Le registre épique
Sommaire
Définition du registre épique
Le registre épique est un registre littéraire dont le but est d’impressionner le lecteur par le récit d’exploits héroïques des personnages. Le terme épique provient du mot épopée qui caractérise un long poème valorisant les conquêtes et triomphes d’un héros.
La Chanson de Roland, parue à la fin du XIe siècle est une chanson de geste qui raconte l’histoire du chevalier Roland, neveu de Charlemagne, devenu légendaire grâce à ses combats héroïques. Ce chef d’œuvre littéraire du Moyen-Âge, écrit en vers, relate les exploits des guerriers.
La bataille est merveilleuse, la bataille est une mêlée,
Le comte Roland ne craint pas de s’exposer.
Il frappe de la lance tant que le bois lui dure ;
Mais voilà que quinze coups l’ont brisée et perdue.
Alors Roland tire Durendal, sa bonne épée nue,
Eperonne son cheval et va frapper Chernuble.
Il met en pièces le heaume du païen où les escarboucles étincellent
Lui coupe en deux la coiffe et la chevelure,
Lui tranche les yeux et le visage,
Le blanc haubert aux mailles si fines,
Tout le corps jusqu’à l’enfourchure
Et jusque sur la selle qui est couverte de lames d’or.
L’épée entre dans le corps du cheval,
Lui tranche l’échine sans chercher le joint,
Et sur l’herbe drue abat morts le cheval et le cavalier.
La Chanson de Roland, Laisse CX
Certains romans, pièces de théâtre ou poèmes présentant des évènements exceptionnels ou des actions héroïques utilisent le registre épique. Dans l’exemple ci-dessous, Don Rodrigue raconte ses exploits dans une longue tirade, tel un héros épique.
Sous moi donc cette troupe s’avance,
Et porte sur le front une mâle assurance.
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage !
Pierre Corneille, Le Cid, Acte IV, Scène 3
Procédés et thèmes du registre épique
Le registre épique se retrouve surtout dans des récits sur le thème de l’exploit, dans des romans historiques mais également au sein des œuvres se rapportant au domaine du merveilleux. Des personnages extraordinaires et surnaturels comme des monstres, des géants et des créatures divines, font leur apparition dans L’Illiade et l’Odyssée par exemple.
L’auteur utilise donc un champ lexical relatif au combat (armes, guerre), à la mort, à la violence, avec un vocabulaire assez soutenu.
Des actions et des personnages héroïques
Le lecteur est fasciné par la succession rapide d’actions remarquables. Force, puissance et courage valorisent les personnages qui possèdent, pour la plupart, d’incroyables ressources physiques. Parfois, ces héros doivent défier de gigantesques tempêtes ou des éléments surnaturels comme la colère des dieux, le Bien et le Mal.
Citons comme exemple le récit de Théramène dans Phèdre. Ce dernier relate les circonstances de la mort d’Hyppolyte, après un long combat avec un monstre marin invoqué par Neptune, le dieu des Océans.
L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Jean Racine, Phèdre
Parmi des flots d’écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes ;
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s’en émeut, l’air en est infecté ;
Le flot qui l’apporta recule épouvanté.
Tout fuit ; et sans s’armer d’un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d’un dard lancé d’une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur présente une gueule enflammée
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée
Les figures de style dans le récit épique
Pour déclencher l’admiration du lecteur pour ces figures héroïques, l’auteur utilise des figures de style telles que l’hyperbole, l’accumulation ou encore la gradation. Ces procédés d’exagération amplifient le récit en le rendant spectaculaire. Les comparaisons et les métaphores sont aussi présentes pour valoriser l’image surhumaine du héros.
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Verbes d’actions et adverbes d’intensité dans le registre épique
Pour donner une dimension épique au récit, les mots sont accentués par des adverbes d’intensité et des superlatifs.
Les verbes d’action ont également pour effet d’accentuer le rythme. Par exemple, dans L’Iliade d’Homère, les actions se succèdent au milieu des combats de la guerre de Troie, dans laquelle s’affrontent les héros grecs et les troyens.
Puis Achille sauta de la berge au milieu du fleuve. Mais le fleuve se gonfla, furieux. Il soulevait toutes ses eaux ; les cadavres sans nombre qui encombraient son lit, il les rejetait sur la terre en mugissant comme un taureau. Les vivants, il les sauvait en les cachant dans ses profonds tourbillons. Le flot tumultueux se levait, terrible, autour d’Achille et le courant se pressait contre son bouclier. Le héros chancelait sur ses pieds. Alors il agrippa de ses mains un grand orme qui s’écroula, déraciné, emportant toute la berge. De ses branches serrées, l’arbre arrêta le courant et fit un pont sur le fleuve. Achille, sortant de l’eau, s’élança dans la plaine, effrayé. Mais le grand dieu ne s’arrêtait pas : il s’élança vers lui pour mettre fin à l’œuvre du divin Achille et éloigner le malheur des troyens.
Homère, L’Iliade
Exemples de textes issus du registre épique
Quelques exemples d’autres textes, issus d’épopées ou de romans, appartenant au registre épique :
Les exploits passent également dans les actions collectives. Dans Germinal, roman épique d’Émile Zola, les mineurs en grève manifestent pour dénoncer leurs mauvaises conditions de vie.
Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.
Émile Zola, Germinal
À travers ce texte, on ressent l’agitation collective qui règne au milieu de la foule, la « masse compacte », qui représente le personnage en colère. On retrouve le vocabulaire du champ lexical du combat, avec « la hache » qui symbolise la mort. Les phrases sont longues, construites avec plusieurs verbes d’action et des superlatifs qui se succèdent.
Un autre exemple avec le roman Lancelot ou le Chevalier de la charrette, dit roman de chevalerie, qui prend la forme d’une épopée antique. L’extrait ci-dessous démontre la violence du combat entre les deux hommes mais aussi le courage de Lancelot qui ne recule devant aucun danger depuis le début de son aventure.
Dès qu’ils sont face à face, les deux chevaliers s’élancent l’un contre l’autre à bride abattue et ils se heurtent avec violence. Le choc des lances est tel qu’elles se plient en arc et volent en éclats. Ils prennent leurs épées et se portent de rudes coups qui endommagent les écus, les heaumes et les cottes de maille. Ils font de larges brèches dans le bois des écus, rompent leurs cottes de mailles et se blessent en maints endroits. Ils se rendent leurs coups avec rage comme s’ils respectaient un contrat. Mais souvent, en glissant, les épées atteignent la croupe des chevaux. Elles se rougissent de sang en entaillant le flanc des malheureuses bêtes qui ne tardent pas à tomber mortes toutes les deux. À peine ont-ils roulé à terre, que les deux combattants se ruent à pied l’un contre l’autre. S’ils s’étaient haïs à mort, ils ne se seraient pas battus plus sauvagement avec leurs épées. Ils se frappent à un rythme rapide que celui avec lequel le joueur le plus invétéré lance ses deniers en doublant sa mise chaque fois qu’il perd. (…) Alors il l’assaille de coups redoublés qui pleuvent dru autour de sa tête ; il le bouscule comme un ouragan, le presse et le contraint à céder du terrain. Il le fait reculer et le malmène si durement que l’autre est bien près d’en perdre le souffle et qu’il n’a guère la force de se défendre.
Chrétien de Troyes, Lancelot ou le Chevalier de la charrette
Dans ce récit, le registre épique est caractérisé par la présence des verbes d’action et de termes appartenant, comme pour l’exemple précédent, au champ lexical du combat. Les deux personnages courageux se conduisent en héros en poursuivant leur combat malgré leurs blessures.
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