Histoire et classification des figures de style
Sommaire
Qu’entend-on par « figures de style » et quel est l’héritage théorique historique que nous livrent, en filigrane, les classements de figures ? Le présent article propose une mise au point terminologique au sujet des figures de style, aussi appelées « figures de rhétorique » et « figures du discours ». En revenant sur ces expressions, on présentera l’histoire de leur théorisation, ainsi que le dialogue qu’elles instaurent entre rhétorique, stylistique et linguistique. La difficulté de toute entreprise de définition des figures est abordée en fin de présentation ; elle est pensée comme une invitation à parcourir les différents articles de la section « figures de style ».
Histoire et signification des termes « figures de rhétorique », « figures de style » et « figures du discours »
Le concept de figure a été forgé pour la première fois au Ier siècle par Quintilien dans l’Institution oratoire. Il y distingue les figures de mots (microstructurales) et les figures de pensée (macrostructurales), et cette opposition a traversé les siècles.
À l’origine, les figures renvoient à l’ornementation et à tous les moyens pour persuader un auditoire : elles s’inscrivent donc dans le contexte politique d’un discours public, et portent sur l’elocutio, où les arguments doivent s’organiser pour toucher et convaincre1. Après Quintilien, les figures sont considérées comme appartenant à l’art du bien dire, et cet art trouve, petit à petit, sa propre justification. La dépolitisation du contexte d’utilisation des figures laisse alors la place aux tentatives et volontés d’esthétisation de tout discours.
Si cette dialectique entre discours de persuasion politique et discours au sens plus large, tel qu’étudié dans un texte littéraire ou une interaction semble dépassée, elle permet en fait de comprendre ce qui distingue rhétorique et stylistique. Le paradigme de la rhétorique est fondamentalement celui de la communication et de son effet sur un destinataire, alors qu’il n’est pas premier dans la stylistique : c’est davantage celui de la recherche d’une valeur esthétique de la langue.
Pourtant, les figures sont souvent employées pour étudier les deux, sans que l’on sache bien faire la différence entre rhétorique et stylistique, entre discours et style… précisément parce que les deux notions sont complètement imbriquées dans notre manière d’étudier la langue dans le champ des textes littéraires aujourd’hui – cela n’a pas toujours été le cas, et cela tient à l’élargissement du sens du mot discours. Les figures de style et figures de rhétorique sont étudiées sous le terme de « figures du discours » par la recherche linguistique et stylistique, et dans le langage courant on parle d’ordinaire de « figure de style ».
Comment classer les différents types de figures ?
Pour traiter les figures de rhétorique ou figures de styles, nous héritons premièrement de la distinction quintilienne entre figures de mots et figures de pensée. Au sein de l’Institution oratoire il est également question des tropes, mais ils ne sont pas théorisés. La théorisation des tropes, ou figures de sens, est plus tardive. Elle est entamée par César Chesneau Du Marsais dans Des Tropes ou des différents sens, publié en 1730, puis précisée par Pierre Fontanier dans Les figures du discours, manuel en deux parties, publié de 1821 à 1830.
On obtient une classification en trois types de figures : figures de mots, figures de sens, figures de pensée.
(a) Les figures de mots rassemblent les figures de diction et les figures de construction.
Les figures de diction portent sur le mot isolé de tout autre mot, pour sa morphologie. Ce sont par exemple l’anagramme, le palindrome, l’apocope. Elles portent sur une altération ou un changement de la forme du mot.
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Les figures de construction portent sur le mot pris dans le cadre de la phrase, son apparition par rapport aux autres mots, dans une perspective cette fois-ci syntaxique2. Ce sont par exemple les hypallages, énallages, anacoluthes, hyperbate, ellipses, syllepses.
(b) Les figures de sens sont appelées « tropes ».
Ce sont les métaphores, les métonymies, et les synecdoques. Elles opèrent une conversion de sens d’un mot (verbe grec tropein : tourner).
(c) Les figures de pensée sont indépendantes des sons, des formes et du sens des mots pour ne porter que sur la relation d’idées, la création de réseau d’idées et d’images.
Ce sont par exemple la prosopopée, l’hypotypose, l’allégorisme, la litote, l’ironie.
Les figures (1) et (2) correspondent aux figures microstructurales : elles sont isolables sur des segments précis du discours. Les figures macrostructurales concernent l’expression de la pensée, des idées (décrites en (3)).
L’apport de P. Fontanier dans Les figures du discours est de placer les tropes au centre du système3 et de faire une distinction entre « tropes proprement dits » (ce sont les figures de sens, à savoir le trio métaphore-métonymie-synecdoque) et « tropes improprement dits » (où l’on trouve entre autres la personnification, l’allégorie, l’hyperbole, la litote, la prétérition). Les « tropes proprement dits » ne portent que sur un seul mot alors que les « tropes improprement dits » portent sur plusieurs mots. On aurait là une distinction entre figure de mot et figure d’expression, laquelle mène ensuite à la figure de pensée dans certains cas.
Tentative de définition d’un fonctionnement commun des figures
L’élément commun à toutes les figures se trouve explicité dans les tentatives de définition. P. Fontanier rappelle, au moment de présenter les figures du discours, que les tentatives de définitions sont nombreuses et peu satisfaisantes à son époque4 et propose de fondre les deux définitions données par l’Académie française à l’époque pour « figures de la grammaire » et « figures de rhétorique » comme suit :
Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d’un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l’expression simple et commune.5
Fontanier, P. [1821-1830] 1977. Les figures du discours. Paris. Flammarion, p. 64.
