Zanzibar, d’Altaïr Despres : les promesses du paradis
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Dans un premier roman particulièrement réussi qui n’est « pas seulement ‘inspiré de faits réels’ » mais qui « raconte, par la littérature, une histoire vraie », Altaïr Despres rend compte du vaudeville permanent qui se joue sur l’île paradisiaque de Zanzibar. Car Zanzibar est le résultat fictionnel de l’enquête de terrain menée par l’anthropologue entre 2015 et 2019 sur l’île de l’océan Indien ; c’est en cela que le roman est en mesure de délivrer, selon les mots de l’autrice, « une connaissance anthropologique ».
Protectorat britannique puis territoire semi-indépendant de la République-Unie de Tanzanie, Zanzibar offre à ses touristes la possibilité du « grand chelem » : « plages paradisiaques (c’était la base), visite de Stone Town (patrimoine mondial de l’Unesco), des plantations d’épices, de Prison Island et de ses tortues géantes, croisière en boutre, concert de taarab (musique locale), kitesurf sur la côte est, baignade avec les dauphins, et tout le tralala ».
Et contrairement à d’autres régions touristiques d’Afrique, Zanzibar présente la particularité d’être une destination très convoitée par les jeunes Européennes et Américaines. Certaines d’entre elles, séduites par la beauté de l’île, par les possibilités qu’elle offre, et souvent aussi par un charmant Zanzibari croisé au détour d’une plage de sable fin, décident de s’y installer et d’y (re)faire leur vie.
Comme Ethel, Mathilde, Helle, Imane, Juliette ou Solange, ces jeunes Blanches deviennent alors des « expats » - et bénéficient à loisir de l’exploitation occidentale de l’Afrique. Pour les accueillir comme il se doit, se pressent des foules de jeunes hommes zanzibaris ou tanzaniens, bien décidés à profiter des opportunités économiques de l’engouement touristique que suscite l’île - qu’ils soient beach boys ou entrepreneurs, qu’ils se fassent entretenir par les expats ou qu’ils travaillent dans les complexes hôteliers.
« La Full Moon Party constituait un point de percussion entre les jeunes femmes blanches et les beach boys, deux groupes assez bien disposés à se conter fleurette – autrement dit, c’était un grand mercato de la baise. »
À la faveur du tourisme, les plages et les soirées de Zanzibar deviennent ainsi le lieu privilégié des amours croisées de ces deux groupes – les Blanches qui ont tout quitté pour l’île et les Zanzibaris qui cherchent à s’établir. Loin des clichés sur le tourisme sexuel, les relations décrites par Altaïr Despres se font et se défont à mesure que les rapports de pouvoir se recomposent, entre le capital économique et culturel dont jouissent les Blanches et la domination masculine que les Zanzibaris font jouer en leur faveur.
Les personnages de Zanzibar, tous « inspirés des femmes et des hommes auprès desquels [Altaïr Despres a] enquêté », ont en commun la fureur de relever le défi que représente l’île. Ce sont leurs aspirations - terriblement contemporaines -, leurs amours négociées, leurs brutales déceptions et leurs pardonnables illusions qui donnent son rythme à ce roman foisonnant, planté dans un décor de paradis (déjà) perdu.
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Zanzibar, d’Altaïr Despres, Julliard, 240 p., 20 €. En librairie le 12/01/2023. Trouver une librairie où l'acheter >