Pierre de Ronsard (1524-1585) : vie et oeuvre
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Il est de ces ritournelles, entendues dans l’enfance, que l’on n’oublie pas si aisément. Il suffit que l’on en marmonne les premiers mots pour que le reste suive : « Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle… » ou encore « Mignonne, allons voir si la rose… ». Et, avec un peu de chance et de bonne mémoire, vous connaissez la suite. Ce faiseur de souvenirs mélodiques et poétiques n’est autre que Pierre de Ronsard, un des plus grands poètes du XVIe siècle.
Ronsard porte avec lui l’espoir d’une nouvelle génération, héritière des érudits et de la redécouverte de la littérature grecque et latine qui, profondément nationaliste, veut faire concurrence à l’Italie dans le domaine des arts et des lettres. Au milieu du XVIe siècle, Ronsard et la « Brigade » de Coqueret (ancêtre de la Pléiade, ce groupe d’étudiants du collège Coqueret, dont font partie du Bellay, Baïf, Denisot ou Pacate, s’initie à la littérature antique) sont les pionniers d’un renouveau poétique majeur.
Celui que l’on surnomme le « Prince des poètes et poète des princes », figure clé de la Renaissance, auteur de poèmes engagés dans le contexte des guerres de religions (Les Hymnes, Les Discours et Les Franciades), contemporain de grands esprits comme Cervantes, Erasme, Copernic ou Shakespeare, père d’une œuvre protéiforme et considérable, Pierre de Ronsard était aussi un épicurien qui n’a cessé de chanter la louange de la vie, de ses plaisirs et surtout, de l’amour.
Qui est Ronsard ?
Pierre de Ronsard voit le jour en 1524, au château de la Possonnière (Loir-et-Cher). Il est le quatrième enfant de Jeanne Chaudrier et Louis de Ronsard, chevalier de la Possonnière, homme féru de poésie et grand admirateur de Bayard. Pierre de Ronsard passe son enfance dans ce château, privé de son père de ses deux à ses six ans, de 1526 à 1530, car ce dernier est en Espagne, aux côtés des enfants de François Ier, otages de Charles Quint.
Vers ses cinq ans, le petit Pierre est confié à un précepteur qui lui enseigne le latin et l’initie aux auteurs de l’Antiquité romaine. À la mort de ce dernier, que l’on pense être son oncle, l’archidiacre de Navarre, il hérite de sa bibliothèque.
Alors que sa carrière semble toute tracée par son père qui l’envoie étudier, en octobre 1533, au collège de Navarre, un établissement religieux, Pierre quitte l’établissement au bout de six mois. À l’âge de douze ans, le jeune Pierre est envoyé à la Cour afin d’y devenir page à la maison des enfants de France.
À la suite du mariage de Madeleine de France, fille de François Ier, et de Jacques V d’Écosse, il passe trois années en Angleterre, attaché au service du roi en tant que page. Après être passé par l’Écosse, la Flandre et l’Alsace, où, en 1540, il séjourne auprès de son cousin Lazare de Baïf, un humaniste savant qui l’introduit plus avant dans la connaissance de l’Antiquité, il se retire dans son château de la Possonnière. Atteint d’une surdité soudaine, il ne peut en effet s’engager dans la carrière des armes, et verse alors dans l’étude et l’exercice de la poésie.
En 1543, il fait la connaissance du poète Jacques Peletier, au Mans. Il lui soumet ses premières odes horaciennes : Ronsard reprend un genre poétique de l’Antiquité dont Horace, poète latin du Ier siècle av. J.-C. et auteur du fameux Carpe diem, est la référence.
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Ces odes teintées d’épicurisme, dans un style simple, se caractérisent par des effets de symétrie recherchée. Encouragé par Peletier, et à la suite de la mort de son père, Ronsard se rend à Paris, auprès de Lazare de Baïf, et partage avec son fils Jean-Antoine de Baïf les leçons de l’helléniste Jean Dorat. Il rejoint ce dernier au collège Coqueret. C’est une nouvelle ère qui débute pour Ronsard.
Ronsard, du Bellay et La Pléiade
Lors d’un voyage en Gascogne, en 1547, Pierre de Ronsard fait une rencontre décisive : dans une hôtellerie poitevine, il fait la connaissance d’un congénère de deux ans son aîné. Il s’agit de Joachim du Bellay, alors étudiant en droit. De cette rencontre naît une amitié, et de cette amitié, la Pléiade. Du Bellay pratique déjà la poésie à l’époque mais, charmé sans doute par les idées de son nouvel ami, décide de la rejoindre à Paris, au collège Coqueret, situé sur la montagne Sainte-Geneviève, en plein Quartier latin.
