Accueil > Citations > Citations sur le ses
Citations sur le ses - Page 363
Il y a 35192 citations sur le ses.
-
« Je pensais qu’il ne pouvait plus rien pour moi. Ses mots et ses idées n’avaient pas cours dans les salles de français ou de philo, les séjours à canapé de velours rouge des amis de classe. L’été, par la fenêtre ouverte de ma chambre, j’entendais le bruit de sa bêche aplatissant régulièrement la terre retournée. J’écris peut-être parce qu’on n’avait plus rien à se dire. » (p.57-58)
Annie Ernaux — La place -
« Je pensais qu’il ne pouvait plus rien pour moi. Ses mots et ses idées n’avaient pas cours dans les salles de français ou de philo, les séjours à canapé de velours rouge des amis de classe. L’été, par la fenêtre ouverte de ma chambre, j’entendais le bruit de sa bêche aplatissant régulièrement la terre retournée. J’écris peut-être parce qu’on n’avait plus rien à se dire. » (p.57-58)
Annie Ernaux — La place -
Soumis à la précarité et à l'indigence des étudiants pauvres — ses parents endettés vivaient en proche banlieue parisienne sur un salaire de secrétaire et un contrat emploi solidarité — il n'achetait que les produits les moins chers ou en promotion, de la Vache qui rit en portions et du camembert à cinq francs. Il allait jusqu'à Monoprix acheter sa baguette de pain parce qu'elle coûtait cinquante centimes moins cher qu'à la boulangerie voisine. Il avait spontanément les gestes et les réflexes dictés par un manque d'argent continuel et hérité. Une forme de débrouillardise permettant de s'en sortir au quotidien. Rafler, dans l'hypermarché, une poignée d'échantillons de fromage dans l'assiette tendue par la démonstratrice. A Paris, pour pisser sans payer, entrer avec détermination dans un café, repérer les toilettes et ressortir ensuite avec désinvolture. Regarder l'heure aux parcmètres (il n'avait pas de montre), etc. Il jouait au Loto sportif chaque semaine, attendant, comme il est naturel au cœur de la nécessité, tout du hasard : « Je gagnerai un jour, c'est forcé. » En fin de matinée, le dimanche, il regardait Téléfoot avec Thierry Roland. Le moment juste où le footballeur marque un but et où toute la foule du Parc des Princes se lève, l'acclame, était pour lui l'image du bonheur absolu. Cette pensée lui donnait même des frissons. Pages 17-19, Gallimard.
Annie Ernaux — Le jeune homme -
Cergy, le 30 mars 2020 Monsieur le Président, « Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts - résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux, tout ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie matérielle. Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et « rien ne vaut la vie » - chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale. Annie Ernaux
Annie Ernaux -
Le soir descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles, l'image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore m'attendrir si je me laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s'enlise, doucettement. En y consentant lâchement. D'accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux mètres l'un de l'autre. La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance. L'un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte, attend que la toupie folle ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses bouquins en se demandant où il en était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence. Page 130, Folio, 2018.
Annie Ernaux — La femme gelée -
Il s'énervait de me voir à longueur de journée dans les livres, mettant sur leur compte mon visage fermé et ma mauvaise humeur. La lumière sous la porte de ma chambre le soir lui faisait dire que je m'usais la santé. Les études, une souffrance obligée pour obtenir une bonne situation et " ne pas prendre un ouvrier ". Mais que j'aime me casser la tête lui paraissait suspect. Une absence de vie à la fleur de l'âge. Il avait parfois l'air de penser que j'étais malheureuse. Devant la famille, les clients, de la gêne, presque de la honte que je ne gagne pas encore ma vie à dix-sept ans, autour de nous toutes les filles de cet âge allaient au bureau, à l'usine ou servaient derrière le comptoir de leurs parents. Il craignait qu'on ne me prenne pour une paresseuse et lui un crâneur. Comme une excuse : « On ne l'a jamais poussée, elle avait ça dans elle. » Il disait que j'apprenais bien, jamais que je travaillais bien. Travailler, c'était seulement de ses mains.
