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Il y a 156 citations sur le très.
Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et sœurs, une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d’une seule misère, je n’ai jamais su laquelle, qu’une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d’une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit. Aimé Césaire — Cahier d’un retour au pays natal
La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c’est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères. A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d’un grain de blé, là d’un pois, ailleurs presque d’une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles, elle se suspend en berlingots convexes. Francis Ponge — « La Pluie »
Une après-midi d’automne, Gervaise, qui venait de reporter du linge chez une pratique, rue des Portes-Blanches, se trouva dans le bas de la rue des Poissonniers comme le jour tombait. Il avait plu le matin, le temps était très doux, une odeur s’exhalait du pavé gras ; et la blanchisseuse, embarrassée de son grand panier, étouffait un peu, la marche ralentie, le corps abandonné, remontant la rue avec la vague préoccupation d’un désir sensuel, grandi dans sa lassitude. Elle aurait volontiers mangé quelque chose de bon. Alors, en levant les yeux, elle aperçut la plaque de la rue Marcadet, elle eut tout d’un coup l’idée d’aller voir Goujet à sa forge. Émile Zola — L’Assommoir
Puis il demanda à Odin de se couvrir l’œil gauche et de faire la même chose. Combien ? Deux. Très bien. Maintenant couvrez votre œil droit. Obscurité. Merde. Cet œil était irrécupérable. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, dit Odin. Merci, docteur. Mark Schorr — L’œil était dans la bombe
Carmagnoles, jazz, barricades abstraites, moi là qui date, et qui le sais, vous pensez que je suis très en quart ! que surgissent les Afro-Asiates, enchaînent Achille, bradent la N.R.F., alors ! daredare, vieillard! suis! je vous retrouve! Louis-Ferdinand Céline — Rigodon
La réponse postmoderne au moderne consiste à reconnaître que le passé, étant donné qu’il ne peut être détruit parce que sa destruction conduit au silence, doit être revisité : avec ironie, de façon non innocente. Je pense à l’attitude postmoderne comme à l’attitude de celui qui aimerait une femme très cultivée et qui saurait qu’il ne peut lui dire : “Je t’aime désespérément” parce qu’il sait qu’elle sait (et elle sait qu’il sait) que ces phrases, Barbara Cartland les a déjà écrites. Pourtant, il y a une solution. Il pourra dire : “Comme disait Barbara Cartland, je t’aime désespérément”. Alors, en ayant évité la fausse innocence, celui-ci aura pourtant dit à cette femme ce qu’il voulait lui dire : qu’il l’aime et qu’il l’aime à une époque d’innocence perdue. […] Tous deux auront réussi encore une fois à parler d’amour. Umberto Eco — Apostille au Nom de la Rose
Dimanche 1er novembre (Venise).Tiepolo, L’institution du Rosaire. 1737-1739.Venise, les Gesuati. Photo A.G., 15 juin 2014. Manet, Lola de Valence, 1862.7 heures. Gris, puis très bleu.C’est la Toussaint. Messe aux Gesuati à 8 heures. Prêtre très sobre. Vingt personnes sous le plafond de Tiepolo (La Gloire de saint Dominique). « Mistero della fede. » En effet.Je rentre dans ma chambre pour écrire. À droite, dans la fenêtre ouverte, le Redentore, avec, sur la coupole, la statue endiablée du Christ ressuscité, victorieux.Le Christ, pour le Diable, c’est le Diable.Brusquement, tout est rose. « Les dieux sont là. »Heidegger : « Le « temps » n’est pas plus lié au Je que l’espace ne l’est aux choses ; encore moins est-il « objectif ’ et le temps « subjectif ». »Pensée incompréhensible pour l’habitant de la Métaphysique, c’est-à-dire l’esclave de la subjectivité absolue. Mais je vois ce que montre Heidegger. Le temps ne fait que passer par moi, l’espace est son enveloppe.Dans Le Monde, ceci, sur Malevitch : « Dans ses écrits, Malevitch s’est réclamé de l’art des icônes. Il a aussi constamment revendiqué l’icône comme faisant partie de la culture paysanne. Le rouge, le blanc et le noir, que l’on retrouve associés dans les icônes de Novgorod, plus fortement que dans toutes les autres icônes byzantines, sont aussi les couleurs signalétiques du suprématisme. Il est intéressant de noter que le carré rouge que Malevitch peint en 1915, après son premier carré noir et avant son premier carré blanc, a pour titre Réalisme en deux dimensions d’une paysanne. Pourquoi a-t-il donné ce titre ? Il doit y avoir une part d’humour — Malevitch était d’Ukraine le pays de Gogol. »Promenade dans la gare maritime, soleil sur les quais. Le remorqueur Hercules, de Trieste. Large moment de sérénité, la ville au loin, comme un paquebot de rêve.L’avion du retour a deux heures de retard. Arrivée sous la pluie battante. Une autre planète. À la Closerie, cinq filles d’une vingtaine d’années se sont organisées une fête au champagne. Elles passent de la plus folle gaieté tendre entre elles à la plus lourde mélancolie. Et de nouveau dans l’autre sens. Et ainsi de suite. Tantôt nymphes ravissantes (à la Fragonard), tantôt effondrées à la Goya, sans âge. Jeunesse et vieillesse en même temps. Je les regarde, j’ai l’impression de voir toute leur vie à travers elles (hystérie, fusion, amour, drôlerie, pourrissement, tristesse, vide). Film épatant pendant une heure. Destins. Philippe Sollers — L’Année du Tigre
