Les rimes et sonorités en poésie
Qu’est-ce qu’une rime ?
Une rime désigne l’identité des sons, appelée homophonie, des syllabes finales entre deux ou plusieurs mots situés en fin de vers. Il s’agit souvent d’une répétition de sons identiques, souvent la dernière voyelle du vers et les phonèmes suivants.
Exemple de rimes en -ide et en -vin :
Aujourd’hui, l’espace est splendide !
Charles Baudelaire, Le vin des amants
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féérique et divin !
Propres à la poésie classique mais aussi dans les chansons, les rimes, employées volontairement, séduisent le lecteur ou l’auditeur, qui mémorise plus facilement les vers. Le texte est ainsi plus structuré mais également soumis à des règles précises, selon le type de rime et sa disposition.
Quand le même son se répète en milieu de vers ou apparait sur plusieurs vers (deux mots sur une ligne et un troisième au milieu de la ligne suivante), on parle de rime intérieure. L’intérêt d’une telle rime est de donner un aspect plus unifié du vers, en accentuant l’effet du poème par la création d’un écho.
Je n’en vois point mourir que mon cœur n’en soupire.
Pierre Corneille, Polyeucte
Certains slogans publicitaires et expressions populaires comportent des rimes intérieures. Par exemple : « Saint-Yorre, ça va fort », « Carglass répare, Carglass remplace », sont des messages véhiculés par les marquent qui se retiennent plus facilement grâce aux termes choisis spécialement pour la rime.
La qualité de la rime
Selon le nombre de sonorités répétées, les rimes sont qualifiées de pauvres, suffisantes ou riches.
- Les rimes pauvres ont un seul phonème en commun, celui de la voyelle accentuée, c’est-à-dire prononcée.
La Cigale, ayant chanté
Jean de La Fontaine, La Cigale et la Fourmi
Tout l’Été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
- Les rimes suffisantes ont deux phonèmes en commun, souvent une consonne accompagnée d’une ou plusieurs voyelles (son vocalique).
Ô Vénus, ô Déesse !
Arthur Rimbaud, Soleil et chair
Je regrette les temps de l’antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
- Les rimes riches ont, au minimum, trois sons en commun.
Et le soleil dardait un rayon monotone
Paul Verlaine, Nevermore
Sur le bois jaunissant où la bise détonne.
La qualité de la rime dépend également de la dernière lettre. Une rime qui se termine par un -e muet est une rime féminine, par opposition à la rime masculine. Un exemple avec Pierre de Ronsard, où les rimes d’un genre différent se succèdent dans un de ses poèmes, l’alternance entre rimes masculines et rimes féminines étant un usage très courant de la poésie classique.
Dedans des Prez je vis une Dryade,
Pierre de Ronsard, Dedans des Prez je vis une Dryade
Qui comme fleur s’assisoyt par les fleurs,
Et mignotoyt un chappeau de couleurs,
Echevelée en simple verdugade. […]
La disposition des rimes
Les rimes portent des noms différents, correspondant à la manière dont elles sont placées dans un poème.
Inscrivez-vous à notre lettre d'information
Chaque vendredi, on vous envoie un récapitulatif de tous les articles publiés sur La langue française au cours de la semaine.
Chaque rime est souvent désignée par une lettre de l’alphabet (A, B, C, D… selon la longueur de la strophe et le nombre de rimes différentes) pour appréhender leur disposition de manière verticale.
- Les rimes plates ou suivies sont construites selon la structure AABBCCDD…
Ce spectre singulier n’a pour toute toilette,
Charles Baudelaire, Une gravure fantastique
Grotesquement campé sur son front de squelette,
Qu’un diadème affreux sentant le carnaval.
Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,
Fantôme comme lui, rosse apocalyptique,
Qui bave des naseaux comme un épileptique. […]
- Les rimes croisées ou alternées sont construites selon la structure ABAB
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Jean de La Fontaine, Le Corbeau et le Renard
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
Et bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. […]
Dans cette fable, les rimes plates succèdent aux rimes croisées.
- Les rimes embrassées sont construites selon la structure ABBA
[…] Autant qu’un roi je suis heureux ;
Charles Baudelaire, Le vin de l’assassin
L’air est pur, le ciel admirable…
Nous avions un été semblable
Lorsque j’en deviens amoureux !
Pour aller plus loin :
Ces trois rimes sont les plus fréquentes mais il existe d’autres dispositions particulières que l’on retrouve en poésie.
