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Le postmodernisme en littérature

Dans un article de 2004, le professeur de littérature Henri Garric pose la question suivante : « Le postmodernisme est-il une arrière-garde ? » S’il vous est difficile de répondre du tac au tac à cette interrogation, c’est pour deux raisons. La première vient de ce que le postmodernisme est une notion vague, encore aujourd’hui, échouant à se délimiter dans le temps et dans l’espace. 

La seconde, c’est que le terme d’arrière-garde ne se comprend que dans son sens provocateur, puisqu’il sous-entend que le postmodernisme s’inscrit en opposition à l’avant-garde et au modernisme littéraire, rompant avec la tradition des grands récits (marxistes surtout) et revendicateurs. Ainsi, la question qui se pose est la suivante : le préfixe « post » désigne-t-il un « après » ou un « contre » ?

En dépit de cela, le postmodernisme s’impose peut-être comme l’une des phases les plus abouties et honnêtes de la littérature, en cela qu’il se tourne vers le passé en reconnaissant ce qui le sépare des formes classiques de la littérature. Les écrivains embrassant cette notion se permettent alors une écriture fluide, pastichée, faite de collages et d’insertion de références, bouleversant les limites des genres et des formes.  

C’est pourquoi le postmodernisme ne se limite pas à la littérature (en prenant la suite du Nouveau roman, du structuralisme, des grands récits), mais s’étend à toute la société, en passant par la philosophie et le domaine des arts.

Origine de la littérature postmoderne

Influences et théorie

Dans les années 1950, le postmodernisme s’impose dans le monde anglo-saxon. L’historien Arnold Toynbee fait usage du terme « postmodern » en lui conférant le sens de « décadent ». De fait, avant son apparition en France, le postmodernisme est avant tout la conceptualisation des symptômes sociétaux post Guerres mondiales et post crise occidentale et s’applique en particulier à l’ambiance générale ressentie aux outre-Atlantique. Dans les États-Unis des années 1960, le terme postmoderne désigne donc avant tout l’ère consumériste.

Si le terme a été popularisé chez les Américains, c’est en France qu’il connaît sa première théorisation, que l’on doit au philosophe Jean-François Lyotard, avec son livre, La Condition postmoderne, publié en 1979. Dans son ouvrage, Lyotard affirme que le postmodernisme signe avant tout la fin des métarécits ou des « grands récits », c’est-à-dire communs à tous, marxistes ou sociologiques de la période moderne. A cela s’ajoutent, comme le précise le philosophe, les bouleversements technologiques, scientifiques et philosophiques (comme la phénoménologie qui bouleverse jusqu’au langage). 

Cette rupture constatée par Lyotard, et presque encouragée, peut être considérée comme une forme de néo-conservatisme (ce qui valut au philosophe la critique de son collègue allemand Jürgen Habermas). En effet, le préfixe « post » ne désigne ici pas seulement un « après » le modernisme, mais une contestation de ce mouvement, prenant le risque de remettre en doute la question du progrès pourtant en vogue depuis les Lumières

Avant de s’appliquer à la littérature, le postmodernisme s’impose surtout dans le domaine artistique et en particulier l’architecture. On voit apparaître des bâtiments fonctionnalistes, liés à la pensée moderniste, mais y apposant un « Esprit nouveau » (citons notamment Le Corbusier). D’autres architectes, comme Peter Blake ou Charles Jencks, s’inspirent des formes du passé pour penser une architecture postmoderne au croisement entre classicisme, éclectisme et technologie (par exemple, l’AT&T Building de Philip Johnson à New York et ses allures de cathédrale futuriste).

