Paul Verlaine : vie et œuvre
Il est étrange de constater que Paul Verlaine, qui tient une place importante dans le panthéon des poètes français les plus lus, aux côtés de Villon, Baudelaire ou Rimbaud, soit si peu cité dans les diverses anthologies de poésie française ou les ouvrages de textes théoriques et critiques de littérature. L’auteur des Poèmes saturniens a pourtant marqué un tournant majeur dans l’histoire de la poésie.
Contemporain de Coppée et des Parnassiens, il est tout d’abord influencé par le romantisme ambiant, avant de s’en éloigner, se voulant précurseur d’une modernité. Il la met en pratique au travers d’un exercice plus libre de la création poétique, entre parodie et décadentisme, mysticisme et ingénuité.
Sa vie fut celle d’un poète maudit, depuis ses premières amours candides, jusqu’aux excès de la passion, les errances rimbaldiennes, le temps de la prison et de la conversion, le tout baigné dans de grandes rasades d’alcool… Celui qui a été sacré « Prince des poètes » à la suite de Ronsard et de Leconte de Lisle, qui a fait découvrir Rimbaud et nous a livré certains des plus beaux vers de la poésie française sans jamais se prendre au sérieux, figure donc parmi les plus grands.
Qui est Paul Verlaine ?
Paul Verlaine est né à Metz (Moselle) le 30 mars 1844, de parents aisés, catholiques et bourgeois. Il est fils unique. Son père, Nicole-Auguste, militaire de carrière, démissionne après avoir atteint le grade de militaire, en 1851, et la famille quitte Metz pour Paris, dans le quartier des Batignolles.
Le jeune Verlaine est alors mis en pension à l’institution Landry et suit les cours du lycée Condorcet. Élève indiscipliné et dissipé, il obtient malgré tout son baccalauréat en 1862. Il ne tarde pas à se mettre à la création poétique : devenu bachelier en faculté de droit, il s’ennuie durant les cours et leur préfère la fréquentation des cafés et cercles littéraires parisiens.
Grand admirateur de Baudelaire (1821-1867), Verlaine se veut poète. En août 1863, il publie son premier poème, « Monsieur Prudhomme » dans une revue. Tout en participant au premier Parnasse contemporain (volumes rassemblant des oeuvres poétiques publiés par le poète Alphonse Lemerre et auxquels participent des poètes illustres tels que Leconte de Lisle, Banville, Heredia, Gautier, Baudelaire, Mallarmé, Coppée, Ménard, Anatole France, etc.).
Plus tard, il fait paraître son premier recueil en 1866, les Poèmes saturniens. Il a 22 ans. Si l’on retrouve dans ce « livre orgiaque et mélancolique » – tel que l’inscrit l’auteur en « épigraphe pour un livre condamné » – l’influence de Baudelaire et des Fleurs du Mal, on y perçoit aussi l’inquiétude naissante du jeune poète. Il déclare faire partie de « ceux-là qui sont nés sous le signe Saturne », ceux qui ont « bonne part de malheur et bonne part de bile », soumis à « une influence maligne ».
En effet, il traverse à cette époque une série de drames personnels : son père est mort en 1865, et Elisa, sa cousine orpheline avec qui il a été élevé (et dont il était gentiment amoureux), meurt à son tour en 1867. Verlaine se réfugie alors dans la boisson, et développe rapidement une dépendance à l’alcool (l’absinthe en particulier).
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Cet alcoolisme qui le suit toute sa vie provoque chez lui des accès de colère et de folie (il tente à plusieurs reprises d’étrangler sa mère), intensifie ses phases de mélancolie profonde et de mysticisme. Il balance constamment entre la religion et la révolte, tiraillé comme Baudelaire l’a exprimé avant lui, par les « postulations simultanées : l’une vers Dieu, l’autre vers Satan ».
