Accueil > Citations > Citations sur le voix
Il y a 135 citations sur le voix.
Il est donc à croire que les besoins dictèrent les premiers gestes, et que les passions arrachèrent les premières voix. En suivant avec ces distinctions la trace des faits, peut-être faudrait-il raisonner sur l'origine des langues tout autrement qu'on n'a fait jusqu'ici. Le génie des langues orientales, les plus anciennes qui nous soient connues, dément absolument la marche didactique qu'on imagine dans leur composition. Ces langues n'ont rien de méthodique et de raisonné ; elles sont vives et figurées. On nous fait du langage des premiers hommes des langues de géomètres, et nous voyons que ce furent des langues de poètes.Cela dut être. On ne commença pas par raisonner, mais par sentir. On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins ; cette opinion me paraît insoutenable. L'effet naturel des premiers besoins fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l'espèce vînt à s'étendre, et que la terre se peuplât promptement ; sans quoi le genre humain se fût entassé dans un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert.De cela seul il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux premiers besoins des hommes ; il serait absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler ; on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être simples et méthodiques. Tout ceci n'est pas vrai sans distinction, mais j'y reviendrai ci-après. Jean-Jacques Rousseau — Essai sur l’Origine des langues
Plus loin, ils virent un gamin de quinze ans, en uniforme d'écolier, grimpé sur une borne et qui déclamait avec une voix de jeune coq : "Citoyens! Nous sommes tous frères! L'union fait la force." Des femmes riaient : "Retourne chez ta mère. Descends, polisson !" Henri Troyat — Tant que la terre durera
Je vous laisse libre d'imaginer le dialogue. Choisissez ce qui peut vous charmer. Acceptez, s'il vous plaît, qu'ils entendent la voix du sang, ou qu'ils s'aiment en coup de foudre, ou que Mignon, par des signes irrécusables et invisibles à l'œil du vulgaire, décèle le voleur. Jean Genet — Notre-Dame-des-Fleurs
Eh bien, nous en ferons un martyr. Il faut paraît-il des martyrs. Les martyrs, c'est idiot, déclarait Lionel de Zieff d'une voix pâteuse. Patrick Modiano — La ronde de nuit
Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,Je ne veux retracer les beaux traits d'un Horace,Et moins veux-je imiter d'un Pétrarque la grâce,Ou la voix d'un Ronsard, pour chanter mes Regrets.Ceux qui sont de Phoebus vrais poètes sacrésAnimeront leurs vers d'une plus grande audace :Moi, qui suis agité d'une fureur plus basse,Je n'entre si avant en si profonds secrets.Je me contenterai de simplement écrireCe que la passion seulement me fait dire,Sans rechercher ailleurs plus graves arguments.Aussi n'ai-je entrepris d'imiter en ce livreCeux qui par leurs écrits se vantent de revivreEt se tirer tout vifs dehors des monuments. Du Bellay — Les Regrets
Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez.On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil,La sombre égalité du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;Car tous les hommes sont les fils du même père ;Ils sont la même larme et sortent du même œil.On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ;On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe.Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, noué des mille nœuds funèbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;Et soudain on entend quelqu’un dans l’infiniQui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchanteL’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sentFondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant,Tout notre être frémit de la défaite étrangeDu monstre qui devient dans la lumière un ange. Victor Hugo — Ce qu’est la mort
Ni Mémoires, ni chroniques, ni « confessions » donc, mais journal à bâtons rompus comme cela peut se dire d'une conversation, qui confère de la présence, donne de la voix à ce document publié ici dans son intégralité. Michel Leiris — Journal (1922-1989)