Au cœur de cette institution, Ronsard, Joachim du Bellay, Jean-Antoine de Baïf et d’autres élèves, sous la direction de l’helléniste Dorat, reçoivent une culture classique et traduisent « Homère, Hésiode, Pindare, les poètes tragiques et les Alexandrins, sans négliger les poètes latins, Horace et Virgile surtout, et les élégiaques […] Ils étudient Dante, Boccace, Pétrarque et les pétrarquistes. Années fécondes, passées dans la ferveur et dans la soif d’apprendre, voire remplies du désir de doter la langue française d’une littérature qui puisse rivaliser avec les chefs-d’œuvre antiques et italiens. Grâce à l’ardeur communicative de Dorat, ces jeunes gens n’ont qu’une hâte, essayer leur talent, tandis que, dans un collège voisin, d’autres, tels Étienne Jodelle et Rémy Belleau, nourrissent de semblables ambitions » (Encyclopédie du Larousse).
Ainsi naît La Pléiade, dont l’ambition est de promouvoir une littérature inspirée des auteurs de l’Antiquité, tout en rendant la langue française indépendante et en encourageant son utilisation plutôt que le latin. Sur le plan politique, le groupe participe à une unification de la France et à devenir les pionniers des courants littéraires de l’époque, comme l’Humanisme.
Le groupe des élèves de Coqueret se rend véritablement célèbre lorsque du Bellay fait publier – sûrement avec la participation de Ronsard –, la Défense et illustration de la langue française en 1549, sorte de manifeste de La Pléiade.
L’année suivante, au début de 1550, Ronsard fait paraître sa première les Quatre Premiers Livres des Odes, un « coup d’éclat », selon le Dictionnaire mondial des littératures. En 1552, il publie les Amours de Cassandre, suivi par le cinquième livre des Odes. Dans ces recueils, Ronsard se fait le sage disciple de Pindare et d’Horace.
Les Odes sont néanmoins mal reçues par les poètes courtisans de la Cour qui raillent le ton trop lyrique de ces dernières et les lieux communs repris avec érudition (le thème épicurien y est convoqué par le biais des motifs éternels de l’amour, de la fuite du temps ou de la douceur d’un paysage). Mais, par l’entremise de Marguerite de Navarre (sœur aînée de François Ier, diplomate et protectrice des écrivains et des artistes), Ronsard se réconcilie avec ses rivaux. Les années 1555 et 1556 consacrent Ronsard comme le poète de l’amour : il livre la Continuation des Amours, en l’honneur de Marie, une jeune paysanne à qui il dédicace son amour, puis la Nouvelle Continuation des Amours.
Alors que Ronsard a déjà imposé une nouvelle vision de la poésie, qu’il a révolutionné la métrique en popularisant l’alexandrin (à la place du décasyllabe dont il se sert aussi), il fait publier, en 1555, un premier livre des Hymnes, suivi par un second en 1556, dans lesquels il aborde, en alexandrins, des thèmes historiques, mythologiques, philosophiques ou religieux.
Ronsard triomphe désormais en tant que « prince des poètes » et il reçoit d’Henri II (fils de François Ier, monté sur le trône de France en 1547) une pension et des bénéfices ecclésiastiques. Il devient par la suite conseiller et aumônier du roi, ainsi que poète de la Cour.
En 1560, du Bellay meurt à Paris. Ronsard reste alors le seul grand poète de La Pléiade. La même année, qui voit aussi l’avènement de Charles IX (fils d’Henri II et de Catherine de Médicis), Ronsard publie la première édition de ses Œuvres (Amours, Odes, Poèmes, Hymnes).
Au beau milieu d’une période troublée par les affrontements multiples (règne éphémère de François II, guerres de religion), Ronsard s’engage davantage pour la monarchie et la défense de la religion catholique, dans laquelle il a été élevé et qu’il pratique. Il rédige des Hymnes (Hymne à Henri II, Hymne à la justice), des Discours (Discours des misères de ce temps) et se lance enfin dans une grande entreprise rêvée depuis plus de vingt ans : celle d’un poème épique qui puisse rivaliser avec l’Iliade et l’Odyssée, qu’il concrétise avec la publication de La Franciade, dont les deux premiers tomes parurent en 1572.
A la mort de Charles IX, en 1574, Ronsard est supplanté à la Cour par le poète baroque Philippe Desportes, favori du nouveau roi Henri III. Il se retire alors loin de Paris, dans ses prieurés du Vendômois et de Touraine. Il y achève les Sonnets pour Hélène, qui paraissent en 1578, « causerie mélancolique qui immortalise Hélène de Surgères » (Larousse). Il meurt le 27 décembre 1585, près de Tours, dans son monastère de Saint-Cosme-en-L’Isle après avoir agonisé de la goutte.
