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Cependant que la cloche éveille sa voix claireA l’air pur et limpide et profond du matinEt passe sur l’enfant qui jette pour lui plaireUn angelus parmi la lavande et le thym,Le sonneur effleuré par l’oiseau qu’il éclaire,Chevauchant tristement en geignant du latinSur la pierre qui tend la corde séculaire,N’entend descendre à lui qu’un tintement lointain.Je suis cet homme. Hélas ! de la nuit désireuse,J’ai beau tirer le câble à sonner l’Idéal,De froids péchés s’ébat un plumage féal,Et la voix ne me vient que par bribes et creuse !Mais, un jour, fatigué d’avoir enfin tiré,Ô Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai. Stéphane Mallarmé — Le Sonneur
Disons que Charles Baudelaire doit être considéré comme le véritable précurseur du mouvement actuel ; M. Stéphane Mallarmé le lotit du sens du mystère et de l’ineffable ; M. Paul Verlaine brisa en son honneur les cruelles entraves du vers que les doigts prestigieux de M. Théodore de Banville avaient assoupli auparavant. Jean Moréas — Manifeste du symbolisme
Le symbolisme, chez lui, s’égale à la conviction austère que la seule mission du poète, loin de tout message et de toute fiction, est de faire figurer l’absolu des choses dans un espace lui-même épuré des mots et des vers. Le symbole coïncide chez lui avec la définition qu’il donnait de l’acte poétique en général : “La merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole.” Henri Mitterand — Ibid
Entre ces deux personnages et les autres, Vautrin, l'homme de quarante ans, à favoris peints, servait de transition. Il était un de ces gens dont le peuple dit : Voilà un fameux gaillard ! Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d'un roux ardent. Sa figure, rayée par des rides prématurées, offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes. Sa voix de basse-taille, en harmonie avec sa grosse gaieté, ne déplaisait point. Il était obligeant et rieur. Si quelque serrure allait mal, il l'avait bientôt démontée, rafistolée, huilée, limée, remontée, en disant : Ça me connaît. " Il connaissait tout d'ailleurs, les vaisseaux, la mer, la France, l'étranger, les affaires, les hommes, les événements, les lois, les hôtels et les prisons. Honoré de Balzac — Le Père Goriot
Elle est petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses, avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir. Sa figure était une pomme pivoine prêt à fleurir, et là-dedans s’ouvraient, en haut, deux yeux noirs magnifiques, ombragés de grands cils épais qui mettaient une ombre dedans ; en bas, une bouche charmante, étroite, humide pour le baiser, meublée de quenottes luisantes et microscopiques. Guy de Maupassant — Boule de suif
Gertrude parle à tout le monde (c'était là sa grande joie) un langage tellement de tout le monde que tout le monde en sera surpris. Gertrude Stein — Trois vies
Et tout le monde se préoccupe, ne serait-ce que dans ses rêves, de la possibilité de devenir l'objet d'une pareille gloire (non pas celle du roi Vaclav qui fréquentait des bistros, mais celle du prince Charles caché dans sa baignoire au dix-septième sous-sol). Milan Kundera — La lenteur
Qui sait, une jolie nana allait peut-être avoir le béguin pour lui et se laisser persuader de venir prendre l'air en sa compagnie pour discuter art et littérature. Ralph Dennis — Premier couteau
Je continuais à interroger Andrée tandis qu'Albertine, par discrétion et pour me laisser (devinait-elle cela ?) tout le loisir de la questionner, prolongeait son déshabillage dans sa chambre. Marcel Proust — À la recherche du temps perdu
Je pouvais mettre ma main dans sa main, sur son épaule, sur sa joue, Albertine continuait de dormir. Je pouvais prendre sa tête, la renverser, la poser contre mes lèvres, entourer mon cou de ses bras, elle continuait à dormir comme une montre qui ne s'arrête pas, comme une bête qui continue de vivre quelque position qu'on lui donne... Marcel Proust — À la recherche du temps perdu
J’ai vu dans mes agendas et je me suis dit "Il faut que je construise, comme un espèce de fou dans sa cave, qui commence à construire une machine contre la mélancolie". France TV Info — Le monde d'Elodie. Stephan Eicher : "Je voulais partager une chanson sans un gramme
Continuant notre route nous passions devant un vieux château en pierre. Il dressait sa masse carrée sur une sorte de plateforme à flanc de montagne, avec des vignobles en terrasses, chaque cep attaché à un tuteur, les vignes sèches et brunes, et la terre prête pour la neige, et le lac tout en bas, plat et gris comme de l'acier. Ernest Hemingway — L'adieu aux armes
Tant de seaux d'eau que j'ai tirés au puits pour elleTant d'ardeur que j'ai fait paraître à la chérir plus que moi-mêmeTant de chaleur que j'ai soufferte à tourner la broche à sa placeTant de larmes que j'ai versées à ses genoux Molière — Le Bourgeois gentilhomme (Cléonte parle)
La famille était très pauvre, et aucun des enfants n’était assez âgé pour travailler et gagner sa vie. Une année, la famine fut si grande que ces pauvres gens pensèrent à se séparer de leurs enfants. Charles Perrault — Le Petit Poucet
Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître,De quelles nations le Ciel l'avait fait maître.Il manda donc par députésSes vassaux de toute nature,Envoyant de tous les côtésUne circulaire écriture,Avec son sceau. L’écrit portaitQu’un mois durant le Roi tiendraitCour plénière, dont l’ouvertureDevait être un fort grand festin,Suivi des tours de Fagotin.Par ce trait de magnificenceLe Prince à ses sujets étalait sa puissance. Jean de La Fontaine — La Cour du Lion
