Mise à feu, de Clara Ysé : « Mon roman ? Comme après un album : je ne suis plus la même »
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Assise à la terrasse d'un café, face au Canal Saint Martin, Clara Ysé nous présente son premier roman sorti le 8 août : Mise à feu (Grasset). À chaque question, la chanteuse, musicienne, compositrice — son EP, Le Monde s’est dédoublé, est sorti en avril 2019 — et désormais écrivaine, prête une oreille attentive et scrute le visage de son interlocuteur. Elle ouvre pour nous les coulisses de son roman, à mi chemin entre fantastique et parcours initiatique.
La langue française : Vous avez reçu un bel écho dans la presse française lors de la publication de votre roman Mise à feu (Télérama, Les Inrocks, etc.). Mais vous vous étiez déjà fait un nom à travers votre musique. Comment avez-vous abordé la création romanesque par rapport à la création musicale ?
Clara Ysé : Evidemment, ce sont deux objets très différents. Mais j’écris depuis longtemps, et pas seulement des textes pour mes musiques. J’ai beaucoup écrit de la poésie, et ce depuis toute petite. Ensuite, cela faisait longtemps que j’avais les personnages Gaspard et Nine (les personnages principaux du roman, nldr) en tête. Le cœur du roman consistait à raconter comment des pactes imaginaires créés dans l’enfance pour supporter une réalité trop violente sont par la suite réutilisés et transformés. J’étais partie de ce noyau-là. Et à un moment donné, les personnages ont voulu exister. Je suis rentrée d’un concert et me suis mise à écrire et à faire un travail important sur la structure.
Et dans l’écriture elle-même ?
Le rapport à l’écriture est le même dans les chansons, seulement il est important dans l’écriture de textes musicaux de laisser une place pour la musique. J’envisage ce genre d’écriture comme un objet où je dois laisser un espace manquant pour que la musique s’insère. Tandis que dans l’écriture romanesque, je me suis retrouvée seule devant mon papier, et ça fait monde. C’était intéressant à traverser.
Qu’est-ce qui a changé dans l’approche de l’écriture pour vous donner envie de passer le cap de la publication ?
D’avoir une rencontre. Lorsque j’ai commencé la rédaction du roman, j’en discutais beaucoup avec ma manageuse, Melissa Phulpin (éditrice musicale indépendante fondatrice de Tomboy Lab en 2014, ndlr). Elle m’a alors proposé de rencontrer deux éditrices pour avoir des retours, et j’ai eu un coup de coeur pour Catherine Nabokov avec qui j’ai par la suite travaillé le texte. C’est aussi elle qui m’a poussée à proposer le texte à Grasset. Lorsque je suis arrivée à Grasset, j’ai été accompagnée par Olivier Nora et Juliette Joste. Donc la question de la publication est venue par le biais de la musique.
Vous n’aviez pas d’appréhension à l’idée de la réception de votre livre ?
C’est vrai que j’ai toujours écrit sans envisager la publication. L’acte d’écriture était pour moi secret, intime. Mais lorsque je me suis lancée dans la composition du roman, c’est venu assez naturellement. Par ailleurs, j’ai tendance à dresser mon écriture, et à la dire à l’oral, ce qui est déjà une façon de la faire exister hors de soi. La publication, à mon avis, est une prolongation de soi, de ce que l’on crée.
On retrouve d’ailleurs bien la musicalité dans votre roman. Mais aussi la superposition de différents univers (les deux enfants, Gaspard et Nine, dialoguent durant tout le roman avec une pie appelée Nouchka et reçoivent des lettres de leur mère absente, appelée quant à elle l’Amazone). Avez-vous puisé dans une mythologie personnelle ?
J’ai voulu puiser dans différentes inspirations. Mais ma source principale c’était l’univers magico-réaliste à la sud-américaine, où l’on raconte comment l’imaginaire devient performatif. Je voulais présenter une double lecture du rapport des enfants à la réalité.
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Devenir premiumCela se ressent aussi dans les éléments textuels et le rythme.
Même si je ne le voulais pas, la musique viendrait quand même s’insérer dans mon texte (rires). Mais ici, elle représente une énigme de départ. Le rythme du roman va crescendo à mesure que Nine grandit et se découvre adolescente. Je l’ai marqué aussi par l’emploi des temps : tout le début du roman est au passé simple et le présent émerge de plus en plus dans le texte au fur et à mesure que l’on avance. C’est une façon de faire sentir que le personnage se réapproprie le réel : tout le dernier chapitre est écrit au présent.
Vous êtes déjà un peu connue par le biais de vos musiques. Voulez-vous que les gens lisent votre roman comme étant de vous ou comme une production indépendante ?
Je voulais que ce soit quelque chose de détaché de moi et, dans la même logique, je voudrais avoir moi-même la sagesse de me détacher de mon ouvrage. Ce qui est bouleversant, c’est que certaines personnes ont vu dans mon roman des choses que je n’avais pas prévues ou alors m’ont fait des retours intimes sur les protagonistes. J’ai voulu faire confiance au lecteur justement pour appréhender l’objet de manière plus large. À certains moments, dans l’élaboration de mon roman, l’écriture elle-même s'échappait, me dépassait. J’étais dans un état de semi-conscience.
Stephen King, dans Écriture, explique aussi que les personnages échappent à l’écrivain, qu’ils ont leur propre indépendance dans le roman.
Oui, complètement. Une fois que tu as la structure ou la logique de ton roman, les personnages te guident et ils m’ont parfois amenée vers des lieux auxquels je n’aurais pas pensé. C’est un des jolis cadeaux de l’écriture !
Vous voudriez poursuivre dans cette carrière d’écrivain ?
J’ai découvert que l’écriture de mon roman avait influencé ma composition musicale. Comme après un album, je ne suis plus la même. Il y a quelque chose de plus précis, de plus ancré dans le réel. Alors oui, j’aimerais poursuivre dans cette voie aussi, et publier à nouveau.
Un conseil pour ceux qui se lancent dans la rédaction d’un premier roman ?
La seule chose que je peux dire c’est qu’il faut de la persévérance, de la confiance. Même lorsque l’on se sent perdu, on continue à avancer.
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Mise à feu, Grasset, 198 p., 18 €.