Le narrateur et la narration
Sommaire
Qu’est-ce qu’un narrateur ?
Le narrateur est celui qui raconte l’histoire. Contrairement à l’auteur qui est la personne qui a vraiment écrit le texte, le narrateur est la personne réelle ou fictive qui raconte l’histoire de ses personnages.
Quand l’auteur raconte ce qui lui est réellement arrivé, il s’agit d’une œuvre autobiographique dans laquelle auteur et narrateur ne font qu’une seule personne.
Citons par exemple l’autobiographie Le Feu d’Henri Barbusse qui raconte le récit de ses années passées à la guerre, dans les tranchées. Dans l’extrait ci-dessous, il décrit un assaut où il franchit un barrage de feu, une étape particulièrement difficile.
On voit, on sent passer près de sa tête des éclats avec leur cri de fer rouge dans l’eau. À un coup, je lâche mon fusil, tellement le souffle d’une explosion m’a brûlé les mains. Je le ramasse en chancelant et repars tête baissée dans la tempête à lueurs fauves, dans la pluie écrasante des laves, cinglé par des jets de poussier et de suie.
Henri Barbusse, Le Feu
L'auteur parle ici de son vécu, à travers le narrateur qui s’exprime à la première personne.
Le rôle du narrateur est de retranscrire les événements du récit de façon organisée au lecteur. Selon le type de narrateur choisi par l’auteur, le lecteur découvre l’histoire de manière différente, à travers les indices laissés par celui qui raconte, au fur et à mesure du récit.
Quels sont les différents types de narrateurs ?
Il existe deux types de narrateurs : le narrateur externe et le narrateur interne.
Le narrateur externe
- Le narrateur externe n’est pas un personnage présent dans l’histoire. Il s’identifie grâce à l’utilisation de pronoms personnels de la troisième personne : il, elle, ils, elles.
L'inconnu resta impassible. Il se mit à regarder modestement autour de lui, comme un chien qui, en se glissant dans une cuisine étrangère, craint d'y recevoir des coups. Par une grâce de leur état, les clercs n'ont jamais peur des voleurs ils ne soupçonnèrent donc point l'homme au carrick et lui laissèrent observer le local, où il cherchait vainement un siège pour se reposer, car il était visiblement fatigué. Par système, les avoués laissent peu de chaises dans leurs études. Le client vulgaire, lassé d'attendre sur ses jambes, s'en va grognant, mais il ne prend pas un temps qui, suivant le mot d'un vieux procureur, n'est pas admis en taxe.
Honoré de Balzac, Le colonel Chabert
Dans le grand salon, Joséphine prit son café en priant le ciel que les questions ne lui tombent pas dessus en rafales. Elle essaya d’engager la conversation avec Philippe Dupin, mais celui-ci s’excusa : son portable sonnait, c’était important et si elle n’y voyait pas d’inconvénient… Il se réfugia dans son bureau pour y répondre.
Katherine Pancol, Les yeux jaunes des crocodiles
Le narrateur interne
Le narrateur interne est, quant à lui, un personnage de l’histoire ; il raconte sa façon de voir les évènements en exposant ce qu’il sait des autres personnages. Le narrateur interne relate les faits et décrit toutes les émotions et pensées des personnages. Le récit est fait à la première personne avec l’utilisation du pronom personnel « je ».
Qu’il soit interne ou externe, le narrateur nous offre son point de vue, représentant la vision avec laquelle le récit est fait. Appelé focalisation, ce point de vue peut prendre plusieurs formes en fonction des indications dont dispose le narrateur.
Inscrivez-vous à notre lettre d'information
Chaque vendredi, on vous envoie un récapitulatif de tous les articles publiés sur La langue française au cours de la semaine.
Dans la focalisation externe, le narrateur, extérieur à l’histoire, raconte l’histoire comme n’importe quel témoin des différentes scènes, de façon neutre, détachée et objective. Il n’a pas de connaissance immédiate sur les pensées et les ressentis des personnages. Le récit est à la troisième personne.
