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Citations sur le passer
Il y a 111 citations sur le passer.
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Père UbuMerdre.Mère UbuOh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.Père UbuQue ne vous assom’je, Mère Ubu !Mère UbuCe n’est pas moi, Père Ubu, c’est un autre qu’il faudrait assassiner.Père UbuDe par ma chandelle verte, je ne comprends pas.Mère UbuComment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?Père UbuDe par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d’Aragon, que voulez-vous de mieux ?Mère UbuComment ! après avoir été roi d’Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d’estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d’Aragon ?Père UbuAh ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.Mère UbuTu es si bête !Père UbuDe par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu’il meure, n’a-t-il pas des légions d’enfants ?Mère UbuQui t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ?Père UbuAh ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l’heure par la casserole.Mère UbuEh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ?Père UbuEh vraiment ! et puis après ? N’ai-je pas un cul comme les autres ?Mère UbuÀ ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues.Père UbuSi j’étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j’avais en Aragon et que ces gredins d’Espagnols m’ont impudemment volée.Mère UbuTu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.Père UbuAh ! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d’un bois, il passera un mauvais quart d’heure.Mère UbuAh ! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.Père UbuOh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir !Mère Ubu (à part).Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.Père UbuVentrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche comme un méchant et gras chat.Mère UbuEt la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ?Père UbuEh bien, après, Mère Ubu ? (Il s’en va en claquant la porte.)Mère Ubu (seule).Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l’avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.
Alfred Jarry — Ubu Roi -
Tout homme né avec une certaine fierté dans l'âme eût refusé de comparoître après une pareille sommation, mais Fantoni étoit un cadet fort pauvre il solicitoit un emploi, et pour l'obtenir il se fut soumis à passer sous les fourches caudines.
Joseph Gorani — Mémoires secrets et critiques des cours -
Pour garder ce modeste poste, il avait dû passer sous les fourches caudines de Lacombe, le maire.
Van Der Meersch — Invasion 14 -
La victoire de François Mitterrand en 1981 avait souvent été vécue comme un retour de l'espérance au beau milieu de la tourmente économique; cinq ans plus tard, le gouvernement socialiste a dû se plier aux contraintes de la gestion et passer sous les fourches caudines de la rigueur.
Alain Duhamel — Les Habits neufs de la politique -
Mais je pense que nous n'en sommes pas encore réduits à passer ainsi sous les fourches caudines de MM. Gérault-Richard et consorts.
Proust — À la recherche du temps perdu -
Il passa contre nous, ne s’interrompit pas de parler à sa voisine, et nous fit du coin de son œil bleu un petit signe en quelque sorte intérieur aux paupières et qui, n’intéressant pas les muscles de son visage, put passer parfaitement inaperçu de son interlocutrice ; mais, cherchant à compenser par l’intensité du sentiment le champ un peu étroit où il en circonscrivait l’expression, dans ce coin d’azur qui nous était affecté il fit pétiller tout l’entrain de la bonne grâce qui dépassa l’enjouement, frisa la malice ;
Marcel Proust — Du côté de chez Swann -
En voilà qui peuvent se donner la main. Se mettre sur son trente et un revêtir son plus bel habit. Faire le tour du cadran, dormir douze heures consécutives. Passer dessus deux sens accomplir une tâche superficiellement et pardonner.
Marcel Jouhandeau — Le Langage de la Tribu -
Quant il furent amdui ensamble, si li fet lors un parlement de paroles ou il li ment : por passer les chievres, les chous,sachiez qu’il n’estoit mie fous. Puis li sot bien trere par l’oel la plume. « Seneschaus, ge voel a vos parler mout a loisir.
