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Alfred de Musset (1810-1857) : vie et œuvre

Portrait d'Alfred de Musset par Charles Landelle
Portrait d’Alfred de Musset par Charles Landelle

« Rien de nous rend si grand qu’une grande douleur », écrivait Musset, poète du désenchantement, dont les vers ont été pétris dans le malheur, et les dialogues théâtraux dans la frustration de ses débuts décevants de dramaturge.

Celui que l’on nomme le « poète des nuits » ou « l’auteur de Lorenzaccio » fut un auteur shakespearien, moderne dans sa façon de se libérer du Cénacle, profondément romantique dans sa manière de vivre en écorché des sentiments.

Poursuivant ses rêves de volupté, refusant la contrainte du travail, ce qu’il conçoit comme n’étant pas spontané, Musset fut habité par une lucidité et une singularité qui à elles seules peuvent expliquer l’absence d’un grand succès qu’il aurait pu attendre de ses contemporains lettrés. Si le jeune poète de vingt ans reçut des lauriers, l’homme de théâtre fut, quant à lui, dédaigné pour sa prose.

Vie d’Alfred de Musset

Alfred de Musset naît le 11 décembre 1810. Il est le second d’une famille de trois enfants qui appartient à la petite aristocratie vendômoise. Il est fils et petit-fils de lettrés (son grand-père était poète, son père est un haut fonctionnaire et écrivain, grand admirateur de Rousseau, dont il publie les œuvres complètes). Le jeune Alfred vit une enfance heureuse et sereine avec sa sœur cadette et son frère aîné Paul qui l’encouragera plus tard dans sa carrière et défendra sa mémoire.

En 1819, Musset, brillant élève, entre au collège Henri IV. Il passe sa scolarité entouré de condisciples fameux, dont le futur baron Haussmann, le fil de Louis-Philippe (Ferdinand), ou encore Paul Foucher, dont la sœur Adèle est fiancée à Victor Hugo. Paul Foucher devient son ami intime. Ensemble, ils lisent tous les livres qu’ils peuvent trouver et suivent les débuts du romantisme.

Le jeune Musset se fait remarquer par son allure très distinguée. Il s’habille et se comporte comme un dandy avant l’heure. Le baron Haussmann le décrit ainsi : « C’était un joli garçon, blondin, comme nous, moins vigoureux, mais aussi de taille élancée, très recherché dans sa tenue, plein d’affèterie dans ses manières. On l’appelait Mademoiselle de Musset. »

Les débuts littéraires

Musset montre très tôt des dons pour la littérature et l’écriture. En 1824, il avait écrit une chanson intitulée « à ma mère », et en 1826, une ballade et un poème en l’honneur d’une jeune fille. Dès 1827 (il a donc dix-sept ans), Musset est tourmenté par le désir de devenir un grand poète. Il écrit à son ami Paul Foucher cette déclaration restée célèbre :

Je ne voudrais pas écrire ou je voudrais être Shakespeare ou Schiller : je ne fais donc rien.

Alfred de Musset, lettre à Paul Foucher, septembre 1827

Dans cette même lettre, Musset exprime son besoin d’aimer, qu’il ressent déjà et qu’il rapproche de la poésie : « J’ai besoin d’aimer… j’ai besoin d’un excès quelconque. La poésie chez moi est sœur de l’amour ».

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C’est tout Musset qui s’exprime dans cette lettre : un jeune homme de 17 ans, assez mûr pour souffrir. En 1828, il commence, puis abandonne le droit, puis la médecine. Il s’adonne alors au dessin, à la peinture, à la musique. Les arts ont pour lui un charme vagabond et nonchalant qui le poussent à fréquenter les salons à la mode, qui rassemblent la jeunesse dorée, et les cercles littéraires. Il écrit encore :

À 18 ans, j’hésitais encore sur l’état que j’embrasserais, lorsque le hasard me lia avec quelques jeunes gens qui s’occupaient de littérature.