- Les rimes continues ont le même son en fin de vers (AAAAA…). On les nomme également monorimes si la rime est unique tout le long du poème. La comptine Les Hiboux du poète Robert Desnos illustre le schéma de la rime continue.
Ce sont les mères des hiboux
Robert Desnos, Les Hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d’or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux ! […]
- Les rimes annexées, appelées aussi concaténées ou fraternisées, sont construites selon une structure particulière : la dernière syllabe de la rime, parfois le mot ou le groupe de mots, sont repris au début du vers suivant.
Il faut que vous me donniez la force
Pierre Brandao
La force de revenir vous voir
Vous voir en chair et en os,
En os c’est le cri du désespoir…
Désespoir…
Plaisir n’ai plus, mais vis en déconfort.
Clément Marot, Plaisir n’ai plus, mais vis en déconfort
Fortune m’a remis en grand douleur.
L’heur que j’avais est tourné en malheur,
Malheureux est, qui n’a aucun confort.
- Les rimes redoublées se répètent au moins trois fois dans la strophe selon les schémas AAAB ou encore AABA.
En passant par un certain pré,
Jean de La Fontaine, Le Lion amoureux
Rencontra Bergère à son gré,
Il la demande en mariage
Le père aurait fort souhaité
- Les rimes tripartites sont construites selon la structure AACBBC…
Mignonne, allons voir si la rose
Pierre de Ronsard, Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait éclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
N’a point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
- Les rimes brisées sont proches des rimes internes car elles sonnent au niveau de la césure, entre les deux hémistiches, et en fin de vers.
[…] Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,
Paul Valéry, La fileuse
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle. […]
- Les rimes batelées se situent entre la fin d’un vers et la césure qui suit.
Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose,
Pierre de Ronsard, Comme on voit sur la branche
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur
Quand l’aube de ses pleurs au point du jour l’arrose […]
- Les rimes mêlées n’ont pas véritablement d’ordre déterminé. Elles sont réparties de manière aléatoire, en fin de vers.
[…] Un rat des plus petits voyait un éléphant
Jean de La Fontaine, Le Rat et l’Éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage
Qui marchait à grand équipage.
Sur l’animal à triple étage,
Une sultane de renom,
Son chien son chat et sa guenon,
Son perroquet, sa vieille et toute sa maison
S’en allait en pèlerinage. […]
L’organisation des vers et la disposition des rimes influent donc énormément sur l’unité sonore de la poésie. Découvrons ensemble les figures de sonorités qui participent à la musicalité du poème.
Les sonorités en poésie
Avec le rythme, les jeux de sonorités font partie des éléments utilisés par les poètes pour donner du sens au texte et provoquer une émotion. Ces sonorités sont bien identifiées :
L’allitération
Une allitération est la répétition de consonnes identiques. Très utilisée en poésie et au théâtre, dans la chanson et les slogans publicitaires, cette figure de style harmonise le vers ou la phrase et renforce les sonorités.
Quelques exemples d’allitérations célèbres :
Surprenons, s’il se peut, les secrets de son âme
Jean Racine, Britannicus, Acte I, scène 1
Elles assoient l’enfant auprès d’une croisée
Arthur Rimbaud, Les chercheuses de poux
Grande ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs
L’assonance
Par opposition à l’allitération, une assonance est la répétition de sons vocaliques identiques. Comme la figure de style précédente, elle s’emploie dans les textes littéraires, les proverbes ou les slogans publicitaires comme le célèbre « Zéro tracas, zéro blabla ». En produisant un écho, l’assonance met en relief l’effet sonore, souvent accentué par les rimes.
On trouve des assonances en « i », par exemple, dans Phèdre, la tragédie de Jean Racine :
- « Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire »
- « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue »
L’harmonie imitative
Une harmonie imitative désigne la répétition de sonorités qui suggèrent certaines images, des bruits ou une sensation. Cette figure de style établit une correspondance entre les sons et les sens. Par exemple, dans le vers suivant, extrait du Cid de Pierre Corneille, on entend une allitération en « f » et en « v » qui exprime le bruit des bateaux sur l’eau.
- « Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles »
Ces trois figures de style jouent avec le son et produisent un effet d’insistance et une certaine musicalité dans les l’ensemble des vers.
En complément des rimes et des sonorités, la mesure des vers et le rythme ont également une grande importance dans la versification.