfaits, nous songions souvent que nous avions de la chance, nous nous plaisions à V., nous avions des amis, nous sentions que c’était un endroit où nous étions susceptibles de rester un bon moment encore, bref nous allions bien.Et un matin je me suis levé et je me suis dit que ça y est, tu es grand. J’ai réalisé qu’il fallait que j’arrête de me répéter ces mots, plus tard quand je serai grand. Que c’était fait : j’étais grand. Je l’étais devenus à mon insu. Sans que personne vienne me prévenir. J’ai compris qu’il n’y aurait pas d’épreuve. Pas de monstre à vaincre ni de noeud à trancher. Pas de coup de gong solennel. Pas de voix paternelle pour me souffler à l’oreille ces mots, c’est maintenant, t’y voilà. J’ai compris qu’il n’y aurait nulle ligne à franchir. Nul cap à passer. Nul obstacle à surmonter. Qu’être grand simplement désormais ce serait ça : la continuation de ce présent, de cette lente translation, de ce glissement presque imperceptible, seulement décelable à l’érosion de certaines de mes facultés, au grisonnement de mes tempes et de celles de Marie, à notre renoncement de plus en plus fréquent à telle ou telle folie qui autrefois nous aurait semblé le sel même de la vie, à la taille chaque année accrue d’Agustín, à son énergie toujours plus fascinante. À son appétit d’ogre lui aussi décidé à nous dévorer chaque jour un peu plus.J’ai réalisé qu’il ne se passerait rien. Qu’il n’y avait rien à attendre. Que toujours ainsi les semaines continueraient de passer, que le temps continuerait d’être cette lente succession d’années plus ou moins investies de projets, de désirs, d’enthousiasmes, de soirées plus ou moins vécues. De jours tantôt habités avec intensité, imagination, lumière, des jours pour ainsi dire pleins, comme on dit carton plein devant une cible bien truffée de plombs. Tantôt abandonnés de mauvais gré au soir venu trop tôt. Désertés par excès de fatigue ou de tracas. Perdus. Laissés vierges du moindre enthousiasme, De la moindre récréation, du moindre élan véritable. Jours sans souffle, concédés au soir trop tôt venu, à la nuit tombée malgré nos efforts pour différer notre défaite, et résignés alors nous marchons vers votre lit en nous jurant d’être plus rusés le lendemain – plus imaginatifs, plus éveillés, plus vivants. Sylvain Prudhomme — Par les routes – L’Arbalète
L'avarice perd tout en voulant tout gagner.Je ne veux, pour le témoigner,Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,Pondait tous les jours un œuf d'or.Il crut que dans son corps elle avait un trésor.Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblableA celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.Belle leçon pour les gens chiches :Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vusQui du soir au matin sont pauvres devenusPour vouloir trop tôt être riches ? Jean de La Fontaine — La Poule aux œufs d’or
Il n'avait pas pris la voie réservée aux employés qu'il empruntait chaque matin et qui était maintenant fermée par une grille, mais avait tourné à gauche cent mètres après l'hôtel, sur le chemin sableux menant à la plage publique. Catherine Cusset — Amours transversales
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux. Guillaume Apollinaire — Le poète d’Alcools
À la fin tu es las de ce monde ancienBergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matinTu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaineIci même les automobiles ont l’air d’être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-AviationSeul en Europe tu n’es pas antique ô ChristianismeL’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin […] Guillaume Apollinaire — Zone
En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux. « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre humaine, juste un peu trop petite, était là tranquille entre les quatre murs qu’il connaissait bien. Au-dessus de la table où était déballée une collection d’échantillons de tissus – Samsa était représentant de commerce –, on voyait accrochée 5 l’image qu’il avait récemment découpée dans un magazine et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait une dame munie d’une toque et d’un boa tous les deux en fourrure et qui, assise bien droite, tendait vers le spectateur un lourd manchon de fourrure où tout son avant-bras avait disparu. Franz Kafka — La métamorphose
