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Il y a 57 citations sur le simple.
Les heures passèrent. Dehors, il pleuvait une complainte d’adieux. Elle se farda, utilisa des étoffes, se déguisa. Durant toute la nuit, une ingéniosité diabolique peupla la chambre de femmes venues de toutes contrées, insinuantes, expertes ou naïves, tourmentées, buveuses de saccades. Vers le matin, les femmes disparurent et deux hommes s’effrénaient devant le grand miroir au flamboiement des bûches.L’épuisement passé, il se leva, toucha distraitement les seins d’Adrienne.– Ils te plaisent ? Lui demanda-t-elle avec une maternité étrange. Tu vois, ils commencent à tomber. Je suis devenue une vieille femme. (Songeant à la jeune rivale, elle écrasa, abaissa les seins.) Encore mieux ainsi. (Elle rit.) Je suis vieille. Il faut aller de plus en plus souvent chez le dentiste. Et tout le reste ! Les articulations qui craquent, les cheveux qui se dessèchent, la peau si glorieuse à quatre heures du matin, l’haleine. Je suis fâchée de te faire de la peine. Mon pauvre chéri qui boude.Elle rit. Mais Solal n’écoutait pas et songeait à Aude. Pourquoi, lorsqu’elle était entrée avec son père, avait-il accentué le balancement maudit et avait-il feint de ne pas la reconnaître ? Il n’était même pas fou, il était lucide à ce moment-là. Quel démon plus fort que lui l’avait possédé à ce moment ? Et il ne la verrait plus. Ô son regard, le soir des grandes fiançailles, le geste gauche et le sourire timide avec lesquels elle s’était dévoilée. Quel démon l’avait poussé à hausser les épaules, à faire ce sourire peureux ? Et maintenant, elle gardait l’image dégoûtante de ces deux balanceurs d’Orient qui crevaient de peur devant la fille d’Europe.Il effaça cette pensée, ne voulu pas savoir ce qu’il allait faire et ouvrit le tiroir. Mais elle fut plus prompte que lui, s’élança, saisit sa main, et le revolver qu’il tenait. La balle effleura le front qui saigna. Il s’abattit.La femme nue prit sur ses genoux l’homme nu. Elle baisa les deux plaies, le calma, le berça tout en songeant que la nuit, depuis si longtemps prévue par elle, était arrivée, nuit pareille aux nuits des hivers passés et des hivers qui viendraient lorsqu’elle ne serait plus.Elle regardait le beau corps blessé et il lui semblait tenir sur ses genoux un grand fils évanoui, irresponsable, frappé par les hommes, condamné, trop vivant, irrémédiablement vaincu. Elle pensait à sa propre vie manquée. Elle n’avait pas su se faire aimer. Elle n’avait jamais rien su. Peut-être la faute de son père et l’effroi qu’elle avait de lui dans son enfance ? Cette paralysie, cette passivité. Les autres, celles qui savaient se faire aimer, étaient superficielles. Elle aurait pu aussi, mais elle avait préféré la servitude. Servante, depuis le soir où l’adolescent était entré dans sa chambre jusqu’à cette dernière nuit. Et maintenant impossible de recommencer. C’était l’autre, Aude, qui l’aurait. Si l’autre ne l’empêchait pas de vaincre, tout était bien. Il deviendrait Solal et un grand homme. Mais personne ne viendrait confier à sa tombe les victoires de l’aimé. Tout de même, elle aurait su avant les autres. Avant les autres, elle avait deviné l’attente et l’espoir de cet homme si simple, si bon en réalité, si pur et qui cachait sa naïveté sous des rires et des étrangetés. Et si elle se trompait, s’il devait n’être qu’un homme comme les autres hommes, du moins elle garderait son illusion jusqu’à la fin et personne non plus ne viendrait la détromper Albert Cohen — Solal – Éditions Gallimard 1930
Le temps a cessé d’être une suite insensible de jours, à remplir de cours et d’exposés, de stations dans les cafés et à la bibliothèque, menant aux examens et aux vacances d’été, à l’avenir. Il est devenu une chose informe qui avançait à l’intérieur de moi et qu’il fallait détruire à tout prix. J’allais aux cours de littérature et de sociologie, au restau U, je buvais des cafés midi et soir à la Faluche, le bar réservé aux étudiants. Je n’étais plus dans le même monde. Il y avait les autres filles, avec leurs ventres vides, et moi. Pour penser ma situation, je n’employais aucun des termes qui la désignent, ni « j’attends un enfant », ni « enceinte », encore moins « grossesse », voisin de « grotesque ». Ils contenaient l’acceptation d’un futur qui n’aurait pas lieu. Ce n’était pas la peine de nommer ce que j’avais décidé de faire disparaître. Dans l’agenda, j’écrivais : « ça », « cette chose-là », une seule fois « enceinte ». Je passais de l’incrédulité que cela m’arrive, à moi, à la certitude que cela devait forcément m’arriver. Cela m’attendait