L’essai - Genre littéraire
Qu’est qu’un essai ?
L’essai caractérise les écrits appartenant au genre argumentatif. L’objectif pour l’auteur est de présenter directement son opinion sur un sujet particulier. Pour convaincre le lectorat et exposer son analyse des faits, il partage son expérience personnelle et adopte une stratégie argumentative. Il s’agit donc d’œuvres littéraires de réflexion ne faisant pas appel à la fiction contrairement au roman.
On trouve des essais historiques, philosophiques, politiques, scientifiques et dans tout autre domaine ou thèmes qui se prêtent à la réflexion et à l’argumentation.
Histoire et l’évolution de l’essai
C’est au XVIe siècle que Michel de Montaigne publie pour la première fois ses Essais, où il donne son état d’esprit, tel un autoportrait. Il expose son point de vue et sa vision du monde sur différents sujets. Dans l’extrait ci-dessous, issu du chapitre Sur la conscience, Montaigne dénonce la torture.
On prétend que c'est la chose la moins mauvaise que la faiblesse humaine ait pu inventer... Bien inhumaine, pourtant, et inutile, à mon avis ! Plusieurs peuples, en cela moins « barbares » que les Grecs et les Romains, qui les appellent pourtant ainsi, estiment qu'il est horrible et cruel de faire souffrir et démembrer un homme, dont la faute n'est pas avérée. Que peut-il contre cette ignorance ? N'êtes-vous pas injustes, sous prétexte de ne pas le tuer sans raison, de lui faire subir quelque chose de pire encore que la mort ? Et pour preuve qu'il en est bien ainsi, voyez comment bien des fois il préfère mourir sans raison que de passer par cette épreuve. Elle est plus pénible que le supplice final lui-même, et bien souvent, tellement insupportable, qu'elle le devance et même l'exécute.
Je ne sais d'où je tiens cette histoire, mais elle reflète bien la conscience dont sait faire preuve notre justice. Devant le Général d'armée, grand justicier, une villageoise accusait un soldat d'avoir enlevé à ses jeunes enfants ce peu de bouillie qui lui restait pour les nourrir, l'armée ayant tout ravagé. Mais pas de preuves !... Le Général somma la femme de bien considérer ce qu'elle disait, car elle devrait répondre de son accusation si elle mentait. Mais comme elle persistait, il fit alors ouvrir le ventre du soldat pour connaître la vérité. Et la femme se trouva avoir raison. Voilà bien une condamnation instructive.
Michel de Montaigne, Les essais, Livre II, Chapitre 5
Au XVIIe siècle, l’essai laisse la place à un autre genre qui est le traité. À la différence de l’essai, le traité se consacre à un sujet de manière plus exhaustive. Considéré comme un manuel, il exploite le thème de l’ouvrage sous tous les angles. Le Traité de l’Éducation des filles est un ouvrage assez court, à vocation éducative, dans lequel Fénelon présente sa conception de ce qu'est une bonne éducation des jeunes femmes.
Grâce aux philosophes des Lumières, l’essai connaît un plein essor au XVIIIe siècle. De grands auteurs se lancent dans ce genre littéraire pour évoquer avec liberté des sujets variés, par exemple : Essais sur la peinture, Regrets sur ma vieille robe de chambre (Denis Diderot), Essais sur l’origine des langues (Jean-Jacques Rousseau), Essai sur la poésie épique, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (Voltaire).
Des sujets en lien avec l’actualité politique, historique, scientifique, artistique ou culturelle mais également des thèmes liés aux valeurs morales, font l’objet de nombreux essais aux XIXe et XXe siècles.
Le mythe de Sisyphe, par exemple, est un essai d’Albert Camus où il aborde la notion d’absurde et propose une réflexion sur l’existence en tentant une analyse de ce mythe. Il commence son œuvre par les phrases suivantes :
Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d’abord répondre.
Albert Camus, Le mythe de Sisyphe
Les caractéristiques de l’essai
L’auteur d’un essai est un « essayiste ». Pour défendre son point de vue et persuader le lecteur, il a recours à divers procédés d’écriture. Il ne cherche pas à divertir (comme au théâtre par exemple) mais plutôt à convaincre de façon subjective.
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L’essai est un texte écrit en prose, au style simple et clair et un ton persuasif. Il est fondé sur l’expérience personnelle : l’auteur évoque des faits, témoignages et exemples concrets. Pour défendre son point de vue, il utilise l’argumentation directe, en s’exprimant à la première personne de façon explicite.
