Laisse tomber la nuit, d’Agnès Mascarou : le genre des paillettes
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Roman d’un premier amour, mais aussi et surtout d’une plongée dans l’univers édulcoré de la culture drag, Laisse tomber la nuit surprend par son originalité.
Au moment où la chaleur estivale ralentit Paris, une jeune femme rencontre, à la terrasse du café où elle travaille, son premier amour. Durant quelques pages, Laisse tomber la nuit flirte avec les clichés adolescents, alors que les deux amoureux parcourent la capitale, de nuit, de soirées branchées en soirées branchées, et escaladent les échafaudages sur le chemin du retour.
Mais le roman d’initiation reprend rapidement le dessus, quand Adore et la narratrice se font introduire, par des rencontres fortuites, dans l’univers du drag, de ses paillettes, de ses perruques et de ses chaussures aux talons vertigineux. Laisse tomber la nuit se met ainsi à explorer avec délicatesse les frontières du genre, des identités et du désir. Sous la plume admirative et impressionnée d’Agnès Mascarou, les pratiques drag révèlent toute leur puissance contestatrice et créatrice. Le drag, qui ne met pas en scène des femmes mais des « hyper-femmes » se fait alors « un moyen génial pour jouer avec les codes délirants attribués à la féminité ».
Il me raconte que Maxime et Lou sont drag-queens. Il m’explique la différence entre les travestis, qui s’habillent comme des femmes, et les drag-queens, qui mettent en scène une féminité exacerbée à travers une sorte de double qui revient à chacune de leurs apparitions sur scène.
La dimension éminemment politique de ces pratiques artistiques et festives n’est jamais loin, et l’autrice la convoque à plusieurs reprises, alors qu’elle rend compte de ce qu’elle apprend, au fur et à mesure de son initiation, sur le voguing ou sur la ball culture, née dans les années 70 à New-York à l’initiative de jeunes homosexuels et trans afro-latinos. Excessifs et exubérants, les corps, leurs mises en scène et leurs performances, deviennent d’inspirants outils politiques – et proclament par là leur puissance et leur beauté.
Au fil des pages, la narratrice assiste ainsi à la révélation d’Adore, qui se découvre et « se déploie » dans cet univers nocturne, alors que « le drag devient sa résistance, son revenge movie et son drapeau ». Et l’écriture prolonge la fluidité : quand le jeune homme se transforme, le « il » devient « elle » – la fascination érotique et la tendresse, quant à elles, persistent.
La bouche d’Adore est une créature fascinante. Véritable parure à elle seule, elle trône sur son visage comme un fruit. Sa lèvre inférieure a la courbe de l’abricot, épanouie comme une paire de fesses, gorgée d’un désir prêt à être cueilli.
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Laisse tomber la nuit, d’Agnès Mascarou, Hors d’atteinte, 304 p., 20 €. En librairie depuis le 25/08/2022.