Le surréalisme (XXe siècle) : mouvement littéraire
Sommaire
Il ne faut pas s’y tromper : le surréalisme ne se limite pas à une suite de mots gribouillés au hasard sur une feuille blanche en laissant son subconscient faire le boulot. Le mouvement se rapproche davantage de cette célèbre citation prononcée quelque temps avant la véritable naissance du courant par Lautréamont :
Beau comme une rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie.
Lautréamont, Chant VI, strophe 1, Les Chants de Maldoror
À ses débuts, le surréalisme n’est pas que littéraire. Ce mouvement qui touche autant la musique, la peinture que le cinéma, se fait l’écho de l’esprit général en mutation de ce début de siècle qui a vécu la Première Guerre mondiale. Un esprit moderne qui hérite donc tout aussi bien de la richesse poétique du XIXe siècle (du romantisme au symbolisme), que des répercussions psychologiques, morales et sociales du traumatisme de la Grande Guerre.
Par la suite, le courant s’impose dans l’histoire littéraire, porté en grande partie par André Breton, adepte du travail de Sigmund Freud et auteur du Manifeste du surréalisme, qui déclare (dans une note sur Les Chants de Maldoror) :
De l’unité du corps, on s’est beaucoup trop pressé à conclure l’unité d’âme, alors que nous abritons peut-être plusieurs consciences et que le vote de celles-ci est fort capable de nous mettre des idées opposées en ballottage.
André Breton
Naissance du surréalisme en littérature
Contexte historique
Avant même que le surréalisme ne soit véritablement considéré comme un mouvement à part entière, un poète avait pavé le sentier de ce courant poétique : mort en 1918, Guillaume Apollinaire (1880-1918) a ouvert en ce début de siècle une nouvelle brèche dans l’histoire artistique en diffusant le premier le terme « surréalisme » avec sa pièce Les Mamelles de Tirésias.
Guillaume Apollinaire laisse derrière lui les innovations poétiques de Calligrammes, il prend aussi la défense du cubisme en peinture, tandis que la musique d’Erik Satie (1866-1925) triomphe.
Car dans tous les domaines de l’art, les artistes poursuivent le même but : la recherche de nouveauté technique et d’exaltation spirituelle. Au début du XXe siècle, au sortir de la Grande guerre, les arts se veulent populaires, et surtout existent les uns par les autres.
En 1916, déjà, le ballet Parade de Jean Cocteau (1889-1963) est monté en collaboration avec Erik Satie et Diaghilev, dans des décors conçus par Picasso. Le cinéma fait son apparition (avec Marcel L’Herbier, René Clair, Luis Buñuel, etc.) et la peinture tente ses premiers essais surréalistes (avec Max Ernst et Francis Picabia).
Alors que le mouvement balbutie encore, la place conférée à la poésie est celle d’un outil expérimental. La « poésie-pilote » permet ainsi d’expérimenter et d’exprimer ce que le chef de file des surréalistes, André Breton, dénomme la « vraie vie ».
Inscrivez-vous à notre lettre d'information
Chaque vendredi, on vous envoie un récapitulatif de tous les articles publiés sur La langue française au cours de la semaine.
Avant même que Tristan Tzara (1896-1963) et André Breton ne produisent leurs Manifestes respectifs, la poésie est une façon d’introduire une nouvelle manière d’exister que ces artistes vont se donner pour but de conquérir. Lautréamont et Rimbaud avaient pressenti ce nouveau regard porté sur l’existence, Apollinaire l’a écrit :
Profondeurs de la conscience
Apollinaire, Calligrammes, « Les Collines »
On vous explorera demain
Et qui sait quels êtres vivants
Seront tirés de ces abîmes
Avec des univers entiers
Le surréalisme hérite véritablement du romantisme, il se trouve même à l’extrémité du néo-romantisme, né dans la fureur de la révolte et de la rupture d’avec une tradition, dans la recherche d’un « nom nouveau » (Apollinaire). C’est pourquoi les surréalistes se donneront tour à tour pour maîtres Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Nerval, Lautréamont, mais aussi William Blake (1757-1827).
Les origines DADA
En 1918, avant que le surréalisme ne trouve une véritable unité, le mouvement DADA, fondé sur la révolte pure et totale, s’impose. Le dadaïsme veut se dégager de tout carcan stylistique ou intellectuel, aboutissant à une totale déstructuration du langage et de la pensée.
Ce mouvement, né de la pensée négativiste, porte bien son nom : le terme aurait été trouvé au hasard dans un dictionnaire. Le poète Tristan Tzara prend la tête du mouvement et affirme dans son Manifeste dada, écrit en 1919 :
Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l’organisation sociale : démoraliser partout et jeter la main du ciel en enfer, les yeux de l’enfer au ciel, rétablir la roue féconde d’un cirque universel dans les puissances réelles et la fantaisie de chaque individu […] Liberté : DADA, DADA, DADA, hurlement de couleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE.
