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Ce livre est le libre récit d'une vie d'homme d'action. Celle de Patrocle Passavant des Baleines, lieutenant de vaisseau, agent de l'État, aventurier bien vivant, qui, à l'instar de Moravagine ou de Battling, ses prédécesseurs, aurait pu, tout aussi bien, n'être qu'une créature de fiction. François Sureau — La Chanson de Passavant
Pour ma part, je ne voyais pas Anselma d’un mauvais œil. Mais du moment qu’on est pauvre, n’est-ce pas ? on ne vous regarde même pas. Le plus drôle, c’est qu’à force de ménager la chèvre et le chou, elles n’auront rien au tout. Elles étaient aussi pressées que si leur pot avait senti le roussi, croyant déjà tenir le maître. Mariano Azuela — Mauvaise graine
—C’est moi ! — dit-il, — moi Orsini, le fils de Marie. Je viens aussi me mettre sur la sellette, car je suis le complice de ma mère et de Christophe. Xavier de Montépin — La Comtesse Marie
Le temps a cessé d’être une suite insensible de jours, à remplir de cours et d’exposés, de stations dans les cafés et à la bibliothèque, menant aux examens et aux vacances d’été, à l’avenir. Il est devenu une chose informe qui avançait à l’intérieur de moi et qu’il fallait détruire à tout prix. J’allais aux cours de littérature et de sociologie, au restau U, je buvais des cafés midi et soir à la Faluche, le bar réservé aux étudiants. Je n’étais plus dans le même monde. Il y avait les autres filles, avec leurs ventres vides, et moi. Pour penser ma situation, je n’employais aucun des termes qui la désignent, ni « j’attends un enfant », ni « enceinte », encore moins « grossesse », voisin de « grotesque ». Ils contenaient l’acceptation d’un futur qui n’aurait pas lieu. Ce n’était pas la peine de nommer ce que j’avais décidé de faire disparaître. Dans l’agenda, j’écrivais : « ça », « cette chose-là », une seule fois « enceinte ». Je passais de l’incrédulité que cela m’arrive, à moi, à la certitude que cela devait forcément m’arriver. Cela m’attendait depuis la première fois que j’avais joui sous mes draps, à quatorze ans, n’ayant jamais pu, ensuite – malgré des prières à la Vierge et différentes saintes -, m’empêcher de renouveler l’expérience, rêvant avec persistance que j’étais une pute. Il était même miraculeux que je ne me sois pas trouvée plus tôt dans cette situation. Jusqu’à l’été précédent, j’avais réussi aux prix d’efforts et d’humiliations – être traitée de salope et d’allumeuse – à ne pas faire l’amour complètement. Je n’avais finalement dû mon salut qu’à la violence d’un désir qui, s’accommodant mal des limites du flirt, m’avait conduite à redouter jusqu’au simple baiser. J’établissais confusément un lien entre ma classe sociale d’origine et ce qui m’arrivait. Première à faire des études supérieures dans une famille d’ouvriers et de petits commerçants, j’avais échappé à l’usine et au comptoir. Mais ni le bac ni la licence de lettres n’avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d’une pauvreté dont la fille enceinte était, au même titre que l’alcoolique, l’emblème. J’étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi c’était, d’une certaine manière, l’échec social. Je n’éprouvais aucune appréhension à l’idée d’avorter. Cela me paraissait, sinon facile, du moins faisable, et ne nécessitant aucun courage particulier. Une épreuve ordinaire. Il suffisait de suivre la voie dans laquelle une longue cohorte de femmes m’avait précédée. Depuis l’adolescence, j’avais accumulé des récits, lus dans des romans, apportés par la rumeur du quartier dans les conversations à voix basse. J’avais acquis un savoir vague sur les moyens à utiliser, l’aiguille à tricoter, la queue de persil, les injections d’eau savonneuse, l’équitation – la meilleure solution consistant à trouver un médecin dit « marron » ou une femme au joli nom, une « faiseuse d’anges », l’un et l’autre très coûteux mais je n’avais aucune idée des tarifs. L’année d’avant, une jeune femme divorcée m’avait racontée qu’un médecin de Strasbourg lui avait fait passer un enfant, sans me donner de détails, sauf, « j’avais tellement mal que je me cramponnais au lavabo ». J’étais prêter à me cramponner moi aussi au lavabo. Je ne pensais pas que je puisse en mourir. Annie Ernaux — L’Événement – Éditions Gallimard 2000
Il y a aussi des Géorgiens qui vivent jusqu'à cent vingt ans en mangeant du yogourt. Le yogourt, mon vieux, tout est là. Nous ne mangeons pas assez de yogourt, voilà pourquoi. Romain Gary — Clair de femme