depuis la première fois que j’avais joui sous mes draps, à quatorze ans, n’ayant jamais pu, ensuite – malgré des prières à la Vierge et différentes saintes -, m’empêcher de renouveler l’expérience, rêvant avec persistance que j’étais une pute. Il était même miraculeux que je ne me sois pas trouvée plus tôt dans cette situation. Jusqu’à l’été précédent, j’avais réussi aux prix d’efforts et d’humiliations – être traitée de salope et d’allumeuse – à ne pas faire l’amour complètement. Je n’avais finalement dû mon salut qu’à la violence d’un désir qui, s’accommodant mal des limites du flirt, m’avait conduite à redouter jusqu’au simple baiser. J’établissais confusément un lien entre ma classe sociale d’origine et ce qui m’arrivait. Première à faire des études supérieures dans une famille d’ouvriers et de petits commerçants, j’avais échappé à l’usine et au comptoir. Mais ni le bac ni la licence de lettres n’avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d’une pauvreté dont la fille enceinte était, au même titre que l’alcoolique, l’emblème. J’étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi c’était, d’une certaine manière, l’échec social. Je n’éprouvais aucune appréhension à l’idée d’avorter. Cela me paraissait, sinon facile, du moins faisable, et ne nécessitant aucun courage particulier. Une épreuve ordinaire. Il suffisait de suivre la voie dans laquelle une longue cohorte de femmes m’avait précédée. Depuis l’adolescence, j’avais accumulé des récits, lus dans des romans, apportés par la rumeur du quartier dans les conversations à voix basse. J’avais acquis un savoir vague sur les moyens à utiliser, l’aiguille à tricoter, la queue de persil, les injections d’eau savonneuse, l’équitation – la meilleure solution consistant à trouver un médecin dit « marron » ou une femme au joli nom, une « faiseuse d’anges », l’un et l’autre très coûteux mais je n’avais aucune idée des tarifs. L’année d’avant, une jeune femme divorcée m’avait racontée qu’un médecin de Strasbourg lui avait fait passer un enfant, sans me donner de détails, sauf, « j’avais tellement mal que je me cramponnais au lavabo ». J’étais prêter à me cramponner moi aussi au lavabo. Je ne pensais pas que je puisse en mourir. Annie Ernaux — L’Événement – Éditions Gallimard 2000
À la fin tu es las de ce monde ancienBergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matinTu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaineIci même les automobiles ont l’air d’être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-AviationSeul en Europe tu n’es pas antique ô ChristianismeL’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD’entrer dans une église et de t’y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policièresPortraits des grands hommes et mille titres diversJ’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nomNeuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirène y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis à la façon des perroquets criaillentJ’aime la grâce de cette rue industrielleSituée à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes[…] Apollinaire — Zone
Dedans des Prez je vis une Dryade,Qui comme fleur s'assisoyt par les fleurs,Et mignotoyt un chappeau de couleurs,Echevelée en simple verdugade. […] Pierre de Ronsard — Dedans des Prez je vis une Dryade
L’occasion n’est pas l’instant pur et simple, mais elle n’est pas davantage le cas indifférent, casus, ni l’accident ou l’incident faisant problème, ni la conjoncture ou le nœud de circonstances formant grumeau au centre d’une situation imprévue… Jankélévitch — Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien
En apparence, rien n'a l'air plus simple que de rejoindre sa chambre au sortir de la salle de bains, mais ne nous y trompons pas, ils sont légion ceux d'entre nous qui ont silencieusement disparu sur de tels trajets. Louis Calaferte — Promenade dans un parc
Le bourreau va marcher. Il partira à l'heure dite. L'officier d'escorte est moins simple qu'il n'y paraît. C'est un taiseux qui n'en pense pas moins. François Sureau — L'obéissance
Comme le simple oiseau qui cherche sa pastureLorsqu’il n’est jour ni nuit, quand le veillant bergerSi c’est un chien ou un loup ne peut au vray jugerNe pensant au danger, ains à sa nourriture, etc. Jean Antoine de Baïf — Quatre livres de l’amour de Francine
Sans doute peut-il souvent s'agir dans de pareils cas de faiblesse vitale, mais le sujet brûlant d'Hèlène d'Égypte démontre suffisamment que ni cette faiblesse, ni l'exubérance romantique, ni même une espèce de névrose utopique n'épuisent le sujet. Le carpe diem vulgaire ne va jamais plus loin que la simple impression, il... Ernst Bloch — Le Principe Espérance