L’œuvre de Ronsard
Toute l’esthétique de Ronsard est condensée dans son entreprise de La Pléiade. Précurseur d’une langue modernisée et vivifiée, il amorce une nette rupture d’avec les décennies précédentes : l’étude des auteurs antiques est encouragée, mais il tente d’imposer une langue française unifiée et portée au même rang de noblesse que le latin. En poésie, Ronsard impose une nouvelle versification et magnifie l’alexandrin en en faisant le grand vers français de la Renaissance. Il en confirme la dignité dans son Abrégé de l’art poétique français, publié en 1565 :
« Les alexandrins tiennent la place en notre langue, telle que les vers héroïques entre les Grecs et les Latins […]. La composition des Alexandrins doibt estre grave, hautaine, et (si faut ainsi parler) altiloque (entendre ici : de style élevé, ndlr), d’autant qu’ils sont plus longs que les autres, et sentirent la prose, si n’estoit composez de motz esleus, graves, et résonnants, et d’une rime assez riche, afin que telle richesse empêche le stille de la prose, et qu’elle se garde toujours dans les oreilles jusques à la fin de l’autre vers ».
Si les premiers poèmes de Ronsard (les Odes majoritairement, dans lesquelles on retrouve le fameux « Mignonne allons voir si la rose »), sont grandement influencés par les leçons de Pétrarque et témoignent d’une préciosité quelque peu conventionnelle, le poète se détache peu à peu de ce carcan pour accoucher d’une langue poétique plus souple.
Il fut le premier à introduire le langage populaire dans le français littéraire. Jusqu’au début du XVIIe siècle, ses pairs parlent de lui comme celui qui « a coupé le filet que les Français avaient sous la langue ». Les thèmes abordés, outre ceux présents dans ses poèmes engagés publiés lors des Guerres de religions, sont bucoliques, champêtres et épicuriens. Le maniérisme qui affleure dans une grande partie des poèmes de Ronsard lui vaut d’être boudé pendant toute la période classique (il est notamment vivement critiqué par François de Malherbe). Il faut attendre l’avènement des romantiques, parnassiens et symbolistes pour que son nom soit véritablement réhabilité.
Un poète « engagé »
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant,
Ronsard me célébroit du temps que j’estois belle.
Ce quatrain, tiré des « Sonnets pour Hélène » (dans Les Œuvres de Pierre de Ronsard (1578), Pierre de Ronsard, éd. Buon, 1609, poème XLII, p. 281), est l’un des plus connus de l’auteur. Il s’y cite lui-même, n’ayant pas attendu qu’on le sacre pour s’établir comme un grand poète lyrique. Éternel amoureux, fidèle héritier de la philosophie épicurienne, Ronsard a fait connaître, à travers ses poèmes, trois des femmes de sa vie, qui furent ses grandes passions : Cassandre, Marie, puis Hélène.
Mais, entre les lignes de ces déclarations amoureuses, l’on devine surtout les profonds questionnements de l’homme du XVIe siècle : « la fuite du temps, la victoire de la mort, le désir de retrouver une stabilité, en se réfugiant dans la nature ou dans l’éternité des cultures antiques » (Xavier Darcos, La littérature au XVIe). Dans la lignée des humanistes, Ronsard s’interroge sur la place de l’homme dans l’histoire et est habité par le défi de l’immortalisation face à la « branloire pérenne », comme l’exprime Montaigne en parlant des agitations de son temps.
Tout est mortel, tout vieillit en ce monde,
L’air et le feu, la terre mère et l’onde
Contre la mort résister ne pourront
En vieillissant comme nous ils mourront
Ces quatre vers qui font office d’introduction au Discours publié en 1569 dans le sixième livre des Poèmes, font aussi écho au très connu Discours sur la misère de ce temps, rédigé par Ronsard en 1562, après les massacres de Vassy :
Si depuis que le monde a pris commencement
Le vice d’âge en âge eust pris accroissement
Il y a longtemps que l’extrême malice
Eust surmonté le monde, et que tout ne fut que vice
Adressé à la « royne, mère du roy » (comprendre « la reine », Catherine de Médicis) afin de l’inciter à maintenir l’unité nationale et religieuse, ce discours montre la mesure de l’engagement de Ronsard. Par son art de la formule, Ronsard a été à la fois un homme de son temps, capable de capter les goûts humanistes autant que les tensions et rêves de son époque troublée, sans pour autant en oublier l’immortalité du génie poétique, hérité de la tradition antique, dont le but est de donner un nom et un sens aux choses. En témoignent ces vers, tirés de l’Hymne à l’éternité :
Rempli d’un feu divin qui m’a l’âme échauffée,
Je veux mieux que devant, suivant les pas d’Orphée,
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