Jean Renart — Le Roman de la Rose -
Le temps a cessé d’être une suite insensible de jours, à remplir de cours et d’exposés, de stations dans les cafés et à la bibliothèque, menant aux examens et aux vacances d’été, à l’avenir. Il est devenu une chose informe qui avançait à l’intérieur de moi et qu’il fallait détruire à tout prix. J’allais aux cours de littérature et de sociologie, au restau U, je buvais des cafés midi et soir à la Faluche, le bar réservé aux étudiants. Je n’étais plus dans le même monde. Il y avait les autres filles, avec leurs ventres vides, et moi. Pour penser ma situation, je n’employais aucun des termes qui la désignent, ni « j’attends un enfant », ni « enceinte », encore moins « grossesse », voisin de « grotesque ». Ils contenaient l’acceptation d’un futur qui n’aurait pas lieu. Ce n’était pas la peine de nommer ce que j’avais décidé de faire disparaître. Dans l’agenda, j’écrivais : « ça », « cette chose-là », une seule fois « enceinte ». Je passais de l’incrédulité que cela m’arrive, à moi, à la certitude que cela devait forcément m’arriver. Cela m’attendait depuis la première fois que j’avais joui sous mes draps, à quatorze ans, n’ayant jamais pu, ensuite – malgré des prières à la Vierge et différentes saintes -, m’empêcher de renouveler l’expérience, rêvant avec persistance que j’étais une pute. Il était même miraculeux que je ne me sois pas trouvée plus tôt dans cette situation. Jusqu’à l’été précédent, j’avais réussi aux prix d’efforts et d’humiliations – être traitée de salope et d’allumeuse – à ne pas faire l’amour complètement. Je n’avais finalement dû mon salut qu’à la violence d’un désir qui, s’accommodant mal des limites du flirt, m’avait conduite à redouter jusqu’au simple baiser. J’établissais confusément un lien entre ma classe sociale d’origine et ce qui m’arrivait. Première à faire des études supérieures dans une famille d’ouvriers et de petits commerçants, j’avais échappé à l’usine et au comptoir. Mais ni le bac ni la licence de lettres n’avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d’une pauvreté dont la fille enceinte était, au même titre que l’alcoolique, l’emblème. J’étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi c’était, d’une certaine manière, l’échec social. Je n’éprouvais aucune appréhension à l’idée d’avorter. Cela me paraissait, sinon facile, du moins faisable, et ne nécessitant aucun courage particulier. Une épreuve ordinaire. Il suffisait de suivre la voie dans laquelle une longue cohorte de femmes m’avait précédée. Depuis l’adolescence, j’avais accumulé des récits, lus dans des romans, apportés par la rumeur du quartier dans les conversations à voix basse. J’avais acquis un savoir vague sur les moyens à utiliser, l’aiguille à tricoter, la queue de persil, les injections d’eau savonneuse, l’équitation – la meilleure solution consistant à trouver un médecin dit « marron » ou une femme au joli nom, une « faiseuse d’anges », l’un et l’autre très coûteux mais je n’avais aucune idée des tarifs. L’année d’avant, une jeune femme divorcée m’avait racontée qu’un médecin de Strasbourg lui avait fait passer un enfant, sans me donner de détails, sauf, « j’avais tellement mal que je me cramponnais au lavabo ». J’étais prêter à me cramponner moi aussi au lavabo. Je ne pensais pas que je puisse en mourir.
Annie Ernaux — L’Événement – Éditions Gallimard 2000 -
Dans les foules où j'essayais de passer inaperçu, noyé dans la couleur locale comme un roi qui se promène incognito dans son royaume, jusqu'à ce que trois mots de français prononcés dans mon dos mettent fin à l'illusion, et me ramènent brutalement à ma condition de touriste mais aussi dans des groupes plus restreints, des cercles fermés où j'avais l'impression d'être admis par privilège, après avoir montré patte blanche.
Gérard Macé — Illusions sur mesure -
Passer d’Égypte en Turquie, c’est, pour Cobden, tomber de Charybde en Scylla. L’économiste ne se montre pas plus indulgent pour le désordre gouvernemental et pour la dilapidation administrative qu’il ne l’a été pour l’oppression méthodique du monopole.
Charles Lavollée — Richard Cobden -
La vitalité de ma mère, son extraordinaire volonté, me poussaient cependant en avant et, en vérité, ce n’était pas moi qui errais ainsi d’avion en avion, mais une vieille dame résolue, vêtue de gris, la canne à la main et une gauloise aux lèvres, qui était décidée à passer en Angleterre pour continuer le combat.