Annie Ernaux — La place -
Mon père gueule « je te cause ! t'as donc pas marre de tes romans ! », elle se défend « laisse-moi finir mon histoire ! ». Vivement que je sache lire, puis vivement que je comprenne ces longues histoires sans images qui la passionnent. Un jour vient où les mots de ses livres à elle perdent leur lourdeur ânonnante. Et le miracle a lieu, je ne lis plus des mots, je suis en Amérique, j'ai dix-huit ans, des serviteurs noirs, et je m'appelle Scarlett, les phrases se mettent à courir vers une fin que je voudrais retarder. Ça s'appelle "Autant en emporte le vent". Elle s'exclamait devant les clientes, « pensez qu'elle a seulement neuf ans et demi » et à moi elle disait « c'est bien hein ? ». Je répondais « oui » Rien d'autre. Elle n'a jamais su s'expliquer merveilleusement. Mais on se comprenait. A partir de ce moment il y a eu entre nous ces existences imaginaires que mon père ignore ou méprise suivant les jours « perdre son temps à des menteries, tout de même ». Elle rétorquait qu'il était jaloux. Je lui prête ma Bibliothèque verte, Jane Eyre et Le Petit Chose, elle me file La Veillée des chaumières et je lui vole dans l'armoire ceux qu'elle m'interdit, Une vie ou Les dieux ont soif. On regardait ensemble la devanture du libraire de la place des Belges, parfois elle proposait « veux-tu que je t'en achète un ? ». Pareil qu'à la pâtisserie, devant les meringues et les nougatines, le même appétit, la même impression aussi que c'était pas très raisonnable. « Dis, ça te ferait plaisir ? » Pages 24-25, Folio, 2018.
Annie Ernaux — La femme gelée -
C'était un dimanche, au début de l'après-midi. Ma mère est apparue dans le haut de l'escalier. Elle se tamponnait les yeux avec la serviette de table qu'elle avait dû emporter avec elle en montant dans la chambre après le déjeuner. Elle a dit d'une voix neutre: "C'est fini." Je ne me souviens pas des minutes qui ont suivi. Je revois seulement les yeux de mon père fixant quelque chose derrière moi, loin, et ses lèvres retroussées au-dessus des gencives. Je crois avoir demandé à ma mère de lui fermer les yeux. Autour du lit, il y avait aussi la sœur de ma mère et son mari. Ils se sont proposés pour aider à la toilette, au rasage, parce qu'il fallait se dépêcher avant que le corps ne se raidisse. Ma mère a pensé qu'on pourrait le revêtir du costume qu'il avait étrenné pour mon mariage trois ans avant. Toute cette scène se déroulait très simplement, sans cris, ni sanglots, ma mère avait seulement les yeux rouges et un rictus continuel.
Annie Ernaux — La place -
C'était un dimanche, au début de l'après-midi. Ma mère est apparue dans le haut de l'escalier. Elle se tamponnait les yeux avec la serviette de table qu'elle avait dû emporter avec elle en montant dans la chambre après le déjeuner. Elle a dit d'une voix neutre: "C'est fini." Je ne me souviens pas des minutes qui ont suivi. Je revois seulement les yeux de mon père fixant quelque chose derrière moi, loin, et ses lèvres retroussées au-dessus des gencives. Je crois avoir demandé à ma mère de lui fermer les yeux. Autour du lit, il y avait aussi la sœur de ma mère et son mari. Ils se sont proposés pour aider à la toilette, au rasage, parce qu'il fallait se dépêcher avant que le corps ne se raidisse. Ma mère a pensé qu'on pourrait le revêtir du costume qu'il avait étrenné pour mon mariage trois ans avant. Toute cette scène se déroulait très simplement, sans cris, ni sanglots, ma mère avait seulement les yeux rouges et un rictus continuel.