J’ai passé les épreuves pratiques du Capes2 dans un lycée de Lyon, à la Croix-Rousse. Un lycée neuf, avec des plantes vertes dans la partie réservée à l’administration et au corps enseignant, une bibliothèque au sol en moquette sable. J’ai attendu là qu’on vienne me chercher pour faire mon cours, objet de l’épreuve, devant l’inspecteur et deux assesseurs, des profs de lettres très confirmés. Une femme corrigeait des copies avec hauteur, sans hésiter. Il suffisait de franchir correctement l’heure suivante pour être autorisée à faire comme elle toute ma vie. Devant une classe de première, des matheux, j’ai expliqué vingt-cinq lignes — il fallait les numéroter — du Père Goriot de Balzac. “Vous les avez traînés, vos élèves”, m’a reproché l’inspecteur ensuite, dans le bureau du proviseur. Il était assis entre les deux assesseurs, un homme et une femme myope avec des chaussures rosés. Moi en face. Pendant un quart d’heure, il a mélangé critiques, éloges, conseils, et j’écoutais à peine, me demandant si tout cela signifiait que j’étais reçue. D’un seul coup, d’un même élan, ils se sont levés tous trois, l’air grave. Je me suis levée aussi, précipitamment. L’inspecteur m’a tendu la main. Puis, en me regardant bien en face : “Madame, je vous félicite.” Les autres ont répété “je vous félicite” et m’ont serré la main, mais la femme avec un sourire.Je n’ai pas cessé de penser à cette cérémonie jusqu’à l’arrêt de bus, avec colère et une espèce de honte. Le soir même, j’ai écrit à mes parents que j’étais professeur “titulaire”. Ma mère m’a répondu qu’ils étaient très contents pour moi.Mon père est mort deux mois après, jour pour jour. Il avait soixante-sept ans et tenait avec ma mère un café-alimentation dans un quartier tranquille non loin de la gare, à Y… (Seine-Maritime). Il comptait se retirer dans un an. Souvent, durant quelques secondes, je ne sais plus si la scène du lycée de Lyon a eu lieu avant ou après, si le mois d’avril venteux où je me vois attendre un bus à la Croix-Rousse doit précéder ou suivre le mois de juin étouffant de sa mort. Annie Ernaux — La Place
La bouche étroite il lui tendit un verre et s’assit Je n’ai pas trouvé les sandwiches très bons dans le train. Ils ne valent jamais rien dans les trains. C’est légendaire. On aurait dû les préparer avant de partir. Jean-Pierre Ostende — La Province éternelle
Lui qui est auteur, il a fait là ce que font tous les acteurs, et au reste ceci est le mot d’un cabotin très drôle et très spirituel, qui ayant bu beaucoup de champagne, me disait la chose en face, in vino veritas. George Sand — Lettres retrouvées
SIMONE Cette fois, mes amis, je vous tire ma révérence. YVONNE Je trouve aussi que la farce a assez duré. On a été patient. Très patient. Nathalie Sarraute — Le Mensonge
Elle avait encore l’air d’une écolière ; son sarrau était repassé avec soin, bien froncé sur les épaules, la coiffure montait très haut, et on était un peu surpris, quand les yeux quittaient ces détails, de voir à la jeune fille un visage si sérieux. Elle tira sa révérence à la cuisinière, puis à Karl, et s’éloigna tandis que le jeune homme adressait involontairement à la cuisinière un regard d’interrogation. Franz Kafka — L’Amérique
[…]Voyez… Les spectateurs, dans une nuit profonde,Écarquillaient leurs yeux et ne pouvaient rien voirL’appartement, le mur, tout était noir.Ma foi ! disait un chat, de toutes les merveillesDont il étourdit nos oreilles,Le fait est que je ne vois rien.Ni moi non plus, disait un chien.Moi, disait un dindon, je vois bien quelque chose ;Mais je ne sais pour quelle causeJe ne distingue pas très bien.Pendant tous ces discours, le Cicéron moderneParlait éloquemment et ne se lassait point.Il n’avait oublié qu’un point :C’était d’éclairer sa lanterne. Jean-Pierre Claris de Florian — Fables
Scipion emmena Salomon au café Riche où il lui fit servir deux tasses de café très fort. Ensuite il lui proposa d’aller un peu voir, en tout bien tout honneur, les nistonnes de derrière la mairie. Albert Cohen — Les Valeureux
Je suis un homme très tranquille à qui vous faites des yeux effrayants, et puis je causais avec madame en tout bien tout honneur. Mais oui, certainement, murmura Oliva, en tout bien tout honneur. Alexandre Dumas — Le Collier de la reine
Il reçut fort froidement le prévôt de Laurens qui s’en venait la gueule enfarinée, croyant qu’il n’était occupé que de la Provence. Mme de Vins y était ; il lui fit une très froide mine. Madame de Sévigné — Correspondance
Lorsque dans une armée le besoin de récompenses se fait très vivement sentir, on peut affirmer que sa valeur est en baisse. Georges Sorel — Réflexions sur la violence
C’est une écharpe bleu foncé bien sûr, très longue et très épaisse, je me prends les pieds dedans en marchant, je dois lui faire faire au moins trois tours autour de mon cou, à mon écharpe. Hélène Soulié — À cloche-pied
— À votre sujet, Robert Kanters évoque Flaubert.— C’est très juste. J’ai construit mon livre sur le modèle de l’Éducation sentimentale. Il y a toutes les choses nécessaires : le voyage en bateau, l’hôtel des ventes, le séjour en Tunisie.— Un pastiche ?— Un art de la citation, dit-il modestement. J’ai mis trente ou quarante phrases de l’Éducation et tout le livre est construit sur le rythme ternaire cher à Flaubert. Jean Chalon — Figaro Littéraire
[…]Ce qui l’excite, c’est de se poser des questions. C’est le suspense. Il prononce très mal. L’AUTEUR, supérieur. Si vous saviez comme je peux m’en moquer, moi, mon pauvre ami, du suspense. Jean Anouilh — La Grotte