Romain Gary — La promesse de l’aube -
La circulation est à peu près fluide. Cela n’empêche pas quelques Parisiens survoltés d’user leurs nerfs sur les phares et le klaxon, qu’ils tamponnent d’un poing rageur. Yves les regarde s’agiter dans leurs caisses à roulettes comme s’il découvrait des Martiens.— Se passer la rate au court-bouillon pour gagner trois minutes, faut vraiment être taré…
Évane Hanska — Le crime du Père-Lachaise -
Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre; il dort peu, et d’un sommeil fort léger; il est abstrait, rêveur, et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide: il oublie de dire ce qu’il sait, ou de parler d’événements qui lui sont connus; et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour leur rendre de petits services. Il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide. Il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre; il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde. Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n’être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau; il n’y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu. Si on le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège; il parle bas dans la conversation, et il articule mal; libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il n’ouvre la bouche que pour répondre; il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c’est à l’insu de la compagnie: il n’en coûte à personne ni salut ni compliment. Il est pauvre.
Phédon — « Des Biens de fortune » -
Comment, d’un déguisement parfait parce qu’il semble que sa porteuse n’a de réalité que déguisée, peut-on passer à une aussi parfaite absence de déguisement ? Mystère et boule de gomme : voilà ce que, présente, me soufflerait peut-être Wang Yuen-chen, à qui l’un de mes compagnons avait appris cette locution, dont elle usait un peu à tort et à travers sans cesser de s’en amuser.
Michel Leiris — La Règle du jeu -
C’est le 28 septembre que je suis venu au monde. Il me serait très-agréable de passer ce jour-là en votre compagnie ; à bon entendeur salut.
Prosper Mérimée — Lettres à une inconnue -
Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu n’eusses reçu ma lettre, tout serait changé.Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger; il s’imagine que c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies.Quelquefois, les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient cette place : les talons faisaient un piédestal, qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir les portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement, et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur le visage une quantité prodigieuse de mouches1, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois, les femmes avaient de la taille et des dents ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le Monarque pourrait même parvenir à rendre la Nation grave, s’il l’avait entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la Cour; la Cour, à la Ville, la Ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717
Montesquieu — Lettres persanes -
Encore chauds du foie gras des fêtes, ils ont des chances de passer l’hiver. Quand on a compris que les mots sont beaucoup plus grands que les maux, eh bien, ça va, même par un froid de loup qui n’est qu’un froid de canard.
Louis Pauwels — Le Droit de parler -
Dans cette œuvre, l’auteur imagine le personnage d’Émile, un enfant qu’il aurait à élever. Il expose ainsi les principes qui le guideraient pour lui faire découvrir la vie et le monde. Je ne conçois qu’une manière de voyager plus agréable que d’aller à cheval ; c’est d’aller à pied. On part à son moment, on s’arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d’exercice qu’on veut. On observe tout le pays ; on se détourne à droite, à gauche ; on examine tout ce qui nous flatte ; on s’arrête à tous les points de vue. Aperçois-je une rivière, je la côtoie ; un bois touffu, je vais sous son ombre ; une grotte, je la visite ; une carrière, j’examine les minéraux. Partout où je me plais, j’y reste. À l’instant que je m’ennuie, je m’en vais. Je ne dépends ni des chevaux ni du postillon. Je n’ai pas besoin de choisir des chemins tout faits, des routes commodes ; je passe partout où un homme peut passer ; je vois tout ce qu’un homme peut voir ; et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir. Si le mauvais temps m’arrête et que l’ennui me gagne, alors je prends des chevaux. Si je suis las... Mais Émile ne se lasse guère ; il est robuste ; et pourquoi se lasserait-il ? Il n’est point pressé. S’il s’arrête, comment peut-il s’ennuyer ? Il porte partout de quoi s’amuser. Il entre chez un maître, il travaille ; il exerce ses bras pour reposer ses pieds. Voyager à pied, c’est voyager comme Thalès, Platon et Pythagore. J’ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement, et s’arracher à l’examen des richesses qu’il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue. Qui est-ce qui, aimant un peu l’agriculture, ne veut pas connaître les productions particulières au climat des lieux qu’il traverse, et la manière de les cultiver ? Qui est-ce qui, ayant un peu de goût pour l’histoire naturelle, peut se résoudre à passer un terrain sans l’examiner, un rocher sans l’écorner, des montagnes sans herboriser, des cailloux sans chercher des fossiles ? Vos philosophes de ruelles étudient l’histoire naturelle dans des cabinets ; ils ont des colifichets ; ils savent des noms, et n’ont aucune idée de la nature. Mais le cabinet d’Émile est plus riche que ceux des rois ; ce cabinet est la terre entière. Chaque chose y est à sa place : le naturaliste qui en prend soin a rangé le tout dans un fort bel ordre : Daubenton ne ferait pas mieux. Combien de plaisirs différents on rassemble par cette agréable manière de voyager ! sans compter la santé qui s’affermit, l’humeur qui s’égaye. J’ai toujours vu ceux qui voyageaient dans de bonnes voitures bien douces, rêveurs, tristes, grondants ou souffrants ; et les piétons toujours gais, légers et contents de tout. Combien le cœur rit quand on approche du gîte ! Combien un repas grossier paraît savoureux ! Avec quel plaisir on se repose à table ! Quel bon sommeil on fait dans un mauvais lit ! Quand on ne veut qu’arriver, on peut courir en chaise de poste ; mais quand on veut voyager, il faut aller à pied.
