Louis Aragon (1897-1982) : vie et œuvre
« Quand il faudra fermer le livre, ce sera sans regretter rien. J’ai vu tant de gens si mal vivre et tant de gens mourir si bien ». Il est assez incroyable de se dire que l’auteur de ces quelques vers, mâtinés d’un certain lyrisme, fut un fervent surréaliste et un ardent communiste.
Louis Aragon, poète de l’entre-deux-guerres et romancier original, est, à l’instar de la plupart de ses comparses, inclassable, tant par sa radicalisation soudaine dans la poursuite de certains idéaux, que par son propre trouble exprimé au travers de ses poèmes et de ses romans.
D’abord surréaliste et pourtant classique, voire naïf, dans son approche de la nature mise en poème, il est aussi dandy nostalgique, grand résistant, communiste engagé, joueur avec le style, sérieux dans son amour pour Elsa… et l’un des plus grands poètes de la littérature française.
Qui est Louis Aragon ?
Louis Aragon naît à Paris le 3 octobre 1897. C’est un enfant illégitime : son père, Louis Andrieux, est déjà marié lorsque son amante, Marguerite Toucas, met au monde l’enfant. Préfet de police, Louis Andrieux donne à l’enfant son propre prénom, et le nom « Aragon », inspiré du temps où il avait été ambassadeur en Espagne.
Mis en nourrice, puis élevé par sa mère qui le fait passer pour son petit frère (pour éviter la réprobation publique qui est à l’époque le lot des mères célibataires), Louis Aragon grandit dans un environnement bourgeois. Son ascendance (fils de « flic »), sera par ailleurs l’objet de moqueries de la part des cercles surréalistes qu’il côtoie par la suite.
Le futur poète retrace de nombreux épisodes de son enfance dans Les Voyageurs de l’Impériale, publié en 1942. On y retrouve sous un autre nom (Sainteville) le château d’Angeville, dans lequel il passe ses vacances. Il est scolarisé à Saint-Pierre-de-Neuilly, puis au lycée Carnot, où il se montre brillant. Assez jeune, il est influencé par les écrits de Barrès, mais aussi de Jean-Jacques Rousseau et Gorki.
Dès 1904, il compose ses premiers romans, et à partir de 1908, ses premiers poèmes. L’un de ces récits paraîtra plus tard dans Littérature en 1919. À l’époque, il dicte ses textes à sa tante. Louis Aragon obtient son baccalauréat en 1915 et s’inscrit en études de médecine.
En 1917, alors médecin auxiliaire au Val-de-Grâce, où sont soignés les poilus blessés sur le front, il rencontre André Breton. Cette même année, les Bolchéviques prennent le pouvoir en Russie. C’est ce que les surréalistes appelleront le « hasard objectif », c’est-à-dire un enchaînement de circonstances et de coïncidences troublantes (le concept est développé par André Breton dans Nadja, en 1928, puis dans Les Vases communicants, en 1932, puis dans Amour fou en 1938).
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Les deux carabins prennent plaisir à échanger sur tous les sujets, et surtout sur Apollinaire (à qui l’on doit la paternité du terme « surréalisme »). Au même moment, Aragon fait la connaissance de Philippe Soupault. Ils forment rapidement ensemble les trois Grâces du surréalisme. Le mouvement est lancé.
La naissance du poète surréaliste
Alors qu’Aragon est décoré pour sa conduite durant les derniers combats de la Grande Guerre, il continue d’écrire des poèmes qui seront rassemblés et publiés dans le recueil Feu de joie en 1920. Il publie en 1926 un second recueil, qui marque lui aussi les débuts du surréalisme : Le Mouvement perpétuel. Et, en 1928, il publie Le Traité du style, essai fondamental dans l’histoire du surréalisme :
Je foule systématiquement au pied sur le feuillage noir de ce qui est sacré – la syntaxe. Systématiquement. […] Je piétine la syntaxe parce qu’elle doit être piétinée. C’est du raisin. Vous saisissez. Les phrases fautives ou vicieuses […], le manque de prévoyance à l’égard de ce qu’on va dire […], l’inattention à la règle, les cascades […], tous les procédés similaires, analogues à la vieille plaisanterie d’allumer sans qu’il s’en rende compte le journal que lit votre voisin […], mettre les coudes sur la table […], ne pas essuyer ses pieds, voilà mon caractère.
