Le conte philosophique - Genre littéraire
Qu’est-ce qu’un conte philosophique ?
Le conte philosophique est un genre littéraire, sous forme de récit court et fictif en prose, qui présente les mêmes caractéristiques que le conte traditionnel. Comme ce dernier, il appartient au registre du merveilleux et cherche donc à distraire le lecteur. Cependant, il a également une visée philosophique qui encourage davantage le lecteur à la réflexion.
Le conte philosophique a pour objectif de critiquer ou dénoncer de manière indirecte la société en abordant des thèmes comme la justice, le pouvoir, la religion, la liberté, la politique… Grâce à un récit fictif, les auteurs philosophes transmettent leurs idées et leurs concepts en évitant d’être condamnés ou de faire l'objet de censure.
Ci-dessous, vous trouverez un extrait de Candide et l’Optimisme, où l’auteur critique remarquablement la notion de l’optimisme et plus particulièrement la théorie du philosophe Wilhelm Leibniz selon laquelle « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
Le personnage principal Candide, naïf et innocent, va affronter plusieurs péripéties malheureuses au cours de son voyage, accompagné de son maître philosophique Pangloss qui fait preuve d’un optimisme sans faille. Citons un des passages les plus célèbres du conte : la scène dans laquelle Candice rencontre un esclave mutilé et perd alors tout son optimisme.
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. "Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l’état horrible où je te vois ? — J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. — Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? — Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe." Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par-là la fortune de ton père et de ta mère." Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible.
Voltaire, Candide, chapitre XIX
Histoire du conte philosophique
Les philosophes des Lumières et particulièrement Voltaire sont à l’origine du conte philosophique. C’est donc au XVIIIe siècle, siècle des Lumières, que le conte philosophique connaît son plus grand succès avec des œuvres comme Zadig ou la Destinée, Micromégas, Candide et l’Optimisme, L’Ingénu etc.
Même si Voltaire a régné en maître sur ce genre littéraire, d’autres philosophes du XVIIIe siècle comme Denis Diderot ou Jonathan Swift ont écrits de célèbres contes philosophiques : Entretien d’un père avec ses enfants, Les voyages de Gulliver.
Depuis, les auteurs n'ont pas arrêté d'écrire des contes philosophiques. Nous pouvons citer Le petit Prince, œuvre intemporelle et leçon de philosophie, écrit par Antoine de Saint-Exupéry ; Frédéric Lenoir, auteur des contes philosophiques L’Âme du monde et Juste après la fin du monde.
Les caractéristiques du conte philosophique
Le conte philosophique reprend les caractéristiques du conte traditionnel en y ajoutant une visée philosophique pour amener le lecteur à réfléchir.
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Sont présents les éléments et procédés d’écriture qui caractérisent le conte traditionnel, auxquels s’ajoute un enseignement philosophique. Il appartient au registre de l’apologie en délivrant des leçons sur le monde et les êtres humains.
Le conte philosophique, comme le conte traditionnel, se caractérise par un univers et un décor merveilleux où évoluent des personnages imaginaires.
On retrouve également le schéma narratif bien précis du conte (situation initiale, élément modificateur ou perturbateur, péripéties, élément de résolution, situation finale) ainsi que les formules traditionnelles « Il était une fois », « Il y avait », « en ce temps-là »…
L’histoire de Candide débute dans un cadre idyllique avec cette scène qui se passe dans un château. Aucun repère temporel, un vocabulaire mélioratif, des superlatifs … tous ces éléments renvoient à l’univers du conte.
Il y avait en Vestphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu’il était fils de la sœur de monsieur le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps.
Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Vestphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; le vicaire du village était son grand aumônier. Ils l’appelaient tous Monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes.
Voltaire, Candide, Chapitre I
Une réflexion et un enseignement philosophique
Dans le conte philosophique, les personnages sont souvent des héros en quête d’apprentissage. Le conteur partage sa réflexion philosophique en s’appuyant sur les mésaventures rencontrées par ces héros. À l’instar d’une fable ou même parfois d’un roman, les idées de l’auteur sont transmises grâce à une argumentation en partie implicite et donc indirecte. Par opposition aux essais, articles ou lettres ouvertes, dans lesquelles les auteurs emploient l’argumentation directe pour exposer explicitement leurs opinions.
De nombreux thèmes peuvent ainsi être abordés à travers les aventures trépidantes des personnages d’un conte philosophique, invitant les lecteurs à réfléchir sur les différentes théories critiquées et dénoncées par les auteurs philosophes, souvent de manière ironique.
Le conte philosophique est donc une distraction pour le lecteur qui peut s’évader pour un moment mais aussi une invitation à méditer sur des sujets de société, comme dans la littérature d’idées.
Exemples de contes philosophiques
Voici une sélection d’extraits de contes philosophiques.
Œuvre de Voltaire, Zadig ou La Destinée est un conte philosophique paru au siècle des Lumières, qui raconte les aventures d’un jeune sage de l’antique Babylone, héros de l’histoire qui est en quête du bonheur. Beau, riche, intelligent et cultivé, il se prénomme Zadig et évolue dans un univers oriental. Avec ce récit, Voltaire fait une satire des mœurs de la société française du XVIIIe siècle, du pouvoir, des religions et la justice.