Tout à coup il crut avoir été appelé par une voix terrible, et tressaillit comme lorsqu’au milieu d’un brûlant cauchemar nous sommes précipités d’un seul bond dans les profondeurs d’un abîme. Il ferma les yeux ; les rayons d’une vive lumière l’éblouissaient ; il voyait briller au sein des ténèbres une sphère rougeâtre dont le centre était occupé par un petit vieillard qui se tenait debout et dirigeait sur lui la clarté d’une lampe. Il ne l’avait entendu ni venir, ni parler, ni se mouvoir. Cette apparition eut quelque chose de magique. L’homme le plus intrépide, surpris ainsi dans son sommeil, aurait sans doute tremblé devant ce personnage extraordinaire qui semblait être sorti d’un sarcophage voisin. La singulière jeunesse qui animait les yeux immobiles de cette espèce de fantôme empêchait l’inconnu de croire à des effets surnaturels ; néanmoins, pendant le rapide intervalle qui sépara sa vie somnambulique de sa vie réelle, il demeura dans le doute philosophique recommandé par Descartes, et fut alors, malgré lui, sous la puissance de ces inexplicables hallucinations dont les mystères sont condamnés par notre fierté ou que notre science impuissante tâche en vain d’analyser.[…] Le moribond frémit en pressentant que ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde où il vivait seul, sans jouissances, parce qu’il n’avait plus d’illusion, sans douleur, parce qu’il ne connaissait plus de plaisirs. Le vieillard se tenait debout, immobile, inébranlable comme une étoile au milieu d’un nuage de lumière, ses yeux verts, pleins de je ne sais quelle malice calme, semblaient éclairer le monde moral comme sa lampe illuminait ce cabinet mystérieux. Tel fut le spectacle étrange qui surprit le jeune homme au moment où il ouvrit les yeux, après avoir été bercé par des pensées de mort et de fantasques images. Honoré de Balzac — La peau de chagrin
Cosette était laide. Heureuse, elle eût peut- être été jolie. Nous avons déjà esquissé cette petite figure sombre. Cosette était maigre et blême ; elle avait près de huit ans, on lui en eût donné à peine six. Ses grands yeux enfoncés dans une sorte d'ombre étaient presque éteints à force d'avoir pleuré. Les coins de sa bouche avaient cette courbe de l'angoisse habituelle, qu'on observe chez les condamnés et chez les malades désespérés. Ses mains étaient, comme sa mère l'avait deviné, "perdues d'engelures". Le feu qui l'éclairait en ce moment faisait saillir les angles de ses os et rendait sa maigreur affreusement visible. Comme elle grelottait toujours, elle avait pris l'habitude de serrer ses deux genoux l'un contre l'autre. Tout son vêtement n'était qu'un haillon qui eût fait pitié l'été et qui faisait horreur l'hiver. Elle n'avait sur elle que de la toile trouée ; pas un chiffon de laine. On voyait sa peau çà et là, et l'on y distinguait partout des taches bleues ou noires qui indiquaient les endroits où la Thénardier l'avait touchée. Ses jambes nues étaient rouges et grêles. Le creux de ses clavicules était à faire pleurer. Toute la personne de cette enfant, son allure, son attitude, le son de sa voix, ses intervalles entre un mot et l'autre, son regard, son silence, son moindre geste, exprimaient et traduisaient une seule idée : la crainte. Victor Hugo — Les Misérables
ANTIGONE. – Ô tombeau ! Ô lit nuptial ! Ô ma demeure souterraine !... (Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. On dirait qu'elle a un peu froid. Elle s'entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule…[Elle se décide à dicter une lettre d'adieu au garde.]Écris : « Mon chéri... »LE GARDE, qui a pris son carnet et suce sa mine. – C'est pour votre bon ami ?ANTIGONE. – Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m'aimer...LE GARDE, répète lentement de sa grosse voix en écrivant. – « Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m'aimer... »ANTIGONE. – Et Créon avait raison, c'est terrible, maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi je meurs. J'ai peur...LE GARDE, qui peine sur sa dictée. – « Créon avait raison, c'est terrible... »ANTIGONE. – Oh ! Hémon, notre petit garçon. Je le comprends seulement maintenant combien c'était simple de vivre...LE GARDE, s'arrête. – Eh ! Dites, vous allez trop vite. Comment voulez-vous que j'écrive ? Il faut le temps tout de même...ANTIGONE. – Où en étais-tu ?LE GARDE, se relit. – « C'est terrible maintenant à côté de cet homme... »ANTIGONE. – Je ne sais plus pourquoi je meurs.LE GARDE, écrit, suçant sa mine. – « Je ne sais plus pourquoi je meurs... » On ne sait jamais pourquoi on meurt.ANTIGONE, continue. – J'ai peur... (Elle s'arrête. Elle se dresse soudain.) Non. Raye tout cela. Il vaut mieux que jamais personne ne le sache. C'est comme s'ils devaient me voir nue et me toucher quand je serais morte. Mets seulement : « Pardon. » [...] Pardon, mon chéri. Sans la petite Antigone, vous auriez tous été bien tranquilles. Je t'aime... [...]LE GARDE. – C'est une drôle de lettre.ANTIGONE. – Oui, c'est une drôle de lettre. Jean Anouilh — Antigone