Louis Aragon, Le Traité du style
Aragon fréquente les Dadaïstes (dont le fondateur est le poète Tristan Tzara) et participe aux débuts balbutiants du surréalisme. Comme Eluard, Breton et comparses, Aragon fait partie de cette génération meurtrie (la « génération perdue », comme la nomme Gertrude Stein) par la guerre et pour laquelle rien ne sera plus jamais comme avant. D’où la nécessité de trouver un nouveau souffle.
Les valeurs d’avant-guerre ont été balayées et le Dada prône le nihilisme pur : « Tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille est dada », écrit Tristan Tzara. Les surréalistes héritent de cette vision désenchantée et se montent en meute contre la littérature qui les a précédés (si leur première revue prend le nom de Littérature, c’est par dérision).
Petit à petit, Aragon prend ses distances avec le mouvement : Desnos, le poète spécialisé dans l’exploration de l’inconscient, l’initie à cette approche « autohallucinatoire » dans le cadre de la création, sans pour autant convaincre celui qui deviendra bientôt le « fou d’Elsa ». A la même époque, Aragon lit avec un certain scepticisme Les Champs magnétiques, un recueil de textes en prose composés par Breton et Soupault et publié en 1920 et dont l’approche est celle de l’écriture automatique.
La révolte qui s’empare des membres de ce mouvement poétique bâti sur le chaos engendré par la Première Guerre mondiale ne peut que provoquer des dissensions au sein même du groupe. Dès 1924, Breton et Aragon entrent en conflit à propos du roman. Breton, influencé à ce moment-là par Baudelaire, Valéry et Freud, milite pour que l’inconscient trouve dans la poésie sont exutoire.
Aragon, de son côté, travaille à la rédaction de son roman-collage Le Paysan de Paris. S’il y veut dénoncer, comme Valéry et Breton à sa suite, les « faux-semblants réalistes » (Valéry refusait de s’abaisser à écrire des phrases aussi banales que « la marquise sortit à cinq heures » – cette phrase est citée par Breton pour dénoncer les conventions romanesques), Aragon voit malgré tout dans le roman, et surtout par le biais de l’incipit, la preuve que la réalité est toujours investie par l’imaginaire.
Toujours en 1924, c’est l’apothéose du mouvement surréaliste, avec la publication du Manifeste de Breton. Mais au fond, Aragon est troublé et en proie à de grands questionnements en ce qui concerne son engagement dans le mouvement. Les troubles d’Aragon sont en grande partie liés à sa difficulté de « faire passer ses désirs de la sphère mentale au niveau physique » (Larousse). De surcroit, en proie à des soucis financiers, séparé de sa maîtresse Nancy Cunard, il tente de se suicider à Venise, en septembre 1928.
Elsa, ou l’origine d’Aragon
Peu après avoir passé l’épreuve des « jours maudits qui sont des puits sans fonds », « les nuits sans fin à regarder la haine » (« Que la vie en vaut la peine »), Aragon rencontre Elsa Kagan (connue en tant qu’écrivaine de renom sous le nom de son mari, Triolet, duquel elle s’est séparée).
En 1930, Aragon voyage en URSS, à son retour, il rompt avec le camp des surréalistes, choisissant le camp des communistes – qui considèrent que les surréalistes portent en eux un trop grand penchant pour l’anarchisme. Il publie un poème, qui sonne comme une déclaration de guerre envers Breton :
On ne sait plus ici ce que c’était que le chômage
Louis Aragon, revue Littérature, « Front rouge »
Le bruit du marteau le bruit de la faucille
Montent de la terre est-ce
bien la faucille est-ce
bien le marteau l’air est plein de criquets
Crécelles et caresses
URSS…
Au même moment, il devient journaliste pour l’Humanité, ainsi que secrétaire de rédaction de la revue Commune. Durant cette période, il lui est demandé de faire sans cesse preuve de sa véritable conversion au communisme : il voyage souvent en URSS, publie en 1935 le manifeste Pour un réalisme socialiste et se consacre au roman (genre que les surréalistes abhorrent), dont Les Beaux quartiers, un roman qui traite de la lutte des classes (prix Renaudot 1936).
