Guy de Maupassant (1850-1893) : vie et œuvre
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Les Normands peuvent se réjouir d’avoir légué à la France autre chose que les tripes à la mode de Caen. Le 5 août 1850, à Tourville-sur-Arques, près de Dieppe, naissait l’écrivain et journaliste Guy de Maupassant, qui gardera toute sa vie un fort attachement à sa terre natale.
De 1880 à 1891, celui que l’on classe parmi les écrivains naturalistes fut l’auteur de plus de 200 chroniques dans les gazettes et journaux de la capitale, de six romans et de 300 nouvelles et contes, satiriques et réalistes.
Ce célibataire endurci, grand passionné de la vie légère et agréable, propriétaire d’une villa à Etretat et d’un appartement cossu parisien, passe le plus clair de son temps à arpenter les côtes normandes, lorsqu’il ne se prélasse pas sur la Côte d’Azur.
Maupassant aime aussi à canoter sur la Seine, faire de grandes virées sur son yacht, le Bel Ami, et conter fleurette aux femmes, sans jamais être trop enclin à l’engagement (il aura trois enfants qu’il refusera de reconnaître). Ami proche de Flaubert depuis ses jeunes années, introduit à Zola et au cercle des naturalistes et réalistes de l’époque, Maupassant fournit à la littérature des nouvelles et romans majeurs, témoins de son génie de conteur, mais aussi de sa vision acérée de la société et de la nature humaine (qu’il s’agisse de la paysannerie normande ou de l’aristocratie parisienne) : Boule de Suif, Une vie, Pierre et Jean, Bel Ami, Notre Coeur…
Cependant, victime très tôt de névralgies, aggravées par un surmenage intellectuel, cet écrivain curieux, disciple de Schopenhauer (« le plus grand saccageur de rêves qui ait passé sur la terre », écrit-il), se livre à un pessimisme constant qui n’épargne personne : ni Dieu, « ignorant de ce qu’il fait », ni l’homme, « une bête à peine supérieure aux autres ».
Vers la fin de sa vie, il s’intéresse de près aux troubles mentaux, après avoir suivi les cours du professeur Charcot aux côtés de Sigmund Freud, comme en témoigne sa nouvelle fantastique et psychologique, Le Horla, sorte de vision prémonitoire. Véritable peintre des paysages normands, amoureux de la « vérité choisie et expressive », Maupassant se voue au réalisme sans pour autant s’y limiter et s’impose aujourd’hui comme l’un des auteurs les plus lus et traduits au monde.
Qui est Guy de Maupassant ?
Guy de Maupassant naît le 5 août 1850 au château de Miromesnil, à Tourville-sur-Arques, non loin de Dieppe. Il meurt le 6 juillet 1893, à Paris, reconnu pour son talent littéraire, peu avant ses 43 ans.
Avant de devenir le journaliste et l’écrivain que l’on connaît, Guy de Maupassant file une enfance heureuse auprès de sa mère (Laure de Poittevin, séparée de son époux Gustave de Maupassant), à Etretat (Seine-Maritime) où il grandit et acquiert une connaissance intime de la campagne normande et de ses habitants.
Par l’intermédiaire de sa mère, alors qu’il ne s’est pas encore voué tout entier à sa vocation littéraire, le jeune Maupassant fait la rencontre d’un autre grand écrivain normand, Gustave Flaubert (l’oncle de Maupassant, Alfred Le Poittevin, était le meilleur ami de l’écrivain). « Il y avait beaucoup de femmes dans la vie de Maupassant, mais la plus importante, c’était sa mère. Elle lui faisait la lecture, Shakespeare en anglais et, en 1862, alors qu’il n’a que 12 ans, elle lui fait la lecture de Salammbô de Flaubert. Il paraît que le jeune Guy a adoré, alors que c’était très brutal », rapporte le spécialiste allemand Arne Ulbricht, dans son ouvrage biographique Cette petite crapule de Maupassant (2019).
Le jeune Maupassant commence son éducation au séminaire d’Yvetot, dont il est chassé pour avoir écrit des vers licencieux. Tandis qu’il finit ses études au lycée de Rouen, l’écrivain en herbe s’engage plus avant dans ses essais poétiques, encouragé par son correspondant, le poète Louis Bouilhet. Ses études terminées, Maupassant s’engage comme garde mobile en 1870. Il est le témoin direct de la débâcle des Français à Rouen, durant la guerre franco-prussienne. Cette expérience de la guerre marque durablement le jeune écrivassier. En 1871, afin de gagner le sou, Maupassant accepte une place de commis dans un Ministère et fait la connaissance des plaisirs parisiens : le canotage, les guinguettes et les jeunes femmes.