Jean-Jacques Rousseau — Émile ou de l’éducation -
Que votre détrempe soit assez liquide, et qu'elle puisse passer à travers une cuillère percée.
Viard — Cuisine royale -
Ces littérateurs sont comme les tonneaux des Danaïdes : ils laissent passer toute l’humanité.
Jules Renard — Journal 1887-1910 -
L’irrévérencieux courtisan et photographe zélé, soudain impatient et affairé plus que la mouche du coche, nous poussant, se répandant, saluant à la ronde avec importance, faisant mille et mille courbettes pour ne pas passer inaperçu.
Blaise Cendras — Bourlinguer -
Il [le cinéma, NDLR] est aussi un entre chien et loup, modalité de passage du jour à la nuit. Une heure trente ou deux heures pour oublier le jour, une heure trente ou deux heures pour reculer la nuit. Par la salle de cinéma, passer de la ville-jour à la ville-nuit.
Alain Fleischer — Écrits sur le cinéma et la photographie -
Je me rappelle le jour où j’ai compris que j’étais devenu adulte. Je vivais déjà avec Marie, nous avions Agustín depuis deux ou trois ans, je travaillais depuis des années comme je le fais toujours plus ou moins aujourd’hui, charpentier ici et là, bricoleur à droite et à gauche, électricien quand il faut, plombier ou même jardinier si on me le demande, ni trop souvent ni trop peu, juste ce qu’il faut pour maintenir le juste équilibre, rapporter à la maison ma part de revenus et me garder du temps à moi, ne pas me perdre tout entier en chantiers. Marie était déjà traductrice, traduisait déjà Lodoli et d’autres auteurs qu’elle aimait. C’est-à-dire que notre vie était déjà à peu près ce qu’elle est maintenant, et que nous en étions satisfaits, nous songions souvent que nous avions de la chance, nous nous plaisions à V., nous avions des amis, nous sentions que c’était un endroit où nous étions susceptibles de rester un bon moment encore, bref nous allions bien.Et un matin je me suis levé et je me suis dit que ça y est, tu es grand. J’ai réalisé qu’il fallait que j’arrête de me répéter ces mots, plus tard quand je serai grand. Que c’était fait : j’étais grand. Je l’étais devenus à mon insu. Sans que personne vienne me prévenir. J’ai compris qu’il n’y aurait pas d’épreuve. Pas de monstre à vaincre ni de noeud à trancher. Pas de coup de gong solennel. Pas de voix paternelle pour me souffler à l’oreille ces mots, c’est maintenant, t’y voilà. J’ai compris qu’il n’y aurait nulle ligne à franchir. Nul cap à passer. Nul obstacle à surmonter. Qu’être grand simplement désormais ce serait ça : la continuation de ce présent, de cette lente translation, de ce glissement presque imperceptible, seulement décelable à l’érosion de certaines de mes facultés, au grisonnement de mes tempes et de celles de Marie, à notre renoncement de plus en plus fréquent à telle ou telle folie qui autrefois nous aurait semblé le sel même de la vie, à la taille chaque année accrue d’Agustín, à son énergie toujours plus fascinante. À son appétit d’ogre lui aussi décidé à nous dévorer chaque jour un peu plus.J’ai réalisé qu’il ne se passerait rien. Qu’il n’y avait rien à attendre. Que toujours ainsi les semaines continueraient de passer, que le temps continuerait d’être cette lente succession d’années plus ou moins investies de projets, de désirs, d’enthousiasmes, de soirées plus ou moins vécues. De jours tantôt habités avec intensité, imagination, lumière, des jours pour ainsi dire pleins, comme on dit carton plein devant une cible bien truffée de plombs. Tantôt abandonnés de mauvais gré au soir venu trop tôt. Désertés par excès de fatigue ou de tracas. Perdus. Laissés vierges du moindre enthousiasme, De la moindre récréation, du moindre élan véritable. Jours sans souffle, concédés au soir trop tôt venu, à la nuit tombée malgré nos efforts pour différer notre défaite, et résignés alors nous marchons vers votre lit en nous jurant d’être plus rusés le lendemain – plus imaginatifs, plus éveillés, plus vivants.