À la veille de la Seconde Guerre mondiale et de sa mobilisation, en février 1939, Aragon épouse Elsa. Il vit à nouveau une période de doute politique : il soutient le pacte germano-soviétique de 1939. S’ensuit quelques mois de flottement à l’issue desquels Aragon choisit le retour à la poésie comme acte de résistance : il publie Crève-cœur en 1941, Le Cantique à Elsa et Les Yeux d’Elsa en 1942.
Dans Les Yeux d’Elsa, Aragon expose un clair engagement : le nom d’Elsa devient l’allégorie de la France sous l’occupation (une patrie dévastée, souffrante, etc.). Mais ce recueil marque aussi le retour d’Aragon à une poésie « d’avant » : de l’art troubadouresque au style hugolien, Aragon explore les multiples facettes de l’anthologie française.
Alors que l’occupation allemande se fait de plus en plus cruelle et pesante (le 11 novembre 1942, les troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation et pénètrent en zone libre), Aragon, sous le pseudonyme de Jacques Destaing, participe au collectif clandestin L’Honneur des poètes, un recueil de poèmes publié dans le cadre de la résistance par les Editions de Minuit, fondées quelques mois plus tôt par un certain Jean Bruller, plus connu sous le nom de… Vercors (Le Silence de la mer). Paul Eluard participe lui aussi à ce recueil, il écrit en préface :
Devant le péril aujourd’hui couru par l’homme, des poètes nous sont venus de tous les points de l’horizon français. Une fois de plus, la poésie mise au défi se regroupe, retrouve un sens précis à sa violence latente, crie, accuse, espère.
Paul Eluard, L’Honneur des poètes, Préface
Parmi les ouvrages publiés par l’auteur dans le cadre de la Résistance, on note le roman Aurélien, chef-d’oeuvre du genre, dont l’incipit demeure aujourd’hui très célèbre (« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide »), et le recueil La Diane française – deux ouvrages parus en 1944 –, recueil dans lequel on trouve l’un des plus beaux poèmes d’Aragon, « Il n’y a pas d’amour heureux », mis en chanson par George Brassens :
Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Louis Aragon, La Diane française, « Il n’y a pas d’amour heureux »
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux […]
Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l’amour de la patrie
Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs
Il n’y a pas d’amour heureux
Mais c’est notre amour à tous les deux.
Un poète pour le P.C.F.
Lors de la Libération (6 juin 1944 – 8 mai 1945), le couple Aragon-Elsa traquent les écrivains suspects de collaboration. Dans son recueil paru plus tard en 1954, Les Yeux et la Mémoire, Louis Aragon semble revenir sur cette période avec une grande rigueur morale dans le poème « On vient de loin » :
Un beau désordre suit les guerres qui s’achèvent
Louis Aragon, Les Yeux et la Mémoire, « On vient de loin »
Les négociateurs y pratiquent le tri
Des peuples des espoirs des terres et des rêves
Et les aventuriers jonglent de la patrie […]
Je ne demande pas le pardon des outrages
La pitié d’une enfance ou Dieu sait quel oubli
Les longs labeurs m’ont fait un homme d’un autre âge
Et j’ai bu le vin noir et j’ai laissé la lie
Mais j’aurai beau savoir comme on dit à merveille
Quelles gens mes amis d’alors sont devenus
Rien ne fera jamais que je prête l’oreille
A ce que dira d’eux qui ne les a connus.
Aragon s’investit de plus en plus aux côtés du Parti communiste français et entre, en 1949, aux Lettres françaises, le magazine culturel du P.C.F. Il publie plusieurs œuvres par lesquelles il lutte pour les idées communiste (contre l’américanisation, contre les dangers de l’arme atomique, pour la nécessaire politique de paix, etc.).