Tristan Tzara, Manifeste DADA
L’anarchisme règne en maître dans ce mouvement poétique à la fois désespéré et ambitieux qui veut purger par le feu tout ce que la littérature a charrié jusque-là. Et Tzara, trente ans plus tard, dans Le surréalisme d’après-guerre publié en 1947, persiste et signe :
Dada naquit d’une révolte qui était commune à toutes les adolescences, qui exigeait une adhésion complète de l’individu aux exigences profondes de sa nature, sans égards pour l’histoire, la logique ou la morale ambiante : Honneur, Patrie, Morale, Art, Fraternité, autant de notions répondant à des nécessités humaines dont il ne subsistait que de squelettiques conventions car elles étaient vidées de leur contenu initial.
Tristan Tzara, Le surréalisme d’après-guerre
Le Manifeste du surréalisme
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, André Breton est alors jeune étudiant en médecine. Il est mobilisé en 1915, à l’âge de dix-neuf ans. Affecté à divers centres neuro-psychiatriques, il se prend de passion pour le travail du Père de la psychanalyse, Sigmund Freud.
Lecteur assidu de Baudelaire et Mallarmé, il décide alors de conjuguer inconscient et littérature, apercevant les horizons qu’une telle association peut offrir à la création littéraire.
C’est en fondant la revue Littérature, en 1919, avec Louis Aragon (qui lui aussi a suivi des études de médecine) et Philippe Soupault que le premier groupe de surréalistes se constitue véritablement.
Breton et Soupault y font paraître un recueil de texte en prose, connu comme « le premier ouvrage surréaliste (nullement dada) », Les Champs magnétiques. Les deux auteurs s’essaient alors à l’écriture automatique :
La fenêtre creusée dans notre chair s’ouvre sur notre cœur. On y voit un immense lac où viennent se poser à midi des libellules mordorées et odorantes comme des pivoines. Vous voyez ce grand arbre où les animaux vont se regarder : il y a des siècles que nous lui versons à boire. Son gosier est plus sec que la paille et la cendre y a des dépôts immenses…
Les Champs magnétiques, Glace sans tain
Ce groupe de surréalistes veut désormais dépasser le négationnisme dadaïste pour se lancer dans « l’exploration du domaine de l’automatisme psychique ». Plusieurs figures de la scène artistique se joignent à eux : Crevel, Desnos, Eluard, Péret, Ernst, Picabia… Et André Breton publie son fameux Manifeste du surréalisme en 1924 où il livre cette définition du courant :
Surréalisme, n.m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
André Breton, Manifeste du surréalisme
Ce projet expérimental, que l’on pourrait aujourd’hui rapprocher de l’art-thérapie, puisqu’il se donne pour objectif de disséquer la pensée en la faisant passer par le prisme d’un élan créatif effréné, cathartique et exempt de contraintes stylistiques et morales, trouve ses adeptes et se développe rapidement.
Le cercle des surréalistes
Alors qu’on a tendance à croire que le surréalisme se limite à la poésie, André Breton, en publiant Nadja, un récit autobiographique, démontre la multiplicité des formes que peut prendre le courant.
Ce récit est une nouveauté dans le genre : composé de trois parties, il se veut le « procès-verbal », « pris sur le vif », « sans aucune affabulation romanesque ni déguisement du réel » de neuf jours que Breton passe avec une femme à Paris, Leona Delcourt, qui se surnomme elle-même Nadja.
Dans ce roman, Breton tente de saisir la « surréalité », c’est-à-dire de faire la synthèse du réel et de l’irréel : les personnages étranges rencontrés sur leur route, la Gare Saint Lazare à Paris, la folie de Nadja, l’asile psychiatrique… Pour Breton, les deux mondes se touchent et s’entremêlent en fonction de ce que saisit l’inconscient, du contexte, des hasard… Breton affirme :
Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire.
André Breton
En marge de l’œuvre de Breton, le surréalisme revêt autant de visages que ceux qui le représentent. Du surréalisme intégral de André Breton au surréalisme engagé de Louis Aragon, en passant par Robert Desnos et Eluard (sans oublier Queneau, Cocteau, Cendrars et comparses qui se trouvent en marge) ce mouvement littéraire connaît de nombreuses évolutions, tant sur le fond que sur la forme.
