Nuits, de Pierre Deram : fuir jusqu’au bout de la nuit
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Après sa nuit djiboutienne (Djibouti, Buchet Chastel, 2016), Pierre Deram nous livre dans ce second roman le récit de ses Nuits au pluriel. Des nuits d’errance faites de débauche, d’alcool et de prostitution, où le personnage principal poursuit un idéal d’amour et de grâce.
Le narrateur trouve une vieille photo Polaroïd qui fait resurgir des souvenirs de jeunesse, lors de son service militaire. Il comprend que c’est à ce moment précis qu’il est happé par la nuit, passage douloureux de l’adolescence à l’âge adulte : « Oui, c’était là-bas que tout avait commencé. Là-bas aussi qu’en quelque sorte, tout s’était déjà achevé. »
À travers des allers-retours entre le passé et le présent, le lecteur découvre un personnage nostalgique, romantique et auto-destructeur, incapable de s’accrocher aux femmes qui croisent son chemin, comme si l’appel de la nuit était trop fort, comme s’il préférait fuir ses blessures passées plutôt que de les affronter à la lueur du jour.
La nuit est une vocation. Aussi loin que je me souvienne, elle avait toujours joué dans ma vie un rôle important. Enfant, l’obscurité m’avait longtemps servi de refuge et c’est vers elle que tout naturellement je devais me tourner plus tard quand, à un âge plus avancé, le jour commença de me causer du dégoût.
Cette construction enchâssée nous entraîne des bars de Belleville aux saunas libertins de Nice, en passant par les bras de nombreuses prostituées. On parvient ainsi au bout du livre sans même y songer ; un livre un peu court, certes — 208 pages.
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Devenir premiumMais que signifie cette fuite nocturne ? Il y avait pourtant cet amour avec Nathalie, présentée en début de roman comme la figure de la pureté et du bonheur possible. Pierre Deram, dans une filiation houellebecquienne d’écrivain romantique, érige cet amour en idéal, et le rend par là même impossible, condamnant son personnage au malheur et à la solitude.
Dès lors, je n’avais plus vécu qu’avec la pénible conviction que je ferais un jour souffrir Nathalie ou que je dépérirais à ses côtés ; et pas une journée ne s’écoulait sans que je ne fusse tout à coup saisi par le sentiment cuisant de ma propre imposture, par l’idée que l’amour ne m’avait été donné que par l’effet d’une erreur, que je ne l’avais mérité d’aucune façon, et qu’il ne tarderait pas, finalement, à m’être bientôt retiré.
On regrette que l’auteur n’aille pas jusqu’au bout de ses Nuits en explorant davantage les raisons de cette fuite nocturne. Le roman dévoile pourtant un traumatisme initial, celui de la mère du personnage principal qui désavoue les amourettes de son jeune fils (« Un jour que je reçus dans mon cartable une lettre qu’une de mes admiratrices y avait secrètement glissée, ma mère qui la découvrit déchira rageusement le billet doux en rougissant : “À dix ans, on n’a pas besoin de petites copines. Prends garde que je ne le dise à ton père.” »), remontrance fondatrice qui empêche le narrateur de s’adonner aux amours adolescentes.
Il y a aussi la question de l’armée, lieu d’initiation à la prostitution qui devient une porte de sortie possible à la fin du roman. Le récit se referme mais il est impossible pour Pierre de retrouver la pureté de l’enfance. Il ne reste plus qu’à s’enfoncer davantage dans la nuit, tel un Sisyphe désabusé, condamné à poursuivre sa quête vide de sens dans les tréfonds de la société.
Les Nuits de Pierre Deram seront un sérieux prétendant au prix de Flore 2024. Souhaitons que son prochain roman explore encore davantage les fragilités des marges pour mieux en révéler l’humanité.
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- Nuits, Pierre Deram, Grasset, 208 pages, 28 août 2024. Acheter le livre ->