Parmi ces œuvres, on trouve un roman réaliste, Les Communistes (1949-1951) et des recueils de poèmes : Le Nouveau Crève-Coeur, 1948 ; Mes caravanes et Les Yeux et la mémoire (1954), des poèmes qui sont chantés par Ferré et Ferrat. Aragon devient la pierre angulaire du communisme.
Par la suite, il poursuit sa carrière romanesque et publie La Semaine sainte en 1958, un roman décrit comme historique (ce dont le poète se défend : « Ce n’est pas un roman historique, c’est un roman tout court »). Bien qu’il se réclame du réalisme socialiste, Aragon ne peut pas oublier ses débuts surréalistes et les élans de création qui l’ont poussé à devenir poète et écrivain : il ne veut pas se réduire à un naturalisme au service d’une démonstration doctrinale.
Deux autres romans suivront, La Mise à mort, en 1965, puis Blanche ou l’Oubli, publié l’année suivante. Dans ses romans, Aragon met en scène son impossibilité à communiquer, tout comme sa nécessité de le faire, de laquelle découle une certaine angoisse. Chez Aragon l’interrogation de l’identité de l’auteur/narrateur est toujours patente.
On l’admet en linguistique aujourd’hui, je n’existe que dans le langage : l’homme qui ne parle pas donc ne saurait passer pour une première personne…
Louis Aragon, Blanche ou l’Oubli
Dans ses dernières années, Aragon fait l’éloge funèbre de Breton (1966), et ouvre les pages des Lettres françaises à des auteurs considérés, à l’instar de Breton, comme des dissidents du Parti (Kundera ou Soljenitsyne par exemple).
En 1970, Elsa meurt (quelque temps auparavant, elle avait publié Le Rossignol se tait à l’aube). La revue des Lettres françaises ferme quant à elle deux ans plus tard. Aragon peut dès lors retourner à ses premières amours : l’attitude de dandy vivant au travers de sa désespérance, « homosexuel enfin affirmé » (Larousse), auteur à la fin de sa vie de trois dernières œuvres : Henri Matisse, roman (1971), Théâtre/Roman (1974) et Les Adieux (1981).
Louis Aragon meurt le 24 décembre 1982, adulé par les uns, honni par les autres, et original, c’est une certitude, aux yeux de tous.
L’œuvre de Louis Aragon
« Le monde à bas, je le bâtis plus beau » Louis Aragon a commencé sa carrière comme carabin scribouilleur de poèmes. Les deux recueils qui paraissent à l’issue de la Grande Guerre durant laquelle il est médecin auxiliaire au Val-de-Grâce (il y rencontre André Breton) marquent l’histoire du surréalisme.
Dans Feu de joie, en 1920, puis Mouvement perpétuel, en 1926, on décèle un surréalisme exploité comme médium de libération, dans lequel Aragon cherche une révolution positive. A cette époque, Aragon, contrairement à Breton, considère le surréalisme non pas comme une doctrine à laquelle on doit soumettre son exercice poétique, mais comme un point de départ.
Dans ses premiers poèmes, Aragon fait preuve d’une aisance dans le jeu verbal, et même d’une certaine préciosité. À l’instar de ses contemporains, il considère l’écriture poétique comme un exercice de style à part entière.
Au travers de cet exercice transparaît le lyrisme d’Aragon, qui dénote la période que l’on pourrait qualifier de son enfance en littérature. Moins nihiliste que ses camarades dadaïstes, il explore dans ces premiers poèmes la féerie, les charmes de la nature, les métamorphoses, etc. :
Vous que le printemps opéra
Louis Aragon, Le Mouvement perpétuel, « Pour demain »
Miracles ponctuez ma stance
Mon esprit épris du départ
Dans un rayon soudain se perd
Perpétué par la cadence
La Seine au soleil d’avril danse
Comme Cécile au premier bal
Ou plutôt roule des pépites
Vers les ponts de pierre ou les cribles
Charme sûr La ville est le val […]
Durant ses premières années dans les cercles littéraires, le poète poursuit ses exercices surréalistes : dans Le Paysan de Paris, un livre composé de quatre textes à mi-chemin entre le roman et le poème, il explore la déconstruction du langage :
té ité la réa
Louis Aragon, Le Paysan de Paris
Ité ité la réalité
La réa la réa
Té té La
réa
Li
Té La réalité
Il y avait une fois LA RÉALITÉ.
