INVESTIR1, verbe trans.
A. − Qqn investit qqn
1. HIST. Mettre en possession d'un fief, d'une juridiction par une cérémonie solennelle consistant en la remise d'un symbole (de juridiction, du pouvoir, de la dignité concédée). Autrefois les rois investissaient les évêques en leur donnant la crosse et l'anneau (Ac.1935).−
Investir qqn de + subst.♦ [Le subst. désigne un symbole] . Il est constitué le maître de toute la terre d'Égypte. Pharaon l'investit de l'anneau, d'une robe de lin et d'un collier d'or (Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 77).
♦ [Le subst. désigne une juridiction, un pouvoir] L'empereur l'avait investi de cet électorat, de ce duché (Ac.1935).Il remit son bâton de frère au saint homme Budoc, l'investissant ainsi du gouvernement de l'abbaye (France, Île ping.,1908, p. 22).Don Rodrigue va être solennellement investi de son commandement d'Angleterre (Claudel, Soulier,1929, p. 909).
2. P. ext. Mettre en possession d'un droit, d'un pouvoir, d'une dignité; installer officiellement dans des fonctions. Investir un magistrat, un évêque. Attribuer à une seule assemblée tous les droits sans exception, lui donner qualité pour investir et fournir les ministres (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 156).−
Investir qqn de qqc.Investir qqn d'une autorité, d'une puissance, de la juridiction suprême. Le Roi investit du commandement de Paris le duc de Raguse (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 591).J'ai investi le général Catroux, Délégué général et plénipotentiaire au Levant, des pouvoirs exercés par le Haut-commissaire français dans les États du Levant (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 572):Et cette sorte de fonction dont elle était investie pour une fois dans l'année − telles certaines magistratures du monde antique − de personne qui donnera le lendemain la plus considérable garden-party de la saison lui conférait une autorité momentanée.
Proust, Sodome,1922, p. 671.
♦ Emploi pronom. réfl. Chercher un prétexte pour (...) se déclarer attaqué, s'investir de la dictature (Gobineau, Corresp. [avec Tocqueville], 1850, p. 141).L'Assemblée [les États-Généraux] s'enhardissait, s'investissait du pouvoir et faisait acte de souveraineté (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 8, 1864, p. 362).
− Être investi d'un droit, du droit de. Être habilité à user d'un droit, du droit de. Synon. jouir.Ceux qui sont investis momentanément du droit d'envoyer le coupable à la mort ont une sympathie naturelle avec les habitudes de sa vie (Staël, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 318).Ce corps de noblesse privilégiée (...), investie d'une foule de droits lucratifs et honorifiques (Lamennais, Religion,1825, p. 24).Autour de Rome, se trouvait d'abord une ceinture de villes municipales, investies du droit de suffrage et égales en droits à Rome elle-même (Michelet, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 119).
3. Investir qqn de sa confiance. Lui accorder une confiance totale. Être investi de la confiance publique. Et il s'obstina, (...) invoquant (...) la crise économique, la fuite de l'argent, la confiance dont ses clients l'avaient investi, des raisons de banquier (Druon, Gdes fam., t. 2, 1948, p. 44).À force de se voir investi de tant de confiance, on finirait par s'en sortir accablé, offensé (Arnoux, Solde,1958, p. 132).− DR. CONSTIT. (sous la IVeRépublique). Confier par un vote à un homme politique la mission de constituer un nouveau gouvernement. Synon. conférer l'investiture à.L'Assemblée nationale investit qqn, le Président du Conseil (de sa confiance). À les croire [les dirigeants socialistes], investir un président du Conseil n'engagerait à rien (L'Humanité,19 janv. 1952, p. 1, col. 4).« Investi » par 401 voix contre 101 M. Edgar Faure interroge les socialistes avant de constituer son ministère (Le Monde,19 janv. 1952, p. 1, col. 1-2-3).En conformité de l'article 45, paragraphe 3, de la Constitution, l'Assemblée nationale investit M. X de sa confiance (Lidderdale, Parlement fr.,1954, p. 246).
