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À la distance où j'étais, il m'était difficile de distinguer l'attitude de la statue ; je ne pouvais juger que de sa hauteur, qui me parut de six pieds environ. En ce moment, deux polissons de la ville passaient sur le jeu de paume, assez près de la haie, sifflant le joli air du Roussillon : Montagnes régalades. Ils s'arrêtèrent pour regarder la statue ; l'un d'eux l'apostropha même à haute voix. Il parlait catalan ; mais j'étais dans le Roussillon depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre à peu près ce qu'il disait. " Te voilà donc, coquine ! (Le terme catalan était plus énergique.) Te voilà ! disait-il. C'est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll ! Si tu étais à moi, je te casserais le cou. - Bah ! avec quoi ? dit l'autre. Elle est de cuivre, et si dure qu'Étienne a cassé sa lime dessus, essayant de l'entamer. C'est du cuivre du temps des païens ; c'est plus dur que je ne sais quoi. - Si j'avais mon ciseau à froid (il paraît que c'était un apprenti serrurier), je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous d'argent. ". Ils firent quelques pas en s'éloignant. Prosper Mérimée — La Vénus d’Ille
Du rouge au vert tout le jaune se meurtQuand chantent les aras dans les forêt natalesAbatis de pihisIl y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aileNous l’enverrons en message téléphoniqueTraumatisme géantIl fait couler les yeuxVoilà une jolie jeune fille parmi les jeunes TurinaisesLe pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blancheTu soulèveras le rideauEt maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre […] Guillaume Apollinaire — Calligrammes
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,Un rond de danse et de douceur,Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécuC’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu. Feuilles de jour et mousse de rosée,Roseaux du vent, sourires parfumés,Ailes couvrant le monde de lumière,Bateaux chargés du ciel et de la mer,Chasseurs des bruits et sources des couleurs, Parfums éclos d’une couvée d’auroresQui gît toujours sur la paille des astres,Comme le jour dépend de l’innocenceLe monde entier dépend de tes yeux pursEt tout mon sang coule dans leurs regards. Paul Éluard — « La courbe de tes yeux »
En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux. « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre humaine, juste un peu trop petite, était là tranquille entre les quatre murs qu’il connaissait bien. Au-dessus de la table où était déballée une collection d’échantillons de tissus – Samsa était représentant de commerce –, on voyait accrochée 5 l’image qu’il avait récemment découpée dans un magazine et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait une dame munie d’une toque et d’un boa tous les deux en fourrure et qui, assise bien droite, tendait vers le spectateur un lourd manchon de fourrure où tout son avant-bras avait disparu. Franz Kafka — La métamorphose
Nadja était forte, enfin, et très faible, comme on peut l’être de cette idée qui toujours avait été la sienne, mais dans laquelle je ne l’avais que trop entretenue, à laquelle je ne l’avais que trop aidée à donner le pas sur les autres : à savoir que la liberté, acquise ici-bas au prix de mille et des plus difficiles renoncements, demande à ce qu’on jouisse d’elle sans restriction dans le temps où elle nous est donnée, sans considération pragmatique d’aucune sorte et cela parce que l’émancipation humaine, conçue en définitive sous sa forme révolutionnaire la plus simple, qui n’en est pas moins l’émancipation humaine à tous égards, entendons-nous bien, selon les moyens dont chacun dispose, demeure la seule cause qu’il soit digne de servir. Nadja était faite pour la servir, ne fut-ce qu’en démontrant qu’il doit se fomenter autour de chaque être un complot très particulier qui n’existe pas seulement dans son imagination, dont il conviendrait, au simple point de vue de la connaissance, de tenir compte, et aussi, mais beaucoup plus dangereusement, en passant la tête, puis un bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c’est-à-dire de la plus haïssable des prisons […]. André Breton — Nadja
Homme connu par ses mœurs timides et par son courage de lièvre, sur lequel on s’exerce à l’épigramme, à l’ironie, à l’impertinence, — et même à l’injure, — assuré qu’on est qu’il ne protestera pas, ne réclamera pas, et ne vous cassera pas les reins d’un coup de canne ou la tête d’un coup de pistolet. C’est une expression de l’argot des gens de lettres, qui l’ont empruntée aux saltimbanques. Dictionnaire de la langue verte — Argots parisiens comparés
