Astéisme – Figure de style [définition et exemples]
Définition de l'astéisme
Un astéisme est une figure de style qui consiste à complimenter, flatter quelqu’un en jouant la comédie du blâme. Considérée comme une forme d’ironie inversée ou de compliment déguisé, il suppose une certaine complicité entre les différents interlocuteurs.
Dans cet extrait de « Dans les limbes », Paul Verlaine s’adresse à Philomène au sujet de ses visites réconfortantes pendant ses séjours à l’hôpital :
Il paraît que tu ne comprends
Paul Verlaine, Dans les limbes.
Pas les vers que je te soupire
Tu les inspires, c’est bien pire.
Étymologiquement, l'astéisme provient du grec asteismos, équivalent du terme exact : « urbanité ». Formé à partir du mot grec « astu », la ville, il caractérise donc la « politesse raffinée, la finesse des élites urbaines sous l'Antiquité, s’opposant au langage vulgaire et prosaïque des campagnes. »
En présentant un discours de manière différente, détournée de la pensée réelle, le locuteur qui emploie cette figure de style le fait avec élégance, galanterie, finesse et délicatesse.
Aujourd’hui très peu utilisée, cette figure de style se classe, selon Pierre Fontanier, parmi les figures d’expression par opposition. L’astéisme est, selon le linguiste dans Les figures du discours, un « badinage délicat et ingénieux par lequel on loue ou l’on flatte avec l’apparence même du blâme et du reproche. »
Repris par de nombreux auteurs, l’exemple du discours extrait du Lutrin de Nicolas Boileau, où la Mollesse personnifiée dresse une éloge magnifique sur Louis XIV, sous prétexte de se plaindre de lui, est un autre exemple d'astéisme :
À ce triste discours, qu’un long soupir achève,
Nicolas Boileau, Le Lutrin, Chant II
La Mollesse, en pleurant sur un bras se relève,
Ouvre un œil languissant, et, d’une foible voix,
Laisse tomber ces mots qu’elle interrompt vingt fois :
« Ô Nuit ! que m’as-tu dit ? quel démon sur la terre
Souffle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre ?
Hélas ! qu’est devenu ce temps, cet heureux temps,
Où les rois s’honoroient du nom de fainéans,
S’endormoient sur le trône, et, me servant sans honte,
Laissoient leur sceptre aux mains ou d’un maire ou d’un comte ?
Aucun soin n’approchoit de leur paisible cour :
On reposoit la nuit, on dormoit tout le jour.
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
Faisoit taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent,
Promenoient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux siècle n’est plus. Le ciel impitoyable
A placé sur leur trône un prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix ;
Tous les jours il m’éveille au bruit de ses exploits.
Ilien ne peut arrêter sa vigilante audace :
L’été n’a point de feux ; l’hiver n’a point de glace :
J’entends à son seul nom tous mes sujets frémir.
En vain deux fois la paix a voulu l’endormir :
Loin de moi son courage, entraîné par la gloire,
Ne se plaît qu’à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois à te tracer le cours
Des outrages cruels qu’il me fait tous les jours. »
Se plaindre de ce dont on veut faire en réalité l’éloge : tel est ce « tour admirable dans l’esprit », particularité de l’astéisme, réalisé par Mascarille en s’adressant à Cathos et Magdelon dans Les Précieuses ridicules :
MASCARILLE, s’écriant brusquement
Les Précieuses ridicules, Molière
Ahi ! ahi ! ahi ! doucement. Dieu me damne ! mesdames, c'est fort mal en user ; j'ai à me plaindre de votre procédé ; cela n'est pas honnête.
CATHOS
Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?
MASCARILLE
Quoi ! toutes deux contre mon cœur, en même temps ! M’attaquer à droite et à gauche ! Ah ! c’est contre le droit des gens ; la partie n’est pas égale ; et je m’en vais crier au meurtre.
CATHOS
Il faut avouer qu’il dit les choses d’une manière particulière.
MAGDELON
Il a fait un tour admirable dans l’esprit.
Astéisme et chleuasme
Le procédé qui produit l’astéisme est proche de celui du chleuasme, figure de style de l’ironie mais de l’ironie tournée vers soi. La chleuasme consiste à faussement s’auto-critiquer pour recevoir des éloges. En se dévalorisant ouvertement, par fausse modestie, une personne peut alors susciter une vague de compliments, gagner en confiance et s’attirer une certaine bienveillance de la part de son auditoire.
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Un bel exemple de chleuasme se trouve dans l’acte III, scène VI de la comédie de Molière, quand Tartuffe s’accuse de tous les péchés inimaginables :
Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur
Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand scélérat qui jamais ait été ;
Chaque instant de ma vie est chargé de souillures ;
Elle n'est qu'un amas de crimes et d'ordures ;
Et je vois que le Ciel, pour ma punition,
Me veut mortifier en cette occasion.
De quelque grand forfait qu'on me puisse reprendre,
Je n'ai garde d'avoir l'orgueil de m'en défendre.
Croyez ce qu'on vous dit, armez votre courroux,
Et comme un criminel chassez-moi de chez vous :
Je ne saurois avoir tant de honte en partage,
Que je n'en aie encor mérité davantage.
Astéisme et diasyrime
Il ne faut également pas confondre l’astéisme avec le diasyrme, défini par Henri Suhamy comme un « discours agressif et dénonciateur ». Cette figure de style consiste à formuler des expressions élogieuses pour cacher une critique ou un reproche inattendu qui surprennent l’auditeur.
Bon appétit, Messieurs, ô ministres intègres,
Victor Hugo, Ruy Blas
Serviteurs dévoués qui pillez la maison !
Autres exemples d’astéismes
Chérubin : Ah ! Suzon, qu’elle est noble et belle ! mais qu’elle est imposante !
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, I, 7
Suzanne : C’est-à-dire que je ne le suis pas, et qu’on peut oser avec moi…
Chérubin : Tu sais trop bien, méchante, que je n’ose pas oser.
Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire.
Boileau, Épître VIII, Au Roy
Tu sais bien que mon style est né pour la satire ;
Mais mon esprit, contraint de la désavouer.
Quoi ! encore un nouveau chef-d'œuvre ! N'était-ce pas assez de ceux que vous avez déjà publiés ? Vous voulez donc désespérer tout à fait vos rivaux ?
Vincent Voiture
Je perdais tout mon sang, vous l'avez conservé ;
Voltaire, Œuvres complètes
Mes yeux étaient éteints, et je vous dois la vue.
Si vous m'avez deux fois sauvé,
Grâce ne vous soit point rendue ; Vous en faites autant pour la foule inconnue
De cent mortels infortunés ;
Vos soins sont votre récompense :
Doit-on de la reconnaissance
Pour les plaisirs que vous prenez ?
Pour en savoir plus, consultez notre guide des figures de style en français.