Nicolas Boileau : vie et œuvre
« Une corneille, perchée sur la racine de la bruyère, boit l’eau de la fontaine Molière ». Combien de fois avons nous, alors écoliers, entendu et répété cette phrase qui sonne désormais à nos oreilles comme une comptine familière ? Vous l’avez compris : il s’agit bien du procédé mnémotechnique qui nous sert à retrouver les grands auteurs qui ont marqué le XVIIe siècle français. Dans ce palmarès des auteurs les plus lus dans nos écoles, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine ou La Bruyère, figure aussi Boileau.
Néanmoins, contrairement à ses très célèbres et acclamés confrères, Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711) n’est pas le plus cité et appris des auteurs du XVIIe siècle. Lorsqu’on en vient à le citer, c’est surtout pour son rôle majeur dans la défense de l’esthétique classique de la langue française, et de la poésie plus spécifiquement. Et pourtant, ses poésies, pleines d’esprit, celles d’un homme de lettres de la cour et de l’Académie, méritent largement le détour – sans oublier son talent de traducteur.
Adulé par les uns pour sa plume et sa théologie de la langue, fustigé par les autres pour son rigorisme et sa critique acérée, il n’en reste pas moins un des esprits littéraires les plus marquants du Grand Siècle qui, après avoir redécouvert et mis sur un piédestal les références antiques, sera le spectateur de la Querelle des Anciens et des Modernes. Retour sur le parcours (presque) sans faute d’un obsédé de l’énonciation.
Qui est Nicolas Boileau ?
Nicolas Boileau naît à Paris le 1er novembre 1636, ville dans laquelle il meurt aussi, le 11 mars 1711. Nicolas Boileau-Despréaux – qui conserve ce double patronyme jusqu’à la mort de son frère aîné Gilles Boileau, académicien avec lequel il n’arrivera jamais à s’entendre – est issu d’une famille de la petite bourgeoisie parlementaire. Tout comme l’un de ses contemporains, Charles Perrault, Nicolas Boileau semble destiné au droit (son père était greffier à la Grand’Chambre du Parlement de Paris).
Alors qu’il intègre, en troisième, le collège de Beauvais pour y étudier le droit, il se découvre une grande passion pour les poètes de l’Antiquité. Le jeune Boileau est admis au barreau en 1656, mais s’ennuie rapidement de ce métier. Il entreprend aussi des études de théologie à la Sorbonne, jusqu’à la mort de son père, en 1657. Ce dernier lui laissant une rente modeste mais suffisante pour vivre, Boileau peut se consacrer à la littérature.
Nicolas Boileau s’impose rapidement dans le monde des lettres, à la suite de ses deux frères Gilles et Jacques Boileau (le premier étant traducteur et polémiste renommé et le second docteur en théologie). Dès 1657, il se met à la rédaction de ses Satires, un recueil de douze poèmes en alexandrins, qui connut un grand succès dès sa publication en 1666. Introduit dans les milieux mondains et à la cour du roi Louis XIV, il se fait rapidement des adversaires à l’Académie. Il y est pourtant élu à l’unanimité, en partie grâce au roi, le 24 avril 1684. Historiographe du roi aux côtés de Racine, Nicolas Boileau fréquente assidûment les cercles littéraires, notamment le salon de Ninon de Lenclos. Il compte aussi, parmi ses amis, Molière, de La Rochefoucault, de Lamoignon, de Condé… L’influence de l’auteur de L’Art poétique, (1674) fera de Nicolas Boileau un des chefs de file, avec Racine et Mme Dacier, des Anciens dans leur Querelle contre les Modernes.
Boileau au coeur de la Querelle entre les Anciens et les Modernes
Poète, traducteur, théoricien de la littérature et polémiste, Boileau est passé à la postérité comme le « régent du Parnasse ». En effet, il se pose, à son époque, comme un représentant littéraire, à la fois soutenu par l’autorité royale et par ses contemporains (Racine, Molière, etc.). Son pouvoir dans le monde des lettres le pousse à devenir un maître de la satire, à dénoncer sans vergogne ceux qu’il accuse de « mauvais goût » (comme les poètes Jean Chapelain ou Georges de Scudéry) et à provoquer ainsi de nombreuses querelles littéraires. On trouve, parmi ses meilleurs ennemis, l’abbé Charles Cotin, un ecclésiastique poète et polémiste souvent raillé dans les poèmes de Boileau, mais aussi Charles Perrault, le chef de file des Modernes.