En fait d’autres divertissements orientaux, on trouvera au Château-Rouge le tir à l’oiseau égyptien, le jeu de siam, et une grosse tête de Turc sur laquelle le vainqueur de Nézib viendra appliquer un énorme coup de poing pour essayer ses forces. Le Charivari — 3 juin 1846
Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait à cheval, le soir d’une bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. Victor Hugo — Après la bataille
Un jour, dans je ne sais plus quel jardin public, il [Théophile Gautier] donna sur la « tête de Turc » un coup de poing qui marqua cinq cent vingt livres au dynamomètre. Bien souvent je l’ai entendu s’en vanter et dire : « C’est l’action de ma vie dont je suis le plus glorieux. » Maxime Du Camp — Théophile Gautier
Le temps passe. Elle ne sait pas si ce sont encore les chambres qui donnent sur le champ de seigle qu'on loue à l'heure. Ce champ, à quelques mètres d'elle, plonge, plonge de plus en plus dans une ombre verte et laiteuse. Marcel Proust — Combray
Il y avait une tache d'encre sur la moquette, à mes pieds. Mon cher stylo avait roulé là et s'y était déversé. Mathieu Lindon — Les Apeurés
Leurs silhouettes allaient bientôt disparaître dans la brume de chaleur. Il n'y avait plus que deux taches, celle de la serviette rouge, sur l'épaule de l'Anglais, et la tache verte de sa robe à elle. Patrick Modiano — Vestiaire de l'enfance
Le lendemain matin, cependant, quand les Otis descendirent pour le petit déjeuner, ils constatèrent que l'horrible tache de sang avait reparu sur le parquet. Ce n'est sûrement pas la faute du détachant, dit Washington, puisque je l'ai toujours employé avec succès. Ce doit être le fantôme. Et le jeune homme fit disparaître la tache pour la seconde fois; mais, le lendemain, la tache avait reparu. Oscar Wilde — Le Crime de Lord Arthur Savile et autres contes
Face à un système qui prépare la femme à un rôle passif, en refusant de lui reconnaître la dimension intellectuelle, [Molière] met au grand jour, en la portant sur la scène, l’inanité d’une telle démarche. Jean Serroy — édition de L’École des femmes
C’était un très bon et très honnête homme, à mains parfaitement nettes et avec les meilleures intentions, poli, patient, obligeant, bon ami, ennemi médiocre, aimant l’État, mais le roi sur toutes choses, et extrêmement bien avec lui et madame de Maintenon, d’ailleurs très borné et comme tous les gens de peu d’esprit et de lumière, très opiniâtre, très entêté, riant jaune avec une douce compassion à qui opposait des raisons aux siennes et entièrement incapable de les entendre. Louis de Rouvroy — duc de Saint-Simon
Je ne pense pas, au vu de leurs performances, que l’on m’ait envoyé la fine fleur du métier. Mais on s’est rattrapé sur la quantité, et l’on n’a pas lésiné sur le temps de l’opération. Guy Debord — Considérations sur l’assassinat de Gérard Lebovici
Bien qu’ayant renoncé, au vu de ses tarifs, à m’installer dans cet hôtel, je prélevai sur le comptoir de la réception un dépliant publicitaire dont les premières lignes étaient ainsi libellées « Dès votre premier contact avec l’hôtel et son personnel, vous comprendrez le vrai sens du mot hospitalité. » Jean Rolin — Zones
Mais vous avez mis près de lui un aumônier dont la tâche est de rendre moins pesante à ces hommes l'heure atroce où l'on attend. Je crois pouvoir dire que pour des hommes que l'on va tuer, une conversation sur la vie future n'arrange rien. Albert Camus — Lettres à un ami allemand
LE COMTE - Ce que je méritais, vous l'avez emporté.DON DIÈGUE - Qui l'a gagné sur vous l'avait mieux mérité.LE COMTE - Qui peut mieux l'exercer en est bien le plus digne.DON DIÈGUE - En être refusé n'en est pas un bon signe.LE COMTE - Vous l'avez eu par brigue, étant vieux courtisan.DON DIÈGUE - L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.LE COMTE - Parlons-en mieux, le roi fait honneur à votre âge.DON DIÈGUE - Le roi, quand il en fait, le mesure au courage.LE COMTE - Et par là cet honneur n'était dû qu'à mon bras.DON DIÈGUE - Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas.LE COMTE - Ne le méritait pas ! Moi ?LE COMTE - (Il lui donne un soufflet.)Ton impudence,Téméraire vieillard, aura sa récompense. Le Cid — Acte I
À l’aspect de ces difficultés, il fut découragé. Le monde social et le monde judiciaire lui pesaient sur la poitrine comme un cauchemar. Balzac — Le Colonel Chabert