Annie Ernaux — La place -
Le monde est une vallée de larmes. Et une vallée de roses. La vie est une fête. Une fête délicieuse et très gaie. Et une fête sinistre. Comme l'indiquent avec évidence ses premiers pas hors du rien entre surabondance et absence, l'univers est un oxymore.
Jean d'Ormesson — Comme un chant d'espérance -
La journée, d'un bout à l'autre, avait été glorieuse.Dès le matin, les volets à peine ouverts, une sorte de transparence s'était installée dans l'espace et le temps. Par un de ces mécanismes pleins d'évidence et de mystère, un ciel sans nuages promettait du bonheur. La nuit n'était pas tombée que tout un pan de ma vie s'écroulait. Javier apparaissait, posait ses sacs, me mettait la main sur l'épaule, disait : "Pandora est morte." Quelque chose basculait. Le vent du soir se levait.
Jean d'Ormesson — Le Vent du soir -
J'ai beaucoup pensé à rien. J'ai aimé presque tout de cette sacrée existence. Et ses vides autant que ses pleins. La vie m'avait tant donné, avec tant de surprises et de générosité, que je ne redoutais pas la mort qui en était l'achèvement. J'avais été enchanté d'arriver, je n'étais pas fâché de partir.
Jean d'Ormesson — La Douane de mer -
L’espace est un complice, le temps est un ennemi. L’espace peut être affronté, vaincu, apprivoisé ; le temps est toujours vainqueur, et il est sans pitié. Il écrase l’espace de ses dons inquiétants et de son ambition dévorante. Si digne, si raisonnable, toujours prêt à rendre service, l’espace est du temps dégradé.
Jean d'Ormesson — Le rapport Gabriel -
Peut-être le faut-il - le faut-il? parler un peu de moi. Deux mots. Pas un de plus. Les autres ne cessaient jamais, collés à leurs passions, d'être ce qu'ils étaient. Chateaubriand était un épicurien à l'imagination religieuse ; Malraux, c'était l'Asie, l'Espagne, l'engagement, le culte de l'art contre la mort ; Montherlant, de la hauteur tempérée par l'alternance ; Aragon, un paysan de Paris saisi par le communisme ; Jules Romain, l'âme des foules travaillée par le canular ; Gide, le combat sans répit et toujours contrôlé du désir et du dépouillement ; Claudel jetait sur l'univers son filet catholique. Ah! bravo! Encore bravo. Fanfares, cours magistraux et obsèques nationales. Adeline aimait son fourneau ; Proust aimait les chauffeurs, les duchesses, les pavés mal assemblés où le pied se tordait, les madeleines trempées dans le thé ; Picasso, la peinture et ses révolutions ; Einstein, l'espace et le temps en train de se confondre jusqu'à ne plus faire qu'un. Mon grand-père aimait le passé, le Professeur aimait son livre, Éric ne pensait qu'à une chose, et ce n'était pas à Leïla : c'était à changer le monde. Tout cela, qui faisait les livres et la vie, était construit sur le roc et toujours semblable à soi-même. Moi, qu'est-ce que j'étais donc, qu'est-ce que je pouvais bien être? Je vais vous le dire : je n'étais rien.
Jean d'Ormesson — Casimir mène la grande vie -
Disons les choses avec simplicité, avec une espèce de naïveté : il me semble impossible que l'ordre de l'univers plongé dans le temps, avec ses lois et sa rigueur, soit le fruit du hasard. Du coup, le mal et la souffrance prennent un sens - inconnu de nous, bien sûr, mais, malgré tout, un sens. Du coup, je m'en remets à quelque chose d'énigmatique qui est très haut au-dessus de moi et dont je suis la créature et le jouet. Je ne suis pas loin de penser qu'il n'y a que l'insensé pour dire : " Il n'y a pas de Dieu. " Je crois en Dieu parce que le jour se lève tous les matins, parce qu'il y a une histoire et parce que je me fais une idée de Dieu dont je me demande d'où elle pourrait bien venir s'il n'y avait pas de Dieu.