Sylvain Prudhomme — Par les routes – L’Arbalète -
Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d’Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé.
Marcel Aymé — La Passe-Muraille -
On fait un match ? Naturellement. Ils sourient, comme si juste ils allaient passer un bon après-midi, alors que quelque chose est en cours qui transformera leur vie…
Mathieu Lindon — Merci -
On prétend que c'est la chose la moins mauvaise que la faiblesse humaine ait pu inventer... Bien inhumaine, pourtant, et inutile, à mon avis ! Plusieurs peuples, en cela moins « barbares » que les Grecs et les Romains, qui les appellent pourtant ainsi, estiment qu'il est horrible et cruel de faire souffrir et démembrer un homme, dont la faute n'est pas avérée. Que peut-il contre cette ignorance ? N'êtes-vous pas injustes, sous prétexte de ne pas le tuer sans raison, de lui faire subir quelque chose de pire encore que la mort ? Et pour preuve qu'il en est bien ainsi, voyez comment bien des fois il préfère mourir sans raison que de passer par cette épreuve. Elle est plus pénible que le supplice final lui-même, et bien souvent, tellement insupportable, qu'elle le devance et même l'exécute.Je ne sais d'où je tiens cette histoire, mais elle reflète bien la conscience dont sait faire preuve notre justice. Devant le Général d'armée, grand justicier, une villageoise accusait un soldat d'avoir enlevé à ses jeunes enfants ce peu de bouillie qui lui restait pour les nourrir, l'armée ayant tout ravagé. Mais pas de preuves !... Le Général somma la femme de bien considérer ce qu'elle disait, car elle devrait répondre de son accusation si elle mentait. Mais comme elle persistait, il fit alors ouvrir le ventre du soldat pour connaître la vérité. Et la femme se trouva avoir raison. Voilà bien une condamnation instructive.
Michel de Montaigne — Les essais -
La science n’a d’ennemis que ceux qui jugent la vérité inutile et indifférente, et ceux qui, tout en conservant à la vérité sa valeur transcendante, prétendent y arriver par d’autres voies que la critique et la recherche rationnelle. Ces derniers sont à plaindre, sans doute, comme dévoyés de la droite méthode de l’esprit humain ; mais ils reconnaissent au moins le but idéal de la vie ; ils peuvent s’entendre et jusqu’à un certain point sympathiser avec le savant. Quant à ceux qui méprisent la science comme ils méprisent la haute poésie, comme ils méprisent la vertu, parce que leur âme avilie ne comprend que le périssable, nous n’avons rien à leur dire. Ils sont d’un autre monde, ils ne méritent pas le nom d’hommes, puisqu’ils n’ont pas la faculté qui fait la noble prérogative de l’humanité. Aux yeux de ceux-là, nous sommes fiers de passer pour des gens d’un autre âge, pour des fous et des rêveurs ; nous nous faisons gloire d’entendre moins bien qu’eux la routine de la vie, nous aimons à proclamer nos études inutiles ; leur mépris est pour nous ce qui les relève. Les immoraux et les athées, ce sont ces hommes, fermés à tous les airs venant d’en haut. L’athée, c’est l’indifférent, c’est l’homme superficiel et léger, celui qui n’a d’autre culte que l’intérêt et la jouissance. L’Angleterre, en apparence un des pays du monde les plus religieux, est en effet le plus athée car c’est le moins idéal. Je ne veux pas faire comme les déclamateurs latins le convicium seculi. Je crois qu’il y a dans les âmes du XIXe siècle tout autant de besoins intellectuels que dans celles d’aucune autre époque, et je tiens pour certain qu’il n’y a jamais eu autant d’esprits ouverts à la critique.
