Le registre tragique
Sommaire
Définition du registre tragique
Le registre tragique est un registre littéraire dont le but est d’émouvoir le lecteur ou le spectateur. Dilemmes, conflits et passions tourmentent les personnages, désespérés face à leur terrible destin. Leur histoire est sans issue, condamnée à un tragique dénouement, se traduisant souvent par la mort du héros et parfois des autres personnages.
On ne peut éprouver que de la compassion envers les personnages de l’une des plus célèbres pièces de William Shakespeare : Roméo et Juliette, amants malheureux voués à un amour impossible.
ROMÉO – Ah ! chère Juliette, pourquoi es-tu si belle encore ? Dois-je croire que le spectre de la Mort est amoureux et que l’affreux monstre décharné te garde ici dans les ténèbres pour te posséder ?... Horreur ! Je veux rester près de toi, et ne plus sortir de ce sinistre palais de la nuit ; ici, ici, je veux rester avec ta chambrière, la vermine ! Oh ! c’est ici que je veux fixer mon éternelle demeure et soustraire au joug des étoiles ennemies cette chair lasse du monde...
William Shakespeare, Roméo et Juliette, Acte V, Scène 3
Les tragédies classiques mettent en scène des héros ou des personnages mythologiques mais on retrouve aussi le registre tragique chez certains auteurs comme Albert Camus, Émile Zola ou André Malraux.
Procédés et thèmes du registre tragique
Le registre tragique permet d’aborder des thèmes comme la mort, le destin, la volonté divine, l’amour, la colère, le désespoir, la faute, le sacrifice, la vengeance. Les écrivains utilisent donc un vocabulaire assez soutenu, souvent dans une ambiance pesante, appartenant au champ lexical de ces différentes thématiques.
Une ponctuation importante
Les dialogues entre les personnages sont ponctués d’exclamations et d’interrogations. Ces signes de ponctuation renforcent le sentiment de détresse dans lequel se trouve le personnage qui s’exprime. De cette manière, selon le ton choisi, ses craintes et doutes pour l’avenir sont palpables par le public.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Jean Racine, Phèdre
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Les figures de style
Pour donner du sens aux propos, renforcer certaines idées ou tout simplement apporter un rythme, les auteurs ont recours, dans le registre tragique, à des figures de style particulières.
Des figures d’opposition comme l’antithèse ou le chiasme renforcent le dilemme auquel le personnage, impuissant, doit faire face. Des hyperboles apparaissent souvent dans les scènes de plaintes, où les personnages exagèrent leurs malheurs.
Supplications, invocations et apostrophes
Dans les tragédies classiques, les personnages emploient régulièrement des supplications et des invocations, des formes de prières ou de formules qui implorent une divinité avec insistance.
Inscrivez-vous à notre lettre d'information
Chaque vendredi, on vous envoie un récapitulatif de tous les articles publiés sur La langue française au cours de la semaine.
Pour cela, ils utilisent le procédé de l’apostrophe, qui caractérise l’intensité de l’émotion, comme dans cet exemple célèbre dans Le Cid :
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
Pierre Corneille, Le Cid
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Pendant le discours, Don Diègue interpelle des éléments qu’il personnifie. L’interjection « ô ! » est souvent présente.
Exemples de textes tragiques
Quelques exemples d’autres textes, issus de tragédies classiques ou de romans, appartenant au registre tragique :
Corneille est à l’origine de tragédies classiques très célèbres comme Le Cid, dont voici un extrait :
RODRIGUE —
Percé jusques au fond du cœurD’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d’une juste querelle,
Et malheureux objet d’une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
Ô Dieu, l’étrange peine !
En cet affront mon père est l’offensé,
Et l’offenseur le père de Chimène !
Que je sens de rudes combats !
Pierre Corneille, Le Cid, Acte 1, Scène 6
Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse :
L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
Ô Dieu, l’étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ?
Le jeune Rodrigue est face à un dilemme (le fameux « dilemme cornélien ») car son père lui a demandé de tuer le père de sa bien-aimée Chimène. Choix évidemment terrible pour ce jeune homme tiraillé entre son amour et son devoir.
