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Albert Camus : vie et œuvre

« Tout mon royaume est de ce monde », écrit Albert Camus dans L’Envers et l’endroit, sa toute première œuvre, publiée en 1937 à Alger. Romancier, journaliste, dramaturge et philosophe, Albert Camus a marqué une génération par la production d’une œuvre centrée sur le thème de l’absurde. Il répond ainsi à une série de questionnements intellectuels propres à la décennie de l’après-guerre (1945-1955). 

On a eu tendance à associer Camus et sa philosophie à l’existentialisme de Sartre. Mais à rebours de Sartre qui verse dans le nihilisme, la sensibilité de Camus l’a poussé à livrer une réponse au non-sens de l’existence en se refusant au désespoir et en s’attachant toujours aux valeurs humaines.

Athée convaincu, niant toute transcendance divine (l’absurde trouve ici sa source), mais épris des paysages méditerranéens qu’il chante avec lyrisme et sensualité, il a été conscient plus qu’un autre de la condition tragique de l’être humain. 

Élevé dans les quartiers pauvres et orphelin de père, il déclare : « La misère m’empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l’histoire, le soleil m’apprit que l’histoire n’est pas tout. Changer la vie, oui, mais non le monde dont je faisais ma divinité. » C’est dans ce constat amer que puise toute sa pensée philosophique et littéraire. 

Auteur militant et engagé (Résistance française, guerre d’Algérie…), Albert Camus, selon le modèle d’un Montaigne, s’est opposé à tout système idéologique aux airs de totalitarisme. Il nous laisse en héritage une série d’essais et de pièces de théâtre, de contes et de nouvelles, vaste fresque de son génie littéraire arc-bouté contre la seule réaction salvatrice qui vaille : celle de la révolte, nous laissant pour ultime conseil : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».

Qui est Albert Camus ?

« Je fus placé à mi-distance de la misère et du soleil », écrit Albert Camus dans la préface de L’Envers et l’endroit. Il voit le jour le 7 novembre 1913 à Mondovi (aujourd’hui Dréan), dans un domaine viticole du département de Constantine, en Algérie. 

Son père, Lucien Auguste Camus, descend d’une famille agricole, venue s’installer avec les premiers Français dans cette colonie annexée par la France en 1834. Avec sa femme, Catherine Sintès, Espagnole de Majorque, il a deux fils (Lucien, puis Albert). 

Le jeune Albert ne connait pas son père : ce dernier meurt en 1914, durant la Première Guerre mondiale, lors de la bataille de la Marne (5 septembre au 12 septembre). De ce pater familias disparu trop tôt, Camus ne retient que quelques anecdotes héritées de sa mère. 

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Dans L’Etranger, il livre cette anecdote, qu’on pense autobiographique :

Je me suis souvenu dans ces moments d’une histoire que maman me racontait à propos de mon père. Je ne l’avais pas connu. Tout ce que je connaissais de précis sur cet homme, c’était peut-être ce que m’en disait alors maman : il était allé voir exécuter un assassin. Il était malade à l’idée d’y aller. Il l’avait fait cependant et au retour avait vomi une partie de la matinée.

Sa mère, quant à elle, souffre d’une surdité quasi-totale, et ne sait ni lire, ni écrire. Une fois veuve, elle s’installe avec ses deux enfants dans le quartier pauvre d’Alger, chez sa mère, et fait des ménages pour subvenir aux besoins de sa famille.

Le jeune Albert Camus fréquente l’école primaire de 1918 à 1923. Il y est repéré par Louis Germain, un des instituteurs, qui l’encourage et lui permet de réussir le concours de bourses de l’enseignement secondaire, ce qui lui ouvre les portes du lycée Mustapha d’Alger. Il y est respecté et appelé « le Petit Prince ». 

Son rythme de vie est intense, partagé entre ses cours, ses premiers essais d’écriture et ses exploits au foot. En décembre 1930, il se met à cracher du sang : les médecins lui diagnostiquent une tuberculose. Il garde un vif souvenir de cette expérience qui lui vaut un long séjour à l’hôpital.

Une grave maladie m’ôta provisoirement la force de vie qui, en moi, transfigurait tout.

Albert Camus, Carnets

En 1933, il commence des études de philosophie à Alger et se lie d’amitié avec le professeur Jean Grenier, qui lui fait découvrir Nietzsche et qui restera un ami jusqu’à la fin de ses jours (il lui dédicace son livre resté inachevé, Le Premier homme).