Parnassien à ses débuts, Verlaine se démarque rapidement par sa recherche formelle et musicale dans la composition de ses poèmes : il propose une versification moins riche mais plus libre, joue avec les mètres et les rimes, notamment avec le quatrain ; délaissant souvent la contrainte de l’alexandrin qui règne en maître, il lui préfère l’octosyllabe, le décasyllabe ou les vers impairs.
Le ménage à trois
En 1869, Verlaine tombe amoureux de Mathilde Mauté, rencontrée grâce à un ami. Il l’épouse le 11 août 1870. Paul Verlaine a 26 ans et elle a 17 ans. En octobre 1871, Mathilde donne naissance à un petit garçon, prénommé Georges. Pour Verlaine, ce fut un coup de foudre, comme en témoigne sa production poétique de l’époque. Il lui adresse une série de poèmes. Certains sont publiés en 1869 dans son recueil Fêtes galantes : on y découvre une forme d’ingénuité, de mélancolie et un besoin de pureté incarnée en la personne de Mathilde.
Puis, dans La Bonne Chanson, recueil publié le 12 juin 1870, Verlaine rassemble des poèmes écrits après leur première rencontre et retrace les souvenirs de ces premiers mois d’idylle. Lorsque paraît le texte, Verlaine en offre un exemplaire à sa douce et tendre et lui adresse un poème-dédicace rempli d’espoir : « Espérons, ma mie, espérons ! / Va ! Les heureux de cette vie / Bientôt nous porterons envie / Tellement nous nous aimerons. »
Mais le bonheur conjugal est de courte durée et se voit contrarié par les événements. Tout d’abord par l’engagement de Paul Verlaine lors de la Commune : le poète s’est engagé dans la Garde nationale sédentaire. Ce soutien affiché pour les communards lui fait perdre son emploi obtenu après son baccalauréat auprès de l’hôtel de ville de Paris.
Peu de temps après, Verlaine reçoit une lettre. Elle est d’un jeune poète, admirateur de son travail, désireux de découvrir Paris et de se livrer tout entier à Calliope (muse de l’art poétique). Verlaine reçoit aussi quelques poèmes du jeune garçon, dont « Le Bateau ivre ». Son auteur n’est autre qu’Arthur Rimbaud. Verlaine, charmé, répond à « l’homme aux semelles de vent », tel qu’il le surnommera plus tard : « Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ».
« À l’époque relativement lointaine de notre intimité, Arthur Rimbaud était un enfant de seize à dix-sept ans, déjà nanti de tout le bagage poétique », écrit Verlaine dans son essai Les Poètes maudits (1884). Lorsque Rimbaud arrive à Paris, Verlaine lui fait découvrir ses troquets, ses rades et ses cercles littéraires. Leur relation est, dès ses premiers instants, tumultueuse, faite de litiges divers et variés, baignée dans l’alcool et « autres blâmables excès », comme l’écrit Verlaine lui-même dans son poème « Laeti et errabundi ». Rapidement, ce qui était une relation initiatique se transforme en passion charnelle.
Au cours de l’été 1872, Verlaine abandonne sa femme et son enfant pour fuir avec Rimbaud en Angleterre. Ils se rendent ensuite en Belgique. Durant ces séjours, Verlaine écrit certains de ses plus beaux poèmes publiés en 1874 dans le recueil Romances sans paroles. Mais au cours d’une énième altercation entre les deux hommes, Verlaine, fortement alcoolisé, tire sur le « Rimbe », et le blesse au poignet. Rimbaud porte plainte, Verlaine est incarcéré durant deux ans.
Verlaine, Dieu et la déchéance
C’est durant son incarcération que Verlaine retrouve la foi catholique. Cette nouvelle foi lui inspire une trentaine de poèmes écrits durant cette période et publiés dans les recueils Sagesse (1880), Jadis et naguère (1884) ou encore Parallèlement (1889).
