Charles Perrault : vie et œuvre
Mais hélas,
« Le Petit Chaperon rouge », Contes de ma Mère l'Oye, 1697
Qui ne sait que ces loups doucereux
De tous les loups sont les plus dangereux.
Ce trait d’esprit, que l’on pourrait attribuer à La Fontaine, appartient en réalité à Charles Perrault (1628-1703), celui dont les contes ont bercé notre enfance. Barbe bleue, Le Chat botté, Cendrillon, sont autant de personnages qui nous ont accompagnés et ont marqué des générations de marmots. Charles Perrault est à la France ce que les Frères Grimm (XIXe siècle) sont à l’Allemagne et Hans Andersen (1805-1975) au Danemark : un grand artisan d’histoires merveilleuses.
Cet écrivain du XVIIe siècle, est passé à la postérité : preuve en est, même Disney s’est inspiré de ses histoires pour créer les dessins animés les plus cultes des années 1990. Retour sur le parcours et l'œuvre d’un enchanteur de la littérature française – et européenne.
Qui est Charles Perrault ?
Charles Perrault naît le 12 janvier 1628 à Paris, ville dans laquelle il mourra aussi, le 16 mai 1703. Il grandit dans une famille bourgeoise et reçoit une éducation janséniste. Imitant son père, avocat au Parlement, Charles Perrault s’engage dans le sentier du droit et entre au collège de Beauvais. En 1651, il est diplômé de l’Association du Barreau. Cependant, Charles Perrault ne semble pas destiné à devenir un ténor du barreau (il ne plaide que deux fois au cours de sa courte carrière).
Si le droit ne semble pas lui plaire, la politique, quant à elle, saura charmer le jeune Perrault. En témoigne son rapprochement d’avec Colbert (1619-1683), le premier ministre de Louis XIV, dont il devient le protégé dans cette ascension au sein de l’État. En parallèle, il mène une carrière littéraire, et devient écrivain officiel du roi. Il fréquente aussi les artistes de l’époque et, en 1671, entre à l’Académie française en tant que chancelier.
L’année suivante, à 44 ans, il épouse Marie Guichon, qui n’en a que 19. Elle décède quelques années plus tard, en 1678, en lui laissant quatre enfants. Sa vocation de conteur le suit jusque dans sa vie privée : après la mort de sa femme, il s’occupe de ses jeunes enfants et leur raconte des histoires.
Charles Perrault est surtout connu pour son recueil d’histoires pour enfants, huit contes de fées en proses, publiés en 1697, sous le nom de son jeune fils, Pierre Darmancourt (ou Perrault d’Armancourt) et intitulés Histoires ou contes du temps passé avec des moralités ou Les Contes de ma mère l’Oye.
On y trouve, entre autres, les contes de Cendrillon, du Petit Poucet, du Petit Chaperon rouge ou encore de Peau d’Âne. La publication de ce recueil sous le nom de son fils (il est dit que, n'assumant pas ses écrits, il l’aurait attribuée à son fils en racontant qu’il l’avait écrit pour séduire une jeune fille de la cour) poussera plusieurs spécialistes à douter de la paternité de Perrault sur son œuvre.
Écrivain prolifique, Perrault s’est aussi essayé au genre galant (Dialogue de l’amour et de l’amitié et Le Miroir ou la Métamorphose d’Orante), aux odes à la monarchie ou encore à la poésie (Le Portrait d’Isis). Mais ces œuvres sont aujourd’hui, pour la majeure partie, tombées dans l’oubli.
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Charles Perrault au centre de la Querelle des Anciens et des Modernes
Charles Perrault, ayant évolué à la cour, a été contemporain de grands noms, parmi lesquels La Fontaine, Corneille, Racine ou encore Boileau. Sa place dans ce siècle lui vaut de participer à l’un des tournants majeurs de l’histoire des lettres françaises : la Querelle des Anciens et des Modernes. Née de l’Académie française, cette polémique voit s’affronter deux clans : les Classiques, ou Anciens, menés par Boileau (ils soutiennent que la création littéraire repose sur l’héritage de l’Antiquité) et les Modernes, dont le chef de fil n’est autre que Charles Perrault.