L'Avenir de la science — Ernest Renan -
Lettre LIX de monsieur D'Orbe à Julie Je me hâte, mademoiselle, selon vos ordres, de vous rendre compte de la commission dont vous m'avez chargé. Je viens de chez milord Edouard, que j'ai trouvé souffrant encore de son entorse, et ne pouvant marcher dans sa chambre qu'à l'aide d'un bâton. Je lui ai remis votre lettre, qu'il a ouverte avec empressement ; il m'a paru ému en la lisant : il a rêvé quelque temps ; puis il l'a relue une seconde fois avec une agitation plus sensible. […]Lettre LX à Julie Calme tes larmes, tendre et chère Julie ; et, sur le récit de ce qui vient de se passer, connais et partage les sentiments que j'éprouve. J'étais si rempli d'indignation quand je reçus ta lettre, qu'à peine pus-je la lire avec l'attention qu'elle méritait. J'avais beau ne la pouvoir réfuter, l'aveugle colère était la plus forte. Tu peux avoir raison, disais-je en moi-même, mais ne me parle jamais de te laisser avilir. Dussé-je te perdre et mourir coupable, je ne souffrirai point qu'on manque au respect qui t'est dû ; et, tant qu'il me restera un souffle de vie, tu seras honorée de tout ce qui t'approche comme tu l'es de mon cœur. […]
Jean-Jacques Rousseau — Julie ou la nouvelle Héloïse -
Je baisse les yeux. Je la fuis. Je les relève. Je trouve les tiens. Je trouve les tiens dans ceux de cette femme. Je les fixe. Je crois que je leur souris et la femme alors cesse de passer sa main sur son front et me regarde.
Philippe Claudel — J'abandonne -
Voici le plan qu’il avait arrêté. Il devait tout doucement gagner la chambre de Washington Otis, pousser des cris d’orfraie au pied de son lit, puis par trois fois se passer la dague dans la gorge au son d’une musique grave.
Oscar Wilde — Le Fantôme des Canterville et autres contes -
On voit, on sent passer près de sa tête des éclats avec leur cri de fer rouge dans l’eau. À un coup, je lâche mon fusil, tellement le souffle d’une explosion m’a brûlé les mains. Je le ramasse en chancelant et repars tête baissée dans la tempête à lueurs fauves, dans la pluie écrasante des laves, cinglé par des jets de poussier et de suie.
Henri Barbusse — Le Feu -
Ce Conservatoire revenait assez fréquemment dans les entretiens de la sœur et du frère, quand Grégoire trouvait quelques jours à passer dans sa famille; ils n'en parlaient guère que comme d'un rêve impossible à réaliser
Franz Kafka — La Métamorphose -
Car, enfin, une femme qui trompe aussi facilement son mari, tu aurais pu te passer de la mettre sur un piédestal. Elle ne l'aimait pas, elle m'aimait, s'écria Richard. Mon pauvre garçon, soupira le docteur, ne recommence pas à confondre les mots et la vérité.
Joseph Kessel — La Fontaine Médicis -
Car s'il est vrai qu'à force de passer d'une ville à l'autre pour gagner ma vie de mes imitations, à force de m'égosiller dans les noces, les banquets et les cafés en racontant des histoires, je n'ai jamais eu l'heur de choisir une épouse, cela ne veut pas dire que j'ignore tout de la gent féminine.
Orhan Pamuk — Mon nom est Rouge -
En fait, le matérialisme dialectique ne peut se priver plus longtemps de la médiation privilégiée qui lui permet de passer des déterminations générales et abstraites à certains traits de l'individu singulier.
Jean-Paul Sartre — Questions de méthode -
À la fin de 1667, dès sa troisième pièce, Racine commençait à passer pour le seul digne de pouvoir être comparé un jour au Grand Corneille. Tous les contemporains, qu’ils eussent aimé ou détesté Andromaque, avaient senti que le jeune poète venait de créer un écart décisif par rapport à la norme tragique.
G. Forestier — Jean Racine -
Il prenait, au volant, les mêmes poses qu’il avait remarquées, étant gosse, chez les blancs qui, à l’époque coloniale, étaient seuls à se déplacer sur quatre roues ; il avait ainsi l’impression d’être libre et possesseur de ce secret qui avait permis au blanc d’en imposer au nègre. Il faisait rêver les enfants aux pieds nus qui le regardaient passer et prendre ses virages sur les chapeaux de roues.