Dans les foules où j'essayais de passer inaperçu, noyé dans la couleur locale comme un roi qui se promène incognito dans son royaume, jusqu'à ce que trois mots de français prononcés dans mon dos mettent fin à l'illusion, et me ramènent brutalement à ma condition de touriste mais aussi dans des groupes plus restreints, des cercles fermés où j'avais l'impression d'être admis par privilège, après avoir montré patte blanche. Gérard Macé — Illusions sur mesure
Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre !C’est en ces mots que le lionParlait un jour au moucheron.L’autre lui déclara la guerre :Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roiMe fasse peur ni me soucie ?Un bœuf est plus puissant que toi ;Je le mène à ma fantaisie.À peine il achevait ces motsQue lui-même il sonna la charge,Fut le trompette et le héros.Dans l’abord il se met au large ;Puis prend son temps, fond sur le couDu lion, qu’il rend presque fou.Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;Il rugit. On se cache, on tremble à l’environ ;Et cette alarme universelleEst l’ouvrage d’un moucheron.Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle ;Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,Tantôt entre au fond du naseau.La rage alors se trouve à son faîte montée.L’invisible ennemi triomphe, et rit de voirQu’il n’est griffe ni dent en la bête irritéeQui de la mettre en sang ne fasse son devoir.Le malheureux lion se déchire lui-même,Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrêmeLe fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.L’insecte, du combat, se retire avec gloire :Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,Va partout l’annoncer, et rencontre en cheminL’embuscade d’une araignée ;Il y rencontre aussi sa fin.Quelle chose par là nous peut être enseignée ?J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemisLes plus à craindre sont souvent les plus petits ;L’autre qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,Qui périt pour la moindre affaire. Jean de La Fontaine — Fables
Il y avait aussi quelques personnes qui, avant d'entrer dans la cour, avaient dû montrer patte blanche, c'est-à-dire exhiber une carte contrôlée avec soin car la plupart de ces spectateurs prenaient des notes avec beaucoup d'activités c'étaient des reporters. Victor Tissot — De Paris à Berlin
Je reçois 2 lettres de M. Zimmermann, l'une du 2, l'autre du 4 janvier 1890, cette dernière ci-joint. Ci-joint aussi la copie du reçu que j'ai dû donner au Harar pour les sommes ou marchandises touchées. Arthur Rimbaud — Correspondances
Un pêcheur, ayant laissé couler son filet dans la mer, en retira un picarel. Comme il était petit, le picarel supplia le pêcheur de ne point le prendre pour le moment, mais de le relâcher en considération de sa petitesse. « Mais quand j’aurai grandi, continua-t-il, et que je serai un gros poisson, tu pourras me reprendre ; aussi bien je te ferai plus de profit. — Hé mais ! répartit le pêcheur, je serais un sot de lâcher le butin que j’ai dans la main, pour compter sur le butin à venir, si grand qu’il soit.Cette fable montre que ce serait folie de lâcher, sans espoir d’un profit plus grand, le profit qu’on a dans la main, sous prétexte qu’il est petit. Ésope — Le Pêcheur et le Picarel (traduction d'Émile Chambry
Aussi ne s’occupe-t-il pas des coordonnées spatiales et temporelles par rapport auxquelles tout événement vrai se situe ; les endroits qu’il évoque ne sont pas de ce monde; et plutôt que des aventures ce sont des tableaux vivants qui s’y déroulent; la durée ne mord pas sur l’univers de Sade; il n’y a aucun avenir de son œuvre ni dans son œuvre. Simone de Beauvoir — Privilèges
Un événement était en cours, il le savait bien, M. Andesmas qu'il nomma leur rencontre, bien plus tard. Cet événement prenait très durement racine dans l'aride durée présente, mais il fallait néanmoins que ce fût fait, que ce temps-là aussi passât. Marguerite Duras — L'Après-midi de Monsieur Andesmas
Un matin, portant coordonnés en moi mes malaises habituels, de la circulation constante et intestine desquels je tenais toujours mon esprit détourné aussi bien que de celle de mon sang, je courais allègrement vers la salle à manger où mes parents étaient déjà à table… Marcel Proust — À l’ombre des jeunes filles en fleurs