Dans les années qui suivent la fin de ses études, Albert Camus s’engage plus avant dans la littérature. Il exerce aussi divers métiers, se marie avec Simone Hié en 1934, dont il divorce peu après, adhère au Parti communiste algérien (qu’il quitte deux ans plus tard, lors de la signature du traité franco-soviétique entre Staline et Pierre Laval en 1935), puis fonde la maison de la culture d’Alger et la troupe « Théâtre du travail » en 1936. 

A cette même époque, il se lance dans le métier de journaliste et, en 1938, travaille pour l’Alger républicain, organe du Front populaire, dont il devient rédacteur en chef. Entretemps, il a commencé à écrire L’Envers et l’endroit (publié deux ans plus tard en 1937) une suite d’essais sur les conditions de vie du quartier algérois de Belcourt et sur des voyages effectués aux Baléares, à Prague et à Venise. Il lit Malraux avec avidité, fournit des réflexions sur la liberté de la presse et la déontologie du journalisme tandis qu’il dirige le journal Le Soir républicain. Le journal est interdit en 1940. Il quitte Alger la même année et se rend à Paris, où il termine L’Etranger. Il se replie ensuite à Clermont-Ferrand, où il écrit une grande partie du Mythe de Sisyphe et épouse Francine Faure avant de se lancer dans la Résistance active.

Le penseur révolté

Albert Camus a toujours été un engagé de la première heure : aux côtés des miséreux de son quartier d’origine, dans la Résistance, contre les courants philosophiques systémiques, contre l’idéologie totalitaire, etc. Le 8 août 1945, il est d’ailleurs le seul intellectuel occidental à dénoncer publiquement, dans un éditorial de Combat (le journal clandestin dont il prend la direction en 1943), l’usage de la bombe atomique, deux jours après Hiroshima.

Albert Camus s’est désormais fait un nom dans les milieux littéraires et philosophiques français : il fréquente André Gide, Jean-Paul Sartre (avant de se brouiller avec ce dernier), François Mauriac, René Char, etc. Il signe aussi une pétition demandant à Charles de Gaulle la grâce de Robert Brasillach (condamné pour ses activités collaborationnistes durant la guerre).

Sa production littéraire ne tarit pas : il a publié Le Mythe de Sisyphe en 1943, reçu avec autant de succès que d’incompréhension (c’est à cette époque qu’on le rattache à tort à l’existentialisme de Sartre). En 1947, il consacre son statut d’écrivain avec la publication de La Peste, puis de la pièce de théâtre Les Justes, deux ans plus tard.

Les dernières années d’un philosophe

Toujours aussi méfiant envers les idées de révolution définitive et homme de gauche modéré, Albert Camus prend ses distances avec le communisme et acte son opposition avec la publication de L’Homme révolté en 1951. Il y fustige notamment l’utopie marxiste, l’hypocrisie soviétique, la tentation nihiliste, et y exploite à nouveau la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave (« L’homme qui dit non » établit par sa révolte, nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il est, une relation d’égalité entre le maître et l’esclave, mais le révolté finit aussi par imposer cette relation, aboutissant à une inversion des rôles). 

L’homme révolté est l’expression de la liberté d’agir, mais ne doit pas lutter en vue d’une liberté totale :

Le révolté exige sans doute une certaine liberté pour lui-même ; mais en aucun cas, s’il est conséquent, le droit de détruire l’être et la liberté d’un autre. Il n’humilie personne. La liberté qu’il réclame, il la revendique pour tous ; celle qu’il refuse, il l’interdit à tous.

Ainsi, le révolutionnaire, selon Camus, a la volonté de « transformer le monde », selon la formule de Marx, alors que l’homme révolté veut « changer la vie », dirait Rimbaud.

Cet ouvrage lui vaut d’être attaqué par une grande partie de ses amis : il se brouille définitivement avec Sartre en 1952, il rompt également avec le poète algérien Jean Sénac. Il achève sa critique de l’existentialisme avec la publication de La Chute, en 1956. 

Un an plus tard, il reçoit le prix Nobel de Littérature. Au même moment, il prend position au sujet de la guerre d’Algérie et lance des appels à une solution pacifiste. Lors de la cérémonie du Nobel, le 16 octobre 1957 à Stockholm, un étudiant l’interroge sur ses prises de position et sur le bien fondé de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Camus répond : « J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »

Après ces remous, Albert Camus ralentit son rythme d’écriture. Il a commencé en 1944 une relation avec Maria Casarès, celle qu’il appelle « l’unique » et laisse de cette passion amoureuse une riche correspondance. Il édite aussi les œuvres de la philosophe Simone Weil, qu’il admire, au point de se considérer comme son « ami posthume » et de conserver un portrait de la philosophe sur son bureau. 

