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Citations sur le tout - Page 9
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Quand Gervaise s’éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n’était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d’une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d’une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d’homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales ; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d’habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d’un rose tendre. C’était la belle chambre de l’hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.
Émile Zola — L’Assommoir -
Je le tuerai. Je l’ai vu ! Je me suis assis hier soir, à ma table ; et je fis semblant d’écrire avec une grande attention. Je savais bien qu’il viendrait rôder autour de moi, tout près, si près que je pourrais peut-être le toucher, le saisir ? [… ]En face de moi, mon lit, un vieux lit de chêne à colonnes ; à droite, ma cheminée ; à gauche ma porte fermée avec soin, après l’avoir laissée longtemps ouverte, afin de l’attirer ; derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque jour pour me raser, pour m’habiller, et où j’avais coutume de me regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant.
Guy de Maupassant — Le Horla -
L'homme resta là, accroupi et cloué. Tout le village vint le voir. Même les potiers d'étain venaient voir et riaient.
Pascal Quignard — Terrasse à Rome -
Et voilà Lôpez qui arrête un mec, tout, marchandise complète, pas de pépin, pas de bavure. Ce que j'aurais voulu voir, c'est la gueule du voleur.
Grégoire Polet — Madrid ne dort pas -
[…] Malgré moi, un grand frisson me courut entre les épaules. Cette vision de l'animal dans ce lieu, a cette heure, au milieu de ces gens éperdus, était effrayant à voir. Alors, pendant une heure, le chien hurla sans bouger ; il hurla comme dans l'angoisse d'un rêve ; et la peur, l'épouvantable peur entrait en moi ; la peur de quoi ? Le sais-je ? C'était la peur, voila tout.
Guy de Maupassant — La Peur -
Ô souvenirs ! printemps ! aurore !Doux rayon triste et réchauffant !- Lorsqu'elle était petite encore,Que sa sœur était tout enfant... - Connaissez-vous, sur la collineQui joint Montlignon à Saint-Leu,Une terrasse qui s'inclineEntre un bois sombre et le ciel bleu ?
Victor Hugo — Ô souvenirs ! printemps ! aurore ! -
La raison du plus fort est toujours la meilleure :Nous l'allons montrer tout à l'heure.Un Agneau se désaltéraitDans le courant d'une onde pure.Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait.Qui te rend si hardi (2) de troubler mon breuvage ?Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.Sire, répond l'Agneau, que Votre MajestéNe se mette pas en colère ;Mais plutôt qu'elle considèreQue je me vas désaltérant[…]
Jean de La Fontaine — La Cour du Lion -
Harpagon (Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau.) : Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? N’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin… (il se prend lui-même le bras.) Ah ! C’est moi. Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! Mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’a privé de toi ; et puisque tu m’ es enlevé, j’ ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ ai plus que faire au monde : sans toi, il m’est impossible de vivre.
Molière — L’Avare -
Lettre CLIII :Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil.Je réponds sur-le-champ à votre Lettre, et je tâcherai d'être clair ; ce qui n'est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre.De longs discours n'étaient pas nécessaires pour établir que chacun de nous ayant en main tout ce qu'il faut pour perdre l'autre, nous avons un égal intérêt à nous ménager mutuellement : aussi, ce n'est pas de cela dont il s'agit. Mais encore entre le parti violent de se perdre, et celui, sans doute meilleur, de rester unis comme nous l'avons été, de le devenir davantage encore en reprenant notre première liaison, entre ces deux partis, dis-je, il y en a mille autres à prendre. Il n'était donc pas ridicule de vous dire, et il ne l'est pas de vous répéter que, de ce jour même, je serai ou votre Amant ou votre ennemi. (…)Deux mots suffisent.Paris, ce 4 décembre 17**.Réponse de la Marquise de Merteuil (écrite au bas de la même Lettre).Eh bien ! la guerre.
Pierre Choderlos de Laclos — Les Liaisons dangereuses -
Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »Il y a, au-delà de tout mon discours, et de ce que j'en puis dire particulièrement, ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous oyions l'un de l'autre, qui faisaient en notre affection plus d'effort que ne porte la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel ; nous nous embrassions par nos noms.
Michel de Montaigne — Les essais -
On vient, on va. On est ici ou là, peu importe comme si tout le monde, incapable de suivre une quelconque logique, naviguait dans l'abstraction totale et profonde du pur imaginaire.