Dans ce texte tragique qui induit un sentiment de pitié, il exprime sa plainte avec une ponctuation exclamative et interrogative, ainsi que la présence de nombreuses figures de style (antithèses et chiasme) et deux apostrophes.
À l’instar de Corneille, Jean Racine est un grand tragédien. Dans cet extrait issu de Phèdre, cette dernière exprime sa jalousie douloureuse en apprenant que son amour pour Hyppolyte, le fils de son époux Thésée, n’est pas réciproque.
Ils s'aimeront toujours.
Jean Racine, Phèdre, Acte IV, Scène 6
Au moment que je parle, ah ! mortelle pensée !
Ils bravent la fureur d'une amante insensée.
Malgré ce même exil qui va les écarter,
Ils font mille serments de ne se point quitter.
Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m'outrage,
Œnone. Prends pitié de ma jalouse rage.
Il faut perdre Aricie. Il faut de mon époux
Contre un sang odieux réveiller les courroux.
Qu'il ne se borne pas à des peines légères :
Le crime de la sœur passe celui des frères.
Dans mes jaloux transports je le veux implorer.
Que fais-je ? Où ma raison va-t-elle s'égarer ?
Moi jalouse ! Et Thésée est celui que j'implore !
Mon époux est vivant, et moi je brûle encore !
Pour qui ? Quel est le cœur où prétendent mes vœux ?
Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.
Mes crimes désormais ont comblé la mesure.
Je respire à la fois l'inceste et l'imposture.
Mes homicides mains, promptes à me venger,
Dans le sang innocent brûlent de se plonger.
Le champ lexical de la douleur est bien présent dans ce texte qui comporte des exclamations et des interrogations mettant en évidence la détresse de Phèdre. On trouve une antithèse (« souffrir un bonheur ») et une exagération de sentiments avec des hyperboles (« chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux »).
On trouve aussi le registre tragique dans certains romans. Un exemple avec le roman de Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, qui ressemble à une tragédie classique.
Je m’y soumettrai sans doute, il vaut mieux mourir que de vivre coupable. Déjà, je le sens, je ne le suis que trop ; je n’ai sauvé que ma sagesse, la vertu s’est évanouie. Faut-il vous l’avouer, ce qui me reste encore je le dois à sa générosité. Enivrée du plaisir de le voir, de l’entendre, de la douceur de le sentir auprès de moi, du bonheur plus grand de pouvoir faire le sien, j’étais sans puissance et sans force ; à peine m’en restait-il pour combattre, je n’en avais plus pour résister ; je frémissais de mon danger sans pouvoir le fuir. Eh bien ! il a vu ma peine et a eu pitié de moi. Comment ne le chérirais-je pas ? je lui dois bien plus que la vie.
Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses
Ah ! si en restant auprès de lui je n’avais à trembler que pour elle, ne croyez pas que jamais je consentisse à m’éloigner. Que m’est-elle sans lui ? ne serais-je pas trop heureuse de la perdre ? Condamnée à faire éternellement son malheur et le mien ; à n’oser ni me plaindre, ni le consoler ; à me défendre chaque jour contre lui, contre moi-même ; à mettre mes soins à causer sa peine, quand je voudrais les consacrer tous à son bonheur : vivre ainsi n’est-ce pas mourir mille fois ? voilà pourtant quel va être mon sort. Je le supporterai cependant, j’en aurai le courage. Oh ! vous, que je choisis pour ma mère, recevez-en le serment !
Dans ce roman, les principaux personnages sont victimes de leur destin. Dans cet extrait, la narratrice, Madame de Tourvel, exprime sa douleur et sa culpabilité par l’utilisation de termes appartenant au champ lexical de la souffrance (courage, peine, malheur, pitié, sort…). Au fur et à mesure du texte, le lecteur peut ressentir la crainte du personnage que l’on sait impuissante et innocente.
Vous voulez en savoir plus ? Consultez notre guide des registres littéraires.