« Qui aime bien châtie bien » : signification et origine du proverbe
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Voilà un proverbe qui fleure bon la rentrée des classes et les éternelles questions que se posent les pédagogues sur les méthodes d’éducation à employer : faut-il punir pour éduquer ? la punition est-elle partie intégrante de l’éducation ? comment éduquer sans punir ? Le proverbe s’emploie à balayer tous ces doutes en assénant son credo sous forme de vérité générale : « Qui aime bien châtie bien ».
Origines du proverbe « Qui aime bien châtie bien »
« Qui aime bien châtie bien » est la traduction littérale d’un adage médiéval latin, qui nous est encore très familier : Qui bene amat, bene castigat. Il en a repris la structure binaire (aime bien/châtie bien), avec l’opposition forte des deux verbes (aimer/châtier). Sans ce proverbe connu de tous, le verbe « châtier » (qui tire son accent circonflexe de l’ancien s latin, castigare), qui signifie punir, aurait complètement disparu du langage oral, supplanté par le verbe punir, et ne s’emploierait plus que dans un registre ancien et littéraire. Ainsi, « Tu seras châtié de ta témérité », lance sévèrement le loup de la fable de La Fontaine à l’innocent agneau, qui ose se désaltérer à ses côtés, dans le même cours d’eau que lui !
Toutefois, comme on s’en doute, le proverbe tel qu’on le connaît aujourd’hui est le résultat d’une tradition bien plus ancienne. Il puise sans doute à la source biblique des Proverbes de Salomon : « Car l’Éternel châtie celui qu’il aime, Comme un père l’enfant qu’il chérit. » (3, 12) ou « Celui qui ménage sa verge hait son fils, Mais celui qui l’aime cherche à le corriger. » (13, 24). Et, dans la Grèce ancienne, le père de la comédie, Aristophane, tourne déjà en dérision en 423 av. J.-C., dans sa pièce Les Nuées, cette conception punitive de l’éducation, en mettant en scène un fils qui prétend corriger son père, puisque « bien s’occuper de quelqu’un et le battre ne vont pas l’un sans l’autre » (v. 1412) !
Signification du proverbe « Qui aime bien châtie bien »
Avouez qu’il est bien pratique, tout de même, ce proverbe !
Tout adulte qui, face à un enfant rétif, perd son sang-froid, s’en prévaudra infailliblement pour justifier que, cédant à sa colère, il lui ait administré une bonne correction : « Qui aime bien châtie bien ! » Tu vois, c’est pour ton bien que je t’ai rossé, c’est la preuve que je t’aime ! En invoquant le précieux proverbe, l’adulte légitime sa violence vis-à-vis de l’enfant et lui attribue après coup un sens pédagogique, censé montrer la voie du Bien à l’enfant battu. C’est le sens de l’adverbe « bien », qui n’est pas à comprendre ici au sens de »beaucoup », comme on dirait « il l’aime bien » ou « il l’a bien grondé », mais au sens de « justement », « comme il se doit ».
Ah ! la fameuse fessée ! Désormais interdite en France depuis la loi promulguée le 2 juillet 2019, elle a sévi durant des siècles et agité des siècles de débats. Ainsi, au 1er siècle ap. J.-C., le philosophe grec Plutarque s’interrogeait déjà sur l’utilité des corrections administrées aux enfants.
Selon lui, la raclée est contre-productive dans la mesure où elle éloigne l’enfant de la chose qui lui a valu des coups. Aussi défend-il l’idée qu’un usage habile de la louange et du blâme en alternance est plus à même de piquer au vif un jeune orgueil et de faire ainsi progresser un enfant. Et Montaigne condamne également dans ses Essais l’éducation par les coups : « Il y a je ne sçay quoi de servile en la rigueur, et en la contraincte : et tiens que ce qui ne peut se faire par la raison, et par prudence, et addresse, ne se fait jamais par la force. » (II, 8)
Bref, pour les adversaires de la fessée, qui furent pendant longtemps beaucoup moins nombreux que ses promoteurs, comme le dit un autre proverbe : « Plus fait douceur que violence ».
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Exemples d’usage du proverbe « Qui aime bien châtie bien »
- Le proverbe « Qui aime bien châtie bien » existe dans plusieurs langues – par exemple, en allemand : « Wer sein Kind liebt, der schlägt es » (qui aime son enfant le bat), ou en russe : « кого люблю, того и бью » (celui que j’aime, je le bats), mais ce sont sans doute les Espagnols qui en proposent la version la plus extrême : « quien bien te quiere, te hará llorar » (celui qui t’aime bien te fera pleurer) !
- Le proverbe « Qui aime bien, châtie bien » a inspiré les meilleurs humoristes :
À ceux qui me châtient parce qu’ils m’aiment bien, je préfère ceux qui me haïssent et me foutent la paix.
Raymond Devos
Qui aime bien châtie bien, qui n’aime pas châtie encore mieux.
Guy Bedos
- Le proverbe « Qui aime bien, châtie bien » dans la littérature :
Vous auriez tort d’appliquer ici le « qui aime bien châtie bien » du proverbe, car c’est vous que j’aimais bien, et j’entends châtier, même après notre brouille, ceux qui ont lâchement essayé de vous faire du tort.
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1921
On peut poser la question de la façon suivante : qui, ici, est prêt à se faire tuer pour que la France devienne le Clos Joli de l’Europe ? Duprat, dis-je. Par amour ou par haine? demanda Guédard. Il paraît que l’un et l’autre vont assez bien ensemble, dis-je. Qui aime bien châtie bien et cœtera.
Romain Gary, Les Cerfs-volants, 1980
Entre parents et enfants, le collage des collages forcé. Cohabitation forcenée. Jusqu’à l’âge d’homme, on vous accouche au forceps. Tête-à-tête de fauve à dompteur dans une cage, à l’infini des jours, féroce. Tendre. Toujours tendu. Le fouet rapproche. Qui aime bien châtie bien. Qui est bien châtié aime. La règle, ainsi que fonctionne le système. Mon système. Pas moi qui l’ai inventé, je fonctionne à mon tour dedans. À plein.
Serge Doubrovsky, Le Livre brisé, 1989
Correction d’une faute de frappe je l’espère, au début:
« … les éternelles questions qui se posent les pédagogues … »