Alexandre Dumas (1802-1870) : vie et œuvre
« Mon père est un fleuve, on peut pisser dedans », répondait Alexandre Dumas fils à un critique.
Auteur prolifique, qui donne autant dans le théâtre pour la Comédie française que le théâtre de boulevards, autant dans le roman-feuilleton que la chronique historique, Alexandre Dumas père a rencontré le succès presque tout au long de sa vie. La littérature de Dumas, qu’il s’agisse de ses pièces de théâtre ou de ses romans, est une littérature du peuple, qui a l’intuition de ce qui peut plaire.
Laissant les homélies politiques à Hugo, la vague mélancolie à Chateaubriand et les réflexions introspectives à Stendhal, Dumas s’est attaché avec franchise à l’esprit de boulevard, sans hauteur et sans sarcasme, tenant une place à part dans le paysage du romantisme triomphant.
Qui est Alexandre Dumas ?
Alexandre Dumas naît le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts (Aisne). Le futur romancier et dramaturge est quarteron, c’est le fils d’un noble mulâtre de Saint-Domingue devenu général de la Grande Armée sous le premier Empire, et d’une blanche. Sa mère, en effet, est issue d’une famille d’aubergistes, originaires de Villers-Cotterêts.
Cette ascendance lui vaudra un grand nombre de commentaires racistes. Lors d’un débat au sujet de la théorie de l’évolution de Darwin, alors que Dumas défend le point de vue du naturaliste britannique, un contradicteur lui lance :
Au fait, cher Maître, vous devez bien vous y connaître en nègres ?
Ce à quoi Dumas répond :
Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, Monsieur : ma famille commence où la vôtre finit.
Daniel Zimmermann, Alexandre Dumas le grand
A rebours des remarques désobligeantes et autres injures, Alexandre Dumas fait partie, aux côtés de Victor Hugo ou de Théophile Gautier, des figures littéraires admirées par le célèbre caricaturiste Nadar, qui en fait un portrait en 1858 pour le Journal amusant. Il accompagne ce dessin d’un commentaire :
Un cou de proconsul. Le teint bistré clair. Le nez fin. L’oreille microscopique. L’œil bleu. Les lèvres lippues à la mode de Mésopotamie, pleines de méandres. De cet ensemble, une irradiation magnétique, des effluves irrésistibles de bienveillance et de cordialité.
Nadar, Le Journal amusant
Jeunesse et débuts littéraires
Le jeune Alexandre Dumas suit une formation au collège privé de l’abbé Grégoire, dans sa ville de naissance, jusqu’en 1813. Jusqu’à ses treize ans, son éducation est assez sommaire, il ne sait pas grand-chose si ce n’est ce qu’il a déniché dans ses lectures : la Bible, les récits mythologiques, l’Histoire naturelle de Buffon, ou encore Robinson Crusoé et les Contes de mille et une nuits…
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Il est néanmoins remarqué pour sa calligraphie que l’on considère comme admirable. Il est alors engagé en août 1816 comme « saute-ruisseau », c’est-à-dire coursier, par un notaire. En 1819, il rencontre Adolphe Ribbing de Leuven, futur dramaturge, avec qui il se lie d’amitié.
Ce nouveau compagnon de son âge l’initie aux vers de vaudeville et à l’art dramatique. Dumas se prend alors d’un vif intérêt pour la littérature. Enfin, c’est ce même ami qui le convainc de quitter son village et de se rendre à Paris décrocher la gloire et échapper à la pauvreté. Il débarque donc à la capitale avec 53 francs en poche.
Le jeune Dumas décroche un poste de clerc de notaire, puis intègre rapidement les bureaux de Louis-Philippe, duc d’Orléans. Il commence aussi à fréquenter les milieux littéraires : il découvre la Comédie française, fait la connaissance de Talma, grand acteur de l’époque, les salons littéraires impériaux ou libéraux où il est témoin du glissement du classicisme vers le romantisme.
Dans ces milieux de gendelettres, on lit les maîtres allemands du romantisme, Goethe et Schiller, les Anglais Scott et Byron, l’Américain Cooper… Dumas y croise aussi le chemin des grands noms du mouvement, Nodier, Musset, ou de Vigny. Au cours des années 1820, alors qu’il se voit refuser les pièces de théâtre qu’il propose à la Comédie française (notamment Christine de Suède, une tragédie considérée comme trop classique), Dumas se lie d’amitié avec Lamartine et Victor Hugo.
