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Citations sur le ses - Page 5
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Tu vas voir si j'ai le poignet solide. Il se mit à le frotter de toutes ses forces.
Jean Giono — Le chant du monde -
Le sentiment qu'il ne regardait personne en particulier, que ses yeux si clairs, si pâles, d'un gris d'argent, ne distinguaient en nous que nous et, en nous, le plus lointain de nous-mêmes, ne me vint que plus tard comme une image rassurante, et il se peut que ce fût tout le contraire.
Maurice Blanchot — Le dernier homme -
On prétend que c'est la chose la moins mauvaise que la faiblesse humaine ait pu inventer... Bien inhumaine, pourtant, et inutile, à mon avis ! Plusieurs peuples, en cela moins « barbares » que les Grecs et les Romains, qui les appellent pourtant ainsi, estiment qu'il est horrible et cruel de faire souffrir et démembrer un homme, dont la faute n'est pas avérée. Que peut-il contre cette ignorance ? N'êtes-vous pas injustes, sous prétexte de ne pas le tuer sans raison, de lui faire subir quelque chose de pire encore que la mort ? Et pour preuve qu'il en est bien ainsi, voyez comment bien des fois il préfère mourir sans raison que de passer par cette épreuve. Elle est plus pénible que le supplice final lui-même, et bien souvent, tellement insupportable, qu'elle le devance et même l'exécute.Je ne sais d'où je tiens cette histoire, mais elle reflète bien la conscience dont sait faire preuve notre justice. Devant le Général d'armée, grand justicier, une villageoise accusait un soldat d'avoir enlevé à ses jeunes enfants ce peu de bouillie qui lui restait pour les nourrir, l'armée ayant tout ravagé. Mais pas de preuves !... Le Général somma la femme de bien considérer ce qu'elle disait, car elle devrait répondre de son accusation si elle mentait. Mais comme elle persistait, il fit alors ouvrir le ventre du soldat pour connaître la vérité. Et la femme se trouva avoir raison. Voilà bien une condamnation instructive.
Michel de Montaigne — Les essais -
Notre monde vient d'en trouver un autre (et qui nous garantit que c'est le dernier de ses frères, puisque les Démons, les Sibylles et nous, avons ignoré celui-ci jusqu'à cette heure ?) non moins grand, plein et fourni de membres que lui, toutefois si nouveau et si enfant qu'on lui apprend encore son a, b, c ; il n'y a pas cinquante ans qu'il ne savait ni lettre, ni poids, ni mesure, ni vêtements, ni céréales, ni vignes. Il était encore tout nu dans le giron de sa mère nourricière et ne vivait que par les moyens qu'elle lui fournissait.
Michel de Montaigne — Essais -
13 juillet.Non, je ne me trompe pas ; je lis dans ses yeux noirs un véritable intérêt pour ma personne et pour mon sort. Je le sens, et, là-dessus, j’ose me fier à mon cœur, elle…. Oh ! pourrai-je, oserai-je exprimer en ces mots le bonheur céleste ? … Je sens que je suis aimé.Je suis aimé ! … Et combien je me deviens cher à moi-même, combien…. J’ose te le dire, tu sauras me comprendre. Combien je suis relevé à mes propres yeux depuis que j’ai son amour ! … Est-ce de la présomption ou le sentiment de ce que nous sommes réellement l’un pour l’autre ? … Je ne connais pas d’homme dont je craigne quelque chose dans le cœur de Charlotte, et pourtant, lorsqu’elle parle de son fiancé, qu’elle en parle avec tant de chaleur, tant d’amour... je suis comme le malheureux que l’on dépouille de tous ses honneurs et ses titres, et à qui l’on retire son épée.16 juillet.Ah ! quel frisson court dans toutes mes veines, quand, par mégarde, mes doigts touchent les siens, quand nos pieds se rencontrent sous la table ! Je me retire comme du feu, et une force secrète m’attire de nouveau…. Le vertige s’empare de tous mes sens. Et son innocence, son âme candide, ne sent pas combien ces petites familiarités me font souffrir. Si, dans la conversation, elle pose sa main sur la mienne, et si, dans la chaleur de l’entretien, elle s’approche de moi, en sorte que son haleine divine vienne effleurer mes lèvres... je crois mourir, comme frappé de la foudre…. Wilhelm, et ce ciel, cette confiance, si j’ose jamais... Tu m’entends…. Non, mon cœur n’est pas si corrompu. Faible ! bien faible !... Et n’est-ce pas de la corruption ?