Jean d'Ormesson — Un hosanna sans fin -
Mon grand père Sosthène du Plessis-Vaudreuil assistait au mariage d'Hélène Wronski avec le capitaine Brian O'Shaughnessy, mais il aurait détesté qu'un de ses fils l'épousa.
Jean d'Ormesson — Le Vent du soir -
Mon grand père Sosthène du Plessis-Vaudreuil assistait au mariage d'Hélène Wronski avec le capitaine Brian O'Shaughnessy, mais il aurait détesté qu'un de ses fils l'épousa.
Jean d'Ormesson — Le Vent du soir -
Quand Flaubert parle d'un roman sur rien, il se démarque d'Eugène Sue, de Ponson du Terrail et même du cher et grand Dumas qui, dans ses Mémoires comme dans ses romans, nous entraîne au galop dans d'inépuisables aventures. Contre Jules Verne, qui avait une espèce de génie, contre Sherlock Holmes ou Arsène Lupin ou James Bond qui nous ont tant amusés, ce que défend Flaubert, c'est le style. Les livres ne survivent pas grâce aux histoires qu'ils racontent. Ils survivent grâce à la façon dont elles sont racontées. La littérature est d'abord un style qui éveille l'imagination du lecteur.
Jean d'Ormesson — Comme un chant d'espérance -
L'extraordinaire postérité du Grand Meaulnes n'est pas seulement liée au fait qu'il soit le seul roman d'Alain-Fournier, mort dans les tranchées au début de la guerre, à l'âge de vingt-huit ans : elle est due avant tout à la beauté énigmatique de son univers, à son atmosphère onirique et au charisme de ses héros, adolescents qui fuient l'entrée dans le monde adulte.
Jean d'Ormesson — Les 1001 livres qu'il faut avoir lus dans sa vie -
Je le répétais sans cesse à Françoise. Je lui ressassais qu'il était plus dangereux pour une jeune fille d'épouser un écrivain qu'un pilote de chasse ou un coureur automobile. Parce que tout écrivain tiendra toujours moins à son bonheur qu'à ses manuscrits, quelque médiocres qu'ils puissent être. Et pire encore, qu'il acceptera et recherchera aventures, tribulations et même malheurs avec l’espoir qu'ils pourraient être de nature à nourrir ses romans.
Jean d'Ormesson — Je dirai malgré tout que cette vie fut belle -
Je le répétais sans cesse à Françoise. Je lui ressassais qu'il était plus dangereux pour une jeune fille d'épouser un écrivain qu'un pilote de chasse ou un coureur automobile. Parce que tout écrivain tiendra toujours moins à son bonheur qu'à ses manuscrits, quelque médiocres qu'ils puissent être. Et pire encore, qu'il acceptera et recherchera aventures, tribulations et même malheurs avec l’espoir qu'ils pourraient être de nature à nourrir ses romans.