Ana Maria Ortese — La mer ne baigne pas Naples -
Il existe aussi tout un commerce de poisson dans des récipients des couloirs avec des étals de glace pilée et de cacahouètes tout cela se mêlant à des séances de marionnettes, des glapissements de chansons chinoises, des fumeries d'opium...
Pablo Neruda — Né pour naître -
Tout va bien ? Je fais signe que oui. Faites attention à ce qui se passe en face ; ils ont réglé leur tir sur notre tranchée. Ouvrez l'œil. Nous rallumons des cigarettes. La conversation reprend à bâtons rompus.
Charles Yale Harrison — Les Généraux meurent dans leur lit -
Tout ce qui peut estre faict un autre jour, le peut estre aujourd'huy.
Michel de Montaigne — Essais (I -
Et quand ils croisent les vivants, c'est avec un petit sourire de franche supériorité. Car ils les prennent pour des morts. Et ils poursuivent paisiblement leur chemin tout en parlant à bâtons rompus.
Jules Supervielle — Oublieuse Mémoire -
Faut pas remettre les choses au lendemain. Il faut que cet article sorte tout de suite. Ça fera un numéro spécial!
Louis-Ferdinand Céline — Mort à crédit -
Il faut toujours tout remettre au lendemain. Les trois quarts des choses s'arrangent d'elles-mêmes.
Henry de Montherlant — Le Cardinal d'Espagne -
Ils ne rechignaient ni à la peine ni au sacrifice, sachant bien que, de tout le mal qu’ils se donnaient, eux-mêmes recueilleraient les fruits, ou à défaut leur descendance et non une bande d’humains désœuvrés, tirant les marrons du feu.
George Orwell — La ferme des animaux -
On but de l’alcool de canne en l’honneur de D’Arrast, après que le maire, verre en main, lui eut souhaité la bienvenue et tout le bonheur du monde.
Camus — L’Exil et le royaume -
Voici le plan qu’il avait arrêté. Il devait tout doucement gagner la chambre de Washington Otis, pousser des cris d’orfraie au pied de son lit, puis par trois fois se passer la dague dans la gorge au son d’une musique grave.
Oscar Wilde — Le Fantôme des Canterville et autres contes -
Et que fait le Piémont ? A part ce charroi nocturne dans les forêts et sur mon lac ? Il joue un jeu de malice, le roi tout au moins. Il attend qu'on tire les marrons du feu.
Jean Giono — Le bonheur fou -
Godeschal (…) n’était pas clerc à laisser se perdre la précieuse tradition de la bienvenue. La bienvenue est un déjeuner que doit tout néophyte aux anciens de l’Étude où il entre.
Balzac — Un Début dans la vie -
Tandis qu'il le prouvait à priori, le vaisseau s'entr'ouvre; tout périt, à la réserve de Pangloss, de Candide, et de ce brutal de matelot qui avait noyé le vertueux anabaptiste: le coquin nagea heureusement jusqu'au rivage, où Pangloss et Candide furent portés sur une planche.
Voltaire — Candide -
Latchmer chercha son père, mais lui aussi semblait avoir disparu. Tout le monde regardait sa grand-mère, qui courait à travers le cimetière en hurlant « Salope ! Salope ! » Mais miss Mitchell s’était volatilisée. Une haie de buis cacha soudain la grand-mère, mais Latchmer l’entendait toujours pousser des cris d’orfraie. Derrière lui, les gens commençaient à s’en aller.
Stephen Dobyns — Un chien dans la soupe -
Dans les premiers jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entra dans la petite ville de Digne. Les rares habitants qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres ou sur le seuil de leurs maisons regardaient ce voyageur avec une sorte d’inquiétude. Il était difficile de rencontrer un passant d’un aspect plus misérable. C’était un homme de moyenne taille, trapu et robuste, dans la force de l’âge. Il pouvait avoir quarante-six ou quarante huit ans. Une casquette à visière de cuir rabattue cachait en partie son visage brûlé par le soleil et le hâle et ruisselant de sueur. Sa chemise de grosse toile jaune, rattachée au col par une petite ancre d’argent, laissait voir sa poitrine velue ; il avait une cravate tordue en corde, un pantalon de coutil bleu, usé et râpé, blanc à un genou, troué à l’autre, une vieille blouse grise en haillons, rapiécée à l’un des coudes d’un morceau de drap vert cousu avec de la ficelle, sur le dos un sac de soldat fort plein, bien bouclé et tout neuf, à la main un énorme bâton noueux, les pieds sans bas dans des souliers ferrés, la tête tondue et la barbe longue.