Le 10 février 1829, voici notre auteur enfin honoré par l’institution qui accepte une de ses pièces les plus connues aujourd’hui : Henri III et sa cour. Mais constatant l’impossibilité d’imposer le romantisme à la Comédie française, Dumas se tourne vers le théâtre privé des Grands Boulevards. En 1831, il crée Anthony à la Porte Saint-Martin, drame en cinq actes.
Alors que Dumas enchaîne les pièces et alterne entre échecs et succès, sa vie sentimentale et conjugale suit le même chemin. En 1824, de sa liaison avec Laure Labay, naît son fils Alexandre (Dumas ne le reconnaît qu’en 1831). Puis une fille naît ensuite, Marie-Alexandrine, en 1831. Il se marie en 1840 avec l’actrice Ida Ferrier. Ils se séparent quatre ans plus tard. Il connaîtra ensuite un grand nombre de liaisons et d’aventures.
Le romancier
Petit à petit, Alexandre Dumas délaisse la dramaturgie pour se tourner vers le roman. En 1832, alors que la monarchie de Juillet est instaurée à l’issue des Trois Glorieuses, Dumas quitte Paris et entreprend un grand voyage en Europe. A son retour, il se lance dans des expérimentations narratives et chroniques historiques. Enfin, fasciné par la lecture des Mystères de Paris d’Eugène Sue, il se lance dans l’entreprise romanesque.
C’est en 1844 qu’il rencontre le succès avec la publication hebdomadaire, sous forme de feuilletons dans différents journaux parisiens, de ses romans historiques. Les lecteurs dévorent Les Trois Mousquetaires, paru au cours de l’année 1844, ou encore Le Comte de Monte-Cristo, de 1844 à 1846. Dumas est un auteur prolifique qui se démarque de ses camarades romantiques en ce qu’il priorise le goût populaire.
Il se donne pour mission « non seulement d’amuser une classe […] qui sait, mais encore d’instruire une autre qui ne sait pas, et de rendre justice au peuple, dépossédé jusqu’alors de son histoire » (Alexandre Dumas, Mes mémoires).
Alors qu’on l’accuse de produire une « littérature industrielle », Dumas jouit d’une popularité immense. C’est une période durant laquelle l’écrivain se montre particulièrement prodigue. Il fait construire le château de Monte-Cristo en 1844, puis fonde en 1846 son propre théâtre, le « Théâtre-Historique », sur le boulevard du Temple (qui fait faillite en 1850).
Les dernières années
Après une tentative malheureuse d’engagement dans la sphère politique (jugé trop extravagant en comparaison à un Victor Hugo ou un Lamartine, il n’est pas pris au sérieux), Dumas, ruiné par la crise des théâtres, vend son château et s’exile en Belgique en 1851.
En littérature, c’est désormais son fils qui récolte la gloire et la ferveur populaire. En 1852, Dumas fils remporte l’adhésion des lecteurs avec La Dame aux camélias. De son côté, Dumas père, dépité par l’échec cuisant de ses deux journaux (Le Mousquetaire et le Monte-Cristo), décide de repartir en voyage en Europe.
En 1860, débarquant en Sicile après un périple à bord de sa goélette, Dumas s’engage aux côtés de Garibaldi pour l’unification de l’Italie. Il est nommé au poste honorifique de directeur des musées et des fouilles après l’entrée triomphale dans Naples. Militant pour la Première République, il écrira le roman La San Felice, en 1864.
Si son roman italien rencontre un certain succès, le retour à Paris n’est pas glorieux et ses tentatives de projets journalistiques ou de conférences sont des fiascos. Installé dans la maison de son fils à Dieppe, paralysée après un accident vasculaire, il meurt le 5 décembre 1870. Le 30 décembre 2002, sa dépouille est transférée au Panthéon.
L’œuvre d’Alexandre Dumas
Au moment où Alexandre Dumas produit ses premières œuvres, le romantisme s’est déjà bien imposé durant la première moitié du XIXe siècle. Le futur auteur des Trois Mousquetaires rejoint, dès les années 1820, les sympathisants du mouvement. L’exaltation des sentiments et la passion du Moi font alors l’objet de productions littéraires dans les cercles et clubs de Paris. Voici ce qu’écrit le poète et dramaturge français Alexandre Guiraud en 1824 :
Ce monde nouveau, régénéré par le baptême du sang, est maintenant encore dans sa jeunesse ; et comme l’énergie des premiers temps a fortement empreint de couleurs poétiques nos deux plus belles productions, la Genèse et l’Illiade, nous ne doutons pas que notre littérature ne se ressente aussi poétiquement de cette vie nouvelle qui anime notre société. Celle-ci est devenue plus vraie ; la littérature le sera aussi.