Ces personnages-clefs du surréalisme se rassemblent très vite autour d’une autre revue, La Révolution surréaliste, « La revue la plus scandaleuse du monde ». C’est dans cette publication que la plupart des auteurs sur-cités vont affirmer leur engagement surréaliste. Parmi les principaux, on compte :
Paul Eluard (Eugène Grindel, 1895-1952) : il est considéré comme le poète de la Résistance et marque durablement le mouvement surréaliste. Exaltant autant la liberté que l’amour, il s’est consacré à une poésie engagée. Ses principales œuvres sont Capitale de la douleur (1926) ; Liberté (1942) et Poésie et Vérité (1942). On retient de lui ces vers, écrits en souvenir des femmes tondues à la Libération :
Comprenne qui voudra, Moi, mon remord, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour êtres aimés.
Robert Desnos (1900-1945, il meurt du typhus au camp de concentration de Theresienstadt) : il est lui aussi passé à la postérité comme grande figure du surréalisme. Poète et résistant, il s’inspire de Nerval et Baudelaire et s’adonne à l’écriture automatique, avant de publier trois romans : Deuil pour deuil (1924), La Liberté ou l’Amour ! (1927) et Le Vin est tiré (1943). Eluard dit de lui :
De tous les poètes que je connaissais, Desnos était le plus immédiat, le plus libre ; il était un poète qui n’a jamais quitté son inspiration; il pouvait parler, comme un poète peut à peine écrire. Il était le plus courageux de tous.
Eluard
Louis Aragon (1897-1982) : Là où André Breton fait du surréalisme une doctrine, un poète comme Louis Aragon s’en sert de point de départ d’une nouvelle façon d’écrire le monde. « Le monde à bas, je le bâtis plus beau », écrit-il.
Il se conforme néanmoins à la conception selon laquelle la poésie est avant tout un exercice de style, sans pour autant la vider de sa substance lyrique. C’est ce qu’Aragon applique lorsqu’il fait paraître, en 1920, le recueil Feu de joie (lire le poème entier sur Wikisource) :
Vous que le printemps opéra
Louis Aragon, Feu de joie, , Pour demain
Miracles ponctuez ma stance
Mon esprit épris du départ
Dans un rayon soudain se perd
Perpétué par la cadence
La Seine au soleil d’avril danse
Comme Cécile au premier bal
Ou plutôt roule des pépites
Vers les ponts de pierre ou les cribles
Charme sûr La ville est le val […]
Dans les années 1920, Aragon est un fervent surréaliste et participe activement à la revue La Révolution littéraire. Entre autres publications majeures, il fait paraître dans cette revue son Traité du style, écrit entre 1926 et 1927 :
Je foule systématiquement au pied sur le feuillage noir de ce qui est sacré – la syntaxe. Systématiquement. […] Je piétine la syntaxe parce qu’elle doit être piétinée. C’est du raisin. Vous saisissez. Les phrases fautives ou vicieuses […], le manque de prévoyance à l’égard de ce qu’on va dire […], l’inattention à la règle, les cascades […], tous les procédés similaires, analogues à la vieille plaisanterie d’allumer sans qu’il s’en rende compte le journal que lit votre voisin […], mettre les coudes sur la table […], ne pas essuyer ses pieds, voilà mon caractère.
Louis Aragon, Traité du style
Entretemps, Aragon fait paraître son recueil Mouvement perpétuel, dans lequel il se joue des contraintes stylistiques, au point de donner naissance à des curiosités, qui tiennent presque de la provocation (comme ce poème composé de vingt occurrences du mot persienne) :
Persienne Persienne Persienne
Persienne persienne persienne
persienne persienne persienne persienne
persienne persienne persienne persienne
persienne persienne
Persienne Persienne Persienne
Persienne ?
Louis Aragon, Mouvement perpétuel
Au fur et à mesure des années, Aragon se tourne davantage vers une poésie d’homme d’action. En cela, il suit les pas de Paul Eluard et lui aussi s’engage pour la liberté exaltée et contre les atrocités de la guerre. Enfin, en 1932, il rompt avec le mouvement surréaliste pour devenir l’auteur du Fou d’Elsa et du roman Aurélien, publié en 1944.
Principes du surréalisme
La valeur poétique, esthétique et humaine du surréalisme trouve son origine dans la pratique de l’art comme une technique d’exploration de l’Inconnu, de l’insolite et de l’ailleurs. Voici les principaux principes du surréalisme en littérature :
- L’expérience de la liberté. Les surréalistes prétendent pousser jusqu’à l’extrême l’expérience de la liberté et de la libération, ne se fixant aucune limite (au sens traditionnel) dans l’exercice de l’art poétique. Cette conception est à rapprocher du « défoulement freudien ». L’écriture automatique fait partie des outils utilisés pour y arriver.