B. − Au fig. Qqn/qqc. investit qqn/qqc. de qqc.Doter (d'un pouvoir ou d'une qualité). L'abandon auquel j'étais condamné, l'habitude de refouler mes sentiments et de vivre dans mon cœur ne m'ont-ils pas investi du pouvoir de comparer, de méditer? (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 94).L'intelligence humaine a pu (...) faire légitimer par la science et investir ainsi d'une autorité incontestée son habitude de tout voir dans l'espace, de tout expliquer par la matière (Bergson, Deux sources,1932, p. 334).L'acte catégorial par lequel la pensée investit le sujet du sens qui s'exprime dans le prédicat (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 150).
Prononc. et Orth. : [ε
̃vεsti:ʀ], (il) investit [ε
̃vεsti]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1241 envestir (de) « mettre en possession (d'un fief, etc.) » (Charte de la Haute-Marne, 8, 6 ds Doc. ling. France, série fr., t. 1, p. 10); 1580 investir « mettre en possession (d'un bien) » (Vente par P. Jeannin à E. Dodun, 13 avril, Étude de MeCanet, notaire à Autun, minutes de Chastel, vol. V, fo415 ds Gdf. Compl.); av. 1615 « charger solennellement d'un pouvoir, d'une dignité » (E. Pasquier, Les Recherches de la France, p. 747 ds IGLF). Empr. au lat.investīre « revêtir, garnir », qui prit en lat. médiév. jur. le sens de « mettre en possession d'un fief, d'une charge, etc. » (dep. fin viiies. ds Nierm.), un élément du costume étant le symbole de la dignité, du pouvoir conférés.
INVESTIR2, verbe trans.
A. − Qqn investit qqc.Entourer de troupes, de façon à couper toute communication avec l'extérieur. Synon. assiéger, cerner, encercler.
1. [L'obj. désigne un objectif milit.] Investir une citadelle, une place forte. Sighebert envoya d'abord une partie de ses troupes investir la place de Tournai et en commencer le siège (Thierry, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 51).Les corps d'armée de Larminat et de Monsabert achèvent d'investir Toulon (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 287):Cette armée nouvelle avait pour mission de couvrir le flanc droit de la 3earmée contre les forces pouvant déboucher du camp retranché de Metz, en investissant progressivement cette place par l'ouest.
Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 276.
2. P. anal. [L'obj. désigne un lieu d'habitation ou de travail] Envahir par la force. Les gardes du commerce investirent mon domicile. Je fus épié, surveillé, saisi à l'improviste, et conduit à la prison de Clichy (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 427).
B. − Au fig. Entourer, cerner de toutes parts. Synon. assaillir, envahir.
1. Qqc. investit qqc.L'épidémie investit la ville. Alors éclatait la « zone », le grand camp de la misère qui, de partout, investit la ville illustre et magnifique (Duhamel, Terre promise,1934, p. 37).À trois cents mètres au-dessous d'eux, les buissons brûlaient. Une bande de feu, de quelque cinquante mètres de large, investissait le village (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1434).
2. Qqc. investit qqn.Les idées d'épouvante, de solitude, d'isolement absolu, vous investissent de toutes parts et vous font frissonner (Chênedollé, Journal,1820, p. 104).− Investir qqn de.Les déchirures plus profondes de son dos et de ses reins l'investissaient d'une flamme intolérable (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 152).Dans les rues de ma ville, partout assailli, investi de sensations réveillées, je découvre dans quelle masse de poésie, presque à mon insu, j'ai respiré et me suis mû (Mauriac, Écrits intimes, Commenc. d'une vie, 1932, p. 49).
3. Qqn investit qqn.Essayer de gagner, de circonvenir, par toutes sortes de stratagèmes. Il arrive aussi que, plus on est persécuté par l'amour de ces sortes de femmes, plus on les hait. Celle-ci m'obsède, m'investit, m'assiège (Hugo, L. Borgia,1833, I, part. 2, 2, p. 67).
Prononc. et Orth. : [ε
̃vεsti:ʀ], (il) investit [ε
̃vεsti]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1. Début xives. envestir « encercler (pour attaquer) » (Chiprois, éd. G. Raynaud, p. 225); 2. ca 1410 investir « entourer, cerner (dans un but de conquête) » (Chron. de Boucicaut, II, 31 ds Gdf. Compl.). Empr. à l'ital.investire « mettre en possession d'une charge, d'un bien, etc. » (dep. xiies. ds Batt.), aussi « attaquer » (dep. 1304, trad. de Plutarque, ibid.) et « assiéger » (début xvies., Sanudo, ibid.), empr. au lat. investire (investir1*) proprement « entourer étroitement (comme un vêtement) ». Bbg. Hope 1971, p. 42.