Jean d'Ormesson — Je dirai malgré tout que cette vie fut belle -
Un jour où je signais " Au Plaisir de Dieu" dans une fête du livre ou à l'occasion d'une séance de dédicaces, il m'est arrivé une minuscule aventure qui m'avait amusé, et même intéressé. "Au Plaisir de Dieu" à la main, une dame déjà âgée s'était avancée vers moi pour me dire des choses aimables : - J'ai beaucoup aimé votre livre. Un détail m'a pourtant étonnée. J'ai bien connu votre oncle Wladimir. Je n'ai pas trouvé trace de son nom dans vos pages. -Madame, lui avais-je répondu, mon livre est plein de souvenirs et d'événements vécus. Mais il est aussi et surtout un roman. Il suit la réalité de très loin et beaucoup de ses thèmes sont inventés. - Inventés! m'avait-elle dit, l'air consterné. Inventés ! Et moi qui croyais que vous aviez tant de talent. (p.202)
Jean d'Ormesson — Je dirai malgré tout que cette vie fut belle -
Le matin, à peine réveillé, je guettais à travers les volets la lumière du soleil sur le point de se lever et je me jetais hors de mon lit pour profiter d'un jour qui ressemblerait à la veille et qui ressemblerait au lendemain. L'été, j'entendais de ma fenêtre le bruit déchirant du râteau manié par l'aide-jardinier sur les graviers de la cour. Sur le palier, au seuil du billard, il y avait un gong venu je ne sais d'où sur lequel ceux qui passaient frappaient d'un air distrait pour annoncer les repas régis par des règles sévères et auxquels aucun d'entre nous n'aurait pris le risque de se présenter en retard ou en tenue négligée. Rien ne m'amusait ni ne me faisait peur autant que le téléphone, composé d'une manivelle et d'un cornet de bois, qui permettait à mon grand-père d'obtenir une demoiselle qu'on entendait très mal et qui ne comprenait jamais rien. Deux fois par mois, M. Machavoine, horloger de son état, venait remonter en silence les horloges du château. Il se glissait dans le billard, dans le petit salon, dans le grand salon, dans la bibliothèque, dans la salle à manger, dans la salle à manger des enfants, dans l'office, dans l'immense cuisine, dans la vingtaine de chambres – aucune n'avait de salle de bains – qui restaient ouvertes toute l'année. Il vérifiait si les pendules, si les horloges, si les cartels donnaient bien l'heure exacte, et il les remontait. Il m'arrivait de le suivre de pièce en pièce dans un état de conscience extrêmement diminué et avec une fascination qui m'étonnait moi-même. Ses gestes de chirurgien, de contrôleur et de mécanicien me jetaient dans une torpeur bienheureuse dont je ne me réveillais qu'à son départ. Dans le soir qui tombait, nous nous promenions à bicyclette autour des étangs mélancoliques ou le long des layons des forêts de la Haute-Sarthe, entre les chevreuils et les sangliers, libres et sauvages comme nous. À mon retour, quand je rentrais de promenade, que je pénétrais dans le vestibule encombré de trophées de chasse et de râteliers chargés de fusils et que je m'apprêtais à gravir quatre à quatre l'escalier de pierre vers les deux salons bourrés de portraits de famille et de fauteuils en tapisserie, l'odeur de bois brûlé, de vieux cuir, de renfermé me prenait à la gorge. Je m'ennuyais beaucoup. J'étais très heureux – et je ne m'en doutais pas. Chez nous ! Chez nous ! Tout cela avait pris longtemps des allures d'éternité. Et tout cela était fini.
Jean d'Ormesson — Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit -
Le matin, à peine réveillé, je guettais à travers les volets la lumière du soleil sur le point de se lever et je me jetais hors de mon lit pour profiter d'un jour qui ressemblerait à la veille et qui ressemblerait au lendemain. L'été, j'entendais de ma fenêtre le bruit déchirant du râteau manié par l'aide-jardinier sur les graviers de la cour. Sur le palier, au seuil du billard, il y avait un gong venu je ne sais d'où sur lequel ceux qui passaient frappaient d'un air distrait pour annoncer les repas régis par des règles sévères et auxquels aucun d'entre nous n'aurait pris le risque de se présenter en retard ou en tenue négligée. Rien ne m'amusait ni ne me faisait peur autant que le téléphone, composé d'une manivelle et d'un cornet de bois, qui permettait à mon grand-père d'obtenir une demoiselle qu'on entendait très mal et qui ne comprenait jamais rien. Deux fois par mois, M. Machavoine, horloger de son état, venait remonter en silence les horloges du château. Il se glissait dans le billard, dans le petit salon, dans le grand salon, dans la bibliothèque, dans la salle à manger, dans la salle à manger des enfants, dans l'office, dans l'immense cuisine, dans la vingtaine de chambres – aucune n'avait de salle de bains – qui restaient ouvertes toute l'année. Il vérifiait si les pendules, si les horloges, si les cartels donnaient bien l'heure exacte, et il les remontait. Il m'arrivait de le suivre de pièce en pièce dans un état de conscience extrêmement diminué et avec une fascination qui m'étonnait moi-même. Ses gestes de chirurgien, de contrôleur et de mécanicien me jetaient dans une torpeur bienheureuse dont je ne me réveillais qu'à son départ. Dans le soir qui tombait, nous nous promenions à bicyclette autour des étangs mélancoliques ou le long des layons des forêts de la Haute-Sarthe, entre les chevreuils et les sangliers, libres et sauvages comme nous. À mon retour, quand je rentrais de promenade, que je pénétrais dans le vestibule encombré de trophées de chasse et de râteliers chargés de fusils et que je m'apprêtais à gravir quatre à quatre l'escalier de pierre vers les deux salons bourrés de portraits de famille et de fauteuils en tapisserie, l'odeur de bois brûlé, de vieux cuir, de renfermé me prenait à la gorge. Je m'ennuyais beaucoup. J'étais très heureux – et je ne m'en doutais pas. Chez nous ! Chez nous ! Tout cela avait pris longtemps des allures d'éternité. Et tout cela était fini.