Johann Wolfgang von Goethe — Les Souffrances du jeune Werther -
[…] Ennemonde n'est pas un poids mort, c'est un poids vivant de ses regards (toujours si beaux !), de sa chaleur, de son intelligence précise, dont elle a donné tout le long du jour des quantités de preuves et qu'on sent en train de s'intéresser au fait qu'ils sont trois hommes, dont deux de ses fils, à la tripoter. Cet ensemble fait beaucoup plus de cent trente-cinq à cent quarante kilos. Enfin ils l'étendent sur le lit de sangles
Jean Giono — Ennemonde et autres caractères -
À la sortie de la gare d’arrivée, je chaussai mes skis et descendis prendre un fil-neige qui me mena en haut des pentes du Bochor. J’attendis André et Philippe. Mais, ne les voyant pas arriver, je piquai schuss vers la gare d’arrivée. Je les retrouvai près du fil neige. André avait quelques difficultés avec ses fixations de sécurité. Finalement, il parvint à les régler correctement. Nous montâmes l’un derrière l’autre.
Michel Joseph — D’un cœur égal -
Ainsi Damoclès se croyait le plus fortuné des hommes, lorsque tout d'un coup, au milieu du festin, il aperçut au-dessus de sa tète une épée nue, que Denys y avait fait attacher, et qui ne tenait au plancher que par un simple crin de cheval. Aussitôt les yeux de notre bienheureux se troublèrent : ils ne virent plus, ni ces beaux garçons, qui le servaient, ni la magnifique vaisselle qui était devant lui : ses mains n'osèrent plus toucher aux plats : sa couronne tomba de sa tête. Que dis-je? Il demanda en grâce au tyran la permission de s'en aller, ne voulant plus être heureux à ce prix. Pouvez-vous désirer rien de plus fort, rien qui prouve mieux que Denys lui-même sentait qu'avec de continuelles alarmes on ne goûte nul plaisir ?
Tusculanes — V -
Le monde est juste, il n'accorde les honneurs de son intérêt qu'aux sentiments vrais. Béatrix jouant la comédie est jugée comme une actrice de second ordre. Sa fuite n'était autorisée par aucune contrariété. L'épée de Damoclès ne brillait pas au milieu de ses fêtes...
Balzac — Béatrix -
Comme François Dosse chacun a tendance à voir midi à sa porte et à considérer l'entreprise à l'aune de ses propres recherches, on peut à l'infini écrire sur ce qu'il n'y a pas dans ce travail de plus de mille pages ou refaire le livre que l'on aurait voulu écrire.
Revue Le Débat (n° 73) — Gallimard -
Au début, il comptait ses allers-retours. Maintenant il oublie, il avance, concentré sur son seul mouvement. L'arrêt est toujours brutal.
Béatrice Commengé — Et il ne pleut jamais -
Le vieux (...) pleurait de rage de voir que ses canonniers l'avaient laissé. Cependant, vers le soir, il lui en revint quelques-uns à l'heure de la paye.
