Alphonse de Lamartine : vie et œuvre
Sommaire
Emblème de la jeune garde romantique, Alphonse de Lamartine (1790-1869) a marqué une génération par son art de l’élégie et sa figure de poète sensible et transi d’amour. Ses Méditations poétiques, qui connurent un succès retentissant en 1820, ont participé à la renaissance poétique en ce début de XIXe siècle.
Homme d’action, peu sensible aux distinctions, il fut aussi un grand orateur politique et participa à la Révolution de février 1848 ainsi qu’à la proclamation de la Deuxième république.
Qui est Lamartine ?
Alphonse de Lamartine est né à Mâcon le 21 octobre 1790. Il passe les dix premières années de son enfance à la campagne, dans le village de Milly, près de sa ville de naissance. Son père, un ancien prisonnier des cachots de la Terreur, y exploite le domaine familial. Sa mère, très douce et pieuse, donne à Alphonse et ses sœurs une éducation catholique, puis le confie à l’abbé Dumont.
A partir de 1797, le jeune Alphonse passe son enfance dans la fameuse propriété de Milly. Jusqu’en 1800, il fréquente l’école paroissiale de Bussière, puis passe deux ans à l’institution Puppier, à Lyon. De caractère rebelle, il ne supporte pas le cadre dans lequel il est placé et s’évade même en décembre 1802. Il est alors confié au collège catholique de Belley et y reste jusqu’en 1808.
Doté d’une grande sensibilité, Lamartine développe son imagination et son regard porté sur la nature en écrivant ses premiers vers. Sous l’Empire, Lamartine se voue à une « oisiveté culturelle » : il ne s’engage dans aucune carrière, mais se laisse aller à une mélancolie rêveuse accompagnée d’une quantité de lectures : Homère, La Bible, Chateaubriand, Madame de Staël, Rousseau…
Durant cette période, Lamartine continue d’écrire quelques vers et de se lancer dans des petits projets (un livre d’élégies, une tragédie, etc.) puis est envoyé en Italie, de juillet 1811 à mai 1812. C’est sous la Restauration que s’affirme sa vocation littéraire. De retour chez lui, à Milly, il se lance dans la rédaction de Saül, une tragédie biblique, et dans un grand poème épique sur Clovis. A peine engagé comme garde du corps en 1814, il démissionne de son poste moins d’un an plus tard et fait une rencontre décisive en octobre 1816.
A Aix-les-Bains, il fait la connaissance de Julie Bouchaud des Hérettes, mariée à l’âge de vingt ans au célèbre physicien Charles, alors sexagénaire. C’est dans ce décor savoyard que Lamartine et celle qu’il immortalisera sous le nom d’Elvire (dans son premier recueil, Les Méditations), vivent une courte aventure exaltée. A l’été 1817, Lamartine, de retour à Aix, attend l’arrivée de Julie, qui doit le rejoindre. Ces retrouvailles n’auront jamais lieu : Julie meurt en décembre de la même année, sans avoir retrouvé son poète.
Cette tragédie inspire à Lamartine l’un de ses poèmes les plus connus, Le Lac. Lorsqu’il commence à le rédiger, Julie n’est pas encore morte, mais il la sait atteinte d’une maladie incurable et, dans le poème, déplore la puissance d’un temps qui corrompt et ne cesse jamais sa course. Avec ce poème, qui fait du lac du Bourget le symbole d’une passion et incarne alors le romantisme par excellence. Lamartine reviendra souvent se recueillir sur les bords de ce lac.
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Pour se sauver d’un désespoir que sa foi ne parvient pas à endiguer, Lamartine s’enferme dans la solitude et subit de plein fouet une crise morale dont il se distrait en s’acharnant à achever Saül et en composant l’Ode au malheur (qui devient « le Désespoir » dans les Méditations). Tandis que Saül est refusé par l’éditeur, trois de ses méditations poétiques sont imprimées, ce qui le décide à en faire un recueil.
En 1819, il rencontre Elisa Birch, à Aix, et se fiance avec elle. En mars 1920, il trouve un poste d’attaché d’ambassade à Naples, il se marie le 6 juin, tandis que les Méditations poétiques sont publiées (24 pièces). Le recueil rencontre un succès immédiat et immense : Hugo et Musset sont sous le charme de cette nouvelle écriture intime et musicale et les éditions des Méditations se succèdent : en décembre 1822 paraît la neuvième.
L’explosion romantique et la tentative politique
Au cours de la décennie 1830, Lamartine mène de front une double carrière diplomatique et poétique. En 1829, il est reçu à l’Académie française. En 1830 paraissent les Harmonies poétiques et religieuses puis, en 1836, Jocelyn (que lui inspire la figure de son enfance, l’abbé Dumont), long poème où se mêlent exaltation des sentiments et évocation d’un déisme ambigu doublé de christianisme social.