Zadig, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, un esprit juste et modéré, un cœur sincère et noble, crut qu’il pouvait être heureux. Il devait se marier à Sémire, que sa beauté, sa naissance et sa fortune rendaient le premier parti de Babylone. Il avait pour elle un attachement solide et vertueux, et Sémire l’aimait avec passion. Ils touchaient au moment fortuné qui allait les unir, lorsque, se promenant ensemble vers une porte de Babylone, sous les palmiers qui ornaient le rivage de l’Euphrate, ils virent venir à eux des hommes armés de sabres et de flèches. C’étaient les satellites du jeune Orcan, neveu d’un ministre, à qui les courtisans de son oncle avaient fait accroire que tout lui était permis. Il n’avait aucune des grâces ni des vertus de Zadig ; mais, croyant valoir beaucoup mieux, il était désespéré de n’être pas préféré. Cette jalousie, qui ne venait que de sa vanité, lui fit penser qu’il aimait éperdument Sémire. Il voulait l’enlever. Les ravisseurs la saisirent, et dans les emportements de leur violence ils la blessèrent, et firent couler le sang d’une personne dont la vue aurait attendri les tigres du mont Imaüs. Elle perçait le ciel de ses plaintes. Elle s’écriait : « Mon cher époux ! on m’arrache à ce que j’adore. » Elle n’était point occupée de son danger ; elle ne pensait qu’à son cher Zadig. Celui-ci, dans le même temps, la défendait avec toute la force que donnent la valeur et l’amour. Aidé seulement de deux esclaves, il mit les ravisseurs en fuite, et ramena chez elle Sémire évanouie et sanglante, qui en ouvrant les yeux vit son libérateur. Elle lui dit : « Ô Zadig ! je vous aimais comme mon époux ; je vous aime comme celui à qui je dois l’honneur et la vie. » Jamais il n’y eut un cœur plus pénétré que celui de Sémire ; jamais bouche plus ravissante n’exprima des sentiments plus touchants par ces paroles de feu qu’inspirent le sentiment du plus grand des bienfaits et le transport le plus tendre de l’amour le plus légitime. Sa blessure était légère ; elle guérit bientôt.
Voltaire, Zadig ou la destinée, Chapitre I
L’âme du Monde est un conte philosophique écrit par Frédéric Lenoir, considéré comme une fable initiatique.
Pressentant l’imminence d un cataclysme planétaire, sept sages venus des quatre coins du monde se réunissent à Toulanka, monastère perdu des montagnes tibétaines, pour transmettre à Tenzin et Natina, deux jeunes adolescents, les clés de la sagesse universelle. Au-delà des divergences culturelles et historiques de leurs traditions respectives, ils s’appuient sur leur expérience personnelle et se savent inspirés par ce que les philosophes de l’Antiquité appellent l’Âme du monde : la force bienveillante qui maintient l’harmonie de l’univers.»
Un sage prit la parole et dit : « Cultivez l’émerveillement. Ne cessez jamais d'admirer la beauté, l'harmonie et la bonté du monde. Ne cessez jamais, tels d'éternels enfants curieux de tout, de vous interroger. "L'étonnement est le début de la sagesse", disait un ancien maître de la sagesse, car il nous conduit à nous interroger et à découvrir l'invisible derrière les choses visibles. Il nous mène à la vérité. Il nous transporte jusqu'à l’Âme du monde. Fuyez au contraire l'indifférence à vous-mêmes, aux autres et au monde. Fuyez l'insensibilité, ne soyez jamais blasés, satisfaits ou repus. Car alors votre esprit s'endormira. Il se satisfera de quelques certitudes et ne saura plus questionner le monde. Il sera telle une vieille souche sans sève et votre vie sera sans saveur, sans intelligence et sans joie.
Frédéric Lenoir, L’âme du Monde
Le Petit Prince, œuvre classique de la littérature jeunesse et ouvrage le plus traduit au monde, est un récit initiatique qui reprend la structure du conte philosophique. Au cours de son voyage intersidéral, le petit prince va rencontrer plusieurs personnages qui vont l’aider à mieux comprendre le monde. L’auteur plonge le lecteur dans un univers mystérieux, qui le pousse à s’interroger sur le sens de la vie. L'extrait qui suit est sa rencontre avec le Roi, présent sur la première planète visitée par le petit prince.
Il se trouvait dans la région des astéroïdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commença donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s'instruire.
La première était habitée par un roi. Le roi siégeait, habillé de pourpre et d'hermine, sur un trône très simple et cependant majestueux.
- Ah! Voilà un sujet, s'écria le roi quand il aperçut le petit prince.
Et le petit prince se demanda:
- Comment peut-il me reconnaître puisqu'il ne m'a encore jamais vu !
Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié. Tous les hommes sont des sujets.
- Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui était tout fier d'être roi pour quelqu'un.
Le petit prince chercha des yeux où s'asseoir, mais la planète était toute encombrée par le magnifique manteau d'hermine. Il resta donc debout, et, comme il était fatigué, il bâilla.
- Il est contraire à l'étiquette de bâiller en présence d'un roi, lui dit le monarque. Je te l'interdis.
- Je ne peux pas m'en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi...
- Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bâiller. Je n'ai vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons! bâille encore. C'est un ordre.
- Ça m'intimide... je ne peux plus... fit le petit prince tout rougissant.
- Hum! Hum! répondit le roi. Alors je... je t'ordonne tantôt de bâiller et tantôt de...
Il bredouillait un peu et paraissait vexé.
Car le roi tenait essentiellement à ce que son autorité fût respectée. Il ne tolérait pas la désobéissance. C'était un monarque absolu. Mais, comme il était très bon, il donnait des ordres raisonnables.
"Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordonnais à un général de se changer en oiseau de mer, et si le général n'obéissait pas, ce ne serait pas la faute du général. Ce serait ma faute."
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Chapitre X
Pour aller plus loin, consultez notre guide sur les différents genres littéraires.