A. Daudet — Contes lundi -
Les Enfants du paysan« Les enfants d'un paysan ne parvenaient pas à s'entendre. Malgré ses instances, comme il ne trouvait pas de mots pour les persuader de s'amender, il résolut d'illustrer son propos, et leur demanda de lui apporter un faisceau de baguettes. Lorsqu'ils se furent exécutés, il leur rendit tout d'abord les baguettes liées ensemble, puis leur ordonna de les briser : ses enfants redoublèrent d'efforts, mais n'y parvinrent pas. Alors, après les avoir déliées, il leur donna les baguettes l'une après l'autre : ils les rompirent sans difficulté. « Vous aussi, mes enfants », conclut le paysan, « si vous vivez en bonne intelligence, vous n'offrirez aucune prise à vos ennemis ; mais si vous êtes brouillés, vous leur serez une proie facile ! »La fable montre qu'autant l'union fait la force, autant la discorde est aisément vaincue. »
Ésope — Fables -
Le Vieillard et ses enfantsToute puissance est faible, à moins que d'être unie :Écoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.Si j'ajoute du mien à son invention,C'est pour peindre nos mœurs, et non point par envie ;Je suis trop au-dessous de cette ambition.Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire ;Pour moi, de tels pensers me seraient malséants.Mais venons à la fable ou plutôt à l'histoireDe celui qui tâcha d'unir tous ses enfants.Un vieillard prêt d'aller où la mort l'appelait :« Mes chers enfants, dit-il (à ses fils il parlait),Voyez si vous romprez ces dards* liés ensemble ; (*lances, flèches)Je vous expliquerai le nœud qui les assemble. »L'aîné les ayant pris et fait tous ses efforts,Les rendit, en disant : « Je le donne aux plus forts. »Un second lui succède, et se met en posture ;Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure.Tous perdirent leur temps ; le faisceau résista :De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata.« Faibles gens ! dit le père, il faut que je vous montreCe que ma force peut en semblable rencontre. »On crut qu'il se moquait ; on sourit, mais à tort :Il sépare les dards, et les rompt sans effort.« Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde :Soyez joints, mes enfants, que l'amour vous accorde. »Tant que dura son mal, il n'eut autre discours.Enfin, se sentant prêt de terminer ses jours :« Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères.Adieu, promettez-moi de vivre comme frères ;Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant. »Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.Il prend à tous les mains ; il meurt ; et les trois frèresTrouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'affaires.Un créancier saisit, un voisin fait procès :D'abord notre trio s'en tire avec succès.Leur amitié fut courte autant qu'elle était rare.Le sang les avait joints ; l'intérêt les sépare :L'ambition, l'envie, avec les consultants,Dans la succession entrent en même temps.On en vient au partage, on conteste, on chicane :Le juge sur cent points tour à tour les condamne.Créanciers et voisins reviennent aussitôt,Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.Les frères désunis sont tous d'avis contraire :L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tardProfiter de ces dards unis et pris à part.
Jean de La Fontaine — Fables -
M. Leuwen réservait toutes les forces de l'esprit de ses députés pour cette idée difficile qu'il leur faisait conclure de mille faits différents ou que quelquefois il osait leur présenter directement : l'union fait la force. Si ce principe est vrai partout, il l'est surtout dans les assemblées délibérantes.
Stendhal — Lucien Leuwen -
Et sait-on précisément à quel endroit est son repaire ? C'est facile à voir en montant sur un rocher qui domine le marais, ses chemins sont tracés au milieu des roseaux brisés, et tous aboutissent à un centre, comme les rayons d'une étoile.
Alexandre Dumas — Pauline -
À l’heure dite, Cyrus releva ce point, et, en mettant l’un par l’autre avec le soleil deux arbres qui devaient lui servir de repères, il obtint ainsi une méridienne invariable pour ses opérations ultérieures.
Jules Verne — Île mystérieuse -
Pourtant ses journées lui paraissaient encore longues. Il n'avait pas encore détaché son temps d'une carcasse d'habitudes qui lui servaient de points de repère. Il n'avait rien à faire et son temps prenait alors toute son extension.
Albert Camus — La mort heureuse -
Une garde rapprochée est constituée de 4-5 « C-levels ». Chacun doit être choisi consciencieusement notamment pour ses valeurs qui doivent être les mêmes que le ou les fondateurs sous peine d’un disfonctionnement.
