Pierre Lemaitre, « les enfants dyslexiques ne doivent pas perdre le contact avec la langue »
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En France, environ 5% des enfants et adolescents souffrent de dyslexie. À l’occasion de la « journée nationale des Dys » ce 10 octobre, l’écrivain et prix Goncourt Pierre Lemaitre revient sur les difficultés rencontrées par sa fille dyslexique et sur les méthodes mises en place pour tenter de les surmonter. Entretien.
LLF : Comment s’est fait le diagnostic de la dyslexie de votre fille et comment cette découverte a-t-elle affecté votre quotidien ?
Ma fille est dyslexique et dyspraxique. Concernant la dyslexie, on s’est rendu compte qu’il y avait un problème car l’apprentissage de la lecture et de l’écriture était extrêmement chaotique, elle était très en retard sur sa classe d’âge. Comme souvent pour les enfants dys, le champ des dysfonctionnements est si large que les handicaps se chevauchent, et il n’est pas facile de cerner ce qui relève de la dyslexie.
C’est un neuro-pédiatre qui a posé le diagnostic, elle avait alors six ans. Mettre un mot sur ces difficultés, cela a été extrêmement rassurant pour elle. Jusque-là elle avait l’impression qu’elle était la plus bête de la classe, qu’elle était anormale. Le diagnostic a été délicat : elle a toujours très bien parlé, elle a une richesse de vocabulaire plus élevée que la moyenne, donc on nous disait qu’il n’y avait pas de troubles du langage… Finalement, le diagnostic de la dyslexie a été très rassurant pour nous, pour pouvoir l’aider, et pour elle, qui a réalisé que ce n’était pas de sa faute.
Concrètement, quelles difficultés rencontre un enfant dyslexique dans l’apprentissage de la langue française ?
Déjà, il faut souligner que la prise en charge dans le système éducatif officiel n’est vraiment pas adaptée aux enfants atteints de troubles dys. Très peu d’enseignants sont formés pour repérer la dyslexie, ils n’ont pas d’outils pour aider les enfants. Ce qu’il faut, c’est prendre du temps pour re-calibrer les exercices en fonction de leur handicap. Le dyslexique ne perçoit pas et ne repère pas des lettres qui sont assez ressemblantes (comme le « b » et le « p », ndlr). Il y a une dimension spatiale importante dans ce trouble du langage écrit. Pour vous donner une image, le dyslexique voit les lettres bouger en permanence, un peu comme sur les panneaux d’affichage des aéroports.
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Devenir premiumExiste-t-il des méthodes pour contourner ces difficultés ?
Tout dépend de la gravité de la dyslexie : les enfants faiblement atteints vont réussir peu à peu à contourner les difficultés et deviendront des lecteurs quasi-normaux, pour d’autres ce sera un enfer toute leur vie. Sur ordinateur aujourd’hui, il existe une police de caractère, « open dyslexie », qui est faite pour permettre à l’oeil d’avoir des repères pour mieux reconnaître les lettres.
Parmi les autres astuces, on peut par exemple utiliser un interligne plus important ou mettre en couleur certaines syllabes. Ce qu’il faut, surtout, c’est du temps. Nous avons fait le choix de déscolariser notre fille pour la mettre dans un établissement hors contrat, spécialement imaginé pour les enfants dyslexiques (l’école Edeys à Bordeaux, ndlr) qui suit le programme avec un autre rythme et d’autres outils. Quand elle avait six ans, le neuro-pédiatre nous a dit « Votre fille va être très malheureuse à l’école ». Aucun parent ne peut accepter une injonction comme celle-là. Tout le monde se moquait d’elle.
Avez-vous réussi, au fil du temps, à contourner la dyslexie pour partager votre passion pour la littérature avec votre fille ?
J’ai fait la lecture à voix haute à ma fille pendant toute son enfance. On a dû lire 2000 livres, Harry Potter, des romans en tout genre, tout y passait. Aujourd’hui, elle a 12 ans et depuis un an elle lit seule, elle a appris à contourner ses difficultés. Elle écoute aussi beaucoup de livres audio. Les enfants dyslexiques peuvent vite être découragés par la lecture, l’une des solutions c’est de continuer à leur donner le plaisir d’écouter les histoires, en lisant par délégation. Ma fille a réussi à garder le contact avec la fiction malgré ses difficultés, elle peut vous raconter les aventures d’Ulysse (L’Odyssée d’Homère, ndlr) à peu près par cœur.
Quels conseils donneriez-vous à des parents qui découvrent aujourd’hui la dyslexie de leur enfant ?
Ce qui est important, déjà, c’est d’affiner le diagnostic, comprendre où se situe le curseur du handicap. Pour ça, il ne faut pas hésiter à faire appel aux professionnels : orthophonistes, ergothérapeutes, psychomotriciens… Et puis, il faut faire en sorte que leurs difficultés ne les privent pas du plaisir de la langue et de la fiction. Les romans lus par le cercle proche sont une bonne solution, que l’enfant ait des référents à qui il puisse dire « lis moi ça ». Il ne faut pas que la dyslexie mène vers la déperdition culturelle ou le désapprentissage de la langue française, ces enfants ne doivent pas perdre le contact avec la langue.