À tire-larigot : définition et origine de l’expression
Sommaire
Au rayon des expressions vieilles comme le monde (ou presque), citons « à tire-larigot », présente dans la langue française depuis le XVe siècle.
Bien que sa signification ait évolué au fil des époques, la formule continue d’être employée dans le langage courant — elle figure même dans le titre d’un film de Jean-Pierre Jeunet, Micmas à tire-larigot, sorti en 2009.
Alors, quel est le sens de cette locution quelque peu désuète, et à la sonorité particulière ? Découvrons ensemble, dans cet article, la définition et l’origine de l’expression « à tire-larigot ».
Définition de l’expression « à tire-larigot »
Dans son sens moderne, l’expression « à tire-larigot » est synonyme de « beaucoup », « en abondance ». Elle décrit une grande quantité – voire une trop grande quantité – ou un flux continu et inarrêtable de quelque chose.
On pourra dire, par exemple, « des ennuis à tire-larigot » pour évoquer des problèmes qui ne cessent de s’abattre ; « boire à tire-larigot » pour désigner le fait de s’abreuver jusqu’à plus soif ; ou « parler à tire-larigot » pour qualifier des bavardages sans fin.
De registre familier, « à tire-larigot » est une expression voisine des locutions « à gogo », « à la pelle », ou encore de l’adverbe « plein ».
Une précision d’ordre orthographique : on peut écrire indistinctement « à tire-larigot » ou « à tirelarigot » (depuis la réforme de 1990), mais jamais « à tire-larigots » au pluriel ou « à tire larigot » sans trait d’union.
Origine de l’expression « à tire-larigot »
Au XVe siècle, lorsque l’expression naît dans la langue de Molière, le verbe « tirer » est employé au sens de « boire » ou « vider un contenant de son liquide », tout comme on parle aujourd’hui de « descendre » ou de « siffler » une bouteille.
Inscrivez vous au Parcours Expressions & Proverbes
Découvrez chaque mercredi la signification et l'origine d'une expression ou proverbe francophone.
Le « larigot », quant à lui – que l’on nomme d’abord « harigot » puis « arigot » – est un instrument de musique ; une sorte de petite flûte pastorale. Or, dans la langue populaire, le verbe « flûter » est lui aussi synonyme de « boire ».
Ainsi, l’expression « à tire-larigot » est, dans un premier temps, indissociable de l’action de boire de l’alcool. Elle signifie généralement « boire d’un seul coup, sans arrêt », dans un sens proche de la formule « boire cul sec » que l’on emploie aujourd’hui.
Une autre hypothèse courante veut que l’expression soit née à Rouen, où une cloche de la cathédrale fut nommée « La Rigaud » en référence à l’archevêque Eudes Rigaud, qui l’offrit à la ville.
Cette cloche avait la réputation d’être particulièrement lourde à tirer : on raconte que douze hommes devaient s’associer pour la faire sonner ! Là encore, l’image de l’alcool n’est pas loin : selon l’anecdote, les sonneurs buvaient ensemble avant de « tirer La Rigaud », afin de se donner du courage. D’ailleurs, ne dit-on pas « boire comme un sonneur » ?
Au fil des siècles, l’expression « à tire-larigot » s’est défaite de son association avec l’alcool et la boisson. Elle s’emploie aujourd’hui pour désigner tout élément que l’on trouve en quantité abondante, excessive, ou en flot continu.
Exemples de l’usage de l’expression « à tire-larigot »
Natacha participa à la cueillette et à la mise au point de l’ultime appareil issu du cerveau bizarre du notaire, une machine à applaudir composée de deux mains en bois, reliées à la base par une solide charnière. On pouvait ainsi les battre à tire-larigot pour acclamer les comédiens au théâtre sans s’échauffer les paumes.
Le Zèbre, Alexandre Jardin
Le reste du temps, ils zigzaguent comme des bécassines, s’aveuglent de soleil au sortir de la cave. Ils passent des conduites les plus folles aux regards les plus sages, des baisers à tire-larigot à la messe du dimanche que Zélie oblige Arthur à servir.
Elvire de Brissac, Les Règles
Tu as dit deux sous de poivre ? Deux sous de rien, mon cher ami ! À part les yeux. Alors paye-toi du luxe (pour elle) avec un corps de maison déjà coquet, difficile à remuer avec les ancêtres ; son mari qui faisait la pluie et le beau temps jusqu’à la Préfecture, incluse et y comprise ; qui refusait surtout l’essentiel et à tire-larigot ; un pays cabochard, comme ci, comme ça, pas très rond, prêt à la traîner dans la boue.
Jean Giono, L’Iris de Suse
Leurs professeurs leur avaient dit qu’elles ne pouvaient pas viser trop haut, et leurs parents qu’elles devaient songer à faire de bonnes épouses plutôt qu’à essayer de s’exprimer. Pourtant maintenant, elles s’exprimaient à tire-larigot. Elles n’en étaient pas peu fières mais elles se sentaient toujours un peu déprimées, un peu défraîchies. Elles formaient la première vague.
Catherine Rihoit, Triomphe de l’amour
Quand d’aventure ils convergent et sentent le gaz, elle sait se faire complice, enjouée, et dégainer à tire-larigot des poignées de main faiblement électriques
Boualem Sansal, Le serment des barbares