Après avoir exploré toutes les techniques surréalistes (le collage, le pastiche – il imite Lautréamont, maître en la matière), l’oxymore, la déstructuration, allitérations, assonances, vers libre, etc.), la poésie d’Aragon devient tour à tour lyrique et engagée.
Elle est engagée tout d’abord durant la Résistance, comme nous l’avons montré. Puis, par la suite, lorsque Aragon est sacrée voix officielle du P.C.F. Pourtant, à partir de 1940, la poésie de Louis se fait aussi tendre, nostalgique, plus traditionnelle. Cette période marque son retour à l’alexandrin. Son poème, « Que la vie en vaut la peine » en est le plus bel exemple :
C’est une chose étrange à la fin que le monde
Louis Aragon, Les Yeux et la mémoire, « Que la vie en vaut la peine »
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midi d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes […]
Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant […]
Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
Le romancier
Des romans de Louis Aragon, on retient tout d’abord le prosateur des premiers temps, lorsqu’il montait à la tribune pour défendre la cause Dada et le surréalisme. Par la suite, à mesure que Louis Aragon prend ses distances avec le mouvement, son art romanesque se déploie.
Il s’inscrit tout d’abord dans la veine du réalisme socialiste, une doctrine littéraire au travers de laquelle l’auteur suit le credo de l’esprit communiste, c’est-à-dire défendre les intérêts sociaux des travailleurs au travers de la création artistique, quelle qu’elle soit. Les artistes sont ainsi enjoints à s’inspirer de faits et de personnages réels.
Aragon théorise ce courant dès 1934 dans Pour un réalisme socialiste, puis le met en application dans plusieurs de ses romans, de façon plus ou moins évidente, et plus ou moins assumée : Les Cloches de Bâle (1934), Les Beaux quartiers (1936), Aurélien (1944), et Les Communistes (1949-1951).
Aux yeux d’Aragon, « le romancier n’a pas pour seul objet de peindre, dans un cadre contemporain, la condition ouvrière ou la lutte des militants. Comme dans Les Communistes, il peut donner une “image humaine” de personnages réels ou imaginaires bien étrangers à la pensée marxiste. Ainsi, “l’objectivité historique” d’Aragon ne réside pas dans la copie brute d’une réalité intentionnellement choisie, elle repose sur la transcendance qui […] révèle toujours le “Sens de l’Histoire”. » (Lagarde et Michard, XXe siècle, Les grands auteurs français, Anthologie et histoire littéraire, Bordas, 2003)
En dépit de cette vision défendue par Aragon (il ne faut pas oublier l’emprise du Parti et les comptes que ses membres devaient rendre : Paul Nizan, qui fut censuré pour s’en être éloigné en est la parfaite illustration), on ne peut s’empêcher de noter le retour du romancier à une forme de pureté littéraire puisée dans des références classiques et une tendance toujours présente pour le lyrisme.
L’incipit d’Aurélien, que nous avons déjà cité, en est un bon exemple : on n’y trouve guère, en tout cas au premier abord, une verve académique, mais au contraire un style alliant modernité (narration à la fois omnisciente et laissant place au monologue intérieur du personnage principal, sarcasme qui pointe, etc.) et retour aux sources de la littérature. Nous concluons sur la suite de cet incipit :
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore :
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
En général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? c’est ce qu’il ne s’expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l’histoire de Bérénice… l’autre, la vraie…
Louis Aragon, Aurélien
C'a été intéressant mais trop court. Il faudrait mettre plus de contenus.