À sa sortie de prison, en 1875, il tente une réconciliation avec Mathilde, qui échoue : elle demande le divorce, et obtient la garde de leur fils. Verlaine retrouve aussi Rimbaud : il lui rend visite alors que ce dernier est à Stuttgart. Il lui parle de sa foi retrouvée, tente de le convaincre mais échoue. Rimbaud lui confie le manuscrit des Illuminations que Verlaine fait publier à Paris. C’est leur dernière rencontre.
De retour d’Allemagne, Verlaine vit une descente aux enfers qui va crescendo jusqu’à la fin de sa vie. Il trouve un emploi modeste et vit chez sa mère tout en buvant de plus en plus.
Sa seule et ultime consolation fut, à partir de 1877, sa relation avec un jeune élève, Lucien Létinois, considéré à la fois comme un « fils adoptif » et un compagnon intime (les interprétations des biographes divergent quant à la nature exacte de la relation). Ce jeune garçon, plus docile que Rimbaud, lui inspire une série de poèmes publiés dans le recueil Amour en 1888. Mais Lucien meurt subitement de la fièvre typhoïde en 1883. Verlaine est dévasté : son comportement alterne entre crises de violence et désespoir profond.
En 1887, le bruit court que Rimbaud est mort (il décède en 1891). Verlaine, effondré, écrit l’un des plus beaux poèmes de tribut de la poésie française, « Laeti et errabundi » (joyeux et vagabonds) :
On vous dit mort, vous. Que le Diable
Emporte avec qui la colporte
La nouvelle irrémédiable
Qui vient ainsi battre ma porte !
Je n’y veux rien croire. Mort, vous,
Toi, dieu parmi les demi-dieux !
Ceux qui le disent sont des fous.
Mort, mon grand péché radieux
Les dernières années de Verlaine sont celles d’un homme déchu, vivant comme un ermite sans le sou, mal fagoté et acariâtre, traînant ses savates dans les bouges. La qualité de ses derniers poèmes témoigne de cette période d’errance (il ne publie que très peu de texte, souvent érotiques, voire pornographique), bien qu’il soit sacré à cette époque « Prince des poètes ». Diminué par le diabète et par la syphilis, il meurt d’une pneumonie aiguë le 8 janvier 1896.
Les œuvres de Paul Verlaine
Dès les premiers recueils de Paul Verlaine, que sont les Poèmes saturniens (1866), Fêtes galantes (1869) ou La Bonne chanson (1870), une certitude apparaît : Verlaine a une préoccupation, celle d’être sincère, tout en s’adonnant à « toutes les duplicités », tel que l’écrit Louis Forestier dans l’édition Gallimard de 1979 qui rassemble La Bonne chanson, Jadis et naguère et Parallèlement. « Verlaine “l’impudent” et Verlaine “l’ingénu” se font tour à tour ou conjointement chantres du manifeste et du caché. Naturel, Verlaine l’est jusqu’au factice. Artificiel, il l’est jusqu’à la naïveté », commente encore Louis Forestier.
Au travers de tous ses poèmes, Verlaine se dévoile comme double : un être qui aspire à l’amour pur (chanté dans ses premiers recueils, mais aussi dans Romances sans parole, en 1874, ou Amour en 1888), mais attiré par le vice. Cet homo duplex est à la fois mari dévoué et amant homosexuel envoûté, pénitent et « satanique docteur », mystique et prosaïque.
Il est capable de chanter les femmes et le charme de l’amour candide (par exemple dans « Mon rêve familier », publié avec les Poèmes saturniens : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant / D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime »), mais aussi de faire montre d’un érotisme ambigu, comme on peut l’observer dans son poèmes « Ballade Sappho », publié dans Parallèlement :
Ma douce main de maîtresse et d’amant
Passe et rit sur ta chère chair en fête,
Rit et jouit de ton jouissement.
Pour la servir tu sais bien qu’elle est faite.
Et ton beau corps faut que je le dévête
Pour l’enivrer sans fin d’un art nouveau
Toujours dans la caresse toujours poète.
Je suis pareil à la grande Sappho.