Victor Hugo — Les Misérables -
Frédéric, en face, distinguait l'ombre de ses cils. Elle trempait ses lèvres dans son verre, cassait un peu de croûte entre ses doigts ; le médaillon de lapis-lazuli, attaché par une chaînette d’or à son poignet, de temps à autre sonnait contre son assiette. Ceux qui étaient là, pourtant, n'avaient pas l'air de la remarquer. […] Plus il la contemplait, plus il sentait entre elle et lui se creuser des abîmes. Il songeait qu’il faudrait la quitter tout à l’heure, irrévocablement, sans en avoir arraché une parole, sans lui laisser même un souvenir !
Gustave Flaubert — L’éducation sentimentale -
C’est bien venu tout d’un coup, n’est-ce pas? Cela est venu tout d’un coup, vous n’êtes plus maître de vous-même.
Eugène Ionesco — Le Roi se meurt -
Plus d'un fait, à coup sûr, la motiva, mais signalons surtout qu'il s'agit d'un hasard, car, au fait, tout partit, tout sortit d'un pari, d'un a priori dont on doutait fort qu'il pût un jour s'ouvrir sur un travail positif.
Georges Perec — La disparition -
L’air du bal était lourd ; les lampes pâlissaient. On refluait dans la salle de billard. Un domestique monta sur une chaise et cassa deux vitres ; au bruits des éclats de verre, Madame Bovary tourna la tête et aperçut dans le jardin, contre les carreaux, des faces de paysans qui regardaient. Alors le souvenir des Bertaux lui arriva. Elle revit la ferme, la mare bourbeuse, son père en blouse sous les pommiers, et elle se revit elle-même, comme autrefois, écrémant avec son doigt les terrines de lait dans la laiterie. Mais, aux fulgurations de l’heure présente, sa vie passée, si nette jusqu’alors, s’évanouissait tout entière, et elle doutait presque de l’avoir vécue. Elle était là ; puis autour du bal, il n’y avait plus que l’ombre, étalée sur tout le reste.
Gustave Flaubert — Madame Bovary -
J'étudiais un jour seul ma leçon dans la chambre contiguë à la cuisine. La servante avait mis sécher à la plaque les peignes de mademoiselle Lambercier. Quand elle revint les prendre, il s'en trouva un dont tout un côté de dents était brisé. A qui s'en prendre de ce dégât ? personne autre que moi n'était entré dans la chambre. On m'interroge : je nie d'avoir touché le peigne. M. et mademoiselle Lambercier se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent : je persiste avec opiniâtreté ; mais la conviction était trop forte, elle l'emporta sur toutes mes protestations, quoique ce fût la première fois qu'on m'eût trouvé tant d'audace à mentir. La chose fut prise au sérieux ; elle méritait de l'être. La méchanceté, le mensonge, l'obstination, parurent également dignes de punition ; mais pour le coup ce ne fut pas par mademoiselle Lambercier qu'elle me fut infligée.
Jean-Jacques Rousseau — Les confessions -
Il est vrai que dès son plus jeune âge, on trouve des témoignages nombreux et concordants sur sa gentillesse et sa délicatesse, qualités qui lui sont données au départ et que l’expérience ne fera que développer. Cet enfant a le cœur sur la main. On serait tenté d’écrire que tout laisse prévoir très tôt, qu’il sera un brave type.
Philippe Seguin — Louis Napoléon Le Grand -
Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,Le Poëte apparaît en ce monde ennuyé,Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmesCrispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :– « Ah ! que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères,Plutôt que de nourrir cette dérision !Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémèresOù mon ventre a conçu mon expiation !