Côté politique, Lamartine est élu tour à tour conseiller général, député, ministre… Puis, lors de la proclamation de la République en février 1848, Lamartine devient membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères (il s’implique dans la proclamation de la République en rédigeant de nombreux discours, notamment une harangue pour la défense du drapeau tricolore contre le drapeau rouge).
Le poète, dans cette course pour le pouvoir, va jusqu’à se présenter à l’élection présidentielle de décembre qui portera Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir. Étiqueté comme porteur de « l’illusion lyrique » par les gendelettres et inconnu du grand public (à son évocation, les paysans demandent : « Qu’est-ce que cette Martine ? »), le candidat malheureux ne remporte que 0,26 % des voix.
Entretemps, Lamartine a eu deux enfants, un garçon mort en bas âge, et une fille, Julia, née en 1822. Cette dernière meurt à Beyrouth en 1832, alors que Lamartine voyage en Grèce, en Palestine et en Galilée. Cette épreuve qui fut pour lui l’une des plus douloureuses lui inspire le poème Gethsémani ou la mort de Julia.
Les vingt dernières années de la vie de Lamartine sont marquées par l’endettement et la fin de ses engagements politiques. Bien qu’il ait vendu la propriété de Milly (dont il chante une dernière fois la beauté dans La Vigne et la Maison en 1856), le poète se retrouve dans l’obligation de rédiger des pensums alimentaires ou de circonstances afin d’éponger ses dettes. Il meurt le 28 février 1869, le crucifix d’Elvire à son chevet.
L’œuvre de Lamartine
En 1820, les Méditations poétiques paraissent et le romantisme fait son entrée fracassante dans l’histoire littéraire. Alphonse de Lamartine incarne la figure idéale du poète romantique et de l’écriture du Moi. Le « je » est revendiqué par le poète qui se donne pour but l’utopie de la totalité. A propos des Méditations, Lamartine écrit :
Je n’imitais plus personne, je m’exprimais moi-même pour moi-même. Ce n’était pas un art, c’était un soulagement de mon propre cœur qui se berçait de ses propres sanglots. Je ne pensais à personne en écrivant çà et là ces vers, si ce n’est à une ombre et à Dieu. Ces vers étaient un gémissement ou un cri de l’âme. Je cadençais ce cri ou ce gémissement dans la solitude, dans les bois, sur la mer ; voilà tout. Je n’étais pas devenu plus poète, j’étais devenu plus sensible, plus sérieux et plus vrai. C’est là le véritable art : être touché ; oublier tout art pour atteindre le souverain art, la nature.
Alphonse de Lamartine, Des Méditations
Lamartine revendique l’héritage d’un Rousseau ou d’un Chateaubriand dans la mesure où toute sa réflexion poétique trouve ses fondements dans une introspection toujours renouvelée. Cette attention portée à ses propres sentiments, avant de trouver un écho dans la poésie, pousse Lamartine à s’intéresser au mystère de sa propre âme et de ses inclinations. Sous un petit autoportrait stylisé dessiné par Lamartine, ce dernier avait écrit en lettres capitales « VOLONTE ».
Cette constante interrogation que lance le poète au monde et à sa propre conscience finit chez Lamartine par se diluer dans les effluves poétiques. De croyant torturé, il passe à emblème du romantisme, tentant paradoxalement de vider ses vers de toute substance trop personnelle pour leur donner une valeur universelle.
Les Méditations poétiques
Au cours des premières décennies du XIXe siècle, le cœur et ses battements sont devenus l’enjeu ultime de la poésie. De Lamartine à Vigny en passant par les « Nuits » de Musset, l’exercice poétique se refuse désormais aux spéculations abstraites ou à l’esthétisme gratuit, prenant le contrepied de la poésie « néo-classique ».
Les poèmes qui composent les Méditations poétiques sont tantôt tissés de drames sentimentaux, tantôt d’interrogations métaphysiques en lien avec la nature. On y trouve de nombreuses interrogations et exclamations, preuves du cheminement de l’inspiration qui triture l’âme du poète. Voici un extrait du très célèbre poème « Le Lac », exemple de l’élégie qui fut le parangon de la poésie romantique :
Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
Alphonse de Lamartine, Le Lac, Méditations poétiques
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :
« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
[…] Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dit : Ils ont aimé ! »
Jocelyn et le mysticisme poétique
En 1813, Madame de Staël avait pris la défense du romantisme nouvellement introduit en Allemagne, en soulignant l’inspiration religieuse évidente que l’on trouvait dans ce mouvement littéraire. Dans De l’Allemagne, elle fait remonter le romantisme aux « chants des troubadours », et parle d’une poésie « qui est née de la chevalerie et du christianisme ».