Elle entonna ce refrain à plein voix, la matoise, droite sur ses hanches hardies, le rose aux jouets, le sourire à la biuche, l’étincelle aux yeux. Mon père battit la mesure des pieds et des mains ; l’abbé Raffroy, honni soit qui mal y pense, accompagna en faux-bourdon, et quand l’oncle Bélébon rentra, il trouva la réunion entière chantant de tout son cœur (…). Paul Féval — Barricades
Pardonnez, si j'achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n'eut jamais d'exemple. Toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d'horreur, chaque fois que j'entreprends de l'exprimer.Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie et je n'osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m'aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains, qu'elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon sein, pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit, d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d'abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l'infortune, et je n'y répondis que par les tendres consolations de l'amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. N'exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis ; je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même qu'elle expirait. C'est tout ce que j'ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement.Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez rigoureusement puni. Il a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse.Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Abbé Prévost — Manon Lescaut
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,Dans la nuit éternelle emportés sans retour,Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âgesJeter l'ancre un seul jour ?Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierreOù tu la vis s'asseoir !(…)Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadenceTes flots harmonieux.(…)Tout à coup des accents inconnus à la terreDu rivage charmé frappèrent les échos,Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chèreLaissa tomber ces mots :« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,Suspendez votre cours !Laissez-nous savourer les rapides délicesDes plus beaux de nos jours ! » Alphonse de Lamartine — « Le Lac »
Bonaparte se faisait dire sa volonté sur divers tons, tantôt par la voix sage du Sénat, tantôt par les cris commandés des tribuns, tantôt par le scrutin silencieux du Corps législatif; et ce chœur à trois parties était censé l'organe de la nation, quoiqu'un même maître en fût le coryphée. Mme de Staël — Considérations sur les principaux événements de la Révolution
La mère d’Aladdin prit la lampe où elle l’avoit mise. « La voilà, dit-elle à son fils ; mais elle est bien sale, pour peu qu’elle soit nettoyée, je crois qu’elle en vaudra quelque chose davantage. » Elle prit de l’eau et un peu de sable fin pour la nettoyer ; mais à peine eut-elle commencé à frotter cette lampe, qu’en un instant, en présence de son fils, un génie hideux et d’une grandeur gigantesque s’éleva et parut devant elle, et lui dit d’une voix tonnante :« Que veux-tu ? Me voici prêt à t’obéir, comme ton esclave, et de tous ceux qui ont la lampe à la main, moi avec les autres esclaves de la lampe ! » […]Aladdin qui avoit déjà eu une apparition à-peu-près semblable dans le caveau, sans perdre de temps ni le jugement, se saisit promptement de la lampe, et en suppléant au défaut de sa mère, il répondit pour elle d’un ton ferme. « J’ai faim, dit-il au génie, apportez-moi de quoi manger. » Le génie disparut, et un instant après il revint chargé d’un grand bassin d’argent qu’il portoit sur sa tête, avec douze plats couverts de même métal, pleins d’excellents mets arrangés dessus, avec six grands pains blancs comme neige sur les plats, deux bouteilles de vin exquis, et deux tasses d’argent à la main. Il posa le tout sur le sofa, et aussitôt il disparut. Histoire d’Aladdin ou la Lampe merveilleuse — Traduit par Antoine Galland
Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Mme de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d’entrée la figure d’un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette. Mme de Rênal s’approcha, distraite un instant de l’amer chagrin que lui donnait l’arrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit quand une voix douce lui dit tout près de l’oreille:– Que voulez-vous ici, mon enfant?Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu’il venait faire. Mme de Rénal avait répété sa question.– Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu’il essuyait de son mieux.Mme de Rênal resta interdite, ils étaient fort près l’un de l’autre à se regarder. Julien n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d’un air doux. Mme de Rênal regardait les grosses larmes qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d’une jeune fille, elle se moquait d’elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! Stendhal — Le Rouge et le Noir
Il n’allait jamais chez personne, ne voulait ni recevoir ni donner à dîner ; il ne faisait jamais de bruit, et semblait économiser tout, même le mouvement. Il ne dérangeait rien chez les autres par un respect constant de la propriété. Néanmoins, malgré la douceur de sa voix, malgré sa tenue circonspecte, le langage et les habitudes du tonnelier perçaient, surtout quand il était au logis, où il se contraignait moins que partout ailleurs. Au physique, Grandet était un homme de cinq pieds, trapu, carré, ayant des mollets de douze pouces de circonférence, des rotules noueuses et de larges épaules ; son visage était rond, tanné, marqué de petite vérole ; son menton était droit, ses lèvres n’offraient aucunes sinuosités, et ses dents étaient blanches ; ses yeux avaient l’expression calme et dévoratrice que le peuple accorde au basilic ; son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubérances significatives ; ses cheveux jaunâtres et grisonnants étaient blanc et or, disaient quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravité d’une plaisanterie faite sur monsieur Grandet. Son nez, gros par le bout, supportait une loupe veinée que le vulgaire disait, non sans raison, pleine de malice. Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, l’égoïsme d’un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la jouissance de l’avarice et sur le seul être qui lui fût réellement de quelque chose, sa fille Eugénie, sa seule héritière. Attitude, manières, démarche, tout en lui, d’ailleurs, attestait cette croyance en soi que donne l’habitude d’avoir toujours réussi dans ses entreprises. Aussi, quoique de mœurs faciles et molles en apparence, monsieur Grandet avait-il un caractère de bronze. Toujours vêtu de la même manière, qui le voyait aujourd’hui le voyait tel qu’il était depuis 1791. Balzac — Eugénie Grandet
Freud, paraît-il, n’aimait pas le téléphone, lui qui aimait, cependant, écouter. Peut-être sentait-il, prévoyait-il, que le téléphone est toujours une cacophonie, et que ce qu’il laisse passer, c’est la mauvaise voix, la fausse communication ? Par le téléphone, sans doute, j’essaye de nier la séparation – comme l’enfant redoutant de perdre sa mère joue à manipuler sans relâche une ficelle ; mais le fil du téléphone n’est pas un bon objet transitionnel, ce n’est pas une ficelle inerte ; il est chargé d’un sens, qui n’est pas celui de la jonction, mais celui de la distance : voix aimée, fatiguée, entendue au téléphone : c’est le fading dans toute son angoisse. Tout d’abord, cette voix, quand elle me vient, quand elle est là, quand elle dure (à grand-peine), je ne la reconnais jamais tout à fait ; on dirait qu’elle sort de dessous un masque (ainsi, dit-on, les masques de la tragédie grecque avaient une fonction magique : donner à la voix une origine chthonienne, la déformer, la dépayser, la faire venir de l’au-delà souterrain). Et puis, l’autre y est toujours en instance de départ ; il s’en va deux fois, par sa voix et par son silence : à qui est-ce de parler ? Nous nous taisons ensemble : encombrement de deux vides. Je vais te quitter, dit à chaque seconde la voix du téléphone. Roland Barthes — Fragments d’un discours amoureux
Elle ne réagit pas et entame à voix forte avec son interlocuteur une longue conversation où il est question d'enfants, de mari, de week-end, de Sécurité sociale, d'indemnités de chômage, de calmants. Benoît Duteurtre — Tout doit disparaître
Au moment de jeter dans le flot noir des villesCes choses de mon coeur, gracieuses ou viles,Que boira le gouffre sans fond,Ce gouffre aux mille voix où s’en vont toutes choses,Et qui couvre d’oubli les tombes et les roses,Je me sens un trouble profond. Théodore de Banville — Dernière angoisse