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Benoît Duteurtre, Le retour du Général - critique

Je découvre Benoît Duteurtre à travers Le retour du Général, vaincu par la promesse de cet ouvrage : ressusciter le Général de Gaulle pour mieux s’insurger contre la décadence de la France… tout un programme ! Le personnage principal est l’idéal-type du français, oscillant entre de brèves illuminations heureuses et un pessimisme tournant à l’orage :

D’un côté, j’aime cette vie qui me sourit ; je déambule agréablement de maison en château ; je donne l’exemple d’un être bien adapté, jouissant du meilleur de l’existence. D’un autre côté, j’adore m’emporter contre la marche du monde, m’indigner depuis mon fauteuil contre tant de changements fâcheux, déplorer l’enlaidissement des campagnes face aux paysages splendides où je séjourne…

Le fameux génie français ? Les génuflexions devant Secret Story ou TPMP occultent la révolte, bien tapie dans le creux molletonné des canapés Ikea… De l’amollissement général naît encore quelques combats glorieux d'irréductibles gaulois, dont la défense de l’œuf mayonnaise maison fait figure d’étendard face à l’Union européenne et sa directive sanitaire sur les “sauces émulsifiées”. Dans la recette de la mayonnaise, la quantité d'huile ne doit pas dépasser dix-sept fois la quantité d'eau pour permettre l’émulsion avec le jaune d'œuf et le vinaigre. Ajoutez du sel et du poivre, parfois du citron, et vous obtiendrez cette crème grasse et onctueuse qui se combine parfaitement avec un œuf dur. Doit-on laisser quelques technocrates imposer l’ajout de conservateurs au risque de menacer l’équilibre fragile de ce plaisir fugace qu’est le mélange du blanc d’œuf craquant, du jaune granuleux, et de la mayonnaise fraîche ?

L’œuf mayonnaise de Benoît Duteurtre est le symbole de la résistance à la française par le prisme culinaire et rappelle les “gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines” qu’évoqua si délicieusement Proust, eux-aussi menacés par les conservateurs à base de Lécithines E322. Durant la Belle époque, tremper sa Madeleine dans le thé était synonyme de conversation mondaine ; aujourd’hui les salariés sont condamnés à manger, seuls, un sandwich Sodebo devant leur moniteur. Pourtant, l’insatisfaction de nos papilles mène à la licence… La Révolution française commença par un peuple en manque de pain à qui on exhorta de manger de la brioche ; aujourd’hui, quelques fonctionnaires supra-nationaux réitèrent l'experience en imposant leurs normes culinaires sur l’autel de l’hygiène, “cette arme faite pour balayer les vieux usages, sous prétexte de prévention des risques.”

Le roman décrit, après cette capitulation culinaire, une marche inexorable vers une dystopie où l’Union européenne achèverait de faire triompher une mondialisation totalitaire. La devise “Liberté, Égalité, Fraternité” est remplacée par “Entreprendre, Commercer, Circuler” ; l’État sécuritaire prospère, justifié par l’impérieuse “menace terroriste”. En somme, une vision bien pessimiste de la société occidentale, qui, parfois en forçant le trait de manière un peu caricaturale, fait de ce roman une satire politique qui a le mérite de nous sortir de notre mondialisation instagrammable.

Faut-il cependant céder au moindre penchant de notre culture râleuse et nostalgique, au plus grand plaisir des vendeurs d’anti-dépresseurs ? Faut-il se condamner à attendre le retour de l’Homme providentiel jusqu’à rêver d’une improbable résurrection du créateur de la Vème République ? Du haut de mes 25 ans, j’ai la faiblesse de croire que l’avenir de la France ne réside pas dans la modernisation de ses gloires passées, mais bien dans la réinvention de sa singularité, pour la porter à la face du monde avec toute son arrogance et montrer que la France, elle, n'a pas perdu la guerre.


Le livre : Le retour du Général de Benoît Duteurtre (Folio, 2012)

Le général de Gaulle est de retour. Après un appel à la résistance, prononcé lors d’un piratage télévisuel, il se lance dans une ultime bataille pour la «grandeur de la France». Toujours vaillant sous son képi à deux étoiles, ce revenant passionne l’opinion. A-t-il vécu cent vingt ans? S’est-il fait congeler? S’agit-il d’un imposteur?
Ce Général, un rien foutraque, vit avec son temps : il prône la relance de l’agriculture française par la marijuana, l’ajout d’une fête musulmane au calendrier, mais ranime surtout avec ferveur les idéaux de la vieille Europe…
Dans cette fantaisie romanesque, Benoît Duteurtre entame une croisade loufoque contre l’obsession sécuritaire et hygiéniste, contre la standardisation des sociétés et pour le retour de l’œuf mayonnaise «maison» dans les bistrots.

  • Nombre de pages : 224
  • Prix : 6,80 euros

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L'auteur : Benoît Duteurtre

Benoît Duteurtre, né le 20 mars 1960 à Sainte-Adresse, est un romancier, essayiste et critique musical français. Il est également producteur et animateur d'une émission de radio musicale. Il a reçu le grand prix de littérature Henri Gal, prix de l'Institut de France pour l'ensemble de son œuvre en 2017.

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Commentaires

l'autre France

Ô cette vieille France des apparences et des rêves et qui craignit la publication cadastrale qui trahirait la déconfiture des vieilles familles , cette raillerie du larbin, du vassal qui faute de répondre de lui-même réclame tel un oisillon dans son nid, tout cet ancien Régime qui se régale comme Dieu-en-France sous nos frontons liberté (surtout pas) – égalité (le voisin, déteindrait-il, scandal, ce que je ne désire même pas) – fraternité (et puis quoi encore). . . pourquoi te donnes-tu tant à voir?
La liberté du commerce et de l’industrie, loin d’être quelque lubie d’une commission européenne tombé sur la France d’outre-espace, est une exigence bien française, enfin, aussi française que la révolution du même nom qui pour avoir emporté quelques têtes ne toucha guère aux âmes.

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