Les Modernes prônent une libre critique de l’Antiquité, tout en soulignant le danger de se « soumettre à leur autorité » (Lagarde et Michard, XVIIe siècle, Bordas). Par ailleurs, ils mettent en avant la supériorité des Modernes qui passe par l’idée de progrès. Le poète François de Boisrobert va jusqu’à comparer Homère à un « chanteur de carrefour » et considère que les Anciens sont « sans goût et sans délicatesse » (Ibid). Les Anciens, de leur côté, vouent un véritable culte à l’Antiquité et défendent l’intérêt de s’inspirer des auteurs antiques.
Une date notoire est à retenir : le 27 janvier 1687, Charles Perrault présente, à l’Académie française, Le Siècle de Louis le Grand, poème où il « critique les anciens, loue ses contemporains et proclame la supériorité du siècle de Louis XIV sur celui d’Auguste. » (Ibid). Dans ce poème, Perrault attaque les auteurs de l’Antiquité, en proclamant « Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ». Voici un extrait de son poème, dans lequel Perrault défend l’égalité entre les anciens et les modernes :
À former les esprits comme à former les corps,
Charles Perrault, Le Siècle de Louis le Grand
La nature en tout temps fait les mêmes efforts ;
Son être est immuable, et cette force aisée
Dont elle produit tout ne s’est point épuisée :
Jamais l’astre du jour qu’aujourd’hui nous voyons
N’eut le front couronné de plus brillants rayons ;
Jamais dans le printemps les roses empourprées
D’un plus vif incarnat ne furent colorées.
De cette même main les forces infinies
Produisent en tout temps de semblables génies.
Une thèse qui indigne les Anciens et lui vaut les critiques sévères de Boileau, La Fontaine ou encore La Bruyère. Par la suite, Charles Perrault publie une argumentation plus sérieuse et plus détaillée de sa thèse dans ses Parallèles des Anciens et des Modernes, en 1688. Le conteur sera d’ailleurs soutenu par l’Académie elle-même, les salons littéraires et plusieurs poètes.
La querelle qui se joue principalement entre Boileau et Perrault (qui s’échangent leurs arguments par publications interposées) finira éventuellement par s’apaiser. Lagarde et Michard précisent : « Dans une lettre à Charles Perrault (publiée en 1700), Boileau se montre plus conciliant. S’il ne peut admettre que les écrivains modernes sont supérieurs à tous les anciens, il reconnaît la supériorité de son siècle sur tous les siècles antiques pris isolément. » (Ibid).
Le genre du conte
Les contes remontent à la nuit des temps : chaque culture, chaque famille, chaque génération a hérité de ces histoires oralement transmises, qui se récitaient traditionnellement lors des veillées populaires et familiales. Leur but était de divertir enfants comme adultes tout en étant porteurs d’une moralité et donc d’une dimension éducative (les méchants sont punis, les gentils sont récompensés). Ils avaient aussi pour vocation de donner un sens à l’univers.
On distingue les contes populaires, qui sont restés cantonnés à la tradition orale (et que l’on peut rapprocher des épopées récitées par les aèdes dans l’Antiquité et aujourd’hui encore dans certains pays), et les contes littéraires, couchés par écrit par des auteurs.
Même s’il n’a pas inventé le principe du conte, Charles Perrault est considéré comme le fondateur du genre en France. Dans la préface de son recueil de conte, il explique la visée du conte telle qu’il la conçoit : « Les contes que nos aïeux ont inventés pour leurs enfants, ils ne les ont pas contés avec l’élégance et les agréments dont les Grecs et les Romains ont orné leurs fables, mais ils ont toujours eu un très grand soin que leurs contes renfermassent une moralité louable et instructive. Partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni. Ils tendent tous à faire voir l’avantage qu’il y a d’être honnête, patient, avisé, laborieux, obéissant, et le mal qui arrive à ceux qui ne le sont pas. »
Charles Perrault se sert donc de créatures merveilleuses, pour intervenir dans le récit et servir d’intermédiaire ou de censeur à la morale de l’histoire. Il poursuit, dans sa préface, en donnant des exemples, tirés de ses propres contes : « Tantôt ce sont des Fées qui donnent pour don à une jeune fille qui leur aura répondu avec civilité, qu’à chaque parole qu’elle dira, il lui sortira de la bouche un diamant ou une perle ; et à une autre jeune fille qui leur aura répondu brutalement, qu’à chaque parole il lui sortira de la bouche une grenouille ou un crapaud ».