À la fin du XVIIe siècle, la Querelle des Anciens et des Modernes fait trembler le monde des lettres et les milieux artistiques en général. Née de l’Académie française, cette polémique voit s’affronter deux clans : les Anciens, menés par Boileau, et les Modernes, dont Charles Perrault est le chef de file.
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L’Encyclopaedia Universalis précise : « En 1687, Charles Perrault fait lire à l’Académie un poème où il assure que les lettres et les arts ont au moins autant d’éclat en France, sous le règne de Louis, qu’ils en purent avoir en Grèce et à Rome, aux temps de Périclès et d’Auguste. Tel est alors l’avis à peu près général. Mais Boileau est, de tempérament, ennemi de son siècle. Sous couleur de défendre les Anciens, il attaque surtout ceux de ses contemporains qu’il n’aime pas, et au premier rang desquels figure depuis longtemps Perrault lui-même. » Au coeur de cette querelle, le rôle de Nicolas Boileau sera décisif, lui qui fut « élevé à l’école des grands poètes de l’Antiquité, qu’il défendit toujours contre les attaques de l’ignorance ou de l’injustice » (Biographie universelle classique ou Dictionnaire historique portatif, Paris, 1829). Au fil du temps, Boileau et Perrault finiront éventuellement par se réconcilier.
Œuvre de Nicolas Boileau : poésies et théories
On entend souvent parler de la « langue de Molière », notamment dans la presse, lorsqu’un journaliste cherche une paraphrase pour parler de la « langue française ». Il serait en réalité plus juste, si l’on se veut un ayatollah de littérature, d’utiliser l’expression « langue de Boileau ». N’est-ce pas ses deux célèbres alexandrins que l’on cite à juste titre lorsqu’une personne peine à trouver ses mots :
Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement
Nicolas Boileau, L’Art poétique
et les mots pour le dire arrivent aisément.
Néanmoins, avant de s’imposer comme le législateur de la langue française avec L’Art poétique, il se fit connaître par ses écrits poétiques et ses traductions. Parmi ses principales oeuvres figurent les Satires (1666), les Epîtres (1669), Le Lutrin, poème héroï-comique (1672) et la traduction du Traité du sublime du pseudo-Longin, publiée la même année que L’Art poétique, en 1674. Ces écrits lui ont permis d’asseoir sa notoriété et de préparer le terrain pour ses théories.
La Biographie universelle classique, publiée en 1829, quoique parfois un peu trop élogieuse, dit de lui à propos de ses Satires, inspirées des Satires d’Horace et de Juvénal : « Personne n’avait encore si bien écrit en vers, ni développé comme lui toutes les ressources de la langue poétique ». Mêlant l’élégance du trait à l’esprit critique, Boileau se sert de la poésie pour fustiger les plus vils penchants de l’être humain. Comme dans sa « Satire VIII », qui prend pour cible l’orgueil humain. Pour ce faire, le poète entreprend une comparaison, qui frôle souvent la plaisanterie, entre l’espèce animale et l’homme. Délibérément provocateur, ce poème en alexandrins représente bien l’art de Boileau. En voici un extrait :
De tous les animaux qui s’élèvent dans l’air,
Nicolas Boileau, Satire VIII
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme. […]
La fourmi tous les ans traversant les guérets
Grossit ses magasins des trésors de Cérés ;
Et dés que l’aquilon, ramenant la froidure,
Vient de ses noirs frimas attrister la nature. […]
Mais l’homme, sans arrêt dans sa course insensée,
Voltige incessamment de pensée en pensée :
Son cœur, toujours flottant entre mille embarras,
Ne sait ni ce qu’il veut ni ce qu’il ne veut pas.
Ce qu’un jour il abhorre, en l’autre il le souhaite.
Après avoir exercé son talent poétique et affûté son art de la satire (poème dont le but est d’exposer les vices et le ridicule de ses contemporains, nous le rappelons) Nicolas Boileau se donne pour but d’en définir la technique, les procédés de versification et le style.