Maddyness — 22.03.2018 -
C’est à ses solidement bonnes qualités que je me suis attachée, et par bonheur je vous en avois parlé à Paris, car sans cela vous croiriez que l’enthousiasme d’une bonne réception m’auroit enivrée ; enfin je souhaiterai toujours à ceux que j’aimerai plus de charmes ; mais je me contenterai qu’ils aient autant de vertus
Lettres de Madame de Sévigné — de sa famille et de ses amis -
Modeste, impitoyable pour les dix martyrs qu’elle faisait, pria Canalis de lire une de ses pièces de vers.
Honoré de Balzac — Modeste Mignon -
Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage,Ou comme cestui-là qui conquit la toison,Et puis est retourné, plein d’usage et raison,Vivre entre ses parents le reste de son âge !Quand reverrai-je, hélas, de mon petit villageFumer la cheminée, et en quelle saisonReverrai-je le clos de ma pauvre maison,Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,Que des palais romains le front audacieux,Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,Et plus que l’air marin la douceur angevine.
Joachim du Bellay — Les Regrets -
Le Babylonien ses hauts murs vanteraEt ses vergers en l'air, de son EphésienneLa Grèce décrira la fabrique ancienne,Et le peuple du Nil ses pointes chantera :La même Grèce encor vanteuse publieraDe son grand Jupiter l'image Olympienne,Le Mausole sera la gloire Carienne,Et son vieux Labyrinth' la Créte n'oubliera :L'antique Rhodien élèvera la gloireDe son fameux Colosse, au temple de Mémoire :Et si quelque oeuvre encor digne se peut vanterDe marcher en ce rang, quelque plus grand facondeLe dira : quant à moi, pour tous je veux chanterLes sept coteaux romains, sept miracles du monde.
Du Bellay — Le Babylonien ses hauts murs vantera -
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :On a souvent besoin d'un plus petit que soi.De cette vérité deux Fables feront foi,Tant la chose en preuves abonde.Entre les pattes d'un lionUn rat sortit de terre assez à l'étourdie.Le roi des animaux, en cette occasion,Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.Ce bienfait ne fut pas perdu.Quelqu'un aurait-il jamais cruQu'un lion d'un rat eût affaire ?Cependant il advint qu'au sortir des forêtsCe lion fut pris dans des rets,Dont ses rugissements ne le purent défaire.Sire Rat accourut, et fit tant par ses dentsQu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.Patience et longueur de tempsFont plus que force ni que rage.L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits.
Jean de La Fontaine — Le Lion et le Rat -
Une souris trottinait sur le corps d’un lion endormi. Celui-ci s’éveilla, la saisit, et s’apprêta à la croquer. Mais la souris le supplia de la relâcher, lui disant que s’il l’épargnait, elle le payerait de retour ; le lion éclata de rire et la laissa partir. Peu après, il arriva que le lion dut son salut à la reconnaissance de la souris. Il fut en effet capturé par des chasseurs qui l’attachèrent à un arbre avec une corde ; alors, entendant ses gémissements, la souris vint ronger son lien et le détacha. « Naguère, tu t’es ri de moi » dit-elle, « parce que tu ne croyais pas que je m’acquitterais de ma dette : sache désormais qu’on trouve de la gratitude jusque chez les souris ! »La fable montre que dans les revers, les gens les plus puissants ont besoin des plus faibles.
Ésope — Le Lion et la Souris reconnaissante -
Une fourmi altérée était descendue dans une source pour y boire, et allait s’y noyer. Mais une colombe perchée sur un arbre voisin arracha et laissa tomber une feuille sur laquelle la fourmi put se mettre à l’abri. Là-dessus, un oiseleur s’approcha avec ses gluaux ajustés pour y prendre la colombe ; mais la fourmi débarqua et le mordit au pied. L’oiseleur, en sursautant, fit bouger ses gluaux et alerta la colombe, qui se sauva.Même les petites gens peuvent rendre de grands services à leurs bienfaiteurs.
