Colette : vie et œuvre
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Enfant sauvage, jeune fille indépendante, femme scandaleuse, Colette ne s’est jamais départie de son goût pour l’exhibition et la curiosité des choses de la vie. Il semble étonnant qu’on parle encore si peu de cette écrivaine qui figure parmi les plus grandes femmes de lettres et qui connut très tôt la notoriété.
Depuis l’époque où son mari, Willy, signait ses livres à sa place (la série des Claudine), jusqu’à la fin de sa vie, elle puise dans ses souvenirs une matière brute qu’elle orchestre avec sensibilité et finesse, témoignant de son amour du mot juste. Auteure prolifique, actrice de pantomime, modèle photo (on se souvient de la photographie où elle dévoile un sein), Colette a été reconnue à son époque. Elle fut d’ailleurs la première femme en France à recevoir des obsèques nationales.
Qui est Colette ?
Sidonie Gabrielle Colette naît le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne). Elle est la fille de Sidonie Landoty, femme anticonformiste et indépendante et de Jules Joseph Colette, ancien capitaine de zouaves et percepteur à Saint-Sauveur.
Sa mère, Sidonie, a déjà eu deux enfants d’un premier mariage (elle est veuve Robineau-Duclos) : Juliette (la « soeur aux cheveux longs » évoquée dans Le Maison de Claudine) et Achille, considéré comme un « aîné sans rivaux » adulé par sa mère, et enfin Léopold.
À cette fratrie, dont chacun des enfants suit tour à tour un parcours peu commun, Colette donne le surnom de « sauvages ». Sa mère joue un rôle central dans son éducation, puis dans sa vie. Considérée tout d’abord comme oppressante, elle devient, dans le roman Sido, la figure la plus importante de sa vie. Cette qui la surnommait son « joyau tout en or » lui a donné une éducation laïque, féministe et lui apprend l’art de l’observation.
La jeune Gabrielle fait son parcours scolaire à l’école laïque de Saint-Sauveur, elle se montre plutôt bonne élève. Elle reçoit en 1885 son certificat d’études primaires, puis en 1889 son brevet élémentaire. Colette s’intéresse jeune à la lecture des classiques et reçoit de son père, grand lecteur de journaux, des leçons de style.
De son côté, sa mère, « Sido », lui inculque l’amour de la nature, l’observation des choses simples du quotidien, que l’on retrouve dans l’écriture de la romancière.
Le legs capital que Colette recueillit de Sido, ce fut sa communion avec la faune et la flore, et à travers elles avec la langue dans son épaisseur sensuelle. Les grains d’avoine servant de baromètres, sa rose cuisse-de-nymphe-émue [...], la pluie qu’elle entend venir de Moutiers, les merles qui piquent les cerises, les roses dont elle relève le menton, c’est tout cela qui fait de Sido [...] la vraie initiatrice du rapport intime de l’écrivain avec la matière du monde et de la langue.
Antoine Compagnon, préface de Sido
En somme, elle passe une enfance heureuse et insouciante.
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Colette est encore jeune (en 1889) lorsqu’elle fait la connaissance d’Henri Gauthier Villars, alias Willy, lors d'un voyage à Paris. Elle est encore adolescente et lui est déjà un critique musical influent, séducteur compulsif et père d’un enfant (avec la femme d’Émile Cohl, Marie-Louise Servat). En 1893, Colette et Willy se marient. Il l’introduit dans les cercles littéraires et musicaux de la capitale (elle y rencontre Anatole France, Proust, Fauré, Debussy, Ravel, et se lie d’amitié avec Marcel Schwob, Sacha Guitry, Pierre Louys et celle qui devient sa meilleure amie, Marguerite Moreno).
Admirateur de ses talents d’écriture, il l’emploie comme prête-plume (son premier manuscrit date de 1893). C’est pourquoi la jeune écrivain signe du nom Colette Willy jusqu’en 1923. Elle rédige aussi des chroniques musicales dans La Cocarde, quotidien dirigé par Maurice Barrès.
En 1895, elle ébauche les premières épreuves de Claudine à l’école (publié en 1900), à la demande de Willy qui l’encourage à écrire ses souvenirs.
Un an, dix-huit mois après notre mariage, M. Willy me dit : – Vous devriez jeter sur le papier des souvenirs de l’école primaire. N’ayez pas peur des détails piquants, je pourrais peut-être en tirer quelque chose.