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Dans le champ littéraire, la notion prend forme en premier lieu chez les Américains, qui la considèrent comme une source « de vigueur nouvelle » (John Barth par exemple). Toujours à l’étranger, Italo Calvino ou Gabriel García Marquez sont aussi des pionniers du postmodernisme. En France, le concept est surtout utilisé pour désigner le tournant littéraire pris à la fin du XXe siècle qui voit le renouvellement de la scène littéraire et la fin du Nouveau roman

Malgré tout, et au vu de ses applications multiples dans le temps et dans autant de champs variés, la notion de « postmodernisme » reste ambiguë. Le critique et écrivain Antoine Compagnon a tenté d’en saisir les contours dans son ouvrage Les Cinq paradoxes de la modernité (1990), mettant en lumière les subtilités relatives au phénomène du temps et de sa définition par rapport à une époque donnée :

La formation même du terme […] pose une difficulté logique immédiate. Si le moderne est l’actuel et le présent, que peut bien signifier ce préfixe post- ? N’est-il pas contradictoire ? Que serait cet après de la modernité que le préfixe désigne si la modernité est l’innovation incessante, le mouvement même du temps ? Comment un temps peut-il se dire d’après le temps ? Comment un présent peut-il nier sa qualité de présent ? On répondra provisoirement que le postmoderne est d’abord un mot d’ordre polémique en l’inscrivant en faux contre l’idéologie de la modernité ou la modernité comme idéologie, c’est-à-dire moins la modernité de Baudelaire, dans son ambiguïté et son déchirement, que celle des avant-gardes historiques du XXe siècle.

Antoine Compagnon, Les Cinq paradoxes de la modernité

Les pionniers du postmodernisme

Le postmodernisme s’installe en littérature tout d’abord aux États-Unis dans les années 1960 et continue de se développer aujourd’hui (Joseph Heller, Thomas Pynchon, Kurt Vonnegut, David Foster Wallace, Paul Auster…). Ces romanciers américains tracent une voie qu’adopteront à leur tour les écrivains français : mélange de genres, de styles, d’époques, des récits encyclopédiques, reprise des codes du roman policier… 

Mais cette préexistence de la notion outre-Atlantique n’aura pas pour résultat de rassembler tous les écrivains étrangers sous la même bannière : si les États-Unis, qui n’ont pas connu le Nouveau roman, semblent avoir conféré au terme un sens assez précis, la situation est plus complexe en France où le postmodernisme est vraiment pensé en opposition au modernisme et à l’avant-gardisme. Il s’ensuit une confusion : les Américains considérant que certains de nos Nouveaux romanciers sont des postmodernes, tandis qu’ils représentent à nos yeux l’avant-garde.

En France, c’est donc à partir des années 1980 que le postmodernisme s’impose en littérature. Les critiques et historiens s’accordent pour faire commencer le mouvement au moment où les écrivains cessent de suivre les tendances revendicatrices de l’avant-garde (essais critiques, manifestes, colloques…). Le postmoderne rend à la littérature son aspect ludique, inventif, et multiple

Michel Butor avec Mobile, publié en 1962, fait partie des pionniers du mouvement, avant même sa popularisation dans les milieux littéraires. La transition qu’il initie dans l’écriture du récit, où l’on retrouve les deux concepts de fracture et de mobilité, annoncent le renouvellement du roman. La lecture de ce livre, qui nous présente le territoire des États-Unis, est caléidoscopique, en « étoile ». À mi-chemin entre la forme poétique et la forme romanesque, la stylistique est souvent nominale et incantatoire.

Ce livre signale une étape de transition dans la période des années 1960. La mentalité est au recul réflexif, doublé d’une volonté de dépasser les formes anciennes et modernes par le biais de trois aspects : 

  1. le rapport du texte au livre, qui se veut « mobile » par le biais d’une écriture qui combine et bricole ;
  2. l’importance de l’image dans l’écriture, qui rend le texte « visible » ;
  3. la mise en place d’une écriture narrative disparate, d’ordre litanique et spatiale.

Ainsi, si Michel Butor marque un tournant, c’est aussi et surtout parce qu’il avait rencontré, avant Mobile, un certain succès par le biais d’œuvres inscrites dans la mouvance du Nouveau roman. Mobile, au contraire, s’échappe des structures discursives impersonnelles dans lesquelles le Nouveau roman avait versé. 