Dans les premiers jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entra dans la petite ville de Digne. Les rares habitants qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres ou sur le seuil de leurs maisons regardaient ce voyageur avec une sorte d’inquiétude. Il était difficile de rencontrer un passant d’un aspect plus misérable. C’était un homme de moyenne taille, trapu et robuste, dans la force de l’âge. Il pouvait avoir quarante-six ou quarante huit ans. Une casquette à visière de cuir rabattue cachait en partie son visage brûlé par le soleil et le hâle et ruisselant de sueur. Sa chemise de grosse toile jaune, rattachée au col par une petite ancre d’argent, laissait voir sa poitrine velue ; il avait une cravate tordue en corde, un pantalon de coutil bleu, usé et râpé, blanc à un genou, troué à l’autre, une vieille blouse grise en haillons, rapiécée à l’un des coudes d’un morceau de drap vert cousu avec de la ficelle, sur le dos un sac de soldat fort plein, bien bouclé et tout neuf, à la main un énorme bâton noueux, les pieds sans bas dans des souliers ferrés, la tête tondue et la barbe longue.
Victor Hugo, Les Misérables
La focalisation interne concerne les histoires dont les évènements sont racontés de l’intérieur, à travers les sensations et pensées d’un seul personnage et de façon subjective. La narration peut-être à la troisième personne ou à la première personne, avec l’utilisation de verbes de perception. Le lecteur voit l’histoire au travers du regard du narrateur, unique point de vue.
Frédéric, en face, distinguait l'ombre de ses cils. Elle trempait ses lèvres dans son verre, cassait un peu de croûte entre ses doigts ; le médaillon de lapis-lazuli, attaché par une chaînette d’or à son poignet, de temps à autre sonnait contre son assiette. Ceux qui étaient là, pourtant, n'avaient pas l'air de la remarquer. […] Plus il la contemplait, plus il sentait entre elle et lui se creuser des abîmes. Il songeait qu’il faudrait la quitter tout à l’heure, irrévocablement, sans en avoir arraché une parole, sans lui laisser même un souvenir !
Gustave Flaubert, L’éducation sentimentale
Le narrateur omniscient
Lorsque le narrateur connaît tout sur ses personnages dans leur plus grande intimité, et en sait même plus que ces derniers, on parle de focalisation zéro. Il s’agit d’un point de vue omniscient, très présent dans les romans traditionnels. Dans l’extrait ci-dessous, le narrateur omniscient fournit de nombreuses informations sur son personnage.
L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour.
Émile Zola, Germinal
Les temps de narration
Le temps de narration caractérise le temps principal employé lors d’un récit. Selon le sujet abordé par le narrateur et le moment où se déroule l’action, les temps du récit des évènements qui s’enchaînent peuvent être différents.
Dans les récits littéraires, les principaux temps de narration sont le passé simple, le passé composé ou le présent.
Il arrive également de trouver des verbes conjugués à l’imparfait qui, mêlés au passé simple, décrivent des actions d’arrière-plan. L’imparfait caractérise le temps de la description, le décor ou les portraits des personnages. Le passé simple, quant à lui, permet de raconter des faits qui occupent le premier plan, ponctuels et précis. Il peut s’agir d’une action unique et soudaine mais également d’une succession d’évènements.
Assis à la table desservie, Richard feuilletait un cours de droit. Daniel dessinait face à lui. Par la porte entrouverte arrivait le bruit que faisait Sophie en mettant de l’ordre dans la cuisine. Richard rejeta brusquement son cahier polycopié et dit « Je vais faire un tour » ? Le docteur glissa un regard vers son fils par-dessus ses lunettes et, alerté par le ton et l’expression de Richard, eut envie de lui demander « Où ? », se ravisa et, fidèle à la règle de ne jamais empiéter sur la liberté de son fils, murmura : « Bonne promenade, mon grand ».