Car on dit aussi qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, qu'il ne faut pas changer son cheval borgne pour un aveugle, et autres grandes vérités. Louis Guilloux — Absent de Paris
Bien. Tu fais des progrès. Et le reste ? Son enquête ? Le reste, on s'en branle. Elle peut écrire ce qu'elle veut, où elle veut. Ce sera comme pisser dans un violon, comme toujours. Il se marra, puis sa voix redevint aussi tranchante que le couteau qu'il maniait avec dextérité Deux jours. Le contenu de la disquette noire, il n'y avait que ça qui les intéressait. Jean-Claude Izzo — Solea
Arlequin arrive en saluant Cléantis qui sort. Il va tirer Euphrosine par la manche.EuphrosineQue me voulez-vous ?Arlequin, riant.Eh ! eh ! eh ! ne vous a-t-on pas parlé de moi ?EuphrosineLaissez-moi, je vous prie.ArlequinEh ! là, là, regardez-moi dans l’œil pour deviner ma pensée.EuphrosineEh ! pensez ce qu’il vous plaira.ArlequinM’entendez-vous un peu ?EuphrosineNon.ArlequinC’est que je n’ai encore rien dit.Euphrosine, impatiente.Ahi !ArlequinNe mentez point ; on vous a communiqué les sentiments de mon âme ; rien n’est plus obligeant pour vous.EuphrosineQuel état !ArlequinVous me trouvez un peu nigaud, n’est-il pas vrai ? Mais cela se passera ; c’est que je vous aime, et que je ne sais comment vous le dire.EuphrosineVous ?ArlequinEh pardi ! oui ; qu’est-ce qu’on peut faire de mieux ? Vous êtes si belle ! il faut bien vous donner son cœur, aussi bien vous le prendriez de vous-même.EuphrosineVoici le comble de mon infortune.Arlequin, lui regardant les mains.Quelles mains ravissantes ! les jolis petits doigts ! que je serais heureux avec cela ! mon petit cœur en ferait bien son profit. Reine, je suis bien tendre, mais vous ne voyez rien. Si vous aviez la charité d’être tendre aussi, oh ! je deviendrais fou tout à fait.EuphrosineTu ne l’es déjà que trop.ArlequinJe ne le serai jamais tant que vous en êtes digne.EuphrosineJe ne suis digne que de pitié, mon enfant.ArlequinBon, bon ! à qui est-ce que vous contez cela ? vous êtes digne de toutes les dignités imaginables ; un empereur ne vous vaut pas, ni moi non plus ; mais me voilà, moi, et un empereur n’y est pas ; et un rien qu’on voit vaut mieux que quelque chose qu’on ne voit pas. Qu’en dites-vous ?EuphrosineArlequin, il me semble que tu n’as point le cœur mauvais.ArlequinOh ! il ne s’en fait plus de cette pâte-là ; je suis un mouton.EuphrosineRespecte donc le malheur que j’éprouve.ArlequinHélas ! je me mettrais à genoux devant lui.EuphrosineNe persécute point une infortunée, parce que tu peux la persécuter impunément. Vois l’extrémité où je suis réduite ; et si tu n’as point d’égard au rang que je tenais dans le monde, à ma naissance, à mon éducation, du moins que mes disgrâces, que mon esclavage, que ma douleur t’attendrissent. Tu peux ici m’outrager autant que tu le voudras ; je suis sans asile et sans défense ; je n’ai que mon désespoir pour tout secours, j’ai besoin de la compassion de tout le monde, de la tienne même, Arlequin ; voilà l’état où je suis ; ne le trouves-tu pas assez misérable ? Tu es devenu libre et heureux, cela doit-il te rendre méchant ? Je n’ai pas la force de t’en dire davantage : je ne t’ai jamais fait de mal ; n’ajoute rien à celui que je souffre.Arlequin, abattu et les bras abaissés, et comme immobile.J’ai perdu la parole. Marivaux — L'île des esclaves
Nous oublions toujours qu'il est l'enfant de Mamie Quaker, aussi bien que de Maltby. A mon avis, nous aurions dû intervenir depuis longtemps. Mais quand il ira à l'école, nous donnerons au pauvre petit bonhomme un certain nombre de choses qu'il n'a jamais eues. John Steinbeck — Les Pâturages du ciel
C’était en fait ouvrir la boîte de Pandore. Ceux qui avaient inclus ce projet dans le programme du Congrès en 1920 avaient oublié le fait qu’il pouvait aussi précipiter l’éveil des nationalismes locaux aux dépens d’un nationalisme purement indien […]. Amaury De Riencourt — L’âme de l’Inde
Et ses yeux disent : « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d’amour et d’amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant, je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l’immortelle Beauté ! Ah ! Déesse ! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire ! Charles Baudelaire — Le spleen de Paris
Hélas! Que ne veut-on aussi me marier?Ce ne serait pas moi qui se ferait prier, Molière — Sganarelle