Les Français postmodernes

Les écrivains français associés au postmodernisme sont donc aussi variés que les formes adoptées dans la création romanesque. En voici quelque uns des principaux :

  • Patrick Modiano détourne le roman policier dès 1978 avec Rue des boutiques obscures, par le biais duquel il donne corps à la quête d’identité de son personnage principal.
  • Jean Echenoz permet quant à lui d’instaurer le caractère parodique du roman postmoderne avec Cherokee (prix Médicis 1983). S’il emprunte lui aussi sa forme au roman policier, il ajoute aux aventures dans les quartiers de Paris (par exemple avec l’enquête de son héros Georges Chave dans son roman L’Equipée malaise en 1986) une description précise du monde moderne.
  • Annie Ernaux, avec La Place, en 1983, se lance dans une écriture plate, minimaliste, et donne à voir une « autosociobiographie ».
  • Jacques Roubaud, un des membres fondateurs de l’Oulipo, écrit La Belle Hortense, un texte publié en 1985 dans lequel se mêlent les références, jeux génériques et intertextualité. 
  • Philippe Sollers, plus récemment avec L’Année du Tigre, journal de l’année 1998, publié en 1999, qui se présente comme un journal quasi-intime et lui aussi découpé, morcelé, intertextuel, doublé de réflexions sur une année charnière à l’aube du second millénaire.

Si  nous ne pouvons citer de façon exhaustive tous les écrivains qui auraient une place dans la mouvance postmoderne, tout comme nous ne pouvons apposer l’adjectif postmoderniste à toute la production littéraire qui s’étend des années 1980 à aujourd’hui, la question de savoir si un écrivain qu’on pourrait qualifier de contemporain comme Michel Houellebecq fait partie de cette catégorie.

Michel Houellebecq publie son premier roman, Extension du domaine de la lutte (Éditions Maurice Nadeau), en 1994. Mais c’est dans les romans suivants (La Possibilité d’une île, en 2005 ou La Carte et le Territoire en 2010) que l’on sent l’influence des jeux romanesques entre le roman d’anticipation et le roman policier.

L’esprit “postmodern”

Au-delà de la question des jeux de forme, la question Houellebecq est intéressante en ce que ses romans décrivent avec cynisme et un certain humour la société postmoderne dans son ensemble. Ses romans se font donc moins les témoins de la littérature postmoderne que du postmodernisme social tel que théorisé par Lyotard, décrit ici par le penseur et écrivain Denis Labouret : 

L’esprit “postmodern”, faute de valeurs sûres dans le présent, mélange les styles, les époques, les cultures. S’il se tourne vers le passé, c’est moins pour rompre avec la modernité – ce qui serait encore une pratique moderne – que pour conduire un jeu intertextuel qui a sa propre saveur, sans proclamation de rupture, avec un éclectisme et une superficialité assumés […]

Denis Labouret

Le retour en arrière décrit ci-dessus consiste donc à avoir conscience de la matière romanesque, c’est-à-dire d’écrire avec la « pensée de derrière ». Contrairement à son camarade l’écrivain moderne, le postmoderne ne prend pas sa littérature trop au sérieux.

L’écrivain postmoderne sait qu’entre le retour à des pratiques anciennes d’écriture (réintroduction de l’intrigue etc.), et ce qu’il écrit ancré dans son temps, se trouve toute une prise de conscience de la littérature, chamboulée jusqu’à ses racines par les controverses modernes et avant-gardistes. D’où le maintien d’une certaine modernité. Dans Apostille au Nom de la Rose (1983, Grasset), Umberto Eco écrit : 

La réponse postmoderne au moderne consiste à reconnaître que le passé, étant donné qu’il ne peut être détruit parce que sa destruction conduit au silence, doit être revisité : avec ironie, de façon non innocente. Je pense à l’attitude postmoderne comme à l’attitude de celui qui aimerait une femme très cultivée et qui saurait qu’il ne peut lui dire : “Je t’aime désespérément” parce qu’il sait qu’elle sait (et elle sait qu’il sait) que ces phrases, Barbara Cartland les a déjà écrites. Pourtant, il y a une solution. Il pourra dire : “Comme disait Barbara Cartland, je t’aime désespérément”. Alors, en ayant évité la fausse innocence, celui-ci aura pourtant dit à cette femme ce qu’il voulait lui dire : qu’il l’aime et qu’il l’aime à une époque d’innocence perdue. […] Tous deux auront réussi encore une fois à parler d’amour.