Formé par Flaubert, introduit auprès de Zola, Maupassant démarre sa carrière littéraire dès les années 1870, mais ne publie sa première œuvre, la nouvelle Boule de Suif, qu’en 1880, avec l’aval de son maître réaliste. La nouvelle est un véritable succès, elle le projette dans le milieu des gendelettres et marque le début de sa vocation de conteur.
La décennie 1880 est prolifique pour Maupassant, qui publie trois cents nouvelles, six romans : Une Vie (1883), Bel Ami (1885), Mont Oriol (1887), Pierre et Jean (1888), Fort comme la mort (1889) et Notre Cœur (1890) ainsi qu’une quantité de chroniques. Fort de son succès, Maupassant peut accéder à la haute société et prend plaisir à décrire, dans ses livres, la vie mondaine à laquelle il participe. Séducteur invétéré, il s’inspire aussi directement « des tourments infligés à son pauvre cœur par ses relations féminines » (Lagarde et Michard, La Littérature au XIXe).
Devenu riche, Maupassant fait des croisières sur la Méditerranée à bord de son yacht, le Bel Ami, et se fait construire une villa sur les terres de son enfance, à Etretat, qu’il baptise La Guillette et sera son havre de paix (l’équivalent de Hauteville House pour Victor Hugo, Croisset pour Flaubert ou Maine Giraud pour Alfred de Vigny).
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Devenir premiumMalgré ces apparentes légèretés, Maupassant est en proie à un pessimisme violent qui le conduira à une tentative de suicide, en 1891. Au crépuscule de sa vie, il sombre peu à peu dans la folie, résultat d’années de « surmenage intellectuel, excès physiques et paradis artificiels » (Ibid).
Hanté par des angoisses, des hallucinations visuelles et l’idée de la mort, il est interné dans la maison de santé du docteur blanche, où il mourra en 1893, d’une paralysie générale (liée à une syphilis contractée 16 ans plus tôt), sans avoir retrouvé sa lucidité.
Maupassant, les naturalistes et les réalistes
Guy de Maupassant débarque en littérature en suivant les pas de géants : Honoré de Balzac (mort en 1850, année de sa naissance), Gustave Flaubert et Emile Zola. Toute l’œuvre de Guy de Maupassant trouve sa source dans son amitié avec Flaubert qui fut à Maupassant ce que Socrate fut à Platon : un maître à penser, un guide, un précepteur. En effet, s’il commence à écrire dès 1871, Maupassant se retient de publier quoi que ce soit tant qu’il n’a pas eu l’aval de son magister, qui le corrige et lui fait des « remarques de pion ». Aux côtés de ce tuteur intellectuel, Guy de Maupassant travaille son style jusqu’à le rendre souple et épuré. C’est ainsi qu’il publie l’œuvre qui lui vaut de se faire connaître.
Boule de Suif est rendue publique en 1880, en janvier, à l’occasion d’une lecture entre amis de groupe de Médan (Émile Zola, chef de file du mouvement naturaliste, réunit régulièrement quelques écrivains chez lui à Médan). Ces rencontres donnent naissance au recueil collectif Les Soirées de Médan, considéré comme un manifeste du réalisme et publié en avril 1880. Maupassant y signe donc sa toute première nouvelle, aux côtés d’Émile Zola (L’Attaque du moulin), Joris-Karl Huysmans (Sac au dos), Henry Céard (La Saignée), Léon Hennique (L’Affaire du Grand 7) et Paul Alexis (Après la bataille). Ces six nouvelles s’inscrivent dans le contexte du conflit franco-allemand de 1870-1871 et constituent un véritable réquisitoire antimilitariste.
Si, à l’école de Flaubert, Maupassant apprend à déceler dans chaque chose « un aspect qui n’ait été vu et dit par personne », sa vocation de conteur le pousse cependant à s’éloigner peu à peu du naturalisme, tout en conservant une appétence pour la peinture fidèle des milieux qu’il a été amené à fréquenter (monde rustique, bourgeois, employés…).