Le lendemain matin, cependant, quand les Otis descendirent pour le petit déjeuner, ils constatèrent que l'horrible tache de sang avait reparu sur le parquet. Ce n'est sûrement pas la faute du détachant, dit Washington, puisque je l'ai toujours employé avec succès. Ce doit être le fantôme. Et le jeune homme fit disparaître la tache pour la seconde fois; mais, le lendemain, la tache avait reparu. Oscar Wilde — Le Crime de Lord Arthur Savile et autres contes
Il faut aller voir de bon matin, du haut de la colline du Sacré-Cœur, à Paris, la ville se dégager lentement de ses voiles splendides, avant d’étendre les bras. Toute une foule enfin dispersée, glacée, déprise et sans fièvre, entame comme un navire la grande nuit qui sait ne faire qu’un de l’ordure et de la merveille. Les trophées orgueilleux, que le soleil s’apprête à couronner d’oiseaux ou d’ondes, se relèvent mal de la poussière des capitales enfouies. Vers la périphérie les usines, premières à tressaillir, s’illuminent de la conscience de jour en jour grandissante des travailleurs. Tous dorment, à l’exception des derniers scorpions à face humaine qui commencent à cuire, à bouillir dans leur or. La beauté féminine se fond une fois de plus dans le creuset de toutes les pierres rares. Elle n’est jamais plus émouvante, plus enthousiasmante, plus folle qu’à cet instant où il est possible de la concevoir unanimement détachée du désir de plaire à l’un ou à l’autre, aux uns ou aux autres. André Breton — Les Vases communicants
Après ce récit, Nicolas fit à plusieurs reprises un cauchemar qui se déroulait dans le parc d'attractions. Il ne s'en rappelait pas les péripéties au matin, mais devinait que sa pente l'entraînait vers une horreur sans nom, dont il risquait de ne pas se réveiller. Emmanel Carrère — La classe de neige
Jusqu'à lundi matin vous pouvez même à plusieurs reprises, envoyer ici des colis. Patrick Modiano — Dora Bruder
Le soleil en effet balaierait tout le studio, comme un projecteur de poursuite dans un music-hall frontalier. C’était dimanche, dehors les rumeurs étouffées protestaient à peine, parvenant presque à ce qu’on les regrettât. Ainsi tous les jours chômés, les heures des repas tendraient à glisser les unes sur les autres, on s’entendit pour quatorze heures – ensuite on s’y met. Un soleil comme celui-ci, développa le père de Paul, donne véritablement envie de foutre le camp. Ils s’exprimèrent également peu sur la difficulté de leur tâche qui requerrait, c’est vrai, de la patience et du muscle, puis des scrupules d’égyptologues en dernier lieu. Fabre avait détaillé toutes les étapes du processus dans une annexe aux plans. Ils mangèrent donc vers quatorze heures mais sans grand appétit, leurs mâchoires broyaient la durée, la mastication n’était qu’horlogère. D’un tel compte à rebours on peut, avant terme, convoquer à son gré le zéro. Alors autant s’y mettre, autant gratter tout de suite, pas besoin de se changer, on a revêtu dès le matin ces larges tenues blanches pailletées de vieilles peintures, on gratte et des stratus de plâtre se suspendent au soleil, piquetant les fronts, les cafés oubliés. On gratte, on gratte, et puis très vite on respire mal, on sue, il commence à faire terriblement chaud. Jean Echenoz — L’Occupation des sols – Éditions de Minuit 1998
Elle a bien soixante dix ans et elle doit avoir les cheveux blancs; je n'en sais rien; personne n'en sait rien, car elle a toujours un serre-tête noir qui lui colle comme du taffetas sur le crâne; elle a, par exemple, la barbe grise, un bouquet de poils ici, une petite mèche qui frisotte par là, et de tous côtés des poireaux comme des groseilles, qui ont l'air de bouillir sur sa figure.Pour mieux dire, sa tête rappelle par le haut, à cause du serre-tête noir une pomme de terre brûlée et, par le bas, une pomme de terre germée: j'en ai trouvé une gonflée, violette, l'autre matin, sous le fourneau, qui ressemblait à grand tante Agnès comme deux gouttes d'eau. Jules Vallès — L’enfant
Mignonne, allons voir si la roseQui ce matin avoit descloseSa robe de pourpre au Soleil,A point perdu ceste vespréeLes plis de sa robe pourprée,Et son teint au vostre pareil.Las ! voyez comme en peu d’espace,Mignonne, elle a dessus la placeLas ! las ses beautez laissé cheoir !Ô vrayment marastre Nature,Puis qu’une telle fleur ne dureQue du matin jusques au soir !Donc, si vous me croyez, mignonne,Tandis que vostre âge fleuronneEn sa plus verte nouveauté,Cueillez, cueillez vostre jeunesse Comme à ceste fleur la vieillesseFera ternir vostre beauté. Pierre de Ronsard — Mignonne allons voir si la rose