À la fin tu es las de ce monde ancienBergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matinTu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaineIci même les automobiles ont l’air d’être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-AviationSeul en Europe tu n’es pas antique ô ChristianismeL’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin […] Guillaume Apollinaire — Zone
Nadja était forte, enfin, et très faible, comme on peut l’être de cette idée qui toujours avait été la sienne, mais dans laquelle je ne l’avais que trop entretenue, à laquelle je ne l’avais que trop aidée à donner le pas sur les autres : à savoir que la liberté, acquise ici-bas au prix de mille et des plus difficiles renoncements, demande à ce qu’on jouisse d’elle sans restriction dans le temps où elle nous est donnée, sans considération pragmatique d’aucune sorte et cela parce que l’émancipation humaine, conçue en définitive sous sa forme révolutionnaire la plus simple, qui n’en est pas moins l’émancipation humaine à tous égards, entendons-nous bien, selon les moyens dont chacun dispose, demeure la seule cause qu’il soit digne de servir. Nadja était faite pour la servir, ne fut-ce qu’en démontrant qu’il doit se fomenter autour de chaque être un complot très particulier qui n’existe pas seulement dans son imagination, dont il conviendrait, au simple point de vue de la connaissance, de tenir compte, et aussi, mais beaucoup plus dangereusement, en passant la tête, puis un bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c’est-à-dire de la plus haïssable des prisons […]. André Breton — Nadja
Ainsi Damoclès se croyait le plus fortuné des hommes, lorsque tout d'un coup, au milieu du festin, il aperçut au-dessus de sa tète une épée nue, que Denys y avait fait attacher, et qui ne tenait au plancher que par un simple crin de cheval. Aussitôt les yeux de notre bienheureux se troublèrent : ils ne virent plus, ni ces beaux garçons, qui le servaient, ni la magnifique vaisselle qui était devant lui : ses mains n'osèrent plus toucher aux plats : sa couronne tomba de sa tête. Que dis-je? Il demanda en grâce au tyran la permission de s'en aller, ne voulant plus être heureux à ce prix. Pouvez-vous désirer rien de plus fort, rien qui prouve mieux que Denys lui-même sentait qu'avec de continuelles alarmes on ne goûte nul plaisir ? Tusculanes — V
Sur le cliché, Boston, New-York et Washington sont réduites en cendres. Simple disfonctionnement, ou terrible prédiction ? Le Point — 14.06.2017
Lorsqu’on met sur la scène une simple intrigue d’amour entre des rois, et qu’ils ne courent aucun péril ni de leur vie ni de leur État, je ne crois pas que, bien que des personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie. Corneille — Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique
ANTIGONE. – Ô tombeau ! Ô lit nuptial ! Ô ma demeure souterraine !... (Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. On dirait qu'elle a un peu froid. Elle s'entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule…[Elle se décide à dicter une lettre d'adieu au garde.]Écris : « Mon chéri... »LE GARDE, qui a pris son carnet et suce sa mine. – C'est pour votre bon ami ?ANTIGONE. – Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m'aimer...LE GARDE, répète lentement de sa grosse voix en écrivant. – « Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m'aimer... »ANTIGONE. – Et Créon avait raison, c'est terrible, maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi je meurs. J'ai peur...LE GARDE, qui peine sur sa dictée. – « Créon avait raison, c'est terrible... »ANTIGONE. – Oh ! Hémon, notre petit garçon. Je le comprends seulement maintenant combien c'était simple de vivre...LE GARDE, s'arrête. – Eh ! Dites, vous allez trop vite. Comment voulez-vous que j'écrive ? Il faut le temps tout de même...ANTIGONE. – Où en étais-tu ?LE GARDE, se relit. – « C'est terrible maintenant à côté de cet homme... »ANTIGONE. – Je ne sais plus pourquoi je meurs.LE GARDE, écrit, suçant sa mine. – « Je ne sais plus pourquoi je meurs... » On ne sait jamais pourquoi on meurt.ANTIGONE, continue. – J'ai peur... (Elle s'arrête. Elle se dresse soudain.) Non. Raye tout cela. Il vaut mieux que jamais personne ne le sache. C'est comme s'ils devaient me voir nue et me toucher quand je serais morte. Mets seulement : « Pardon. » [...] Pardon, mon chéri. Sans la petite Antigone, vous auriez tous été bien tranquilles. Je t'aime... [...]LE GARDE. – C'est une drôle de lettre.ANTIGONE. – Oui, c'est une drôle de lettre. Jean Anouilh — Antigone