Baudelaire — Bénédiction -
Mais vous comprenez, on leur dit « C’est bien à vous, Monsieur ? » ils ne vont pas répondre non, surtout qu’ils ne savent même pas, et si moi je viens dire que minute, papillon, c’est pas à eux, tout ça, mais à moi, et que moi je sais très bien où je les ai mis, mes jetons, et même qu’ils peuvent regarder mon tableau, s’ils savent lire, c’est logique, c’est écrit noir sur blanc (…)
Emmanuel Carrère — Hors d’atteinte ? -
Alors Poltrier, jusque-là parfaitement gentil et compréhensif, se dressa comme un coq : « Aucun individu n’a de droits sur un autre. » « Et les gens de votre parti alors, ils n’ont pas de droits sur vous ? » « Minute, papillon, dit Poltrier, n’embrouillons pas tout. Le Parti a tous les droits sur moi, quant à ses membres. »
Clarisse Francillon — Les Meurtrières -
Quand Griffet qui cherchait à se planquer près des lavabos a vu tout ça, il en est devenu dingue : ses « précieux » illustrés volés « à prix d’or » à la librairie du coin. On n’avait pas grand-chose et ce qui était à nous était à nous, merde alors ! Fallait pas pousser mémère dans les orties, comme on disait.
Alain Sasson — Coups de sang -
Elle voyait aussitôt les dalles noires et blanches du vestibule, l'escalier de pierre, la cretonne fleurie de sa chambre − elle respirait l'odeur fraîche, un peu sure, des couloirs aux volets toujours mi-clos, elle s'emparait de la maison tout entière.
Bernanos — Joie -
L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,Parmi des flots d’écume, un monstre furieux.Son front large est armé de cornes menaçantes ;Tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes ;Indomptable taureau, dragon impétueux,Sa croupe se recourbe en replis tortueux.Ses longs mugissements font trembler le rivage.Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,La terre s’en émeut, l’air en est infecté ;Le flot qui l’apporta recule épouvanté.Tout fuit ; et sans s’armer d’un courage inutile,Dans le temple voisin chacun cherche un asile.Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,Pousse au monstre, et d’un dard lancé d’une main sûre,Il lui fait dans le flanc une large blessure.De rage et de douleur le monstre bondissantVient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,Se roule, et leur présente une gueule enflamméeQui les couvre de feu, de sang et de fumée
Jean Racine — Phèdre -
Tout à coup il crut avoir été appelé par une voix terrible, et tressaillit comme lorsqu’au milieu d’un brûlant cauchemar nous sommes précipités d’un seul bond dans les profondeurs d’un abîme. Il ferma les yeux ; les rayons d’une vive lumière l’éblouissaient ; il voyait briller au sein des ténèbres une sphère rougeâtre dont le centre était occupé par un petit vieillard qui se tenait debout et dirigeait sur lui la clarté d’une lampe. Il ne l’avait entendu ni venir, ni parler, ni se mouvoir. Cette apparition eut quelque chose de magique. L’homme le plus intrépide, surpris ainsi dans son sommeil, aurait sans doute tremblé devant ce personnage extraordinaire qui semblait être sorti d’un sarcophage voisin. La singulière jeunesse qui animait les yeux immobiles de cette espèce de fantôme empêchait l’inconnu de croire à des effets surnaturels ; néanmoins, pendant le rapide intervalle qui sépara sa vie somnambulique de sa vie réelle, il demeura dans le doute philosophique recommandé par Descartes, et fut alors, malgré lui, sous la puissance de ces inexplicables hallucinations dont les mystères sont condamnés par notre fierté ou que notre science impuissante tâche en vain d’analyser.[…] Le moribond frémit en pressentant que ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde où il vivait seul, sans jouissances, parce qu’il n’avait plus d’illusion, sans douleur, parce qu’il ne connaissait plus de plaisirs. Le vieillard se tenait debout, immobile, inébranlable comme une étoile au milieu d’un nuage de lumière, ses yeux verts, pleins de je ne sais quelle malice calme, semblaient éclairer le monde moral comme sa lampe illuminait ce cabinet mystérieux. Tel fut le spectacle étrange qui surprit le jeune homme au moment où il ouvrit les yeux, après avoir été bercé par des pensées de mort et de fantasques images.