Henri Lopes — La Nouvelle Romance -
Elle se demanda ce qu’elle allait faire maintenant, cherchant une occupation pour son esprit, une besogne pour ses mains. Elle n’avait point envie de redescendre au salon auprès de sa mère qui sommeillait ; et elle songeait à une promenade, mais la campagne semblait si triste qu’elle sentait en son cœur, rien qu’à la regarder par la fenêtre, une pesanteur de mélancolie.Alors elle s’aperçut qu’elle n’avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire. Toute sa jeunesse au couvent avait été préoccupée de l’avenir, affairée de songeries. La continuelle agitation de ses espérances emplissait, en ce temps-là, ses heures sans qu’elle les sentît passer. Puis, à peine sortie des murs austères où ses illusions étaient écloses, son attente d’amour se trouvait tout de suite accomplie. L’homme espéré, rencontré, aimé, épousé en quelques semaines, comme on épouse en ces brusques déterminations, l’emportait dans ses bras sans la laisser réfléchir à rien.Mais voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l’inconnu. Oui, c’était fini d’attendre.Alors plus rien à faire, aujourd’hui, ni demain ni jamais. Elle sentait tout cela vaguement à une certaine désillusion, à un affaissement de ses rêves.Elle se leva et vint coller son front aux vitres froides. Puis, après avoir regardé quelque temps le ciel où roulaient des nuages sombres, elle se décida à sortir.Étaient-ce la même campagne, la même herbe, les mêmes arbres qu’au mois de mai ? Qu’étaient donc devenues la gaieté ensoleillée des feuilles, et la poésie verte du gazon où flambaient les pissenlits, où saignaient les coquelicots, où rayonnaient les marguerites, où frétillaient, comme au bout de fils invisibles, les fantasques papillons jaunes ? Et cette griserie de l’air chargé de vie, d’arômes, d’atomes fécondants n’existait plus.Les avenues, détrempées par les continuelles averses d’automne, s’allongeaient, couvertes d’un épais tapis de feuilles mortes, sous la maigreur grelottante des peupliers presque nus. Les branches grêles tremblaient au vent, agitaient encore quelque feuillage prêt à s’égrener dans l’espace. Et sans cesse, tout le long du jour, comme une pluie incessante et triste à faire pleurer, ces dernières feuilles, toutes jaunes maintenant, pareilles à de larges sous d’or, se détachaient, tournoyaient, voltigeaient et tombaient.
Maupassant — Une vie -
Quelque méritantes que puissent être, au point de vue du patriotisme, les œuvres dont je viens de passer la revue, elles ne témoignent cependant d’aucun effort artistique sérieux…
Huysmans — Art moderne -
Freud, paraît-il, n’aimait pas le téléphone, lui qui aimait, cependant, écouter. Peut-être sentait-il, prévoyait-il, que le téléphone est toujours une cacophonie, et que ce qu’il laisse passer, c’est la mauvaise voix, la fausse communication ? Par le téléphone, sans doute, j’essaye de nier la séparation – comme l’enfant redoutant de perdre sa mère joue à manipuler sans relâche une ficelle ; mais le fil du téléphone n’est pas un bon objet transitionnel, ce n’est pas une ficelle inerte ; il est chargé d’un sens, qui n’est pas celui de la jonction, mais celui de la distance : voix aimée, fatiguée, entendue au téléphone : c’est le fading dans toute son angoisse. Tout d’abord, cette voix, quand elle me vient, quand elle est là, quand elle dure (à grand-peine), je ne la reconnais jamais tout à fait ; on dirait qu’elle sort de dessous un masque (ainsi, dit-on, les masques de la tragédie grecque avaient une fonction magique : donner à la voix une origine chthonienne, la déformer, la dépayser, la faire venir de l’au-delà souterrain). Et puis, l’autre y est toujours en instance de départ ; il s’en va deux fois, par sa voix et par son silence : à qui est-ce de parler ? Nous nous taisons ensemble : encombrement de deux vides. Je vais te quitter, dit à chaque seconde la voix du téléphone.
Roland Barthes — Fragments d’un discours amoureux -
On l’admet en linguistique aujourd’hui, je n’existe que dans le langage : l’homme qui ne parle pas donc ne saurait passer pour une première personne…
Louis Aragon — Blanche ou l’Oubli