Joseh Kessel, La Fontaine Médicis
L’air du bal était lourd ; les lampes pâlissaient. On refluait dans la salle de billard. Un domestique monta sur une chaise et cassa deux vitres ; au bruits des éclats de verre, Madame Bovary tourna la tête et aperçut dans le jardin, contre les carreaux, des faces de paysans qui regardaient. Alors le souvenir des Bertaux lui arriva. Elle revit la ferme, la mare bourbeuse, son père en blouse sous les pommiers, et elle se revit elle-même, comme autrefois, écrémant avec son doigt les terrines de lait dans la laiterie. Mais, aux fulgurations de l’heure présente, sa vie passée, si nette jusqu’alors, s’évanouissait tout entière, et elle doutait presque de l’avoir vécue. Elle était là ; puis autour du bal, il n’y avait plus que l’ombre, étalée sur tout le reste.
Gustave Flaubert, Madame Bovary
Le présent de narration
Le narrateur emploie le présent de l’indicatif lorsqu’il raconte les faits au moment où ils se déroulent. Lorsque le présent évoque des évènements passés, il s’agit du présent de narration qui rend l’action plus vivante, en donnant l’impression qu’elle se déroule sous les yeux du lecteur, alors que le récit est au passé. Citons comme exemple un extrait des Confessions de Jean-Jacques Rousseau :
J'étudiais un jour seul ma leçon dans la chambre contiguë à la cuisine. La servante avait mis sécher à la plaque les peignes de mademoiselle Lambercier. Quand elle revint les prendre, il s'en trouva un dont tout un côté de dents était brisé. A qui s'en prendre de ce dégât ? personne autre que moi n'était entré dans la chambre. On m'interroge : je nie d'avoir touché le peigne. M. et mademoiselle Lambercier se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent : je persiste avec opiniâtreté ; mais la conviction était trop forte, elle l'emporta sur toutes mes protestations, quoique ce fût la première fois qu'on m'eût trouvé tant d'audace à mentir. La chose fut prise au sérieux ; elle méritait de l'être. La méchanceté, le mensonge, l'obstination, parurent également dignes de punition ; mais pour le coup ce ne fut pas par mademoiselle Lambercier qu'elle me fut infligée.
Jean-Jacques Rousseau, Les confessions
Dans ce texte, le narrateur, qui est aussi l’auteur, relate des faits qui se sont déroulés dans son enfance. Il a recours aux différents temps du passé ainsi que plusieurs verbes conjugués au présent de l’indicatif. L’emploi du présent de narration met les actions en valeur et renforce le traumatisme qu’il a subi à cause de ces accusations.
Le futur de narration
On trouve également des temps comme le futur ou futur antérieur, utilisés lorsque la narration est antérieure aux évènements. Ils expriment une action passée dans un récit.
Et quant à vous, la répugnance que vous aurez surmontée et cachée sera moindre la prochaine fois, et nulle la troisième.
Georges Sand, La petite Fadette
Le futur de narration, employé particulièrement pour la description d’évènements historiques présente une action à venir dans un contexte passé, comme dans la phrase suivante, extraite d’un ouvrage sur Napoléon III :
Il est vrai que dès son plus jeune âge, on trouve des témoignages nombreux et concordants sur sa gentillesse et sa délicatesse, qualités qui lui sont données au départ et que l’expérience ne fera que développer. Cet enfant a le cœur sur la main. On serait tenté d’écrire que tout laisse prévoir très tôt, qu’il sera un brave type.
Philippe Seguin, Louis Napoléon Le Grand
Chaque temps dans la narration a donc une valeur et un emploi particulier selon l’évolution des personnages dans un temps et un lieu donné. Tous ces éléments dépendent donc du choix du narrateur, qui peut raconter les évènements dans l’ordre chronologique, mais aussi en effectuant des retours en arrière ou des anticipations.