Jean-Christophe Rufin : L'Abyssin - critique
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Quand on prend son Easyjet pour partir en weekend à Lisbonne - 183 kg de CO2 tout de même - qu’on ne se soucie guère des contrées du dessous et qu’on commande nonchalamment à l'hôtesse de l’air un Coca-Cola Zero à 3€, on est bien loin d’imaginer le périple que représentait une Ambassade dans un pays reculé, instrument essentiel de la grandeur de la France. C’est pourtant l’histoire que conte L’Abyssin de Jean-Christophe Ruffin, formidable épopée inspirée de la création de l’Ambassade de Louis XIV auprès du Négus, le Roi des Rois d’Abyssinie, qu’on nomme aujourd’hui Éthiopie.
Pour ce premier roman, d’une construction chronologique et d’une écriture à la fois classique et tout à fait accessible, l’auteur invite le lecteur au voyage entre le Caire, le Sinaï et la Cour de Versailles, grâce à une mélodie poétique et orientale dont on a du mal à se passer une fois les premières pages parcourues. Le personnage principal, Jean-Baptiste Poncet, est bien plus qu’un simple aventurier ; à la fois guérisseur de talent, amoureux des plantes, amoureux tout court, confiant de son destin, ami fidèle, honnête homme... Il est l’idéal typique du génie français.
Et lorsqu’il cède à l’injonction du Consul du Caire de partir à la mort (probable) pour établir une Ambassade en Abyssinie, celui-ci découvre que cette aventure dépasse bien plus que sa simple personne. Elle est amenée à lui forger une destinée exceptionnelle, lui qui aurait pu se contenter de soigner ses fidèles patients du Caire... Le bonheur est parfois à chercher là où on ne le voit pas, dans le feu ardent de notre désir de devenir quelqu'un d'autre. Le destin ne devient réel qu’au moment où on décide de le saisir en plein vol.
L’Abyssin est un livre délicieux qui rend hommage à nos premiers diplomates. Plus qu’un roman d’aventure, il questionne la prédication religieuse, illustre à la perfection la morale de La Fontaine “Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir”, fait l’éloge de la liberté et glorifie l’amour.
À l’image des aventures de Poncet, nous autres, humains du XXIème siècle, devrions certainement méditer les enseignements de ce livre et ne pas oublier que les épreuves de la vie sont certainement l’accès le plus probable à la félicitée.
Le livre : L'Abyssin de Jean-Christophe Rufin (Gallimard, 1997)
«Quelque chose, pourtant, lui disait qu’il pouvait réunir l’inconciliable, c’est-à-dire ne renoncer ni au désir qu’il avait de connaître l'Abyssinie et de s’y illustrer, ni à la tentation de conquérir l’inaccessible Alix de Maillet, dont tout en lui proclamait qu’elle n’avait été créée que pour le rencontrer et le rendre heureux.
"Voilà, pensa-t-il, c’est exactement cela. Il y a entre elle et moi d'extraordinaires obstacles ; seules d’extraordinaires circonstances peuvent les surmonter. Si j’étais resté au Caire, je ne l’aurais jamais vue, jamais approchée et rien n’aurait été possible. Mais la mission qui m’est confiée, en me faisant affronter de grands périls, peut m’assurer en retour un grand triomphe. Je vais en Abyssinie, je guéris le Négus, je reviens avec l’ambassade qu’on me demande, je l’accompagne à Versailles. Louis XIV me fait noble et le consul ne peut plus me refuser sa fille."
Il avait cru d’abord, sans enthousiasme, que sa mission servait seulement les desseins du Roi de France et du Pape. Maintenant, il réalisait qu’elle pouvait être aussi l’instrument de son bonheur. La chose devenait autrement sérieuse…»
Ce livre a reçu le prix Goncourt du premier roman et le prix Méditerranée.
- Nombre de pages : 704
- Prix : 10,90 euros
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L'auteur : Jean-Christophe Rufin
Écrivain, membre de l’Académie française, médecin, pionnier de l’action humanitaire, Jean-Christophe Rufin a conquis un large public avec ses romans, parmi lesquels L'Abyssin, Rouge Brésil (prix Goncourt 2001), Katiba, Le Collier rouge ou encore Check point.
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