Alfred de Musset, Correspondance

Grâce à Paul Foucher, Musset est introduit dans le cercle de Victor Hugo et assiste aux réunions du Cénacle. Il y rencontre Sainte-Beuve, Delacroix, Mérimée, Alfred de Vigny… Il participe également aux réunions organisées par Charles Nodier dans le salon de l’Arsenal. Malgré son inexpérience, Musset n’hésite pas à traiter toute cette compagnie littéraire avec désinvolture.

En 1829, Musset écrit sa première grande œuvre, un recueil de vers intitulé Contes d’Espagne et d’Italie, qu’il publie en 1830. Ce premier pas dans la cour des auteurs publiés a pour but de le faire basculer définitivement, et officiellement aux yeux de sa famille, dans une carrière littéraire. On y trouve un ton libre et de l’ironie. Il publie aussi des poèmes dans la Revue de Paris.

En 1830, Musset écrit sa première pièce de théâtre, La Quittance du diable, ainsi que Les Secrètes pensées de Rafaël, où il tisse une réflexion sur la place de l’artiste. Son admiration pour ses aînés ne l’empêche pas de prendre ses distances par rapport au mouvement romantique dont il dénonce les outrances.

1830 est aussi l’année de la révolution de Juillet. Dès son enfance, Musset avait été sensibilisé aux choses politiques. On sait par Paul Foucher que la famille avait assisté avec admiration à l’arrivée de Napoléon aux Tuileries, à son retour de l’Île d’Elbe. Les parents de Musset verront d’un bon œil le départ de Charles X et l’arrivée de Louis-Philippe. Musset assiste avec intérêt à la révolution contre le pouvoir de Charles X.

Cependant, Musset est surtout guidé par la curiosité, plutôt que par un quelconque engagement politique. De plus, déçu par l’arrivée au trône de Louis-Philippe (un roi remplace un roi), il conclut à l’inutilité de la manœuvre militante :

Quelle épaisse nuit sur la terre ! et Nous serons morts quand il fera jour !

Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle)

Il refuse la mission sociale que les romantiques demandent des écrivains et des poètes et affiche cynisme et indifférence à l’égard de la chose publique et politique. Il écrit encore : « Un poète doit parler de lui, mais il ne doit pas faire de politique ». Cependant, il reste républicain.

Conversion dans la douleur

D’octobre 1830 à juin 1831, il collabore au journal Le Temps. Il apparaît d’ores et déjà comme un jeune poète talentueux, fantaisiste et railleur. Fin 1830, Musset écrit une pièce de théâtre, La Nuit vénitienne ou les Noces de Laurette. La première a lieu à l’Odéon et se solde par un échec cuisant : la pièce est interrompue après deux représentations (les 1er et 2 décembre). Musset décide alors de ne plus jamais écrire pour la scène. Il écrira désormais des pièces à lire, non destinées à la mise en scène et à la représentation, qu’il publie dans La Revue des deux Mondes.

C’est une période que, bien que douloureuse, Musset vit en dandy mondain. Il sort beaucoup, fréquente ses pairs dans les salons et les cafés. Dans cette vie sans contours, Musset rencontre un ami qu’il conservera toute sa vie, Alfred Tattet, poète et héritier vivant de ses rentes. Cette vie festive n’éloigne pas pour autant Musset de son écriture. Pour gagner sa vie, il continue d’écrire pour Le Temps une chronique intitulée « La Revue fantastique ». Il invente deux personnages :

L’un, vertueux et sensible comme Werther, promènerait autour de lui des regards innocents ; l’autre, damné comme Valmont, aurait cet œil dont l’éclair est comparable à une flèche aigüe.

Alfred de Musset, Le Temps, « La Revue fantastique »

On décèle déjà dans ces courts portraits cette ambiguïté du caractère de Musset, double dans sa morale, double dans sa vision du monde, l’une drapée d’un voile de vertu, l’autre cynique et cruelle.

En 1832, Musset rompt définitivement avec ses amis du Cénacle car, même s’il est classé parmi les romantiques, Musset veut se défaire de la technique. Ses anciens amis ne sauront pas lui pardonner cet affront. Pour le punir de cette désinvolture et de ses succès de cavalier seul, ils le traiteront d’amateur.