Le texte argumentatif est organisé, structuré et illustré d’exemples. Pour établir des liens entre les arguments, l’auteur utilise des connecteurs logiques.
Les figures de style comme les anaphores, la gradation ou les hyperboles sont utilisées en tant que procédés de persuasion. Par exemple, Montaigne utilise une gradation ascendante dans cet extrait, issu du chapitre 6 du livre III « Des Coches » :
Notre monde vient d'en trouver un autre (et qui nous garantit que c'est le dernier de ses frères, puisque les Démons, les Sibylles et nous, avons ignoré celui-ci jusqu'à cette heure ?) non moins grand, plein et fourni de membres que lui, toutefois si nouveau et si enfant qu'on lui apprend encore son a, b, c ; il n'y a pas cinquante ans qu'il ne savait ni lettre, ni poids, ni mesure, ni vêtements, ni céréales, ni vignes. Il était encore tout nu dans le giron de sa mère nourricière et ne vivait que par les moyens qu'elle lui fournissait.
Michel de Montaigne, Essais, Livre III, Chapitre 6
Comment rédiger un essai ?
Si vous souhaitez vous lancer dans la rédaction d’un essai, quelques règles sont à connaître pour respecter les canons du genre. Il faut savoir que l’essai fait partie des épreuves du bac de français, avec la dissertation, le commentaire composé et la contraction.
Avant de construire le plan, prenez le temps de bien choisir votre sujet. Une sorte de remue-méninges doit vous permettre d'identifier des thèmes qui vous parlent et les arguments pertinents en fonction du sujet.
Pour écrire un essai argumentatif, il est nécessaire de respecter un plan bien structuré, qui vous permettra de répondre à la problématique du sujet et d’en traiter tous les aspects.
- Dans une introduction, vous présentez le sujet et l’angle qui seront développés.
- Deux ou trois parties représentent le corps de votre essai. Selon le plan choisi (didactique, thématique ou analytique), vous exposez brièvement votre réflexion illustrée d’exemples pour l’argumentation. Vous partagez votre opinion seulement à la fin.
- Une conclusion à soigner particulièrement car il s’agit de la dernière image que le lecteur aura de vous. Elle permet de dresser le bilan de ce qui a été dit et d’élargir la réflexion vers d’autres perspectives.
Concernant la rédaction, il est nécessaire d’être vigilant aux points cités plus haut, à savoir : l’emploi de la première personne, l’utilisation de connecteurs logiques, de procédés rhétoriques, une tonalité et un style adaptés au genre argumentatif.
La dernière étape est fortement recommandée : la relecture, voire la double relecture afin de vérifier l’orthographe, la syntaxe et l’expression.
Si vous souhaitez faire connaître vos talents d’essayiste, plusieurs sites vous proposent de déposer votre manuscrit pour une éventuelle publication.
Exemples d’essais célèbres
Voici une sélection d’extraits d’essais publiés entre le et le XVIIIe et XIXe siècle.
Essais philosophiques sur l’entendement humain, est une œuvre publiée en deux tomes par David Hume, philosophe du XVIIIe siècle. Cet essai est un des ouvrages fondateurs de l’empirisme. Il aborde les fondements de la connaissance et de l’entendement humain.
Il y a, dans les écrits du docteur Tillotson, un argument contre la présence réelle, aussi précis, aussi solide, & aussi bien exprimé, qu’on en puisse imaginer contre une doctrine qui mérite si peu d’être sérieusement réfutée. On convient universellement, dit ce docte prélat, que l’autorité, tant de l’écriture que de la tradition, ne repose que sur le témoignage des apôtres, qui furent témoins oculaires des miracles par lesquels notre sauveur prouva sa mission divine. L’évidence de la vérité de la religion chrétienne est donc moindre que l’évidence de la fidélité de nos sens : elle n’étoit pas plus grande dans les premiers auteurs de notre religion, & il est manifeste qu’elle a dû diminuer en passant d’eux à leurs disciples : de sorte que nous ne pouvons jamais être aussi certains de la vérité de leur témoignage, que nous le sommes des objets immédiats de nos sens. Or, une moindre évidence ne sauroit détruire une évidence supérieure : donc, quand même la doctrine de la présence réelle seroit clairement révélée dans l’écriture, on ne pourroit pourtant la recevoir, sans choquer les loix les plus saines du raisonnement, car, d’un côté, elle est en contradiction avec les sens, & de l’autre, les fondemens qu’on lui donne, l’écriture & la tradition, ont moins d’évidence, que ces mêmes sens, tant qu’on ne les considere que comme preuves externes, & quelles ne sont point adressées au cœur par l’opération immédiate du Saint-Esprit.