Jean d'Ormesson — Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit -
Tant qu’il y aura des livres, des gens pour en écrire et des gens pour en lire, tout ne sera pas perdu dans ce monde qu’en dépit de ses tristesses et de ses horreurs nous avons tant aimé.
Jean d'Ormesson — Odeur du temps -
Les Trois Mousquetaires sont l'oeuvre la plus fameuse des deux cent cinquante livres forgés par la plume de cet écrivain prolifique et de ses soixante-treize assistants. Dumas a travaillé avec le professeur d'histoire Auguste Maquet à qui l'on prête les prémices, voire le premier brouillon des Trois Mousquetaires. (...) La qualité durable des textes de Dumas réside dans la vitalité de ses personnages et dans sa maîtrise du roman-feuilleton, plein d'accroches et de suspense. Les Trois Mousquetaires sont le roman d'aventures par excellence.
Jean d'Ormesson — Les 1001 livres qu'il faut avoir lus dans sa vie -
Beaucoup de définitions ont été données du bourgeois. Il est réservé et il a des réserves. Il ne s'engage jamais tout entier. Il a plus d'intérêts que d'idéal. Il aime le confort et il est conformiste. Il est prudent, sûr de lui, parfois chafouin, affolé de culture, près de ses sous. Il se réclame d'un passé d'ailleurs plutôt récent, d'un art souvent moderne pour essayer de donner le change, de la tradition, de la beauté. Il tente toujours de passer pour audacieux, mais il craint l'avenir, les artistes et l'amour. Il est plus familier des banques et des assurance que de l'agriculture et de la pêche en haute mer. Tout tient en seul mot : l'argent.
Jean d'Ormesson — Et moi, je vis toujours -
L'argent tombe sur le monde, comme une vérole sur le pauvre peuple, bien après la pensée, bien après l'émotion, le cri, le rire, la parole, et après l'écriture. Maintenant qu'il est là, et bien là, il est difficile de s'en passer. Sa suppression entraînerait des souffrances plus grandes que ses excès. Qu'on le veuille ou non, il est devenu une espèce de malédiction âprement recherchée. Poussons le bouchon un peu loin : il est la forme prise par le mal pour se faire adorer. L'argent, écrit Cioran, a ruiné le monde. Pendant des milliards d'années, il n'y a pas de mal dans l'univers. Le mal naît avec la pensée. Il prospère avec l'argent.
Jean d'Ormesson — Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit -
Phrases trouvées dans un reportage : - Voilà ce que je suis, un miracle à des milliards et des milliards d'exemplaires. - Tant qu'il y aura des livres, des gens pour en écrire et des gens pour en lire tout ne sera pas perdu dans ce monde qu'en dépit de ses tristesses et de ses horreurs nous avons tant aimé. - Mourir ne me dérange pas. Je suis juste ennuyé par la perspective de ne plus pouvoir savoir ce qui va se passer.