En avril 1832, Musset vit de nouveau une épreuve difficile : son père meurt, victime du choléra (l’épidémie fait plus de 20 000 morts à Paris). Le poète supporte très mal ce deuil, tant il était proche de son père. Il décide de se jeter à corps perdu dans la littérature et de vivre de sa plume pour ne pas être à la charge de sa mère. Au même moment, le libraire et éditeur Eugène Renduel accepte de publier un recueil intitulé Un spectacle dans un fauteuil. Les critiques fusent, le succès est moyen.

Malgré la réception mitigée de Spectacle dans un fauteuil, l’année 1833 s’annonce très fructueuse dans la production littéraire de Musset. C’est après avoir renoncé à la scène que l’auteur écrit ses pièces les plus célèbres. Au printemps, André del Sarto et Les Caprices de Marianne. A l’automne, Lorenzaccio, Fantasio, On ne badine pas avec l’amour.

Ces pièces sont publiées par Buloz, dans Un spectacle dans un fauteuil II. Musset y adopte une grande liberté de ton et de forme, puisqu’il s’est éloigné volontairement des contraintes scéniques. La plupart des pièces se situent en Italie, pays qu’il a découvert avec le grand amour de sa vie, George Sand.

Venise, l’amour et George

1833 est aussi l’année de la rencontre entre Musset et George Sand. Après deux liaisons malheureuses, Musset découvre avec George les balbutiements d’une passion tumultueuse. Ils ont fait connaissance l’un de l’autre lors d’un dîner chez Buloz (l’éditeur de Musset et de la Revue des deux Mondes). S’ensuivent une relation épistolaire et une camaraderie qui se transforme rapidement en liaison amoureuse à la fin de l’été.

Musset a 23 ans, George Sand, 30. Leur histoire est faite de ruptures et de réconciliations (un film de Diane Kurys retrace leur liaison : Les Enfants du siècle, 1999). La relation prend forme à la fin de l’année, lors de ce fameux voyage en Italie, et particulièrement à Venise. Après tromperies et trahisons mutuelles, les deux amants séparés rentrent à Paris, puis se séparent définitivement en mars 1835. Cette séparation laisse une marque profonde et douloureuse chez Musset. George Sand a été son seul véritable amour.

La déchéance de l’enfant du siècle

En 1836, Musset publie une œuvre à caractère autobiographique, La Confession d’un enfant du siècle, un roman en cinq parties. C’est en réalité la peinture de toute une génération, celle née sous Napoléon et qui a connu la Restauration, génération désenchantée, sans idéal. Sous prétexte de raconter sa vie, Musset présente à la jeunesse de son temps un miroir où elle peut reconnaître ses extravagances, ses aspirations désordonnées, ses déceptions après l’avènement de Louis-Philippe, aussi bien que la description des tourments de son âme après sa rupture avec Sand.

En même temps, Musset continue à écrire de la poésie et du théâtre (Nuit d’Août, Nuit d’Octobre, etc…) Les quatre nuits renvoient aux quatre saisons, et expriment les souffrances du poète, son destin malheureux et ses difficultés amoureuses. Ces « nuits », écrites en 1837, sont les plus belles pages de Musset.

En 1837 également, c’est le début d’une année matériellement difficile. Nommé conservateur de la bibliothèque du ministère de l’Intérieur, grâce au duc d’Orléans, il sombre dans la mélancolie. A 30 ans, Musset a déjà cumulé une œuvre littéraire très riche, légère et profonde, en prose ou en vers.

Mais Musset poursuit sa vie badine, il sort beaucoup et boit tout autant. Au printemps 1840, il tombe gravement malade et en garde des séquelles. En 1845, toujours très affaibli, Musset publie un conte Mimi Pinson, puis Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée.

Avant la fin de sa vie, Musset connaît une double consécration en tant que dramaturge : quelques-unes de ses pièces sont jouées à la Comédie française, et rencontrent un franc succès. Puis, en 1852, il est élu à l’Académie française. Mais, miné par la maladie et l’alcool, il s’isole, aigri, et prématurément vieilli. Il s’éteint le 2 mai 1857 et sera inhumé au Père-Lachaise, sous un saule. A la cérémonie, Mérimée, Lamartine et Théophile Gautier sont présents.