Il finit par rompre avec l’esthétique naturaliste. Dans la préface de Pierre et Jean, il conteste la formule « Toute la vérité » qui conduirait à « énumérer les multitudes d’incidents insignifiants qui emplissent notre existence », alors qu’il considère au contraire que le réaliste « s’il est un artiste, cherchera non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même ». De ce fait, il renoue avec une forme de tradition classique par la mesure et la sobriété de son ton, en s’appliquant, dans ses nouvelles et ses romans, à rendre « la couleur, le ton, l’aspect, le mouvement de la vie même. »
L’œuvre de Maupassant
« La langue française est une eau pure que les écrivains maniérés n’ont jamais pu et ne pourront jamais troubler. Chaque siècle a jeté dans ce courant limpide ses modes, ses archaïsmes prétentieux et ses préciosités, sans que rien surnage de ces tentatives inutiles, de ces efforts impuissants », écrit Maupassant dans la préface de Pierre et Jean, en 1887. Cet art de la langue française, Maupassant tente de le porter à sa perfection dans chacune de ses œuvres littéraires, tout se construisant une carrière journalistique brillante : il collabore avec le journal Le Gaulois, puis avec Le Gil Blas, et enfin devient chroniqueur au Figaro.
Maupassant a pour habitude, du moins au début de sa carrière, d’utiliser des pseudonymes : Joseph Prunier (surnom donné par ses amis de canotage), Guy de Valmont (référence au personnage de Laclos, le vicomte de Valmont, dans Les Liaisons dangereuses) et Maufrigneuse (tiré d’un roman balzacien dans lequel apparaît la duchesse de Maufrigneuse).
Ses contes et nouvelles, ont été rassemblées, pour la majeure partie, dans quinze recueils (1881 : La Maison Tellier ; 1882 : Mademoiselle Fifi ; 1883 : Contes de la bécasse, Clair de lune ; 1884 : Miss Harriet, Les Sœurs Rondoli, Yvette ; 1885 : Contes du jour et de la nuit, Monsieur Parent ; 1886 : Toine, La Petite Roque ; 1887 : Le Horla ; 1888 : Le Rosier de Mme Husson ; 1889 : La Main gauche ; 1890 : L’Inutile Beauté).
Ils sont le meilleur exemple de l’évolution littéraire de Maupassant. S’il est pétri d’un pessimisme généralisé, les premières nouvelles qu’il fournit sont pour autant plus âpres et sarcastiques (La Maison Tellier en 1881, ou Mademoiselle Fifi, en 1882). A mesure qu’il avance dans la vie, le ton de ses nouvelles se fait plus nuancé, il accorde davantage de place à la bonté, la vertu, aux petites gens, aux incompris. A la fin de sa carrière, les œuvres qu’il publie seront plus sombres (Solitude, Le Horla, L’Endormeuse).
Maupassant est un des maîtres du conte fantastique et son art rappelle celui d’Edgar Allan Poe. Écrites surtout dans ses dernières années, les nouvelles de la peur et de l’angoisse sont inspirées par ses troubles nerveux, ses hallucinations, son inquiétude devant le mystère. Les aliénistes les considèrent comme de précieux témoignages sur les progrès de son mal. Ainsi, dans Le Horla, obsédé par la présence d’un être invisible dont il devient peu à peu l’esclave, le héros en vient à incendier sa demeure et décide de se tuer.
Lagarde et Micard, op.cit.
Baudelaire disait : « Seigneur, ayez pitié des fous et des folles. » Chez Maupassant, cette folie dont il sera atteint à la fin de sa vie est le résultat d’une vie passée à lutter contre des névralgies, mais aussi à s’enfoncer toujours plus loin dans le désespoir philosophique. Maupassant considère qu’à l’origine de ce malheur humain auquel on ne peut échapper se trouve la solitude, aspect inhérent à la nature humaine.
Il fournit une belle méditation sur le sujet dans Le Gaulois (31 mars 1884) : « Parmi tous les mystères de la vie humaine, il en est un que j’ai pénétré : notre grand tourment dans l’existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu’à fuir cette solitude. Ceux-là, ces amoureux des bancs en plein air, cherchent, comme nous, comme toutes les créatures, à faire cesser leur isolement, rien que pendant une minute au moins ; mais ils demeurent, ils demeureront toujours seuls ; et nous aussi. »