L'Éducation sentimentale, Flaubert : la désillusion face à l’amour désintéressé
Lorsque Flaubert publie L’Éducation sentimentale en 1869, le Romantisme est en passe d’être supplanté par le Réalisme et le Naturalisme. L’ouvrage de l’écrivain français participe de ce mouvement en proposant une vision renouvelée du roman.
Flaubert réinvente le Bildungsroman allemand du XVIIIe siècle en mettant en scène un jeune provincial, Frédéric Moreau, dont la passion pour Madame Arnoux se change en désillusion. Contrairement aux conventions, L’Éducation sentimentale ne termine pas sur la réussite sociale du héros, à l’instar du Rouge et le Noir de Stendhal. Mais contrairement à Stendhal, Flaubert ne conclut pas son roman par un événement dramatique, mais par un simple retour à la situation initiale, dans ce qui pourrait s’apparenter à une épanadiplose narrative, accentuant le sentiment de désillusion et de gâchis qui anime son personnage.
En mettant en scène un personnage profondément romantique, exalté par ses sentiments jusqu’à en oublier ses intérêts et ambitions, Flaubert dessine une critique indirecte de la génération romantique. Il bouscule l’obsession romantique d’ascension sociale en la soumettant à l’obsession sentimentale de Frédéric Moreau.
Par ailleurs, Flaubert acte le passage au Réalisme en proposant un tableau détaillé de l’époque : fin de la Monarchie de Juillet, Révolution de 1848 et débuts de la Deuxième République. On regrette cependant que le style de l’écrivain français, précis et extrêmement travaillé, reste influencé par les travers romantiques en s’encombrant de descriptions parfois inutiles.
Dans ce roman, Flaubert s’interroge sur la place de l’amour et sa compatibilité avec l’ambition. L’erreur de Frédéric Moreau est de ne pas considérer l’amour comme un levier, mais comme une fin en soi. Quand Rastignac, conseillé par Madame de Beauséant, utilise sa relation avec Delphine de Nucingen pour conquérir Paris, Frédéric Moreau se refuse à une vision utilitariste de l’amour. Il devient un personnage anti-moderne, à contretemps de son époque, alors que la révolution industrielle promeut les ambitieux et les calculs. L’époque — que Flaubert exécrait — le sanctionne par la ruine et l’isolement social.
L’innovation stylistique et les thèmes de L’Éducation sentimentale marqueront les générations suivantes de romanciers, faisant de ce roman un classique de la littérature du XIXe siècle. L’utilisation du discours indirect libre et la description de l’intime au service du réel inspireront les écrivains du Nouveau Roman, qui achèveront le rêve flaubertien de la primauté du style sur la narration. George Pérec, avec Les Choses, propose un roman flaubertien aux accents sociologiques, allant jusqu’à reprendre le rythme ternaire et certaines scènes de L’Éducation sentimentale.
Mais il semble qu’une contre-révolution romantique est à l’œuvre aujourd’hui, portée notamment par Michel Houellebecq. L’écrivain français constate la dévalorisation du sentiment amoureux à partir de la fin du Romantisme. Dans L’extension du domaine de la lutte, il dénonce la rationalisation de l’amour, devenu une marchandise comme une autre, régie par le marché libéral.
Michel Houellebecq s’oppose ainsi à la vision utilitariste de l’amour et esquisse la possibilité de sa réhabilitation. L’amour désintéressé est possible et devient l’une des conditions du bonheur. Dans ces conditions, peut-être devrions-nous endosser le costume de l’amoureux transi de Frédéric Moreau pour en faire une armure face aux désillusions de notre temps ?
Oups ! Trouvez l'erreur. 2ᵉ paragraphe - 5ᵉ ligne.
« ... ne conclut par son roman par un événement... »
À bientôt.
Pierre