L’œuvre d’Alfred de Musset 

Musset est avant tout un poète. Son dilettantisme, sa « paresse », ne lui permettent pas d’être en tout point un homme de lettres. Cependant, Musset est un grand poète : fin psychologue, son sens de l’image donne encore plus de profondeur à son analyse.    

Il a le sens du rythme qui transforme les vers en musique et rend également la prose poétique, nerveuse, alerte, naturelle, pure et simple. Se libérant du romantisme, Musset exprime une vision de l’artiste plus classique que celles des membres du Cénacle. Il s’agit, pour lui, de revenir à l’étude de l’homme, « d’écrire pour les hommes », et d’ouvrir « le cœur humain ».

Théâtre dans un fauteuil

En 1833, après le succès mitigé de Spectacle dans un fauteuil I, Musset écrit ses pièces les plus célèbres – André Del Sarto et les Caprices de Marianne, Lorenzaccio, Fantasio, et On ne badine pas avec l’amour et les rassemble dans Un spectacle dans un fauteuil II. L’auteur y adopte une grande liberté de ton et de forme, puisqu’il s’est éloigné volontairement des contraintes scéniques. La plupart des pièces se situent en Italie.

André del Sarto raconte l’histoire d’un peintre italien de la Renaissance dont la femme a un amant. André se bat en duel. Sa femme Lucrèce soigne son amant blessé et part avec lui. André, de tristesse, se suicide. Le thème du trio amoureux est repris dans Les Caprices de Marianne et On ne badine pas avec l’amour. Musset met beaucoup de lui-même dans ses personnages. Ainsi, les deux héros des Caprices de Marianne, Octave et Coelio, semblent représenter les deux visages de Musset, que nous avons déjà évoqués.

Le poète

Si Musset publie plusieurs poèmes dans sa jeunesse, l’année 1833 marque un tournant, notamment dans le ton adopté et la forme, libérée de l’influence des romantiques du Cénacle. Cette année-là, Musset signe avec l’écrivain François Buloz un contrat qui lui assure la publication de ses œuvres en échange de l’exclusivité offerte à l’éditeur.

Il écrit alors Rolla, un poème qui raconte l’histoire de Jacques Rolla, un homme qui se suicide après avoir dilapidé sa fortune pendant trois ans de fêtes et d’orgies. Cette œuvre est marquée par la mélancolie. On y trouve la célèbre formule du poète : « Je suis né trop tard dans un monde trop vieux », réflexion typique du malaise d’une génération perdue dans une époque qui ne lui offre pas d’avenir (Musset réutilisera sa formule dans Confession d’un enfant du siècle).

La poésie de Musset, contrairement à celle de ses confères romantiques, est désormais moins préoccupée d’effets faciles. Elle n’est pas non plus inspirée ou prophétique (contrairement à celle de Victor Hugo). Musset étudie la réalité de l’être humain, sa nature, et s’évertue à mettre du « réel dans l’art et du vrai dans la poésie ».

Cependant, Musset est malgré tout de son temps, un enfant du siècle désenchanté et souvent seul face à lui-même. On peut donc le qualifier en cela de romantique, peut-être surtout à cause de son culte de la douleur, qu’il estime être une source d’inspiration et de grandissement.

La relation amoureuse que Musset vécut avec George Sand fit beaucoup couler d’encre, la sienne, surtout. Leur liaison, passionnée et tumultueuse, a pris racine à l’été 1833, après une promenade à Fontainebleau. Musset s’en souvient après leur rupture et immortalise ce moment, en 1841, dans le poème « Souvenir » (en voici les derniers vers) :

Je me dis seulement :  » À cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle. »
J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Et je l’emporte à Dieu !

Alfred de Musset, Souvenir

De cette passion, Musset tirera ses lamentations les plus tourmentées. Nous retrouvons ce poète pour lequel amour et poésie sont la même chose. Dans La Nuit de mai, poème écrit en 1835 après sa rupture avec George Sand, Musset met en scène une discussion entre la Muse – personnification suprême de l’inspiration – et le poète, dont un vers en particulier est passé à la postérité : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux ».

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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Sujets :  romantisme

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