Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses : Hymne du soir dans les Temples
Sommaire
Lamartine retrouve, dans ce recueil, rédigé en grande partie en Italie entre 1826 et 1827, la haute poésie des Méditations poétiques.
Pour citer l'œuvre : Œuvres complètes de Lamartine, Chez l’auteur (p. 303-310).
Salut, ô sacrés tabernacles
Où tu descends, Seigneur, à la voix d’un mortel !
Salut, mystérieux autel
Où la foi vient chercher et son pain immortel
Et tes silencieux oracles !
Quand la dernière heure des jours
A gémi dans tes vastes tours,
Quand son dernier rayon fuit et meurt dans le dôme ;
Quand la veuve, tenant son enfant par la main,
A pleuré sur la pierre, et repris son chemin
Comme un silencieux fantôme ;
Quand de l’orgue lointain l’insensible soupir
Avec le jour aussi semble enfin s’assoupir,
Pour s’éveiller avec l’aurore ;
Que la nef est déserte, et que, d’un pas tardif,
Aux lampes du saint lieu le lévite attentif
À peine la traverse encore,
Voici l’heure où je viens, à la chute des jours,
Me glisser sous ta voûte obscure,
Et chercher, au moment où s’endort la nature,
Celui qui veille toujours !
Vous qui voilez les saints asiles
Où mes yeux n’osent pénétrer,
Au pied de vos troncs immobiles,
Colonnes, je viens soupirer.
Versez sur moi, versez vos ombres ;
Rendez les ténèbres plus sombres
Et le silence plus épais !
Forêts de marbre et de porphyre,
L’air qu’à vos pieds l’âme respire
Est plein de mystère et de paix.
Que l’amour et l’inquiétude,
Égarant leurs ennuis secrets,
Cherchent l’ombre et la solitude
Sous les verts abris des forêts !
Ô ténèbres du sanctuaire,
L’œil religieux vous préfère
Au bois par la brise agité ;
Rien ne change votre feuillage :
Votre ombre immobile est l’image
De l’immobile éternité !
Le cœur brisé par la souffrance,
Las des promesses des mortels,
S’obstine, et poursuit l’espérance
Jusqu’au pied des sacrés autels,
Le flot du temps mugit et passe ;
L’homme passager vous embrasse
Comme un pilote anéanti,
Battu par la vague écumante,
Embrasse au sein de la tourmente
Le mât du navire englouti !
Où sont, colonnes éternelles,
Les mains qui taillèrent vos flancs ?
Caveaux, répondez : où sont-elles ?
Poussière abandonnée aux vents,
Nos mains qui façonnent la pierre
Tombent avant elle en poussière,
Et l’homme n’en est point jaloux ;
Il meurt, mais sa sainte pensée
Anime la pierre glacée,
Et s’élève au ciel avec vous.
Les forum, les palais s’écroulent ;
Le temps les ronge avec mépris,
Le pied des passants qui les foulent
Écarte au hasard leurs débris ;
Mais sitôt que le bloc de pierre
Sorti des flancs de la carrière,
Seigneur, pour ton temple est sculpté,
Il est à toi ! Ton ombre imprime
À nos œuvres le sceau sublime
De ta propre immortalité !
Le bruit de la foudre qui gronde
Et s’éloigne en baissant la voix,
Le sifflement des vents sur l’onde,
Les sourds gémissements des bois,
La bouche qui vomit la bombe,
Le bruit du fleuve entier qui tombe
Dans un abîme avec ses eaux,
Sont moins majestueux encore
Qu’un peuple qui chante et t’adore
Sous tes mélodieux arceaux !
Quand l’hymne enflammé, qui s’élance
De mille bouches à la fois,
De ton majestueux silence
Jaillit comme une seule voix ;
Plus fort que le char des tempêtes,
Quand le chant divin des prophètes
Roule avec les flots de l’encens,
N’entends-tu pas les vieux portiques,
Les tombeaux, les siècles antiques,
Mêler une âme à nos accents ?
Seigneur, j’aimais jadis à répandre mon âme
Sur les cimes des monts, dans la nuit des déserts,
Sur l’écueil où mugit la voix des vastes mers,
En présence du ciel, et des globes de flamme
Dont les feux pâlissants semaient les champs des airs !
