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La pouponnière d’Himmler, Caroline de Mulder : plongée dans la banalité du mal

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« Je n’ai pas à m’occuper de ce que je pense. Mon devoir est d’obéir. » L’épigraphe de La pouponnière d’Himmler résume l’esprit de ce roman historique, publié chez Gallimard. Caroline de Mulder explore la banalité du mal de l’Allemagne nazie dans le cadre du Lebensborn, un programme de nurseries initié par Heinrich Himmler en 1935, dont le but est de fournir des seigneurs de guerre au « sang pur » en remplacement des jeunes Allemands tombés au combat.

Grâce à vous, chères mères, qui êtes vom besten Blut, du meilleur sang, et avez su choisir un partenaire de valeur supérieure du point de vue racial, il suffira de quelques générations pour faire disparaître de notre Allemagne toute trace de sang impur. Un siècle tout au plus. Nos Heime sont conçus pour qu’y naissent les plus magnifiques éléments de notre race : vos enfants. Notre religion, c’est notre sang. Aussi, je vous remercie, chères mères. La maternité est la plus noble mission des femmes allemandes.

La romancière belge nous plonge dans l’univers des pouponnières nazies à travers la voix de trois personnages. Tout d’abord une jeune française, Renée, qui a dû fuir la France après une relation avec un soldat SS. Elle est tondue par ses compatriotes, et fuit, seule, vers l’Allemagne. Enceinte, elle intègre la première nurserie du programme Lebensborn, le Heim Hochland de Bavière, en 1944. Elle se raccroche alors à l’espoir de revoir, peut-être un jour, le père de son enfant parti au front…

À ses côtés, Helga, une jeune infirmière allemande, cherche à remplir son rôle du mieux qu’elle peut, sous le patronage bienveillant d’Himmler et du directeur de la nurserie. Mais tandis que la ligne de front recule, des vagues de nouvelles pensionnaires chamboulent l’organisation millimétrée du Heim. Elle prend alors conscience de la banalité du mal qui l’entoure, et se retrouve face à un dilemme moral : continuer à obéir ou se révolter ? Dans des passages épistolaires qui ponctuent la narration, elle consigne ses doutes avant de les rayer, oscillant entre obéissance et désir de repentance.

Il n’y a pas d’un côté le bien, de l’autre le mal, il y a de longues glissades dont on ne se relève pas, et des passages quelquefois imperceptibles de l’un à l’autre. Quand on s’en rend compte, il est déjà trop tard.

Enfin, Caroline de Mulder contrebalance l’univers cotonneux de la nurserie par la voix de Marek, prisonnier polonais du camp de Dachau, mobilisé pour réaliser des travaux d’agrandissement du Heim Hochland. Le personnage, rongé par la faim, observe le Heim à distance, sans comprendre sa fonction. Il représente un double masculin en miroir, aux antipodes du confort des pensionnaires de la nurserie.

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Sa détermination à ne pas retourner aux camps ajoute une dose de suspens au récit, rythmé par la progression des alliés, pour culminer en la libération du Heim par les troupes américaines. L’usage de la parataxe dans des phrases coupées au cordeau accentue l’effet d’attente et produit une gradation insoutenable. Le lecteur progresse ainsi vers le dénouement, alternant les points de vue des trois personnages, sans pouvoir lâcher le livre un instant.

Ce roman choral converge en une question philosophique insoluble : comment un endroit dédié à la vie peut-il être corrompu par une idéologie mortifère aux antipodes de sa fonction initiale ? Plus de cinquante ans après le compte rendu du procès d’Eichmann par Hannah Arendt, Caroline de Mulder décrit avec brio comment la banalité du mal peut s’insinuer dans chaque recoin de la société, corrompant jusqu’aux personnes de bonne volonté, drapées dans un besoin impératif d’obéir aux ordres.

La confrontation des trois principaux protagonistes révèle, dans un parallèle macabre, la supercherie du projet d’Himmler : les nurseries, ces « camps de la vie », sont l’envers des camps de la mort auxquels Marek cherche à échapper, mais charrient les mêmes mécanismes mortifères.

Avec La pouponnière d’Himmler — son sixième roman — Caroline de Mulder nous livre un roman utile, d’une grande précision et au style qui témoigne d’une grande maîtrise. Un livre à lire sans hésitation.

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  • La pouponnière d’Himmler, Caroline de Mulder, Gallimard, 288 pages, 7 mars 2024. Acheter le livre >
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Nicolas Le Roux

Nicolas Le Roux

Nicolas est le fondateur du site. Il a rédigé plusieurs centaines d'articles sur les difficultés de l'orthographe française depuis 2015. Passionné de littérature, il publie de temps en temps des critiques littéraires.

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Sujets :  critique littéraire

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Commentaires

Lexicon

Soit, mais il y a souvent confusion avec le mot suspens, qu'on laisse "en suspens".
Et pour moi le mot anglais s'écrit suspence avec un c.
Quant au Robert, c'est souvent le refuge de mots arrangés dont l'usage fait référence. Je préfère le Larousse ou le CNTRL qui ont des références étymologiques et historiques incontestables.
Bien à vous, bibliamicalement.

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Lexicon

« ajoute une dose de suspens au récit »
Je suis désolé de lire sur un site de cette qualité qui met la langue française à l'honneur, qu'on peut encore écrire suspens en lieu et place de suspense. Ce n'est pas la même chose...
Cordialement

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Bonjour,
Voici ce que dit notre article à ce sujet : https://www.lalanguefrancaise.com/orthographe/suspense-ou-suspens

"Si vous parlez de l’état d’angoisse et d’incertitude, il faut donc écrire « suspense suspens » avec un -e. Considéré un anglicisme, certains écrivains préfèrent écrire « suspens » sans -e, argumentant que c’est là la forme francisée du mot anglais suspense. Des dictionnaires comme Le Robert proposent les deux orthographes."

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