Jean d'Ormesson -
Il y a quelque chose de mieux que de s'agiter : c'est de s'ennuyer. J'écrirais volontiers un éloge de la paresse et de l'ennui. L'ennui est cet état béni où l'esprit désoccupé aspire à faire sortir du néant quelque chose d'informe et déjà d'idéal qui n'existe pas encore. L'ennui est la marque en creux du talent, le tâtonnement du génie. Voyager n'est pas mal. Le succès, c'est très bien. Etre heureux, qui ne le souhaite? S'ennuyer est bien mieux. C'est quand vous êtes perdu que vous commencez à être sauvé. La vie la plus banale, allumer un feu dans une cheminée, se promener dans les bois - Rousseau avait besoin de marcher pour aiguiser ses idées -, ronger son frein et son coeur parce qu'on n'est bon à rien, maudire le monde autour de soi, s'abandonner aux songes, ou,mieux encore ne rien faire du tout, ou, en tout cas le moins possible - avant, bien sûr de se jeter dans le travail à corps perdu -, peut mener autrement loin.
Jean d'Ormesson — Qu'ai-je donc fait ? -
Et, jouant avec la vieille canne, décolorée par le temps, entamée par la vie, qu'il faisait rouler entre ses mains noueuses, il se remit à parler. Et, soir après soir, dans le plus beau salon du monde, sous les étoiles de la nuit qui jetaient leur lueur sur le bassin de Saint-Marc et le palais des Doges, il nous raconta, à Marie et à moi, tout ce que je viens de vous raconter. Et tout ce que je vais encore, si vous avez un peu de temps pour écouter des fables qui ressemblent à des choses vraies, ou peut-être plutôt des choses vraies qui ressemblent à des fables, vous raconter maintenant. p176
Jean d'Ormesson — Histoire du Juif errant -
Il était le second Adam. Le premier avait légué au monde le péché originel. Lui portait sur ses épaules le poids écrasant du péché perpétuel. p174
Jean d'Ormesson — Histoire du Juif errant -
Allez tranquillement parmi le vacarme et la hâte et souvenez-vous de la paix qui peut exister dans le silence. Sans aliénation, vivez autant que possible en bons termes avec toutes personnes. Dites doucement mais clairement votre vérité. Ecoutez les autres, même les simples d'esprit et les ignorants: ils ont eux aussi leur histoire. Evitez les individus bruyants et agressifs: ils sont une vexation pour l'esprit. Ne vous comparez avec personne : il y a toujours plus grands et plus petits que vous. Jouissez de vos projets aussi bien que de vos accomplissements. Ne soyez pas aveugle en ce qui concerne la vertu qui existe. Soyez vous-même, j Surtout n'affectez pas l'amitié. Non plus ne soyez cynique en amour car il est, en face de tout désenchantement, aussi éternel que l'herbe. Prenez avec bonté le conseil des années en renonçant avec grâce à votre jeunesse. Fortifiez-vous une puissance d'esprit pour vous protéger en cas de malheur soudain. Mais ne vous chagrinez pas avec vos chimères. De nombreuses peurs naissent de la fatigue et de la solitude. Au-delà d'une discipline saine, soyez doux avec vous-même. Vous êtes un enfant de l'univers. Pas moins que les arbres et les étoiles. Vous avez le droit d'être ici. Et, qu 'il vous soit clair ou non, l'univers se déroule sans doute comme il le devait. Quels que soient vos travaux et vos rêves, gardez, dans le désarroi bruyant de la vie, la paix de votre cœur. Avec toutes ses perfidies et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau. Texte Anonyme
Jean d'Ormesson — Comme un chant d'espérance -
Tout comme sa sœur sanskrite, la poésie pâli se définit par des mètres et des figures de style, mais le caractère le plus saillant par rapport à la prose est sans doute le recours à la comparaison. Indiquée mais pas toujours par des opérateurs spécifiques au premier rang desquels la particule "va" (sanskrit "iva", comme), la comparaison obéit à des conventions qui en définissent le caractère: le comparé et le comparant doivent être grammaticalement de même genre, de même nombre, de même cas, si la figure doit être pleine; que l'un de ses caractères manque, elle est "lupta", déficiente, etc. - des exigences qui contraignent le traducteur français, mais pas le traducteur allemand ou anglais, à recourir à la périphrase "l'astre lunaire", masculin, pour éviter la Lune, lorsque celle-ci est le comparant d'un être masculin (§172, §173, §208, §413 du Dhammapada)
Bouddha — Le Bouddha Dhammapada - Les stances de la loi -
L'homme qui est resté longtemps absent et qui revient de loin sain et sauf, ses parents, ses amis, ses alliés lui souhaitent la bienvenue quand il arrive. Il en est de même de l'être qui a fait le bien; lorsqu'il s'en est allé de ce monde dans l'autre, ses mérites l'accueillent comme des parents un être cher à son retour.