Ésope — La Fourmi et la Colombe (traductions de Daniel Loayza) -
Je veux peindre la France une mère affligée, Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée. Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage Dont nature donnait à son besson l'usage ; Ce voleur acharné, cet Esaü malheureux, Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux, Si que, pour arracher à son frère la vie,Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie.[…] Ni les soupirs ardents, les pitoyables crisNi les soupirs ardents, les pitoyables cris,Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ;Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble.Leur conflit se rallume et fait si furieuxQue d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte ,Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;
Théodore Agrippa d’Aubigné — Je veux peindra la France (Les Tragiques) -
C'était bien là la besogne des démons, disperser ses pensées, obnubiler sa conscience, en l'assiégeant aux portes de la chair lâche et corrompue.
James Joyce — Portrait de l'artiste en jeune homme -
Mignonne, allons voir si la roseQui ce matin avoit descloseSa robe de pourpre au Soleil,A point perdu ceste vespréeLes plis de sa robe pourprée,Et son teint au vostre pareil.Las ! voyez comme en peu d’espace,Mignonne, elle a dessus la placeLas ! las ses beautez laissé cheoir !Ô vrayment marastre Nature,Puis qu’une telle fleur ne dureQue du matin jusques au soir !Donc, si vous me croyez, mignonne,Tandis que vostre âge fleuronneEn sa plus verte nouveauté,Cueillez, cueillez vostre jeunesse Comme à ceste fleur la vieillesseFera ternir vostre beauté.
Pierre de Ronsard — Mignonne allons voir si la rose -
Quand Gervaise s’éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n’était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d’une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d’une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d’homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales ; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d’habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d’un rose tendre. C’était la belle chambre de l’hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.
Émile Zola — L’Assommoir -
Ah! sous une feinte allégresseNe nous cache pas ta douleur!Tu plais autant par ta tristesseQue part ton sourire enchanteurÀ travers la vapeur légèreL’Aurore ainsi charme les yeux;Et, belle en sa pâle lumière,La nuit, Phoebé charme les cieux.Qui te voit, muette et pensive,Seule rêver le long du jour,Te prend pour la vierge naïveQui soupire un premier amour ;Oubliant l’auguste couronneQui ceint tes superbes cheveux,À ses transports il s’abandonne,Et sent d’amour les premiers feux !
Gérard de Nerval — Romance -
Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez.On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil,La sombre égalité du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;Car tous les hommes sont les fils du même père ;Ils sont la même larme et sortent du même œil.On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ;On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe.Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, noué des mille nœuds funèbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;Et soudain on entend quelqu’un dans l’infiniQui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchanteL’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sentFondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant,Tout notre être frémit de la défaite étrangeDu monstre qui devient dans la lumière un ange.
Victor Hugo — Ce qu’est la mort -
Sa poitrine frôlait son genou. Il ôta ses souliers, les prit de la main gauche, se releva et posa la main droite sur la rampe, les yeux levés sur la pâle brume rose qui semblait en suspens dans les ténèbres.
Jean-Paul Sartre — L'âge de raison -
Il mêla ses doigts à ceux de Nadine et se colla au sable chaud ; entre la mer nonchalante que le soleil décolorait et le bleu impérieux du ciel, il y avait du bonheur en suspens ; pour qu'il pût s'en saisir, il aurait peut-être suffi d'un sourire de Nadine [...]
Simone de Beauvoir — Les Mandarins -
« Rigaud? Qu'est-ce que vous lui voulez exactement ? » Il tenait sa cigarette entre ses doigts, le bras en suspens. « Je voudrais le voir. »
Patrick Modiano — Voyage de noces -
Enfin l’ouvrier a compris, il est las de tirer les marrons du feu pour l’U. R. S. S. et marque sa défiance au Parti qui voulait le dresser contre les institutions républicaines ; rassasié de violence, il retourne à son jardinet de banlieue, à la douceur tant vantée de ses mœurs.
Jean-Paul Sartre — Situations -
L'inconnu resta impassible. Il se mit à regarder modestement autour de lui, comme un chien qui, en se glissant dans une cuisine étrangère, craint d'y recevoir des coups. Par une grâce de leur état, les clercs n'ont jamais peur des voleurs ils ne soupçonnèrent donc point l'homme au carrick et lui laissèrent observer le local, où il cherchait vainement un siège pour se reposer, car il était visiblement fatigué. Par système, les avoués laissent peu de chaises dans leurs études. Le client vulgaire, lassé d'attendre sur ses jambes, s'en va grognant, mais il ne prend pas un temps qui, suivant le mot d'un vieux procureur, n'est pas admis en taxe.