Il y avait en Vestphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu’il était fils de la sœur de monsieur le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps.Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Vestphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; le vicaire du village était son grand aumônier. Ils l’appelaient tous Monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes. Voltaire — Candide
Il se trouvait dans la région des astéroïdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commença donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s'instruire.La première était habitée par un roi. Le roi siégeait, habillé de pourpre et d'hermine, sur un trône très simple et cependant majestueux.- Ah! Voilà un sujet, s'écria le roi quand il aperçut le petit prince.Et le petit prince se demanda:- Comment peut-il me reconnaître puisqu'il ne m'a encore jamais vu !Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié. Tous les hommes sont des sujets.- Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui était tout fier d'être roi pour quelqu'un.Le petit prince chercha des yeux où s'asseoir, mais la planète était toute encombrée par le magnifique manteau d'hermine. Il resta donc debout, et, comme il était fatigué, il bâilla.- Il est contraire à l'étiquette de bâiller en présence d'un roi, lui dit le monarque. Je te l'interdis.- Je ne peux pas m'en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi...- Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bâiller. Je n'ai vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons! bâille encore. C'est un ordre.- Ça m'intimide... je ne peux plus... fit le petit prince tout rougissant.- Hum! Hum! répondit le roi. Alors je... je t'ordonne tantôt de bâiller et tantôt de...Il bredouillait un peu et paraissait vexé.Car le roi tenait essentiellement à ce que son autorité fût respectée. Il ne tolérait pas la désobéissance. C'était un monarque absolu. Mais, comme il était très bon, il donnait des ordres raisonnables."Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordonnais à un général de se changer en oiseau de mer, et si le général n'obéissait pas, ce ne serait pas la faute du général. Ce serait ma faute." Antoine de Saint-Exupéry — Le Petit Prince
C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t’avertit, dès l’entrée, que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n’y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein. Je l’ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m’ayant perdu (ce qu’ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus altière et plus vive, la connaissance qu’ils ont eue de moi. Si c’eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c’est moi que je peins. Mes défauts s’y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l’a permis. Que si j’eusse été entre ces nations qu’on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t’assure que je m’y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Montaigne — Essais
La vie simple et remplie de quelque homme de bien, d’un vieux prêtre, par exemple. Anatole France — Vie littéraire
Mais le contact de ce corps raidi, de ces bras crispés, lui communiqua la secousse de son indicible torture. L’énergie et la force dont elle retenait avec ses doigts et avec ses dents la toile gonflée de plumes sur sa bouche, sur ses yeux et sur ses oreilles pour qu’il ne la vît point et ne lui parlât pas, lui firent deviner, par la commotion qu’il reçut, jusqu’à quel point on peut souffrir. Et son coeur, son simple coeur, fut déchiré de pitié. Il n’était pas un juge, lui, même un juge miséricordieux, il était un homme plein de faiblesse et un fils plein de tendresse. Il ne se rappela rien de ce que l’autre lui avait dit, il ne raisonna pas et ne discuta point, il toucha seulement de ses deux mains le corps inerte de sa mère, et ne pouvant arracher l’oreiller de sa figure, il cria, en baisant sa robe : « Maman, maman, ma pauvre maman, regarde-moi ! » Elle aurait semblé morte si tous ses membres n’eussent été parcourus d’un frémissement presque insensible, d’une vibration de corde tendue. Il répétait : « Maman, maman, écoute-moi. Ça n’est pas vrai. Je sais bien que ça n’est pas vrai. » Elle eut un spasme, une suffocation, puis tout à coup elle sanglota dans l’oreiller. Alors tous ses nerfs se détendirent, ses muscles raidis s’amollirent, ses doigts s’entrouvrant lâchèrent la toile ; et il lui découvrit la face. Elle était toute pâle, toute blanche, et de ses paupières fermées on voyait couler des gouttes d’eau. Maupassant — Pierre et Jean (1888)