- Le thème du voyage et de l’ailleurs. Blaise Cendrars, aux côtés de Guillaume Apollinaire, s’était fait annonciateur du surréalisme. Il s’était donné comme devise : « Bourlinguer ». Il donne naissance à un « exotisme surréaliste » et nous permet de comprendre les liens futurs entre cinéma et surréalisme.
- L’abstraction et l’onirisme. Ces thèmes seront aussi repris dans la peinture et la sculpture : Salvador Dalí, Marc Chagall, Alberto Giacometti, René Magritte, Max Ernst, André Masson, Joan Miró, Dora Maar, Man Ray, Meret Oppenheim, Dorothea Tanning…
Principaux auteurs surréalistes et extraits littéraires
Nous vous citons ici une sélection d’extraits de ces auteurs qui ont participé au surréalisme (certains de ces textes sont aussi disponibles sur Wikisource).
Confluent des deux sourires vers
Tristan Tzara, « Hirondelle végétale », De nos oiseaux, 1914-1922
l’enfant – une roue de ma ferveur
le bagage de sang des créatures
incarnées dans les légendes physiques- vit
les cils agiles des orages se troublent
la pluie tombe sous les ciseaux du
coiffeur obscur – de grandes allures
nageant sous les arpèges disparates
dans la sève des machines l’herbe
pousse autour des yeux aigus
ici le partage de nos caresses
mordues et parties avec les flots
s’offre au jugement des heures
séparées par le méridien des cheveluresmidi sonne dans nos mains
les piments des plaisirs humains.
À la poste d’hier tu télégraphieras
Robert Desnos, Les Gorges froides, 1926
que nous sommes bien morts avec les hirondelles.
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t’en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.
La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles !
C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
Ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour.
Adieu ! Je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour.
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Paul Éluard, « La courbe de tes yeux », Capital de la douleur, 1926
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Nadja était forte, enfin, et très faible, comme on peut l’être de cette idée qui toujours avait été la sienne, mais dans laquelle je ne l’avais que trop entretenue, à laquelle je ne l’avais que trop aidée à donner le pas sur les autres : à savoir que la liberté, acquise ici-bas au prix de mille et des plus difficiles renoncements, demande à ce qu’on jouisse d’elle sans restriction dans le temps où elle nous est donnée, sans considération pragmatique d’aucune sorte et cela parce que l’émancipation humaine, conçue en définitive sous sa forme révolutionnaire la plus simple, qui n’en est pas moins l’émancipation humaine à tous égards, entendons-nous bien, selon les moyens dont chacun dispose, demeure la seule cause qu’il soit digne de servir. Nadja était faite pour la servir, ne fut-ce qu’en démontrant qu’il doit se fomenter autour de chaque être un complot très particulier qui n’existe pas seulement dans son imagination, dont il conviendrait, au simple point de vue de la connaissance, de tenir compte, et aussi, mais beaucoup plus dangereusement, en passant la tête, puis un bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c’est-à-dire de la plus haïssable des prisons […].
André Breton, Nadja, 1928
Il faut aller voir de bon matin, du haut de la colline du Sacré-Cœur, à Paris, la ville se dégager lentement de ses voiles splendides, avant d’étendre les bras. Toute une foule enfin dispersée, glacée, déprise et sans fièvre, entame comme un navire la grande nuit qui sait ne faire qu’un de l’ordure et de la merveille. Les trophées orgueilleux, que le soleil s’apprête à couronner d’oiseaux ou d’ondes, se relèvent mal de la poussière des capitales enfouies. Vers la périphérie les usines, premières à tressaillir, s’illuminent de la conscience de jour en jour grandissante des travailleurs. Tous dorment, à l’exception des derniers scorpions à face humaine qui commencent à cuire, à bouillir dans leur or. La beauté féminine se fond une fois de plus dans le creuset de toutes les pierres rares. Elle n’est jamais plus émouvante, plus enthousiasmante, plus folle qu’à cet instant où il est possible de la concevoir unanimement détachée du désir de plaire à l’un ou à l’autre, aux uns ou aux autres.
André Breton, Les Vases communicants, 1932
à André Breton
Louis Aragon, « La route de la révolte », Mouvement perpétuel, 1926
Ni les couteaux ni la salière
Ni les couchants ni le matin
Ni la famille familière
Ni j’accepte soldat ni Dieu
Ni le soleil attendre ou vivre
Les larmes danseuses du rire
N-I ni tout est fini
Mais Si qui ressemble au désir
Son frère le regard le vin
Mais le cristal des roches d’aube
Mais MOI le ciel le diamant
Mais le baiser la nuit où sombre
Mais sous ses robes de scrupule
M-É mé tout est aimé.
Lecture complémentaire :