Rien ne vaut mieux qu’un argument décisif de cette nature, pour fermer la bouche à la stupide bigoterie & à la superstition orgueilleuse, & pour nous délivrer de leur ridicule empire. Je me flatte d’avoir découvert un argument semblable, qui, s’il est juste, fera pour le savant & pour le sage, un boulevard éternel contre toute sorte d’illusions superstitieuses : & son utilité, par conséquent, s’étendra aussi loin que la durée du monde ; car, je présume que l’histoire profane ne cessera qu’alors de nous raconter des miracles & des prodiges.
David Hume, Essais philosophiques sur l’entendement humain.
Jean-Jacques Rousseau a rédigé Essai sur l’Origine des langues où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale (titre complet), œuvre posthume publiée en 1781. Il y présente ses réflexions autour des origines du langage parlé et écrit et de la musique.
Il est donc à croire que les besoins dictèrent les premiers gestes, et que les passions arrachèrent les premières voix. En suivant avec ces distinctions la trace des faits, peut-être faudrait-il raisonner sur l'origine des langues tout autrement qu'on n'a fait jusqu'ici. Le génie des langues orientales, les plus anciennes qui nous soient connues, dément absolument la marche didactique qu'on imagine dans leur composition. Ces langues n'ont rien de méthodique et de raisonné ; elles sont vives et figurées. On nous fait du langage des premiers hommes des langues de géomètres, et nous voyons que ce furent des langues de poètes.
Cela dut être. On ne commença pas par raisonner, mais par sentir. On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins ; cette opinion me paraît insoutenable. L'effet naturel des premiers besoins fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l'espèce vînt à s'étendre, et que la terre se peuplât promptement ; sans quoi le genre humain se fût entassé dans un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert.
De cela seul il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux premiers besoins des hommes ; il serait absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler ; on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être simples et méthodiques. Tout ceci n'est pas vrai sans distinction, mais j'y reviendrai ci-après.
Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’Origine des langues
L’Avenir de la science est le dernier ouvrage d’Ernest Renan, l’aboutissement d’une œuvre commencée dans sa jeunesse. Publié en 1890, il s’agit d’un exposé général où l’auteur développe ses réflexions sur les sciences historiques et sur la science en général.
La science n’a d’ennemis que ceux qui jugent la vérité inutile et indifférente, et ceux qui, tout en conservant à la vérité sa valeur transcendante, prétendent y arriver par d’autres voies que la critique et la recherche rationnelle. Ces derniers sont à plaindre, sans doute, comme dévoyés de la droite méthode de l’esprit humain ; mais ils reconnaissent au moins le but idéal de la vie ; ils peuvent s’entendre et jusqu’à un certain point sympathiser avec le savant. Quant à ceux qui méprisent la science comme ils méprisent la haute poésie, comme ils méprisent la vertu, parce que leur âme avilie ne comprend que le périssable, nous n’avons rien à leur dire. Ils sont d’un autre monde, ils ne méritent pas le nom d’hommes, puisqu’ils n’ont pas la faculté qui fait la noble prérogative de l’humanité. Aux yeux de ceux-là, nous sommes fiers de passer pour des gens d’un autre âge, pour des fous et des rêveurs ; nous nous faisons gloire d’entendre moins bien qu’eux la routine de la vie, nous aimons à proclamer nos études inutiles ; leur mépris est pour nous ce qui les relève. Les immoraux et les athées, ce sont ces hommes, fermés à tous les airs venant d’en haut. L’athée, c’est l’indifférent, c’est l’homme superficiel et léger, celui qui n’a d’autre culte que l’intérêt et la jouissance. L’Angleterre, en apparence un des pays du monde les plus religieux, est en effet le plus athée car c’est le moins idéal. Je ne veux pas faire comme les déclamateurs latins le convicium seculi. Je crois qu’il y a dans les âmes du XIXe siècle tout autant de besoins intellectuels que dans celles d’aucune autre époque, et je tiens pour certain qu’il n’y a jamais eu autant d’esprits ouverts à la critique.
L'Avenir de la science, Ernest Renan
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