Alexandre Guiraud, article dans La Muse française
Si Hugo a défini, dans La Préface de Cromwell, les trois concepts essentiels qui définissent le sens de la dramaturgie contestataire (totalité, liberté, transfiguration), c’est aussi à Dumas père (aux côtés de Mérimée et Hugo) que l’on doit un théâtre romantique ouvert aux influences historiques. Dans les pièces, comme ensuite dans les romans de Dumas, l’intrigue sentimentale se double et se nourrit d’une dimension historico-politique.
Théâtre
Le succès des pièces de Dumas est dû à son intuition et son sens exact de ce qui peut plaire à la foule. En ce qui concerne le théâtre des Boulevards, à la Porte Saint-Martin, il n’a pas besoin de plancher sur de longues théories pour mettre sur pied des œuvres qui touchent leur public.
Une des comédies les plus populaires, Mademoiselle de Belle-Isle (1839), remporte l’adhésion du public, tout comme Anthony, en 1831, pièce romantique par excellence. Enfin, c’est avec Henri III et sa cour (1829), puis La Tour de Nesle (1832) que Dumas démontre l’ampleur de son génie. Il veut, par ces deux chefs-d’œuvre, faits de démesure et de répliques mélodramatiques, démontrer que les pièces historiques peuvent plaire au grand public :
Puis les cris de l’exagération, au mélodrame, qui couvrent les applaudissements de ces quelques hommes qui, plus heureusement ou plus malheureusement organisés que les autres, sentent que les passions sont les mêmes au quinzième qu’au dix-neuvième siècle, et que le cœur bat d’un sang aussi chaud sous un frac de drap que sous un corselet d’acier.
Alexandre Dumas, Antony
Romans
Les œuvres romanesques de Dumas se situent à la frontière entre le genre historique et le roman-feuilleton. Si l’auteur conserve une certaine souplesse en ce qui concerne la vérité historique, c’est parce qu’il soigne le sens du pathétique et de la théâtralité. On retrouve dans la construction des dialogues le talent de dramaturge de Dumas.
Les œuvres romanesques de Dumas donnent aussi à voir une application très particulière du romantisme de la part de leur auteur. Qu’il s’agisse des Trois Mousquetaires ou du Comte de Monte-Cristo, Dumas fait part belle à l’histoire qui occupe toujours le devant de la scène.
Quant à A. Dumas, tout le monde sait sa verve prodigieuse, son entrain facile, son bonheur de mise en scène, son dialogue spirituel et toujours en mouvement, ce récit léger qui court sans cesse, et qui sait enlever l’obstacle et l’espace sans jamais faillir. Il couvre d’immenses toiles sans fatiguer jamais ni son pinceau ni son lecteur. Il est amusant. Il embrasse, mais il n’étreint pas comme Balzac. Des trois derniers, Balzac est celui qui étreint et qui creuse le plus.
Sainte-Beuve, Causeries du Lundi
C’est dans ce traitement de l’histoire, qui pousse à tourner les pages, que l’on retrouve les caractéristiques du roman-feuilleton. Il s’agit pour Dumas de mettre l’accent sur les dialogues pour donner une dynamique au récit, de réussir à évoquer les sentiments provoqués par l’amour ou l’amitié par des gestes ou des attitudes, et enfin de mettre à profit une poétique de l’humour (par le calembour notamment).
Ce que cherche le lecteur, dans un livre de Dumas, ce qui en fait tourner les pages, c’est le récit d’une aventure, celle de D’Artagnan et de ses amis, celle d’Edmond Dantès (comte de Monte-Cristo, ndlr) ou de Joseph Hyacinthe Boniface de Lérac de La Môle, le gentilhomme protestant de La Reine Margot. Le grand art de l’auteur est de mêler les événements d’une destinée personnelle à ceux de l’Histoire majuscule en train de se faire.
Axel Preiss, Dictionnaire des littératures de la langue française
"En 1824, de sa liaison avec Laure Labay, naît son fils Alexandre (Dumas ne le reconnaît qu’en 1931)"
Ce serait bien si vous pouviez corriger cette petite erreur de frappe dans la date. J'ai envoyé un courriel, ne sachant pas qu'il y avait un endroit pour les commentaires.
J'adore cet article. Merci!