Umberto Eco, Apostille au Nom de la Rose

Principes de la littérature postmoderne

  • Renarrativisation : Les écrivains postmodernes ont en commun le plaisir de raconter une histoire. C’est l’une des caractéristiques les plus frappantes du mouvement. Nous l’avons vu, les écrivains comme Patrick Modiano, Jean Echenoz ou Michel Houellebecq vont puiser dans les romans policiers, d’espionnage ou d’anticipation des jeux de structure. 
  • Le postmodernisme renoue avec le genre autobiographique. C’est en cela que la rupture d’avec le Nouveau roman est consommée : là où ce dernier tentait de vider son récit de toute intervention de l’auteur (tentative théorisée et menée à son paroxysme par le structuralisme), le roman postmoderne cherche à s’ouvrir à un lectorat plus vaste. C’est ici que surgit la principale critique faite au postmodernisme : le risque de devenir un symptôme de la société de consommation.
  • Le recours ironique à la citation : citer un auteur, une œuvre qui nous précède, le détourner, l’utiliser, c’est se forcer à reconnaître la littérature pour ce qu’elle est : une matière mille fois recyclée, des mots mille fois écrits et réécrits. Ainsi, loin de feindre l’originalité et la nouveauté (à part dans la forme), le postmodernisme fait un usage de la référence, de l’intertextualité et du palimpseste sous la forme du pastiche et de la parodie. Les écrivains postmodernes jouent avec les codes sans les utiliser au premier degré, mais en toute conscience, en sachant qu’il ne s’agit que de codes. 
  • L’éclectisme et l’hybridation : si le postmodernisme privilégie le roman davantage que tout autre genre, c’est pour la liberté qu’il permet dans le mélange des genres. L’auteur postmoderne fait se côtoyer les fragments, les formes, les thèmes, sans se soucier d’une harmonie textuelle. Cette tendance pousse le monde littéraire à repenser les hiérarchies esthétiques. 
  • L’apolitisme : autant le mouvement moderne fut un mouvement engagé, militant, fait de controverses et de réclamations, luttant pour sa légitimité, autant le postmodernisme est ludique et refuse de porter la responsabilité d’un grand discours (moral ou politique) sur le monde ou sur la société.

Extraits d’auteurs postmodernes

Sunoco,-les lacs de la Ravine, Grandiose et Vert.

L’image de la lune.

– la Danse des Pléiades,

CLINTON, Roc.

– la Danse des Ratons Laveurs,

La nuit sur les réserves.

– la Danse de la Guerre,

La rivière de la Mauvaise-Hache, affluent du père des fleuves.

L’apparition des premières étoiles.

– la Danse du Pow Wow,

CLINTON.

– la Danse du Broiement du Maïs,

Le bleu du ciel qui s’approche du noir.

– la fameuse Danse des Dons,

MONTICELLO.

– «Chant d’Amour indien»,

MONTICELLO, Etat du chardonneret oriental.

– Cérémonie auprès d’un Chef à P Agonie!… »

Ah, dès les premiers débarqués, comme ils attendaient la révolte!..

Le lac de l’Épervier-Noir,- ou le costume de Maître-de-la-Lune: « l’homme

de demain. Toute d’une pièce, satin de rayonne jaune avec dessins stencilés rouge,noir et gris, capuchon et masque spatial en plastique.

Michel Butor, Mobile

J’ai passé les épreuves pratiques du Capes2 dans un lycée de Lyon, à la Croix-Rousse. Un lycée neuf, avec des plantes vertes dans la partie réservée à l’administration et au corps enseignant, une bibliothèque au sol en moquette sable. J’ai attendu là qu’on vienne me chercher pour faire mon cours, objet de l’épreuve, devant l’inspecteur et deux assesseurs, des profs de lettres très confirmés. Une femme corrigeait des copies avec hauteur, sans hésiter. Il suffisait de franchir correctement l’heure suivante pour être autorisée à faire comme elle toute ma vie. Devant une classe de première, des matheux, j’ai expliqué vingt-cinq lignes — il fallait les numéroter — du Père Goriot de Balzac. “Vous les avez traînés, vos élèves”, m’a reproché l’inspecteur ensuite, dans le bureau du proviseur. Il était assis entre les deux assesseurs, un homme et une femme myope avec des chaussures rosés. Moi en face. Pendant un quart d’heure, il a mélangé critiques, éloges, conseils, et j’écoutais à peine, me demandant si tout cela signifiait que j’étais reçue. D’un seul coup, d’un même élan, ils se sont levés tous trois, l’air grave. Je me suis levée aussi, précipitamment. L’inspecteur m’a tendu la main. Puis, en me regardant bien en face : “Madame, je vous félicite.” Les autres ont répété “je vous félicite” et m’ont serré la main, mais la femme avec un sourire.

