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Lecture-interview du Dicorona d'Olivier Auroy, éditions Intervalles

Pour certains, la prise de conscience a eu lieu au rayon surréalistiquement vide du papier toilette. 

Mais, pour Olivier Auroy, ce fut au rayon pâtes alimentaires, lorsqu'il a « assisté, nous explique-t-il, à une scène aussi comique que pathétique. Deux personnes se disputaient le dernier paquet de spaghettis bio. » Fusa alors chez l'auteur un premier mot-valise, PSYCHO-PÂTE, qui sera suivi de nombreux autres, tentant d'appréhender ces réalités nouvelles, inouïes, qui feraient désormais notre quotidien au temps du Covid. 

Ce sont ces mots, élaborés dans la fabrique du premier confinement, que nous propose son livre intitulé Dicorona, au sous-titre prometteur :  Pour que l'humour ait le dernier mot . 

Promesse tenue : une centaine de « mots-valises » – deux mots soudés l'un à l'autre par leur élément commun, tel « Dico-corona » – , nous restituent avec justesse et drôlerie des moments, des attitudes, des sensations nés dans le sillage de la pandémie. 

Ainsi, « racontaminer » qui condense une réalité médiatique devenue familière : raconter des fake news sur la contamination ! Ou l'« allergîte », cette soudaine intolérance à son domicile qu'on a tous développée en étant reclus. Ou encore le « calameeting », pour décrire cette conf-call du lundi matin qui tournait souvent au cauchemar. 

Vous vous esclaffez en en réclamant davantage ? 

Alors, prenez encore la « métrouille », qui sévit dans les transports en commun, l'« immobésité », qui nous a tous gratifiés de ses poignées d'amour, ou encore ce petit dernier, pour lequel j'ai eu un gros coup de cœur, le verbe « se promiscuiter », qui nous a fait nous saouler en petit comité et en catimini, au mépris des fameux gestes barrière ! Dans ce Dicorona, comme dans tout dictionnaire, chacun des mots créés est assorti d'une définition et illustré d'une citation qui a toute l'apparence d'avoir été saisie in vivo, et dont les noms des auteurs n'engendrent pas non plus la mélancolie (O. Merric, H. Deuzot, J. Rouette…).

Trois questions à Olivier Auroy sur le Dicorona

Olivier Auroy, source : Wikipedia

- Cela veut dire quoi, au juste, être un « onomaturge », puisque c'est ainsi que vous vous définissez ?

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Le terme d'onomaturge a été forgé par la linguiste Henriette Walter. En anglais, on parle de namer, et du naming. En français, on ne sait toujours pas très bien comment dénommer celui qui réalise cette activité de création. 

L'onomaturge est celui qui fabrique les mots. Je fais ce métier depuis vingt-cinq ans. C'est un métier méconnu et souvent même une étape dans le processus de création d'une marque qui est sous-estimée. Les gens pensent que donner un nom, c'est facile. Mais dès qu'ils sont confrontés au choix du prénom d'un enfant à naître, ils se rendent compte à quel point c'est compliqué !

Un travail de démiurge qui, en nommant une chose, lui permet d'exister. Je dirais que, pour l'exercer, si on a eu la chance d'avoir pour grands-pères un champion de Scrabble et un cruciverbiste acharné, cela peut aider, mais il faut assurément se passionner pour les mots et être doté, sans mauvais jeu de mots, des deux « cu » ! Je veux parler d'une bonne culture générale et d'une grande curiosité. Mais il faut aussi avoir la capacité à établir des connexions que personne ne voit entre des choses qui n'ont pas de rapport entre elles, des connexions phonétiques (allitération, assonance, anagramme…) et sémantiques (domaine de sens, synonyme…). Quand, après avoir trituré tout cela et bossé longuement, on arrive au résultat, c'est magique ! L'analogie avec le chercheur d'or me paraît pertinente : il faut avoir l'œil pour repérer la pépite et ensuite passer inlassablement au tamis.

- Comment avez-vous travaillé pour créer les mots-valises de ce corpus pandémique ?

J’avais deux entrées possibles.
Ou bien je partais d’un phénomène ou d’une situation que j’avais observés et j’en cherchais ensuite les mots clés pour constituer mes mots-valises.
Exemple : on parlait beaucoup des rumeurs, de la diffusion des fake news.
J’ai donc recherché tous les synonymes, associations, évocations des mots clés que j’avais sélectionnés. Et puis, j’ai commencé à les combiner en veillant à ce que la dernière syllabe d’un mot s’emboîte parfaitement dans la première syllabe de l’autre. C’est le principe de construction du mot-valise.
RACONTER + CONTAMINER = RACONTAMINER

Ou bien, seconde possibilité, je faisais jouer aussi la sérendipité, c’est-à-dire que je me promenais au hasard dans le dictionnaire à la recherche de mots qui pouvaient se combiner à d’autres. Charge à moi, ensuite, d’inventer la définition qui donnerait du sens à mon « Frankenstein lexical ».
Exemples :
AUTRUI + TRUISME = AUTRUISME
FLUCTUER + FUTUR = FLUCTUR

- Est-ce qu'il y aura un Dicorona des deuxième, troisième… confinements ?

Certainement pas.
Tout a été dit, ou presque.
Le Dicorona avait la petite ambition de nommer des choses, des gens, des événements qui n’existaient pas avant.
Mon rêve, en revanche, ce serait d’inventer un mot pour une actualité du mois, à la manière d’un dessinateur de presse, mais avec un mot nouveau. À bon entendeur…

Entretien réalisé par Sylvie Brunet.

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Sylvie Brunet

Sylvie Brunet

Sylvie Brunet, auteure de nombreux livres sur la langue française, est "parémiologue", c'est-à-dire qu'elle étudie les proverbes. Elle nous livre ici tous les secrets de nos proverbes préférés.

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Commentaires

Zoé Gilles

« Se promiscuiter » et la « métrouille » me séduisent bien.
A découvrir.

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La langue française

Bonjour Zoé,
Merci pour votre commentaire.

À bientôt,
Nicolas.

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