Gervaise, cependant, se retenait pour ne pas éclater en sanglots. Elle tendait les mains, avec le désir de soulager l’enfant ; et, comme le lambeau de drap glissait, elle voulut le rabattre et arranger le lit. Alors, le pauvre petit corps de la mourante apparut. Ah ! Seigneur ! quelle misère et quelle pitié ! Les pierres auraient pleuré. Lalie était toute nue, un reste de camisole aux épaules en guise de chemise ; oui, toute nue, et d’une nudité saignante et douloureuse de martyre. Elle n’avait plus de chair, les os trouaient la peau. Sur les côtes, de minces zébrures violettes descendaient jusqu’aux cuisses, les cinglements du fouet imprimés là tout vifs. Une tache livide cerclait le bras gauche, comme si la mâchoire d’un étau avait broyé ce membre si tendre, pas plus gros qu’une allumette. La jambe droite montrait une déchirure mal fermée, quelque mauvais coup rouvert chaque matin en trottant pour faire le ménage. Des pieds à la tête, elle n’était qu’un noir. Oh ! ce massacre de l’enfance, ces lourdes pattes d’homme écrasant cet amour de quiqui, cette abomination de tant de faiblesse râlant sous une pareille croix ! On adore dans les églises des saintes fouettées dont la nudité est moins pure. Émile Zola — L’Assommoir
Mignonne, allons voir si la roseQui ce matin avait décloseSa robe de pourpre au Soleil,A point perdu cette vêpréeLes plis de sa robe pourprée,Et son teint au vôtre pareil.Las ! voyez comme en peu d'espace,Mignonne, elle a dessus la placeLas ! las ses beautés laissé choir !Ô vraiment marâtre Nature,Puis qu'une telle fleur ne dureQue du matin jusques au soir !Donc, si vous me croyez, mignonne,Tandis que votre âge fleuronneEn sa plus verte nouveauté,Cueillez, cueillez votre jeunesse :Comme à ceste fleur la vieillesseFera ternir votre beauté. Pierre de Ronsard — Les Odes
La place, dès le matin, était encombrée par une file de charrettes qui, toutes à cul et les brancards en l’air, s’étendaient le long des maisons depuis l’église jusqu’à l’auberge. Flaubert — Madame Bovary
Quand, au petit matin, le Marquis a parlé de la frigidité de sa maîtresse, le chevalier a pu rire sous cape car celle-ci vient de lui prouver le contraire. Mais hormis cette certitude il n'en a aucune autre. Milan Kundera — La lenteur
Son entretien avec le chanoine avait mis fin à ce qui avait été pour lui depuis le verdict du matin la solennité de la mort. Son sort cru fixé oscillait de nouveau. L’offre qu’il avait rejetée restait valable quelques heures de plus : un Zénon capable de finir par dire oui se terrait peut-être dans un coin de sa conscience, et la nuit qui allait s’écouler pouvait donner à ce pleutre l’avantage sur soi-même. Il suffisait qu’une chance sur mille subsistât […]. Tout fluctuait : tout fluctuerait jusqu’au dernier souffle. Marguerite Yourcenar — L’Œuvre au noir
Les lendemains de culotte, le zingueur avait mal aux cheveux, un mal aux cheveux terrible qui le tenait tout le jour les crins défrisés. Le bec empesté, la margoulette enflée et de travers. Il se levait tard, secouait ses puces sur les huit heures seulement : et il crachait, traînaillait dans la boutique, ne se décidait pas à partir pour le chantier. La journée était encore perdue. Le matin, il se plaignait d’avoir des guibolles de coton, il s’appelait trop bête de gueuletonner comme ça, puisque ça vous démantibulait le tempérament. Aussi, on rencontrait un tas de gouapes, qui ne voulaient pas vous lâcher le coude : on gobelottait malgré soi, on se trouvait dans toutes sortes de fourbis, on finissait par se laisser pincer, et raide ! Ah ! fichtre non ! ça ne lui arriverait plus ; il n’entendait pas laisser ses bottes chez le mastroquet, à la fleur de l’âge. Mais, après le déjeuner, il se requinquait, poussant des hum ! hum ! pour se prouver qu’il avait encore un creux. Il commençait à nier la noce de la veille, un peu d’allumage peut-être. On n’en faisait plus des comme lui, solide au poste, une poigne du diable, buvant tout ce qu’il voulait sans cligner un œil. Alors, l’après-midi entière, il flânochait dans le quartier. Quand il avait bien embêté les ouvrières, sa femme lui donnait vingt sous pour qu’il débarrassât le plancher. Emile Zola — L’Assommoir
Vers le matin, en tout cas, les premiers jours, une vapeur épaisse et nauséabonde planait sur les quartiers orientaux de la ville. De l'avis de tous les médecins, ces exhalaisons, quoique désagréables, ne pouvaient nuire à personne. Albert Camus — La Peste