Ces histoires courtes, glanées dans la culture populaire, mettent ainsi en scène des fées, des chats bottés, des ogres et des princesses. Perrault s’est aussi inspiré de paysages qu’il a visités pour dessiner les décors de ses contes. Ainsi, le château d’Ussé, situé dans le département de l’Indre et de la Loire, a inspiré celui présent dans « La Belle au bois dormant ». Ces contes sont aujourd’hui devenus un classique de la littérature pour enfants.
A la fin du XVIIe siècle, d’autres écrivains prendront la suite de Charles Perrault. Parmi eux, on compte son propre fils, Pierre Darmancourt, sa nièce, mademoiselle Lhéritier ou encore madame d’Aulnoy (1650-1705). Aux XVIIIe et XIXe siècles, le conte oriental devient à la mode, puis les regards se tournent vers l’Est, avec les frères Grimm et Hans Christian Andersen, entre autres. Sans oublier Lewis Carroll et Les Aventures d’Alice au pays des merveilles.
Les contes de Charles Perrault
Charles Perrault est passé à la postérité grâce à son recueil Les Contes de ma mère l’Oye (le succès de l’œuvre ayant occulté le reste de la production de l’auteur dont nous avons parlé plus haut). Le titre de l’œuvre s’explique par le caractère oral et « cancanier » du conte. En effet, il est dit qu’on nommait ainsi les histoires invraisemblables et sans grande valeur que les grands-mères se répétaient, à la manière des oies de basses-cours. Le recueil contient huit contes dont les titres nous sont aussi familiers que les prénoms de nos parents : La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, Barbe bleue, Le Chat botté, Les Fées, Cendrillon ou la Petite pantoufle de verre, Riquet à la houppe et Le Petit Poucet. A partir de 1871, trois nouveaux contes sont ajoutés au recueil : La Marquise de Salusses, Les Souhaits ridicules et Peau d’Âne.
Dans ces contes, le réel se mêle au merveilleux et présente souvent des personnages-types. Ces figures sont aujourd’hui devenues des références utilisées dans la plupart des récits pour enfants, tant leurs caractéristiques les rendent reconnaissables et leur assignent un rôle particulier dans le déroulement de l’intrigue (on les retrouve d’ailleurs dans les contes des frères Grimm ou d’Andersen). Ces personnages-types permettent à l’enfant de vivre une expérience par le biais de l’histoire et d’en tirer une conclusion morale. Plus récemment, de nombreuses interprétations ont été faites de ces personnages dans le domaine de la psychanalyse. Parmi les plus populaires, on trouve :
- L’ogre et l’ogresse, créatures néfastes qui se caractérisent par une faim insatiable.
- La vieille fée, aux antipodes de la fée marraine, est hostile à l’enfant ou la princesse et représente la régression. On retrouve son caractère dans celui de la marâtre.
- Le prince et la princesse, personnages souvent innocents, sont soumis à des épreuves de différentes natures pour atteindre un stade de maturité, et auxquels les enfants s’identifient le plus souvent.
- La fée marraine, créature merveilleuse rassurante, tient le rôle de conseillère et de mentor du héros ou de l’héroïne. Elle est aussi souvent une figure maternelle.
- Le loup est l’animal qui apparaît le plus souvent dans les contes occidentaux. Associé à la forêt, à la nuit et à l’obscurité, il représente nos peurs et les dangers qu’affronte l’enfant une fois seul. (Pour l’anecdote, dans les contes africains, c’est le crocodile qui tient cette fonction, et le tigre dans les contes asiatiques)
Ces contes, par leur simplicité et l’efficacité du récit, ont eu une postérité notable. La plupart d’entre eux ont été adaptés au théâtre ou au cinéma, notamment par le studio Disney. Par ailleurs, Maurice Ravel a composé une suite pour piano à quatre mains, intitulée Ma Mère l’Oye. Jacques Demy a réalisé le film Peau d’âne, en 1970. Sans compter les multiples adaptations de Cendrillon.
Encore de nos jours, il est rare de trouver un foyer où les enfants n’ont jamais entendu parler du Petit Chaperon rouge ou du Petit Poucet. Le rôle de Perrault a été capital dans la mesure où il a permis, en couchant par écrit ces récits, de conserver et d’agrémenter ces histoires, de les fixer sans leur ôter leur caractère oral.
Pour aller plus loin :