Honoré de Balzac — Le colonel Chabert -
Frédéric, en face, distinguait l'ombre de ses cils. Elle trempait ses lèvres dans son verre, cassait un peu de croûte entre ses doigts ; le médaillon de lapis-lazuli, attaché par une chaînette d’or à son poignet, de temps à autre sonnait contre son assiette. Ceux qui étaient là, pourtant, n'avaient pas l'air de la remarquer. […] Plus il la contemplait, plus il sentait entre elle et lui se creuser des abîmes. Il songeait qu’il faudrait la quitter tout à l’heure, irrévocablement, sans en avoir arraché une parole, sans lui laisser même un souvenir !
Gustave Flaubert — L’éducation sentimentale -
L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour.
Émile Zola — Germinal -
Assis à la table desservie, Richard feuilletait un cours de droit. Daniel dessinait face à lui. Par la porte entrouverte arrivait le bruit que faisait Sophie en mettant de l’ordre dans la cuisine. Richard rejeta brusquement son cahier polycopié et dit « Je vais faire un tour » ? Le docteur glissa un regard vers son fils par-dessus ses lunettes et, alerté par le ton et l’expression de Richard, eut envie de lui demander « Où ? », se ravisa et, fidèle à la règle de ne jamais empiéter sur la liberté de son fils, murmura : « Bonne promenade, mon grand ».
Joseh Kessel — La Fontaine Médicis -
L’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière. Cette phrase convient merveilleusement à François d’Assise. On sait de lui peu de choses et c’est tant mieux. Ce qu’on sait de quelqu’un empêche de le connaître. Ce qu’on en dit, en croyant savoir ce qu’on dit, rend difficile de le voir. On dit par exemple : Saint-François-d’Assise. On le dit en somnambule, sans sortir du sommeil de la langue. On ne dit pas, on laisse dire. On laisse les mots venir, ils viennent dans un ordre qui n’est pas le nôtre, qui est l’ordre du mensonge, de la mort, de la vie en société. Très peu de vraie paroles s’échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n’ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre. L’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière. Dans cette phrase vous ne voyez ni l’ange ni l’enfant. Vous voyez le chien seulement, vous devinez son humeur joyeuse, vous le regardez suivre les deux invisibles : l’enfant – rendu invisible par son insouciance -, l’ange – rendu invisible par sa simplicité. Le chien, oui, on le voit. Derrière. À la traîne. Il suit les deux autres. Il les suit à la trace et parfois il flâne, il s’égare dans un pré, il se fige devant une poule d’eau ou un renard, puis en deux bonds il rejoint les autres, il recolle aux basques de l’enfant et de l’ange. Vagabond, folâtre. L’enfant et l’ange sont sur la même ligne. Peut-être l’enfant tient-il la main de l’ange, pour le conduire, pour que l’ange ne soit pas trop gêné, lui qui va dans le monde visible comme un aveugle en plein jour. Et l’enfant chantonne, raconte ce qui lui passe par la tête, et l’ange sourit, acquiesce – et le chien toujours derrière ces deux-là, tantôt à droite, tantôt à gauche. Ce chien est dans la Bible. Il n’y a pas beaucoup de chiens dans la Bible. Il y a des baleines, des brebis, des oiseaux et des serpents, mais très peu de chiens. Vous ne connaissez même que celui-là, traînant les chemins, suivant ses deux maîtres : l’enfant et l’ange, le rire et le silence, le jeu et la grâce. Chien François d’Assise.
Christian Bobin — Le Très-Bas -
Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,Le Poëte apparaît en ce monde ennuyé,Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmesCrispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :– « Ah ! que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères,Plutôt que de nourrir cette dérision !Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémèresOù mon ventre a conçu mon expiation !
Baudelaire — Bénédiction