Georges Molinié dans les Éléments de stylistique française écrit :
Il y a figure quand, dans un segment de discours, l’effet de sens produit ne se réduit pas à celui qui résulte du simple arrangement lexico-syntaxique.
Molinié, G. [1991] 2011. Éléments de stylistique française. Paris. PUF, p. 82.
La figure est donc une opération linguistique et l’on peut avancer que cette opération est typique et prédéfinie car les différentes figures construisent ensemble un système réglé approximatif des écarts expressifs. C’est la présentation et la théorisation de ce système réglé approximatif qui se trouve au centre des ouvrages des rhétoriciens et stylisticiens.
C’est parce qu’elles forment ce système réglé que l’on peut, sur ce site internet également, proposer leur présentation (voir notre guide des figures de style). C’est parce que ce système est approximatif que chaque auteur du patrimoine littéraire peut en jouer à sa manière, avoir une écriture propre, un usage spécifique de la langue, et créer des émotions esthétiques toujours renouvelées.
Pour poursuivre cette définition de la figure de style, on a donc fait intuitivement appel aux notions d’écart expressif et de norme. La figure est une forme éloignée d’une expression qui serait simple ou non-marquée. Mais le traitement des figures comme écart par rapport à une norme doit aussi être relativisé, comme l’explique N. Laurent dans Initiation à la stylistique :
Il convient toutefois de relativiser ou de réajuster (mais non d’abandonner) cette définition traditionnelle de la figure comme écart.
Laurent, N. 2001. Initiation à la stylistique. Paris. Hachette Supérieur, p. 35
En effet, constituant parfois la seule verbalisation possible du réel extralinguistique, l’expression figurale ne peut pas toujours être remplacée par une formulation plus « normale » qui serait plus « naturelle ».
Il s’agit du phénomène de la catachrèse, que P. Fontanier, d’ailleurs, ne considère absolument pas comme une figure. La catachrèse est une tentative, par la langue, de combler une lacune lexicale (comme les « pieds » de la table ou le « bec » de gaz). Elle est, elle aussi, une opération linguistique et elle permet d’appréhender les limites catégorielles de la rhétorique et de la stylistique de manière efficace en se faisant la balise, le signal, la porte d’entrée (ou de sortie ?) prise par une figure lorsqu’elle se lexicalise pour rejoindre le langage courant.
Pour en savoir plus
– Du Marsais, C.-C. [1730] 1988. Des Tropes ou des différents sens. F. Douay-Soublin (éd.). Paris. Flammarion. (disponible sur Gallica)
– Fontanier, P. [1821-1830] 1977. Les figures du discours. Paris. Flammarion. (acheter)
– Quintilien. De institutione oratoria. Livres I-XII. [1975-1980] 2002-2019. J. Cousin (trad.). Paris. Les Belles Lettres. 7 volumes. (disponible sur Gallica) (acheter)
Œuvres critiques
– Fuzier, H. 2004. « Le trope : en relation avec le De tropis de Charisius, essai de mise en perspective historique du concept depuis l’Antiquité gréco-latine jusqu’à la fin du xxe siècle ». L’information littéraire, n°56, p. 26-33.
– Jenny, L. 2011. Le Style en acte. Vers une pragmatique du style. Genève. MetisPresses.
– Laurent, N. 2001. Initiation à la stylistique. Paris. Hachette Supérieur. (acheter)
– Molinié, G. [1991] 2011. Éléments de stylistique française. Paris. PUF. (acheter)
– Reggiani, C. 2001. Initiation à la rhétorique. Paris. Hachette Supérieur. (acheter)
Notes de bas de page
1 Voir par exemple Reggiani, C. 2001. Initiation à la rhétorique. Paris. Hachette Supérieur. Les différentes parties d’un discours (présentées par Quintilien) sont l’inventio (choix du sujet), la dispositio (organisation du discours), l’elocutio (choix et arrangement des mots), la memoria et l’actio (prononciation et gestuelle).
2 C’est avec les figures de construction que l’on peut rejoindre un autre type de figures : les figures de la grammaire. Les figures de la grammaire sont complètement liées aux figures de style (voir par exemple le statut de l’ellipse ou de l’anacoluthe : ce sont des fautes de grammaire maîtrisées et permettant un effet stylistique).
3 L’ouvrage s’organise selon cet axe, distinguant ce qui est trope, et ce qui n’est pas trope. La première partie est composée du Manuel des Tropes (1821) et la seconde présente les figures qui ne sont pas des tropes (1830, Traité général des figures du discours autres que les Tropes).
4 « De tant de définitions différentes qui en ont été données jusqu’ici, il n’en est pas une seule qui satisfasse pleinement, ni qui ait obtenu l’assentiment général ». Fontanier, P. [1821-1830] 1977. Les figures du discours. Paris. Flammarion, p. 63.
5 Ibid., p. 64. La définition de l’Académie française pour « figure de mots » (grammaire) est « Un emploi ou un arrangement de mots qui donne de la force ou de la grâce au discours » ; et pour « figures de pensées » (rhétorique), « Un certain tour de pensées qui fait une beauté, un ornement dans le discours » (cité p. 64 également).
Bonjour,
Cet article est très intéressant ! Je vais tenter de lire les œuvres proposées. Merci beaucoup !
Amicalement,
Ioan-Cristian CÎRSTEA