Législateur suprême ?
Avec la publication en 1674 de L’Art poétique, Nicolas Boileau s’est donné pour but de définir « les différents genres avec précision, et [de donner] les règles du beau en même temps qu’il en offre le modèle ». L’expression « régent du Parnasse » n’est pas anodine, puisqu’elle a été inspirée par le poète lui-même dans sa « Satire IX », où elle apparaît pour la première fois (vers 127). Dans ce poème intitulé « À mon esprit », Boileau fait parler ses détracteurs :
Jamais dans le barreau trouva-t-il rien de bon ?
Nicolas Boileau, Satire IX
Peut-on si bien prêcher qu’il ne dorme au sermon ?
Mais lui qui fait ici le régent du Parnasse
N’est qu’un gueux revêtu des dépouilles d’Horace.
L’Art poétique, que l’on pourrait presque qualifier de « traité du sublime », est un traité didactique et pratique qui se donne pour but d’exposer les règles de l’écriture poétique. Pour autant, Boileau ne cède pas à la suprématie de la raison raisonnante qui voudrait que les règles prennent le pas sur tout plaisir poétique. L’œuvre, entièrement rédigée en alexandrins classiques, se veut un mode d’emploi pour atteindre le sublime, suivant le principe antique de l’alliance entre beau et vrai.
Nicolas Boileau a séparé son argumentation en quatre parties : dans le premier chant, l’auteur expose les règles générales de la poésie, la nécessité d’une écriture guidée par l’exactitude, la clarté, ou encore l’harmonie de la composition. Les six premiers vers font référence à l’inspiration de la muse, nécessaire aux yeux de l’auteur. C’est aussi dans ce premier chant que l’on trouve nos fameux vers :
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Nicolas Boileau, L’Art poétique, v. 147-154
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Quelques vers plus loin, Boileau partage une feuille de route et des conseils pratiques et presque prophétiques pour celui qui veut se faire poète :
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Ibid, v. 171-174
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Corneille a malmené en provoquant la « Querelle du Cid », en 1637, année de la publication du Cid – de l’unité de temps, de lieu, et d’action :
Mais nous, que la raison à ses règles engage,
Ibid
Nous voulons qu’avec art l’action se ménage ;
Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Enfin, le quatrième chant rappelle les principes généraux exposés dans le premier chant, notamment en ce qui concerne la vocation du poète et ses qualités nécessaires. Le chant se termine par un éloge à la gloire de Louis XIV.
L’Art poétique de Nicolas Boileau fera l’objet de nombreuses critiques au fil des siècles : cité comme référence par certains, l’ouvrage s’attirera les foudres d’autres, qui critiqueront sa critique parfois facile, le trop grand rigorisme des règles édictées et donc l’appauvrissement de la création poétique. Nous ne citerons que Victor Hugo pour l’exemple, qui reconnaît dans l’oeuvre de Boileau un guide utile et juste :
Il faut aimer l’art poétique de Boileau, sinon pour les préceptes, du moins pour le style. Un écrivain qui a quelque souci de la postérité cherchera sans cesse à purifier sa diction, sans effacer toutefois le caractère particulier par lequel son expression révèle l’individualité de son esprit. Le néologisme n’est d’ailleurs qu’une triste ressource pour l’impuissance. Des fautes de langue ne rendront jamais une pensée, et le style est comme le cristal : sa pureté fait son éclat.
Victor Hugo, préface des Odes et Ballades, 1826
Pour aller plus loin :
"à la cour du roi Louis XVI"
Nicolas Boileau naît à Paris le 1er novembre 1636, ville dans laquelle il meurt aussi, le 11 mars 1711.
Louis XIV, dit « le Grand » ou « le Roi-Soleil », né le 5 septembre 1638 au château Neuf de Saint-Germain-en-Laye et mort le 1ᵉʳ septembre 1715 à Versailles, est un roi de France et de Navarre. Son règne s'étend du 14 mai 1643 — sous la régence de sa mère Anne d'Autriche jusqu'au 7 septembre 1651 — à sa mort en 1715
Article très intéressant. Y apporter un petit rectificatif: Louis XIV à la place de Louis XVI