Il me semblait, mon Dieu, que mon âme, oppressée
Devant l’immensité, s’agrandissait en moi,
Et sur les vents, les flots ou les feux élancée,
De pensée en pensée,
Allait se perdre en toi !
Je cherchais à monter, mais tu daignais descendre.
Ah ! ton ouvrage a-t-il besoin
De s’élever si haut, de te chercher si loin !
Où n’es-tu pas pour nous entendre ?
De ton temple aujourd’hui j’aime l’obscurité ;
C’est une île de paix sur l’océan du monde,
Un phare d’immortalité
Par la mort et par toi seulement habité :
On entend de plus loin le flot du temps qui gronde
Sur ce seuil de l’éternité.
Il semble que la voix dans les airs égarée,
Par cet espace étroit dans ces murs concentrée,
À notre âme retentit mieux,
Et que les saints échos de la voûte sonore
Te portent plus brûlant, avant qu’il s’évapore,
Le soupir qui te cherche en montant vers les cieux !
Comme la vague orageuse
S’apaise en touchant le bord ;
Comme la nef voyageuse
S’abrite à l’ombre du port ;
Comme l’errante hirondelle
Fuit sous l’aile maternelle
L’œil dévorant du vautour,
À tes pieds quand elle arrive,
L’âme errante et fugitive
Se recueille en ton amour.
Tu parles, mon cœur écoute ;
Je soupire, tu m’entends ;
Ton œil compte goutte à goutte
Les larmes que je répands ;
Dans un sublime murmure,
Je suis, comme la nature,
Sans voix sous ta majesté ;
Mais je sens, en ta présence,
L’heure pleine d’espérance
Tomber dans l’éternité !
Qu’importe en quels mots s’exhale
L’âme devant son auteur ?
Est-il une langue égale
À l’extase de mon cœur ?
Quoi que ma bouche articule,
Ce sang pressé qui circule,
Ce sein qui respire en toi,
Ce cœur qui bat et s’élance,
Ces yeux baignés, ce silence,
Tout parle, tout prie en moi.
Ainsi les vagues palpitent
Au lever du roi du jour ;
Ainsi les astres gravitent,
Muets de crainte et d’amour ;
Ainsi les flammes s’élancent,
Ainsi les airs se balancent,
Ainsi se meuvent les cieux,
Ainsi ton tonnerre vole,
Et tu comprends sans parole
Leur hymne silencieux.
Ah ! Seigneur, comprends-moi de même,
Entends ce que je n’ai pas dit !
Le silence est la voix suprême
D’un cœur de ta gloire interdit.
C’est toi ! c’est moi ! je suis ! j’adore !
Le temps, l’espace s’évapore ;
J’oublie et l’univers et moi !
Mais cette ivresse de l’extase,
Mais ce feu sacré qui m’embrase,
Mais ce poids divin qui m’écrase,
C’est toi, mon Dieu, c’est encor toi !
Pourquoi vous fermez-vous, maison de la prière ?
Est-il une heure, ô Dieu, dans la nature entière,
Où le cœur soit las de prier ;
Où l’homme, qu’en ces lieux ta bonté daigne attendre,
N’ait devant les autels un parfum à répandre,
Une larme à te confier ?
Mais c’en est fait : d’un pas que le respect mesure,
Je sors du parvis qui murmure ;
Je sors, et ton ombre me suit !
Mon pied silencieux se fait entendre à peine,
Mon cœur se tait, et mon haleine
Sur mes lèvres passe sans bruit.
Jusqu’au retour de l’aurore,
Sur mon front je garde encore
La majesté du saint lieu ;
Et comme après Sina, de toi l’âme encor pleine,
Ton prophète n’osait descendre dans la plaine,
Je crains de profaner par la parole humaine
Mes sens, encor frappés du souffle de mon Dieu !
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L'auteur : Alphonse de Lamartine
Alphonse de Lamartine (1790-1869) est un poète, romancier, dramaturge français, ainsi qu'une personnalité politique qui participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France.