Bouddha — Le Bouddha Dhammapada - Les stances de la loi -
Le temps est un grand maître. Le malheur est qu'il tue ses élèves.
Bouddha -
Et maintenant, dit Bouddha à ses disciples, au moment de mourir : "A l'avenir, soyez votre propre lumière, votre propre refuge. N'allez en quête de refuge qu'auprès de vous-même. Ne vous occupez pas des façons de penser des autres. Tenez-vous bien dans votre île à vous. Collés à la contemplation
Bouddha -
- Lord Henry, je voudrais que vous m'appreniez à redevenir jeune. Il réfléchit un instant. - Vous rappelez-vous, madame, quelque grave erreur que vous auriez commise dans votre jeune temps ? lui demanda-t-il en la regardant par-dessus la table. - Des quantités, je le crains, s'écria-t-elle. - Eh bien, recommencez, dit-il sérieusement. Pour retrouvez sa jeunesse, il suffit de réitérer ses folies.
Oscar Wilde — Le portrait de Dorian Gray -
Et il se jetait sur le gazon, plongeait son visage dans ses mains et pleurait. - Pourquoi pleure-t-il ? demandait un petit lézard vert, comme il courait près de lui, sa queue en l'air. - Mais pourquoi ? disait un papillon qui voletait à la poursuite d'un rayon de soleil. - Mais pourquoi donc ? murmura une pâquerette à sa voisine d'une douce petite voix. - Il pleure à cause d'une rose rouge. - À cause d'une rose rouge. Comme c'est ridicule ! Et le petit lézard, qui était un peu cynique, rit à gorge déployée. Mais le rossignol comprit le secret des douleurs de l'étudiant, demeura silencieux sur l'yeuse et réfléchit au mystère de l'amour. ("Le rossignol et la rose")
Oscar Wilde — Le prince heureux, le géant égoïste et autres contes -
Les yeux du Prince Heureux étaient emplis de larmes, et des larmes coulaient le long de ses joues d'or. Sous la lumière de la lune, son visage était si beau que le petit martinet se sentit envahi de pitié. «Qui êtes-vous ? demanda-t-il. - Je suis le Prince Heureux. - Alors pourquoi pleurez-vous ? demanda le Martinet. Vous m'avez complètement trempé. - Lorsque j'étais en vie et que je possédais un cœur d'homme, répondit la statue, j'ignorais ce que c'était que les larmes car je vivais au palais de Sans-Souci, où le chagrin n'a pas le droit de pénétrer. Pendant le jour je jouais dans le jardin avec mes compagnons, le soir je menais le bal dans le Grand Salon. Le jardin était ceint d'un mur fort imposant, mais jamais je ne me souciai de demander ce qui se trouvait derrière. Tout était si beau autour de moi ! Mes courtisans m'appelaient le Prince Heureux, et si le bonheur n'est rien d'autre que le plaisir, oui, j'étais heureux. Ainsi je vécus, ainsi je mourus. Et maintenant que je suis mort, on m'a installé ici, tellement haut que je peux voir toute la laideur et toute la misère de ma ville. Mon cœur a beau être fait de plomb, comment ne pleurerais-je ?»
Oscar Wilde — Le prince heureux, le géant égoïste et autres contes