Installé depuis 1958 dans sa maison de Lourmarin, dans le Luberon, Albert Camus travaille à son dernier manuscrit : Le Premier homme. Il fête le jour de l’an 1960 dans sa propriété, en compagnie de sa femme, ses deux enfants (Jean et Catherine), ainsi que Michel Gallimard et sa famille. Le 4 janvier, il rentre à Paris à bord de la Facel Vega de Michel Gallimard. A hauteur de Villeblevin, la voiture sort de la route et percute deux platanes. Camus meurt sur le coup. Il a 46 ans (une polémique au sujet de l’accident poussera certains à penser qu’il a été assassiné par le KGB).

L’œuvre d’Albert Camus

Ce goût triomphant de la vie, voilà la vraie Méditerranée.

Cette sensibilité aux paysages familiers, cette énergie tirée du réel, propres à Camus, sont ce qui le démarquent de tout un courant existentialiste auquel on a voulu l’affilier. Ce courant qui n’a d’ailleurs jamais été une école littéraire mais davantage un climat philosophique. Certes, en s’attaquant à la question de l’absurde, Camus rejoint une génération de penseurs (Sartre en premier lieu), mais le traitement qu’il en fait finit par l’éloigner des réponses nihilistes données par les uns et les autres. 

Albert Camus est, pour sa part, tiraillé entre le tragique de la condition humaine (il est imprégné de culture grecque, ses mythes et ses tragédies) et le lyrisme qui découle de son admiration constante pour la capacité de persistance de la nature face à l’absurde. Son essai dans lequel on le suit sur un itinéraire autour de la Méditerranée, de Oran à Tipasa puis en Grèce, l’Été, publié en 1954, incarne ce double mouvement de l’âme. On y retrouve le vers de Baudelaire, dont il fait l’épigraphe de son ouvrage : « Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ».

L’œuvre de Camus, qu’il s’agisse de ses pièces de théâtre, de ses romans, nouvelles ou contes, s’articule autour de l’angoisse ressentie par l’homme devant le silence d’un ciel dépourvu de dieux (Dieu). Il résume ainsi sa conception des rapports entre l’homme et son destin : « Le non du monde à l’homme (l’absurde), le non de l’homme au monde (la révolte), enfin le oui ultime à tout, y compris à ces deux non ». Il décrit lui-même la façon dont son œuvre se déroule selon un plan bien précis :

Je voulais d’abord exprimer la négation. Sous trois formes. Romanesque : ce fut l’Etranger. Dramatique : Caligula, le malentendu. Idéologique : Le Mythe de Sisyphe. Je prévoyais le positif sous trois formes encore. Romanesque : La Peste. Dramatique : L’État de siège et Les Juste. Idéologique : L’Homme révolté. J’entrevoyais déjà une troisième couche autour du thème de l’amour.

La diversité des genres explorés par l’écrivain s’explique aussi par la nécessité de la fiction. Il lui semblait nécessaire d’installer une distance entre la parole et le sentiment, une distance pudique, qui évite la sensiblerie. Son œuvre inachevée, Le Premier homme (publié à titre posthume par sa fille en 1994) sorte d’autofiction dans laquelle un homme de 40 ans, Jacques Cormery, alter ego de l’auteur, retourne dans son Algérie natale sur les traces de son enfance, comporte en elle la quête d’identité de Camus. 

Il y raconte alors la recherche de son père dans un décor fictif, comme si, au détour d’un chemin, il aurait pu le croiser. La nature cathartique de ce retour en arrière, vers un passé qui semble toujours manquer de quelque chose, exprime mieux que tout la quête d’appartenance d’un homme qui a cherché, tout au long de sa production littéraire et de sa réflexion philosophique, à trouver pour l’homme une place dans le monde. Même si, pour y arriver, une révolte est nécessaire.

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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Commentaires

ProfesseurCl

Bonjour,
j'apprécie vos tests, quiz et blitz, mais ils manquent parfois de logigue. En effet, tantôt l'orthographe rectifiée est acceptée, tantôt elle est considérée comme fautive.

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La langue française Premium

Bonjour,
Vous avez raison, j'y travaille ! Dans les nouveaux quiz, la nouvelle orthographe et l'ancienne sont acceptées. Il faut que je corrige les anciens quiz.

À bientôt,
Nicolas

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