Honoré de Balzac — La peau de chagrin -
Je ne pouvais plus avoir de doutes, l'abbé Sérapion avait raison. Cependant, malgré cette certitude, je ne pouvais m'empêcher d'aimer Clarimonde et je lui aurais volontiers donné tout le sang dont elle avait besoin pour soutenir son existence factice. D'ailleurs, je n'avais pas grand-peur; la femme me répondait du vampire, et ce que j'avais entendu et vu me rassurait complètement; j'avais alors des veines plantureuses qui ne se seraient pas de sitôt épuisées, et je ne marchandais pas ma vie goutte à goutte. Je me serais ouvert le bras moi-même et je lui aurais dit : « Bois ! et que mon amour s'infiltre dans ton corps avec mon sang! ». J'évitais de faire la moindre allusion au narcotique qu'elle m'avait versé et à la scène de l'aiguille, et nous vivions dans le plus parfait accord. Pourtant mes scrupules de prêtre me tourmentaient plus que jamais, et je ne savais quelle macération nouvelle inventer pour mater et mortifier ma chair. Quoique toutes ces visions fussent involontaires et que je n'y participasse en rien, je n'osais pas toucher le Christ avec des mains, aussi impures et un esprit souillé par de pareilles débauches réelles ou rêvées. Pour éviter de tomber dans ces fatigantes hallucinations, j'essayais de m'empêcher de dormir, je tenais mes paupières ouvertes avec les doigts et je restais debout au long des murs, luttant contre le sommeil de toutes mes forces; mais le sable de l'assoupissement me roulait bientôt dans les yeux, et, voyant que toute lutte était inutile, je laissais tomber les bras de découragement et de lassitude, et le courant me rentraînait vers les rives perfides.
Théophile Gautier — La Morte Amoureuse -
Tout flatteur vit au dépens de celui qui l'écoute
La Fontaine — Le Corbeau et le Renard -
Cosette était laide. Heureuse, elle eût peut- être été jolie. Nous avons déjà esquissé cette petite figure sombre. Cosette était maigre et blême ; elle avait près de huit ans, on lui en eût donné à peine six. Ses grands yeux enfoncés dans une sorte d'ombre étaient presque éteints à force d'avoir pleuré. Les coins de sa bouche avaient cette courbe de l'angoisse habituelle, qu'on observe chez les condamnés et chez les malades désespérés. Ses mains étaient, comme sa mère l'avait deviné, "perdues d'engelures". Le feu qui l'éclairait en ce moment faisait saillir les angles de ses os et rendait sa maigreur affreusement visible. Comme elle grelottait toujours, elle avait pris l'habitude de serrer ses deux genoux l'un contre l'autre. Tout son vêtement n'était qu'un haillon qui eût fait pitié l'été et qui faisait horreur l'hiver. Elle n'avait sur elle que de la toile trouée ; pas un chiffon de laine. On voyait sa peau çà et là, et l'on y distinguait partout des taches bleues ou noires qui indiquaient les endroits où la Thénardier l'avait touchée. Ses jambes nues étaient rouges et grêles. Le creux de ses clavicules était à faire pleurer. Toute la personne de cette enfant, son allure, son attitude, le son de sa voix, ses intervalles entre un mot et l'autre, son regard, son silence, son moindre geste, exprimaient et traduisaient une seule idée : la crainte.
Victor Hugo — Les Misérables -
Gervaise, cependant, se retenait pour ne pas éclater en sanglots. Elle tendait les mains, avec le désir de soulager l’enfant ; et, comme le lambeau de drap glissait, elle voulut le rabattre et arranger le lit. Alors, le pauvre petit corps de la mourante apparut. Ah ! Seigneur ! quelle misère et quelle pitié ! Les pierres auraient pleuré. Lalie était toute nue, un reste de camisole aux épaules en guise de chemise ; oui, toute nue, et d’une nudité saignante et douloureuse de martyre. Elle n’avait plus de chair, les os trouaient la peau. Sur les côtes, de minces zébrures violettes descendaient jusqu’aux cuisses, les cinglements du fouet imprimés là tout vifs. Une tache livide cerclait le bras gauche, comme si la mâchoire d’un étau avait broyé ce membre si tendre, pas plus gros qu’une allumette. La jambe droite montrait une déchirure mal fermée, quelque mauvais coup rouvert chaque matin en trottant pour faire le ménage. Des pieds à la tête, elle n’était qu’un noir. Oh ! ce massacre de l’enfance, ces lourdes pattes d’homme écrasant cet amour de quiqui, cette abomination de tant de faiblesse râlant sous une pareille croix ! On adore dans les églises des saintes fouettées dont la nudité est moins pure.
Émile Zola — L’Assommoir