Mes apprentissages, 1936
Commence alors la série des Claudine : Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va, le tout publié sous le pseudo de Willy. Sous ce même nom, elle publie ensuite Minne et les Égarements de Minne.
En 1904, Colette marque son indépendance et affirme son nom d'écrivain en signant un premier ouvrage : Dialogues de bêtes, préfacé par Francis Jammes. En 1905, elle commence à prendre des cours de pantomime et rencontre, par l’entremise des milieux du spectacle et du music-hall, Mathilde de Morny, dite « Missy ».
A l’époque, les lesbiennes affichent des signes de masculinité. Ainsi, Missy ressemble trait pour trait à un homme : cheveux lissés à la gomina, pantalon, veste, cravate... En 1906, après sa séparation puis son divorce d’avec Willy, Colette entreprend une relation avec Missy, et s’installe avec elle. Elle joue aussi dans plusieurs pantomimes orientales, exposant ainsi sa libération sexuelle et morale.
Indépendance littéraire
En 1910, Colette rompt avec Missy et se met à collaborer avec le Matin. Elle a une liaison avec l’un des rédacteurs en chef, Henry de Jouvenel, et s’installe avec lui. Elle l’épouse en 1912 et a de lui son seul enfant, Colette Renée de Jouvenel, dite « Bel Gazou ».
La même année, Sido, sa mère, meurt. Colette n’ira pas à l’enterrement et enfouit son chagrin en remontant sur les planches. Entre 1908 et 1910, elle avait publié Les Vrilles de la vigne (un recueil de nouvelles) et La Vagabonde, qui lui assurent une certaine renommée dans les milieux littéraires. On commence à parler d’elle à l’Académie Goncourt, où elle a reçu deux voix pour les Vrilles de la vignes. Elle s’impose aussi petit à petit comme la seule femme dans un milieu majoritairement masculin. Sa mère lui écrit : « C’est très beau, car tu es la seule femme parmi tous ces coqs ».
Sa relation avec son mari s’étiole. Il la trompe régulièrement et elle initie une liaison avec son fils, Bernard Jouvenel, qui dure cinq ans : il est âgé de seize ans, elle en a près de quarante. Ces aventures lui inspirent son prochain roman : Le Blé en herbe, publié la même année que sa séparation avec Jouvenel Senior, en 1923.
Elle quitte donc le Matin et collabore régulièrement au Figaro, au Quotidien et à l'Éclair. Elle a publié Chéri en 1920, adapté au théâtre par Léopold Marchand, grande figure du théâtre de son temps. Elle collabore aussi avec Maurice Ravel pour la fantaisie lyrique l’Enfant et les sortilèges (1919-1925), dont elle écrit le feuillet.
Colette est désormais une écrivaine reconnue : elle poursuit sa production littéraire et journalistique. Il s’agit aussi de noter qu’un grand nombre de ses romans et nouvelles sont adaptés, de son vivant, au cinéma ou au théâtre.
En 1925, à Saint-Sauveur, une plaque portant l’inscription « ici, Colette est née » est posée sur la maison natale. En 1928 et 1929, elle publie La Naissance du jour, Le Voyage égoïste et La Seconde. Elle a rencontré son troisième mari entre-temps, Maurice Goudeket, avec lequel elle voyage beaucoup. Elle a aussi publié la première partie de Sido, livre-hommage à sa mère.
Dans les années 1930, elle publie Ces plaisirs, Prisons et paradis, La Chatte, puis Mes apprentissages (qui revient sur les années passées avec Willy, ce qu’il lui a transmis mais aussi la domination qu’il exerçait sur elle). En 1935, elle est élue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique au fauteuil d’Anna de Noailles. En 1945, elle devient la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt. Elle meurt en 1954. L’Église lui refuse des obsèques religieuses mais elle a des obsèques nationales, suivies d’une inhumation au Père Lachaise.
Ainsi disparut celle qui, atteinte par une forme de paralysie, ne quittait plus sa fenêtre lors des dernières années de sa vie. La postérité mit un certain temps à lui accorder la place qu’elle méritait.
