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Tenir la dragée haute : définition et origine de l’expression

Quelle formule étonnante que cette expression, « tenir la dragée haute » ! À première vue, il ne semble ni très utile ni très significatif de porter aux nues cette délicieuse friandise, particulièrement appréciée lors des cérémonies de mariage.

Pourtant, cette locution imagée, typiquement française, traduit un sens bien spécifique. Mais alors, comment est-elle née, et depuis quand l’emploie-t-on dans la langue de Molière ?  Pour en percer les mystères, explorons dans cet article la définition et l’origine de l’expression « tenir la dragée haute ».

Définition de l’expression « tenir la dragée haute »

Lorsqu’on « tient la dragée haute » à quelqu’un, on cherche à affirmer sa supériorité sur cette personne. On impose ainsi sa présence, sa volonté ; on fait sentir à l’autre son ascendant, son autorité. 

L’expression traduit donc une attitude de fermeté, de résistance face à quelqu’un. Quelques locutions analogues, en français, revêtent un sens similaire.

  • Tenir tête à quelqu’un : résister, s’opposer avec sévérité.
  • Se livrer à un bras de fer : intimider l’adversaire en lui faisant montre d’une détermination sans faille.
  • Ne rien lâcher : poursuivre un combat coûte que coûte.

Toutefois, selon une autre acception de l’expression, « tenir la dragée haute » suggère également l’idée de laisser languir quelqu’un, en le maintenant dans un état d’attente et de frustration. On laisse alors patienter l’autre longuement, en lui promettant une récompense, sans pour autant la lui donner immédiatement. 

Cette conception plus sadique et cruelle de la locution comporte elle aussi des équivalences en français.

  • Laisser mijoter quelqu’un dans son jus : faire attendre quelqu’un avant d’intervenir.
  • Faire poireauter : laisser quelqu’un attendre longtemps, souvent inutilement.
  • Tenir en haleine : laisser l’autre dans l’incertitude et la crainte.

Origine de l’expression « tenir la dragée haute »

Deux pistes sont avancées par les linguistes pour expliquer les racines de l’expression « tenir la dragée haute », qui est apparue au XVIIIe siècle

La première hypothèse nous renvoie à un amusant jeu d’adresse pour enfants, qui se pratiquait à l’époque. Il s’agissait d’attraper à la bouche une dragée – cette fameuse confiserie à l’amande enrobée de sucre – elle-même suspendue à un fil. 

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Celui qui tenait ce fil avait alors tout le loisir d’agiter la friandise, la rapprochant pour mieux l’éloigner ensuite sous le nez des joueurs. Une véritable torture gourmande qui traduit tout à la fois l’idée d’autorité (celui qui tient la dragée a l’ascendant sur celui qui cherche à l’attraper) et celle de maintenir l’autre dans l’attente (la récompense est promise, mais pas donnée immédiatement).

L’autre hypothèse nous renvoie à la tradition équestre française. La formule ferait référence à la « dragie », une sorte de gourmandise pour chevaux, composée de froment et de sarrasin. Pour dresser l’animal à la tempérance, on disposait ces précieuses récompenses bien en vue dans les écuries ; mais en hauteur, et hors d’atteinte dans le râtelier. On n’en distribuait aux montures que quelques bouchées — juste ce qu’il fallait pour les faire saliver d’impatience.

Par glissement phonétique, ces « dragies » positionnées en hauteur seraient devenues des « dragées hautes » dans le langage courant. Là encore, on perçoit bien les deux définitions de l’expression : l’autorité exercée sur l’animal ; et la frustration engendrée par la proximité avec des friandises inaccessibles.

Depuis le XVIIIe siècle, l’usage de cette expression est de plus en plus fort, comme le témoigne l’analyse des occurrences de « la dragée haute » dans les textes publiés depuis 1700 :

Usage tenir la dragée haute
Fréquence d’usage de « la dragée haute » dans les publications depuis 1700. Source : Google Ngram / Gallicagram

Exemples de l’usage de l’expression « tenir la dragée haute »

Il ne s’agissait point de tendresse invertie mais d’une admiration et d’une affection sans borne qui furent aussitôt utilisées à leur profit par les deux gaillards. Ils me tenaient la dragée haute et je me fis leur valet.

Jean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre

Ma chère, reprit doucement Pauline, vous auriez l’idée de vous faire épouser, que vous ne vous y prendriez pas autrement. Il faudra bien que ça finisse, et il n’y a encore que le mariage, puisque vous ne voulez point de l’autre affaire. Écoutez, je dois vous prévenir que tout le monde a la même pensée oui, on est persuadé que vous lui tenez la dragée haute pour le mener devant M. le maire.

Émile Zola, Au Bonheur des Dames

Cette petite-là, vois-tu, il faut lui tenir la dragée haute, conclut-il. Tu vas me faire le plaisir de ne plus retourner la voir avant qu’elle ne te le demande. Et elle viendra te chercher, tu peux être sûr ; ou je ne m’appelle plus Léonard Beudot, et je veux n’avoir jamais encorné un mari.

Marcel Aymé, Brûlebois

À cette époque-là, Léonie et moi on était intimes. On dansait ensemble le kékouok à la Boîte à Dix Sous près de la République. On était jeunes, elle plus que moi, et on avait des robes à paillettes courtes au-dessus du genou, avec des bas noirs, aussi les amoureux on n’en manquait pas. Mais on leur tenait la dragée haute. On n’était pas des dévergondées. On savait choisir.

Raymond Queneau, Pierrot mon ami
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Nicolas Lafarge-Debeaupuis

Nicolas Lafarge-Debeaupuis

Nicolas Lafarge-Debeaupuis est rédacteur indépendant, et prête ses mots à différents médias et entreprises. Se décrivant volontiers comme « un geek avec une plume », il se sent dans son élément naturel lorsqu’il écrit sur des sites web tels que La langue française.

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Commentaires

coco

Bonjour et Merci,
de m'apporter autant,de finesses et de découvertes; des souvenirs d'apprentissages en famille ou scolaires et des connaissances ressurgissent en vous lisant, que de bons moments :)
Je vous souhaite une agréable journée
Corinne QUEVA
[email protected]

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