Je n’ai pas cessé de penser à cette cérémonie jusqu’à l’arrêt de bus, avec colère et une espèce de honte. Le soir même, j’ai écrit à mes parents que j’étais professeur “titulaire”. Ma mère m’a répondu qu’ils étaient très contents pour moi.

Mon père est mort deux mois après, jour pour jour. Il avait soixante-sept ans et tenait avec ma mère un café-alimentation dans un quartier tranquille non loin de la gare, à Y… (Seine-Maritime). Il comptait se retirer dans un an. Souvent, durant quelques secondes, je ne sais plus si la scène du lycée de Lyon a eu lieu avant ou après, si le mois d’avril venteux où je me vois attendre un bus à la Croix-Rousse doit précéder ou suivre le mois de juin étouffant de sa mort.

Annie Ernaux, La Place

Dimanche 1er novembre (Venise).

Tiepolo, L’institution du Rosaire. 1737-1739.

Venise, les Gesuati. Photo A.G., 15 juin 2014. Manet, Lola de Valence, 1862.

7 heures. Gris, puis très bleu.

C’est la Toussaint. Messe aux Gesuati à 8 heures. Prêtre très sobre. Vingt personnes sous le plafond de Tiepolo (La Gloire de saint Dominique). « Mistero della fede. » En effet.

Je rentre dans ma chambre pour écrire. À droite, dans la fenêtre ouverte, le Redentore, avec, sur la coupole, la statue endiablée du Christ ressuscité, victorieux.

Le Christ, pour le Diable, c’est le Diable.

Brusquement, tout est rose. « Les dieux sont là. »

Heidegger : « Le « temps » n’est pas plus lié au Je que l’espace ne l’est aux choses ; encore moins est-il « objectif ’ et le temps « subjec­tif ». »

Pensée incompréhensible pour l’habitant de la Métaphysique, c’est-à-dire l’esclave de la subjectivité absolue. Mais je vois ce que montre Heidegger. Le temps ne fait que passer par moi, l’espace est son enveloppe.

Dans Le Monde, ceci, sur Malevitch : « Dans ses écrits, Malevitch s’est réclamé de l’art des icônes. Il a aussi constamment revendiqué l’icône comme faisant partie de la culture paysanne. Le rouge, le blanc et le noir, que l’on retrouve associés dans les icônes de Novgo­rod, plus fortement que dans toutes les autres icônes byzantines, sont aussi les couleurs signalétiques du suprématisme. Il est intéressant de noter que le carré rouge que Malevitch peint en 1915, après son premier carré noir et avant son premier carré blanc, a pour titre Réa­lisme en deux dimensions d’une paysanne. Pourquoi a-t-il donné ce titre ? Il doit y avoir une part d’humour — Malevitch était d’Ukraine le pays de Gogol. »

Promenade dans la gare maritime, soleil sur les quais. Le remorqueur Hercules, de Trieste. Large moment de sérénité, la ville au loin, comme un paquebot de rêve.

L’avion du retour a deux heures de retard. Arrivée sous la pluie battante. Une autre planète. À la Closerie, cinq filles d’une vingtaine d’années se sont organisées une fête au champagne. Elles passent de la plus folle gaieté tendre entre elles à la plus lourde mélancolie. Et de nouveau dans l’autre sens. Et ainsi de suite. Tantôt nymphes ravissantes (à la Fragonard), tantôt effondrées à la Goya, sans âge. Jeunesse et vieillesse en même temps. Je les regarde, j’ai l’impression de voir toute leur vie à travers elles (hystérie, fusion, amour, drôlerie, pourrissement, tristesse, vide). Film épatant pendant une heure. Destins.

Philippe Sollers, L’Année du Tigre
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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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