Ce « clochard céleste », peut-être plus maudit que ceux qu’il a rassemblés dans son essai, fait partie de ceux qui ont donné un nouvel élan à la poésie : inspiré du Parnasse, mais aussi du réalisme de Coppée ou Mérat, Verlaine cherche la modernité. L’influence du romantisme se fait sentir (il verse parfois dans l’impressionnisme poétique en faisant correspondre ses états d’âme aux paysages), mais il s’impose malgré tout comme le précurseur du symbolisme, ne pouvant s’empêcher de jouer avec lui-même, au point de flirter, de temps en temps, avec la parodie.
Oeuvre critique
Ce décadentiste amoureux d’une certaine simplicité poétique a rarement touché à la prose. Son ouvrage majeur dans le genre est son essai sur Les Poètes maudits (1884 et 1888 pour la seconde édition), dans lequel il rassemble ses contemporains, qui forment ensemble une génération de poètes se considérant comme incompris, en désaccord avec les valeurs de la société de leur temps et menant une vie d’excès :
C'est Poètes absolus qu'il fallait dire pour rester dans le calme, mais outre que le calme n'est guère de mise en ces temps-ci, notre titre a cela pour lui qu'il répond juste à notre haine et, nous en sommes sûr, à celle des survivants d'entre les Tout-Puissants en question, pour le vulgaire des lecteurs d'élite - une rude phalange qui nous la rend bien. Absolus par l'imagination, absolus dans l'expression, absolus comme les Reys-Netos des meilleurs siècles. Mais maudits! Jugez-en.
Parmi ces maudits, on retrouve ainsi Tristan Corbière, Arthur Rimbaud, Mallarmé, mais aussi Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de L’Isle-Adam et Pauvre Lelian, c’est-à-dire Paul Verlaine lui-même (il s’agit de l'anagramme de son nom). Voici ce qu’il dit de lui :
Ce Maudit-ci aura bien eu la destinée la plus mélancolique, car ce mot doux peut, en somme, caractériser les malheurs de son existence, à cause de la candeur de caractère et de la mollesse, irrémédiable ? de cœur qui lui ont fait dire à lui même de lui-même, dans son livre Sapientia : Et puis, surtout, ne va pas l’oublier toi-même, / Traînassant ta faiblesse et ta simplicité / Partout où l’on bataille et partout où l’on aime, / D’une façon si triste et folle en vérité !
Le quiz
Quelle est la profession de Paul Verlaine ?
- Poète
- Militaire
- Avocat
Quelle est la principale cause de la mélancolie et de la folie de Verlaine ?
- Son alcoolisme
- Son mysticisme et sa révolte
- La mort de son père et de sa cousine Elisa
Quelle est la forme de versification préférée de Verlaine ?
- L'alexandrin
- L'octosyllabe et la décasyllabe
Quel âge avait Arthur Rimbaud lorsqu'il est arrivé à Paris ?
- Seize à dix-sept ans
- Vingt ans
- Dix-huit ans
Quel événement a conduit Verlaine à retrouver la foi catholique ?
- Son incarcération pour avoir blessé Rimbaud
- La publication de son recueil Romances sans paroles
- Son voyage en Angleterre avec Rimbaud
Quelle est la dernière rencontre entre Verlaine et Rimbaud ?
- La remise du manuscrit des Illuminations à Verlaine
- Une dispute à Stuttgart
- La demande de divorce de Mathilde
Quelle est la nature exacte de la relation entre Verlaine et Lucien Létinois ?
- Les interprétations divergent
- Une relation amoureuse
- Une relation père-fils
Quelle est la préoccupation principale de Paul Verlaine ?
- Être sincère
- Être célèbre
- Être riche
Quel est le thème principal des poèmes de Verlaine ?
- L'amour pur
- La nature
- La politique
Quel est l'ouvrage majeur de Verlaine dans le genre de la prose ?
- Les Poètes maudits
- Le Réalisme
- Le Parnasse
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