Tantôt on la réduisit à la romancière de la nature, des bêtes et des fleurs, l'incomparable et inoffensive observatrice des araignées qui boivent du chocolat et des mimosas qui s'épanouissent, la providence des institutrices, tantôt à la demi-mondaine frivole, libertine, amorale, qui faisait de l'amour, de ses rages et de ses échecs, de ses perversions même, le sujet de « romans-à-ne-pas-mettre-entre-toutes-les-mains »…
Dictionnaire mondial des littératures, Larousse
L’oeuvre de Colette
Colette a été une écrivaine si fertile (articles, nouvelles, adaptations théâtrales et roman) qu’il semble difficile de dégager ses œuvres principales. Une chose est certaine : elle s’est distinguée des auteurs de son temps (Gide, Rolland, Giraudoux), par le choix de ses sujets et un style épuré et élevé.
Depuis la série des Claudine, jusqu’à Paradis terrestre (sa dernière œuvre parue en 1953), en passant par Dialogues de bêtes, qui consacra son nom, le talent de la romancière n’a jamais été démenti.
À travers la multiplicité des titres et des écrits se dessine en outre un projet de quête et de construction de soi, tout à la fois reflété et mis en scène dans l'écriture.
Dictionnaire mondial des littératures, Larousse
Son projet d’écriture est donc tout à la fois un projet existentiel : c’est en entrant dans la vie, dans le monde, qu’elle devient aussi écrivain, sous l’impulsion de son mari. Et la première étape n’est autre que celle du souvenir : de son enfance dans la campagne bourguignonne à sa découverte du Paris mondain en passant par les premiers émois amoureux.
La participation de Willy, si elle est moindre, n’en est pas pour autant négligeable : il ajoute à ses romans un « petit zeste de scandale destiné à assurer [leur] succès ». (Dictionnaire mondial des littératures, Larousse). Sa mère, Sido, qui détestait Willy, n’hésite pas non plus à le reconnaître elle-même : « Si tu n’avais pas vécu quelque temps avec ce phénomène, ton talent ne se serait pas révélé ».
La maturité littéraire
C’est avec le Dialogues de bêtes, préfacé par Francis Jammes, que Colette se libère du nom et de l’influence de Willy, en 1904, et en profite pour affirmer son style. « Ce que j’aime dans tes œuvres, c’est ce style qui n’appartient qu’à toi », écrit justement Sido à sa fille. Ce style, c’est celui d’une femme qui a appris à observer dans le détail et à choisir les mots avec un soin particulier, pour appeler les choses par leur nom. « Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne », déclare-t-elle.
C’est pourquoi toute son œuvre est infusée d’une forme d’éveil des sens à travers une peinture fidèle de la nature et de la vie quotidienne. Un extrait de Sido est révélateur de cette candeur, sûrement parce qu’elle y revient sur sa relation avec sa mère, personnage transcendé et transformé par l’exercice littéraire : « Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demis, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraise, les cassis et les groseilles barbues. »
Le souvenir occupe une place primordiale dans son œuvre. Des romans comme Sido, L'étoile Vesper ou Claudine à la maison puisent dans son enfance et son adolescence, tout comme Mes apprentissages. Lorsqu’elle parcours la France pendant six ans en tant qu’actrice de mime, elle continue d’écrire et puise dans cette errance pour trouver matière à réflexion (La Retraite sentimentale, 1907 ; l'Ingénue libertine, 1909 ; La Vagabonde, 1910 ; l'Envers du music-hall et les Vrilles de la vigne, 1913).
Il semble que Colette fasse exactement le contraire et que son écriture lui serve à aller au-devant du monde. La jeune fille, sa sensualité, ses premiers émois l'intéressent autant quand elle a presque l'âge de ses héroïnes que quand elle les a depuis longtemps quittées.
Dictionnaire mondial des littératures, Larousse
Le thème de l’intimité, des sentiments comme du corps, est aussi central dans son œuvre, sans pour autant verser dans la polémique politique. Elle figure parmi les grands écrivains femme de son siècle, comme le souligne Simone de Beauvoir, mais on lui reproche de ne pas s’être fait activiste de la cause des femmes.
Julia Kristeva, philologue et psychanalyste bulgare, considère (dans Le Génie féminin) que « le message non pas politique mais éthique de Colette se révèle dans sa conception de l’amour et dans son goût du style ». L’expérience est nécessaire dans le processus d’écriture de Colette, dont on ne peut que souligner les inspirations autobiographiques. Mais plutôt que de concevoir la création romanesque comme une possibilité de revivre le temps passé, elle s’en sert pour recréer, prendre à rebours la vie et la faire sienne.
Pour aller plus loin :