Les heures passèrent. Dehors, il pleuvait une complainte d’adieux. Elle se farda, utilisa des étoffes, se déguisa. Durant toute la nuit, une ingéniosité diabolique peupla la chambre de femmes venues de toutes contrées, insinuantes, expertes ou naïves, tourmentées, buveuses de saccades. Vers le matin, les femmes disparurent et deux hommes s’effrénaient devant le grand miroir au flamboiement des bûches.L’épuisement passé, il se leva, toucha distraitement les seins d’Adrienne.– Ils te plaisent ? Lui demanda-t-elle avec une maternité étrange. Tu vois, ils commencent à tomber. Je suis devenue une vieille femme. (Songeant à la jeune rivale, elle écrasa, abaissa les seins.) Encore mieux ainsi. (Elle rit.) Je suis vieille. Il faut aller de plus en plus souvent chez le dentiste. Et tout le reste ! Les articulations qui craquent, les cheveux qui se dessèchent, la peau si glorieuse à quatre heures du matin, l’haleine. Je suis fâchée de te faire de la peine. Mon pauvre chéri qui boude.Elle rit. Mais Solal n’écoutait pas et songeait à Aude. Pourquoi, lorsqu’elle était entrée avec son père, avait-il accentué le balancement maudit et avait-il feint de ne pas la reconnaître ? Il n’était même pas fou, il était lucide à ce moment-là. Quel démon plus fort que lui l’avait possédé à ce moment ? Et il ne la verrait plus. Ô son regard, le soir des grandes fiançailles, le geste gauche et le sourire timide avec lesquels elle s’était dévoilée. Quel démon l’avait poussé à hausser les épaules, à faire ce sourire peureux ? Et maintenant, elle gardait l’image dégoûtante de ces deux balanceurs d’Orient qui crevaient de peur devant la fille d’Europe.Il effaça cette pensée, ne voulu pas savoir ce qu’il allait faire et ouvrit le tiroir. Mais elle fut plus prompte que lui, s’élança, saisit sa main, et le revolver qu’il tenait. La balle effleura le front qui saigna. Il s’abattit.La femme nue prit sur ses genoux l’homme nu. Elle baisa les deux plaies, le calma, le berça tout en songeant que la nuit, depuis si longtemps prévue par elle, était arrivée, nuit pareille aux nuits des hivers passés et des hivers qui viendraient lorsqu’elle ne serait plus.Elle regardait le beau corps blessé et il lui semblait tenir sur ses genoux un grand fils évanoui, irresponsable, frappé par les hommes, condamné, trop vivant, irrémédiablement vaincu. Elle pensait à sa propre vie manquée. Elle n’avait pas su se faire aimer. Elle n’avait jamais rien su. Peut-être la faute de son père et l’effroi qu’elle avait de lui dans son enfance ? Cette paralysie, cette passivité. Les autres, celles qui savaient se faire aimer, étaient superficielles. Elle aurait pu aussi, mais elle avait préféré la servitude. Servante, depuis le soir où l’adolescent était entré dans sa chambre jusqu’à cette dernière nuit. Et maintenant impossible de recommencer. C’était l’autre, Aude, qui l’aurait. Si l’autre ne l’empêchait pas de vaincre, tout était bien. Il deviendrait Solal et un grand homme. Mais personne ne viendrait confier à sa tombe les victoires de l’aimé. Tout de même, elle aurait su avant les autres. Avant les autres, elle avait deviné l’attente et l’espoir de cet homme si simple, si bon en réalité, si pur et qui cachait sa naïveté sous des rires et des étrangetés. Et si elle se trompait, s’il devait n’être qu’un homme comme les autres hommes, du moins elle garderait son illusion jusqu’à la fin et personne non plus ne viendrait la détromper Albert Cohen — Solal – Éditions Gallimard 1930
Ainsi parle-t-il, triomphant, tandis que l’ombre couvre les yeux d’Iphition et que les chars des Achéens le déchirent sous les jantes de leurs roues, aux premiers rangs de la bataille. Aprèslui, Achille s’en prend à Démoléon, vaillant défenseur des siens au combat, fils d’Anténor. Il le pique à la tempe, en traversant son casque aux couvre-joues de bronze. Le casque de bronze n’arrête pas la pointe qui le perce, furieuse, et brise l’os ; la cervelle au dedans est toute fracassée : l’homme est dompté en plein élan. C’est ensuite Hippodamas –qui vient de sauter de son char et qui s’enfuit devant lui –qu’il frappe au dos de sa pique. L’homme exhale sa vie en un mugissement ; tel mugit le taureau que les jeunes gens traînent en l’honneur du seigneur d’Hélice et qui réjouit l’Ébranleur du sol ; c’est avec un mugissement pareil que sa noble vie abandonne ses os. Homère — L’Iliade
Il fallait juste qu’elle passe chez elle avant. Ses parents l’attendaient pour dîner. Sa mère avait préparé de la choucroute au poisson, son plat préféré. Elle ne pouvait pas leur faire faux bond. Elle repartirait après, par la fenêtre de sa chambre, pour ne pas avoir à leur dire qu’elle sortait. Franz-Olivier Giesbert — L’abatteur
Quand elle ressortit, elle tapota délicatement ses vêtements, lissa sur ses hanches sa robe froissée et refit le couloir avec les mêmes minauderies et le même air de Sainte Nitouche. Thomas Wolf — Le Temps et le fleuve - Chronique de la jeunesse et de sa faim
Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu'elle put trouver, et la porta à sa marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au bal. Sa marraine la creusa et, n'ayant laissé que l'écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré. Charles Perrault — Cendrillon