Ce même lien entre lyrisme et religion, nous le retrouvons dans l’Avertissement au lecteur de la première édition des Méditations poétiques, rédigé par Eugène Genoude. Voici ce qu’il en dit :
Vivement frappés du sentiment poétique qui y domine et de la teinte originale et religieuse de cette poésie, nous avons pensé que le public les accueillerait avec intérêt. […] Nous savons aussi qu’il y a au fond de l’âme humaine un besoin imprescriptible d’échapper aux tristes réalités de ce monde et de s’élancer dans les régions supérieures de la poésie et de la religion.
Eugène Genoude, Avertissement au lecteur des Méditations poétiques
Cette exaltation métaphysique se fait jour chez Lamartine dans une première œuvre, les Harmonies poétiques et religieuses, recueil publié en 1830. Il écrit ces poèmes en 1828, au cours d’un séjour en Italie, envoûté par le spectacle de la nature dans laquelle il voit l’œuvre du Créateur. Son poème, « Une nuit d’été », exprime la contemplation spirituelle dans laquelle son âme est plongée :
C’est une nuit d’été ; nuit dont les vastes ailes
Alphonse de Lamartine, “Une nuit d’été”, Harmonies poétiques et religieuses
Font jaillir dans l’azur des milliers d’étincelles ;
Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,
Permet à l’œil charmé d’en sonder l’infini ;
Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,
De ce livre de feu rouvre toutes les pages !
Sur le dernier sommet des monts, d’où le regard
Dans un trouble horizon se répand au hasard,
Je m’assieds en silence, et laisse ma pensée
Flotter comme une mer où la lune est bercée.
[…]
Que le séjour de l’homme est divin, quand la nuit
De la vie orageuse étouffe ainsi le bruit !
Mais plus encore, c’est dans son poème Jocelyn, journal et confession d’un prêtre qui raconte sa passion amoureuse pour un jeune garçon qu’on lui a confié, Laurence. Le poème met en exergue le sentiment religieux ambigu de Lamartine, mais aussi et surtout le combat des sens transportés face à la mystique de l’âme, puisque le prêtre et le jeune garçon – qui se révèle être une jeune femme, elle aussi amoureuse de Jocelyn – sacrifient leur mutuels sentiments à l’idéal divin.
En fin de compte, c’est dans le spectacle de la nature que les deux âmes trouvent une jouissance émotionnelle et spirituelle :
Nos cœurs étaient muets à force d’être pleins ;
Alphonse de Lamartine, Jocelyn
Nous effeuillions sur l’eau des tiges dans nos mains ;
Je ne sais quel attrait des yeux pour l’eau limpide
Nous faisait regarder et suivre chaque ride,
Réfléchir, soupirer, rêver sans dire un mot,
Et perdre et retrouver notre âme à chaque flot.
Nul n’osait le premier rompre un si doux silence,
Quand, levant par hasard un regard sur Laurence,
Je vis son front rougir et ses lèvres trembler,
Et deux gouttes de pleurs entre ses cils rouler,
Comme ces pleurs des nuits qui ne sont pas la pluie,
Qu’un pur rayon colore, et qu’un vent tiède essuie.
— Que se passe-t-il donc, Laurence, aussi dans toi ?
Est-ce qu’un poids secret t’oppresse ainsi que moi ?
— Oh ! je sens, me dit-il, mon cœur prêt de se fendre ;
Mon âme cherche en vain des mots pour se répandre :
Elle voudrait créer une langue de feu,
Pour crier de bonheur vers la nature et Dieu.
— Dis-moi, repris-je, ami, par quelles influences
Mon âme au même instant pensait ce que tu penses ?
Je sentais dans mon cœur, au rayon de ce jour,
Des élans de désirs, des étreintes d’amour
Capables d’embrasser Dieu, le temps et l’espace ;
Et pour les exprimer ma langue était de glace.
Cependant la nature est un hymne incomplet,
Et Dieu n’y reçoit pas l’hommage qui lui plaît,
Quand l’homme, qu’il créa pour y voir son image,
N’élève pas à lui la voix de son ouvrage :
La nature est la scène, et notre âme est la voix.
Essayons donc, ami, comme l’oiseau des bois,
Comme le vent dans l’arbre ou le flot sur le sable,
De verser à ses pieds le poids qui nous accable,
De gazouiller notre hymne à la nature, à Dieu :
Créons-nous par l’amour prêtres de ce beau lieu !
Sur ces sommets brûlants son soleil le proclame,
Proclamons-l’y nous-même et chantons-lui notre âme !
La solitude seule entendra nos accents :
Écoute ton cœur battre, et dis ce que tu sens.
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