INVESTIR3, verbe trans.
A. − ÉCON. Qqn investit qqc. (dans qqc.).Employer, placer (de l'argent, des capitaux) dans un secteur de l'économie ou dans une entreprise, pour en tirer des revenus. Elle se constituait une cagnotte, l'investissait en petits placements personnels, boursicotait à la petite semaine (H. Bazin, Vipère,1948, p. 241).Immenses sommes d'argent (...) que les nations européennes ont investies, dès le début du xixesiècle, dans le machinisme et l'industrie lourde (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 184).Au lieu d'investir dans leurs propres firmes, les entrepreneurs décident d'investir dans une grande firme (industrie) nouvelle (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 215):Dès 1950, les gouvernements américain et britannique investissent une cinquantaine de millions de livres sterling en Afrique du Sud pour créer une industrie de récupération d'uranium dont la première usine fonctionne dès 1952...
Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 92.
− En emploi abs. Incitation à investir; épargner et investir. Enfin, pour amener l'économie nouvelle à investir, c'est-à-dire à prélever sur le présent afin de bâtir l'avenir, le « Haut-Commissariat au Plan d'équipement et de modernisation » sera créé pendant cette même année (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 96).La capacité d'innover et d'investir d'un petit nombre de grandes firmes est remarquable (Perroux, Écon. xxes., 1964p. 20).
B. − P. anal. Investir qqc. dans qqc.Employer une somme d'argent à l'achat ou à l'aménagement d'un bien meuble ou immeuble. Il se crut prudent d'investir la somme dans une villa qu'il acheta à sa fiancée près de Nüremberg (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 317).
Prononc. et Orth. Cf. investir1. Étymol. et Hist. 1922 « placer (des fonds) » (Lar. univ.). Empr. à l'angl.to invest, attesté dans ce sens dep. 1613 (T. Aldworth ds NED), lui-même empr. à l'ital. investire, attesté comme terme de fin. dep. début xives. (Cavalca ds Batt.; déjà au fig. chez Iacopone Da Todi, ibid.); cf. investir2.
INVESTIR4, verbe
A. −
1. PSYCHANAL. Qqn investit qqc.Conférer une charge d'énergie psychique à (une activité, un objet, une représentation). [L'état de narcissisme primaire absolu] persiste jusqu'au moment où le moi commence à investir libidinalement ses représentations objectales, à transformer en libido objectale la libido narcissique (Freud, Abr. psychanal., trad. par A. Bermann, 1949, p. 10).Beaucoup préfèrent investir leur souffrance, leurs malheurs, leurs ennuis, qui sont les seuls moyens permis par leur névrose de continuer à jouir du sentiment d'exister (A. Bergeds Foulq. 1971, s. v. investissement).
2. Qqn investit dans.Mettre son énergie psychique dans. Il a beaucoup investi dans cet enfant, dans sa vie professionnelle (Rob.) Investir dans son travail (Rob.Suppl.1970, Lexis 1975).− Emploi pronom. réfl. Des expressions comme « Je m'assume » ou « Tu t'investis » et un mot d'argot comme « l'herbe » rempliront de la même nostalgie des millions de septuagénaires (L'Express,30 janv. 1978, p. 41, col. 3).
B. − PSYCHOL. Qqn investit qqc.Donner une signification personnelle à, attacher des valeurs affectives à (quelque chose). La « réalité humaine » surgit en tant qu'elle est investie par l'être (Sartre, Être et Néant,1943, p. 53).
Prononc. : [ε
̃vεsti:ʀ], (il) investit [ε
̃vεsti]. Étymol. et Hist. 1943 psychol. (Sartre, loc. cit.); 1949 psychanal. (Freud, loc. cit.). Calque de l'all. besetzen « occuper (militairement) », employé au fig. par S. Freud.
STAT. − Fréq. abs. littér. Investir1, 2, 3 et 4: 157. Investi1, 2, 3 et 4: 306. Fréq. rel. littér. Investi1, 2, 3 et 4: xixes. : a) 578, b) 277; xxes. : a) 303, b) 476.